« Sois franc avec moi, dit Michael. Elles étaient pour toi, ces clémentines. »
Ils dînaient chez le thaï, à côté de The Edge. Tous deux aimaient cet endroit, mais ils ne parvenaient jamais à se rappeler son nom et disaient juste « le thaï à côté de The Edge ». Ben s’était dit qu’ils pourraient s’arrêter à The Edge après pour y boire quelques bières ensemble, mais cette perspective paraissait plutôt compromise.
« Elles étaient pour nous deux, répondit-il avec calme.
— Comment ça ? « Merci pour le sexe. Voilà quelques clémentines pour toi et ton mari. »
— En gros, c’était ça, oui.
— Donc, tu lui as dit que tu étais marié ?
— Évidemment, je l’ai mentionné dans la conversation. J’ai évoqué mon partenaire. Comme toujours.
— Mais lui est célibataire.
— On dirait. Il a un petit copain au Brésil pour qui il craque complètement, mais je ne pense pas qu’il y aille souvent.
— Tu comprends que ça m’inquiète, hein ? De la bouffe, c’est assez intime.
— Intime ?
— Tu vois ce que je veux dire. Ça a un côté couple, quoi. On dirait qu’il te drague. »
Ben essaya de ne pas sourire trop ouvertement, mais il ne put réprimer totalement son amusement.
« C’était un mec sympa, chéri. Il me les ajuste balancées à la fin. M’a dit de les embarquer chez moi.
— Donc, il n’a pas parlé spécialement de moi.
— Non… je ne sais pas… peut-être que non. On s’en fout. Si j’avais su que ces fichues clémentines te feraient tant de peine, je les aurais laissées à l’atelier.
— C’est là que vous avez baisé ? À l’atelier ?
— Non, dans son appart. »
Long silence.
« C’est pire que si ç’avait été dans mon atelier ?
— Je ne sais pas », répondit Michael avec un sourire de travers.
Ben tendit la main par-dessus la table et attrapa celle de Michael.
La communication tactile avait toujours marché à merveille avec lui.
« Je t’appartiens, chéri. Tu le sais.
— Tu connais la chanson sur les clémentines ? Dans les années soixante ? « Would you like some of my tangerine ? I know I’d never treat you mean[7]. »
Ben avoua que ça ne lui disait rien.
« Claudine Longet.
— Désolé.
— Elle avait un petit ami champion de ski, un branleur, un certain Spider. Elle l’a flingué. »
Ben hocha la tête.
« Super.
— Mais ça n’a rien à voir.
— C’est bon à savoir. »
Michael lui décocha un sourire langoureux.
« Je jacasse beaucoup, hein ? Tu n’en as pas marre ?
— Uniquement quand j’essaie de préparer le dîner.
— Je t’aime tellement, Benjamin. Et j’essaie de m’améliorer. Je veux fêter tout ce qui te donne du plaisir. Je veux arrêter d’être un petit garçon craintif et devenir le vieux sage qui a trouvé l’amour de sa vie et peut enfin… souffler.
— Tu y es déjà, chéri. »
Long silence apaisant.
« Alors, dit Michael d’un ton enjoué. C’était bien… Johnny-O ?
— Qui ?
— Désolé. Une référence à Vertigo. Encore plus vieux que Claudine Longet. Je voulais juste dire… tu sais… cet après-midi. C’était bien ? »
C’était toujours une question délicate, Ben le savait.
« Pas mal. Son corps et sa queue étaient bien, mais… il était un peu trop narcissique pour que le sexe soit vraiment top. »
Michael fronça les sourcils.
« Dommage. Je suis désolé pour toi. »
Ce noble effort arracha un grand sourire à Ben.
« Tu vois, je m’en sors bien ?
— C’est vrai, reconnut Ben en lui pressant la main. Ça te dirait une bière à côté ? »
Ils burent plusieurs bières, heureux d’être ensemble au milieu de la foule bon enfant. Après vingt minutes environ, Ben partit aux toilettes et ne trouva pas Michael en revenant. Ça l’inquiéta un peu, jusqu’à ce qu’il se rende compte que Michael était au téléphone dehors sur le trottoir, au milieu du petit groupe de fumeurs habituel.
Ben le rejoignit au moment où il rangeait son portable.
« Qu’est-ce qu’il y a ?
— Jake. Il veut nous emprunter le DVD de Ni dieux ni démons. On en a parlé au boulot.
— Il faut qu’on rentre, alors ? » Michael secoua la tête.
« Mary Ann est sur place. Ça leur donnera l’occasion de discuter entre eux. »
Ben eut du mal à visualiser la chose. Face à sa réaction, Michael ajouta :
« Je me suis dit que ça pourrait être utile à Jake en ce moment. Il va enfin avoir son hystérectomie le mois prochain.
— Il peut se payer l’opération ?
— Anna la lui offre. Je lui ai conseillé de s’en occuper pendant qu’on serait à Hawaii.
— Et… comment Mary Ann peut-elle l’aider, exactement ?
— Tu sais, un soutien moral. Il s’inquiète au sujet de l’opération.
— Mais il veut quand même la faire ?
— Oui. Plus que jamais. »