CHAPITRE XXII

Ce que Shedao Shai vit à la surface de Garqi ne lui fit pas plaisir. Le site de l’incendie était couvert de cendres crissant sous ses pieds. L’odeur de bois brûlé lui emplissait les narines, ainsi que celle de la chair carbonisée.

Heureux que son masque dissimule son dégoût et son trouble, Shedao Shai regarda l’officier allongé sur le sol, devant lui.

— Runck Das, vous affirmez que Krag Val est mort vaillamment au combat. Pourquoi êtes-vous toujours en vie ?

— Commandant, Krag Val m’a ordonné de rester en arrière pour vous informer de ce qui s’est passé.

Deign Lian ricana.

— Obéir à des ordres idiots, c’est prouver qu’on est un imbécile fini !

De sa main gauche, le chef des Yuuzhan Vong lui écrasa la gorge, lui coupant le souffle. Lian fit mine de se débattre, mais il se ravisa. Mettant un genou en terre, il baissa la tête.

— Pardonnez-moi, maître.

Shedao Shai toisa froidement son second, avant de se retourner vers son autre subordonné.

— Alors ? Que s’est-il passé ?

— Et ?

— Krag Val a défié le chef ennemi, comme il se doit. Lame d’Argent n’a pas relevé. Lame Jaune l’a fait à sa place, ainsi qu’un autre, pas un jeedai. Krag Val a défait deux ennemis, avant d’être abattu par le troisième jeedai. Lame d’Argent a affronté d’autres guerriers et les a vaincus. Nos esclaves se sont enfuis. L’ennemi a brûlé cet endroit, incinérant les corps de nos guerriers.

— A votre arrivée, vous n’avez pas retrouvé trace de nos ennemis ?

— Non, commandant. Nous n’avons rien pu faire.

— C’est faux, Runck du Domaine Das, dit Shedao Shai, pressant une botte sur le cou du fautif jusqu’à ce que ses os cèdent. Vous auriez pu être plus rapide.

Deign Lian s’allongea à côté du cadavre.

— Ne soyez pas idiot ! dit Shedao Shai. Qu’avez-vous appris en laissant votre proie vous échapper ?

— Que les infidèles sont rusés. Ils nous ont tendu un piège. Si vous n’aviez pas insisté…

Shedao Shai lui flanqua un coup de pied dans les côtes.

— Si c’est tout ce que vous avez retenu de la leçon, vous n’êtes pas plus intelligent que Runck !

— Mais, commandant…

— Réfléchissez, Lian. Vous voyez ces ruines autour de vous et vous en déduisez qu’ils sont rusés ? Allons ! La vérité est pourtant évidente.

— J’ai essayé de réfléchir, commandant…

— Pas assez. Deux vagues de renforts ont récupéré le vaisseau qui s’était infiltré sur Garqi. Deux ? La seconde ne venait pas du même endroit. J’en ai conclu qu’elle était envoyée par les Vestiges de l’Empire.

— La sagesse de mon commandant est infinie.

— Comment l’auriez-vous su ?

— La première apparition du vaisseau au-dessus de Garqi n’avait pas de sens. En fait, il était là pour larguer la navette. L’analyse du site du crash a prouvé ce que nous attendions.

— Je ne vois pas…

— Comme ceux qui ont examiné les restes du vaisseau. Ils ont eu si peur de la contamination qu’ils sont passés à côté de l’évidence ! Pourquoi trouverions-nous des traces de l’équipage d’un vaisseau qui s’est écrasé, alors qu’il aurait pu s’enfuir dans les nacelles d’évacuation ?

— Il n’y en avait pas…

— Exact. Donc, le vaisseau de reconnaissance était caché dans celui qui s’est écrasé. Une ruse complexe…

— Mais pourquoi ?

— Lian, comment pouvez-vous être si obtus ? La raison, la voilà ! Vous l’avez sous les yeux ! Maintenant, découvrez pourquoi ils ont détruit cet endroit. Vous le devez à ceux qui ont péri ici. Ne les décevez pas. Ni moi.

— A vos ordres, commandant.

Son second reparti, Shedao Shai se tourna vers le Caamasi silencieux qui l’accompagnait.

— Que déduisez-vous de cette destruction, Elegos ?

— C’était un jardin sans intérêt militaire. Ces espions étaient poursuivis et ils ont résisté. L’incendie est un accident.

— Croyez-vous qu’on puisse me tromper aussi aisément ?

— Croyez-vous que je veuille vous tromper ? Si après plusieurs jours d’analyse, Deign Lian ne sait toujours pas pourquoi cet endroit a brûlé, comment le saurais-je en une heure ?

— Je ne vois pas de déshonneur à ce qui s’est passé ici. La Nouvelle République a risqué gros pour récupérer les forces envoyées sur Garqi. C’est une action honorable !

— Peut-être, mais elle ne l’est plus au vu de la suite. Cet endroit est sans valeur militaire, dites-vous. Alors pourquoi l’ont-ils détruit ? Et cette fameuse « mission »… Ils ont utilisé des cadavres pour faire croire que l’équipage avait péri dans le crash du vaisseau.

— Vous pensez que le corps est un simple véhicule…

— Oui, mais un véhicule sacré, qui doit être honoré et respecté. Nos rituels expriment le respect dû aux ancêtres. Ici… (La voix du Yuuzhan Vong se brisa.) Ici les morts ont été incinérés sur place. Leurs membres n’ont pas été alignés. Les frères d’armes n’ont pas été placés côte à côte mais traités comme des détritus ! Les cadavres des nôtres, je peux le comprendre, mais ceux de leurs amis ?

— Nous honorons aussi nos morts, quand c’est possible. La hâte peut expliquer ce comportement. Vos forces arrivaient. Ils n’ont pas eu le temps de rendre hommage aux guerriers abattus.

— C’est possible. J’ai appris beaucoup de vous. Il me reste une chose à vous demander.

— Je doute pouvoir vous en dire plus, commandant Shai.

— Je crois que si. Quand on a mentionné un jeedai surnommé Lame d’Argent, vous avez sursauté. Et quand j’ai parlé de Bimmiel aussi. Vous connaissez ce jeedai.

— Je n’ai jamais nié que je fréquentais des Jedi.

— Et Lame d’Argent en particulier.

— Kor-an Horn, répéta le Yuuzhan Vong. Vous ne m’avez jamais dit qu’il avait tué mes cousins sur Bimmiel.

— Vous ne me l’avez pas demandé.

— Si vous êtes tellement dissimulateur, Elegos, c’est parce que ce jeedai est de vos amis. Vous essayez de le protéger. Une marque de loyauté louable, mais… envers un homme si peu honorable ? Je ne vous comprends pas.

— Corran n’est ