CHAPITRE XIII
Horn s’obligea à se détendre. Le commandant Antilles avait qualifié le voyage d’exercice d’astronavigation… Mais l’instinct de Corran lui soufflait que ce n’était pas tout. Pourquoi leur aurait-il fait emballer leurs affaires personnelles pour un simple exercice ?
Grâce à ses scores à l’entraînement, Corran avait été promu lieutenant et il avait reçu le commandement du Vol Trois. Devenu officier, il avait espéré que Wedge lui ferait confiance et lui dirait ce qui se passait.
Son respect des règles de sécurité tempéra son malaise…
Ce ne sont pas mes affaires. L’important est de réussir l’exercice.
Corran prit la tête du Vol Trois de l’Escadron Rogue. Ooryl se trouvait à tribord, Lujayne et Andoorni à bâbord. Leurs numéros d’appel étaient Rogue Neuf à Douze. Pour cet exercice, ils fonctionneraient comme une unité semi-indépendante.
— Whistler vous transmettra les coordonnées de vol et les paramètres de vitesse. Faites-les vérifier par vos R2, puis verrouillez la trajectoire. Nous suivrons Vol Un pour cette étape, et Vol Deux pour la suivante. Puis, ce sera notre tour de passer les premiers. Restons vigilants.
Corran bascula sur la fréquence de communication de commandement.
— Vol Trois prêt à votre signal, Rogue Un.
— Parfait. À tous les vols, départ dans cinq secondes.
Whistler commença le compte à rebours. Les secondes s’égrenèrent sur l’écran numérique. À 00 : 00, Corran enclencha l’hyperdrive de son aile X et regarda les étoiles défiler sur l’écran.
La première partie du voyage prendrait environ une heure, et les emmènerait vers le Noyau. Une bonne chose, car les bases de données concernant les risques de navigation étaient de plus en plus détaillées à mesure qu’on approchait du Noyau.
Et de Coruscant.
Corran savait que la capitale impériale n’était pas la cible de cette mission. Mais il avait le sentiment qu’ils s’y rendraient un jour.
Pour le moment, il devait calculer la trajectoire de la troisième partie du voyage. Le commandant Antilles ne lui avait pas révélé leur destination finale, mais il lui avait donné vingt points de départ et d’arrivée, lui demandant de calculer les meilleurs caps possibles. Partant de la direction et de la durée de la première partie du vol, combinées aux trajectoires élaborées par Rhysati, il avait pu éliminer tous les chemins sauf deux.
Le premier était calculé plutôt serré, passant près de plusieurs amas de trous noirs. Corran regarda de nouveau l’affichage et conclut qu’il ne pouvait pas faire mieux.
— Whistler, affiche le trajet pour le système de Morobe.
L’astromech couina tandis que les chiffres et les graphiques défilaient sur l’écran.
— Oui, je sais que tu as fait de ton mieux ! Tu as prévu de nous faire passer à 0,25 parsec du système de Chorax. Ce système n’a qu’une planète et son soleil n’est pas très volumineux. Si tu nous rapproches d’un dixième de parsec supplémentaire, nous devrions sortir de l’hyperespace assez près de Morobe…
L’astromech gémit.
Corran éclata de rire.
— Tu as raison ! Les données que tu as utilisées pour calculer la trajectoire stipulaient de passer encore plus loin de Chorax. Mais n’oublie pas que ces éléments ont été compilés par des vaisseaux commerciaux, et que les marchands ont peur des pirates et des contrebandiers. Un escadron d’ailes X ne risque rien.
La navigation hyperspatiale étant difficile, les itinéraires passaient le plus près possible des systèmes habités. En cas de problème, se trouver à portée de communication d’une planète pouvant apporter de l’aide était un avantage majeur. Essayer de retrouver un vaisseau sorti de l’hyperespace à un endroit imprévu était une tâche impossible – comme les hommes partis à la recherche de la légendaire flotte Katana l’avaient appris à leurs dépens.
La première partie du voyage se déroula sans incident. Avant la deuxième étape, conduite par Vol Deux avec Rhysati à sa tête, Wedge transmit à Corran les coordonnées du troisième.
— Il s’agit donc bien de Morobe, fit Corran, appelant à l’écran les coordonnées du plan de vol pour les étudier une dernière fois.
Le cap était aussi bon que possible, en fonction du type d’engins qu’ils utilisaient. Des vaisseaux plus rapides auraient pu passer plus près du système de Chorax sans risquer d’être aspiré par la force gravifique du soleil…
Corran examina les jauges de combustible. Les moteurs d’hyperdrive étaient peu gourmands, alors que les moteurs subluminiques consommaient beaucoup. Pour l’instant, ils n’avaient pas brûlé une quantité excessive de carburant.
Au moment de la troisième étape, notre réserve de carburant sera toujours de quatre-vingt-sept pour cent du nominal. Assez pour atteindre le système de Morobe et revenir chez nous sans problème !
— Escadron, préparez-vous pour la troisième étape. Je vous envoie le plan de vol. Cinq secondes avant le départ.
La transition vers l’hyperespace lui sembla plus aisée que les précédentes. Il savait que c’était une illusion due au fait qu’il avait calculé lui-même les coordonnées. Corran n’avait jamais aimé remettre sa vie entre les mains d’autres personnes.
Whistler fit défiler sur l’écran des données venant des senseurs du vaisseau. Les chiffres n’avaient aucun sens !
— Il y a une autre masse stellaire dans le système de Chorax ? C’est impossible, à moins…
Avant qu’il ait pu lancer un avertissement aux autres membres de l’Escadron Rogue, la coupure automatique de l’hyperdrive s’enclencha. Le chasseur traversa un mur de lumière incandescente et jaillit dans l’espace normal, à la limite extérieure du système de Chorax.
En plein milieu d’un combat.
Corran vira à bâbord, sachant qu’Ooryl le suivrait pour laisser la place au reste de l’escadron quand il entrerait dans le système.
— Stabilisateurs en position d’attaque ! Whistler, as-tu identifié ces vaisseaux ?
Le petit droïd émit des bips affolés.
— Fais de ton mieux.
Le grand vaisseau était un croiseur Interdicteur Impérial. Ses quatre projecteurs de puits de gravité créaient une ombre hyperspatiale équivalente à celle d’une étoile de bonne taille. Les interdicteurs s’étant montrés efficaces contre les pirates et les contrebandiers, la présence dans ce système du vaisseau triangulaire de six cents mètres de long n’était pas une surprise.
Le grand vaisseau, appelé Vipère Noire d’après Whistler, n’était pas là pour eux. Devant lui fuyait un yacht stellaire modifié de classe Baudo.
Corran avait vu beaucoup de yachts modifiés quand il travaillait à la CorSec. Celui-ci lui semblait vaguement familier. Généralement, ces yachts servaient aux contrebandiers. Horn ne les appréciait pas particulièrement, mais il aimait encore moins l’Empire.
L’ennemi de mon ennemi est mon ami.
Whistler bipa. Corran regarda son écran, puis activa les communications.
— Des Tie. Des Bourdons. Je veux dire des intercepteurs. Une douzaine. Rogue Un, quels sont vos ordres ?
— Attaquez-les. En vous méfiant des canons du croiseur.
— Bien reçu. Rogue Dix, avec moi.
Ooryl indiqua qu’il avait compris. Un goût amer dans la bouche, Corran ne s’était jamais senti si près de paniquer. Il avait pourtant affronté les impériaux dans de vrais combats et lors d’une infinité de simulations.
Reprends-toi, Corran. Il toucha son porte-bonheur. Tes camarades comptent sur toi, et les types du yacht aussi.
— Pleine puissance aux bouchers avant. Je passe aux torpilles à protons.
Le réticule de visée apparut sur l’écran. Corran manœuvra pour amener le rectangle sur l’intercepteur de tête. Les chiffres de l’indicateur de portée diminuèrent à mesure que l’aile X se rapprochait du chasseur impérial.
Doucement, doucement. Comme à l’entraînement…
Le réticule devint rouge. Un bip strident emplit le cockpit. Corran appuya sur le bouton de mise à feu.
La torpille à protons fila vers la cible.
Une autre torpille passa près du vaisseau de Corran. Elle frappa un intercepteur, qui explosa. Le missile de Corran manqua sa cible.
— Beau coup, Dix. Un Bourdon de moins ! Couvre-moi, je me lance à la poursuite du mien.
Passant aux canons laser, il envoya un éclair de flammes qui brûla une partie du blindage des ailes de l’intercepteur, sans le détruire.
Le Bourdon grimpa abruptement, se plaçant hors de la ligne de vol de Corran. Celui-ci vira à bâbord, mais l’intercepteur se retrouva quand même derrière lui.
— Ooryl n’est pas en position pour l’abattre, Neuf.
— Je sais, Dix. Ne te fais pas de souci.
Corran garda un œil sur le réticule de visée et effectua un tonneau.
Allons, approche ! Si tu avais des torpilles à protons, je serais déjà transformé en atomes libres. Mais tu n’en as pas !
— Oui, Whistler, je sais ce que je fais. Au moins, je crois…
L’intercepteur fila en droite ligne pour atteindre avant Corran le point où se terminerait sa boucle. Voyant sa proie se rapprocher, le Corellien tira sur son manche à balai, raccourcissant considérablement son virage.
L’aile X traversa la ligne de vol du Tie à vingt mètres derrière lui. Puis Horn remonta et se dirigea vers la queue de son adversaire.
Il le pulvérisa.
— Dix, au rapport.
— Dix tourne de 90 degrés.
Corran vit l’aile X d’Ooryl le dépasser et suivre le sillage ionique d’un autre intercepteur. Le premier tir du Gand arracha une partie du blindage de l’appareil.
Encore un, Ooryl, et il est à toi !
— Neuf et Dix, virez à bâbord toutes ! Sortez-vous de là !
Le demi-tour d’Ooryl l’amena sur la ligne de vol de Corran, qui tira d’un coup sec sur son manche à balai pour l’éviter.
Un gémissement aigu de Whistler emplit le cockpit. Le manche à balai heurta la poitrine de Corran, le plaquant à son siège éjectable tandis que le droïd faisait monter l’aile X en chandelle. La vision de Corran se brouilla. La pression du manche à balai contre son sternum empêchait de respirer.
L’immense surface du Vipère Noire emplit son écran. Un tir de canon à ions percuta les boucliers de l’aile X. Whistler perdit le contrôle du manche à balai. Corran en profita.
Il poussa le manche à bâbord. L’aile X fit un demi-tour vertical qui l’amena au-dessus de l’Interdicteur. Mais une autre salve ionique atteignit les stabilisateurs de tribord.
L’impact envoya Corran heurter le côté gauche du cockpit. Le droïd se tut.
Corran comprit ce qui était arrivé avant de sentir son vaisseau partir en vrille. Le coup de canon avait arraché les moteurs subluminiques de tribord. Seuls les moteurs de bâbord fonctionnaient, sans rien pour compenser l’effet de vrille.
En tout cas, ça me rend difficile à atteindre.
Les compensateurs d’accélération et l’équipement électronique du cockpit avaient cessé de fonctionner en même temps que Whistler. La seule solution était de couper les moteurs et de tenter un redémarrage.
Plus facile à penser qu’à faire ! Le panneau d’arrêt d’urgence était du côté droit du cockpit, la force centrifuge plaquant Corran contre le côté gauche.
Il tenta d’atteindre le panneau en s’étirant au maximum.
Le manche à balai s’abattit de nouveau sur sa poitrine. Il sentit l’impact enfoncer son médaillon dans son sternum.
— Lâche-moi, fichu truc ! cria Corran.
Il parvint à repousser le manche à balai.
Rampant contre les parois, il se jeta sur le panneau d’urgence et enfonça le bouton avec son coude.
Les moteurs de bâbord se coupèrent. Le vaisseau continua à tourbillonner, le vide spatial n’offrant aucune résistance au mouvement. Corran se détendit un instant, et se retrouva de nouveau plaqué contre le côté gauche du cockpit. À demi assommé par le choc, l’estomac révulsé, il espéra presque que quelqu’un lui tire dessus pour le soulager.
Ce moment de découragement ne dura pas.
Ils me tueront peut-être, mais je ne leur rendrai pas les choses trop faciles.
Il souleva la plaque dissimulant un bouton rouge, appuya dessus et retint son souffle.
Il attendit le bruit des moteurs, mais rien ne se passa.
Les circuits de mise à feu sont grillés. Il doit y avoir autre chose à faire !
Les cellules d’alimentations étaient sans doute assez chargées pour lui permettre de récupérer les communications, le contrôle de l’altitude et les senseurs, mais le problème était de les atteindre depuis le cockpit.
Impossible de programmer l’atterrissage sans alimentation.
— C’est vrai ! Mais je peux utiliser le système manuel !
Corran dégagea la barre de libération manuelle du train d’atterrissage. Il entendit des cliquetis métalliques dans le nez du chasseur. Pourtant, la chute en vrille ne cessa pas immédiatement.
Le train se verrouilla en place, faisant vibrer le vaisseau entier. Le moniteur se ralluma et le manche à balai répondit de nouveau.
L’effet de vrille diminua.
Un atterrissage en catastrophe représentant un danger pour la plupart des formes de vie, le verrouillage du train d’atterrissage du chasseur déclenchait la prise en charge des turbines des stabilisateurs par les cellules d’alimentation primaires et secondaires, permettant quelques manœuvres simples ainsi que l’activation des moteurs de répulsion.
Corran tenta de redémarrer avec la même absence de résultat qu’avant. L’écran de diagnostic lui apprit qu’il avait perdu un des stabilisateurs latéraux. Le moteur refuserait de se remettre en marche tant que la puissance continuerait à fluctuer.
Pas de moteurs. Mais je vais peut-être récupérer les communications et les senseurs.
Les senseurs ne répondirent pas. Mais les communications marchaient.
— Ici Rogue Neuf. J’ai besoin d’aide.
Au-dessus de lui, il aperçut le Vipère Noire. Le reste de l’Escadron Rogue s’était regroupé pour former un bouclier entre l’Interdicteur et le contrebandier. Il ne put compter les vaisseaux, mais il lui sembla qu’il restait beaucoup plus d’ailes X que de Bourdons. Un bon signe !
Corran entendit un ordre sur le système de communication. Les ailes X lâchèrent une bordée de torpilles sur le croiseur impérial. L’impact suffit à désintégrer le bouclier avant du vaisseau. Le Corellien vit même certaines torpilles exploser contre la coque.
— En avant, les Rogues ! Whistler, tu regretteras d’avoir raté ça !
L’Interdicteur grimpa pour mettre sa proue à l’abri des ailes X. Il pouvait réparer son bouclier avant, mais il lui faudrait couper les générateurs de puits de gravité. Cela permettrait au yacht et aux ailes X de lui échapper.
Le grand vaisseau inversa sa trajectoire.
— Il s’enfuit ! Super !
L’enthousiasme de Corran retomba quand il réalisa que la fuite du croiseur le ramenait dans sa direction, les intercepteurs Tie le suivant de près.
— Correction, Whistler… Tu as de la chance de ne pas voir ça !
— Rogue Neuf, vous me recevez ?
— Je vous reçois. Whistler est K. O. et je suis aveugle comme une chauve-souris.
— Ici Rogue Zéro. Des Bourdons se dirigent vers vous.
— Merci, Rogue Zéro. Je suis impuissant. Pouvez-vous me débarrasser d’eux ?
— Impossible, Neuf, dit la voix de Tycho. Passez vos détecteurs sur la fréquence 354.3.
Fronçant les sourcils, Corran entra le code sur son clavier.
— C’est fait, Zéro.
— Bonne chasse, Neuf.
Le réticule de visée repart sur l’écran de Corran. Les données télémétriques venant du Banni, la navette conduite par Celchu, défilèrent sur l’affichage.
Le réticule vira au rouge. Corran tira. L’intercepteur de tête explosa.
— Un de moins, Rogue Zéro. Envoyez-moi les données du second.
Le pilote impérial ne saurait jamais ce qui l’avait frappé. Son vaisseau explosa sans qu’il ait la possibilité de faire la moindre manœuvre. Le troisième Bourdon partit en tourbillonnant dans l’espace, puis explosa, masquant le passage en vitesse luminique de l’Interdicteur.
— Sacré tir, Neuf !
— Je n’aurais rien pu faire sans vos données.
— N’empêche, c’est vous qui les avez descendus. Trois. Le record pour aujourd’hui.
— La journée n’était donc pas si mauvaise.
— Je suis content que vous pensiez ça, Neuf.
— Pourquoi, capitaine ?
— Vous avez le meilleur score. Quand nous arriverons, ce sera à vous de payer les tournées !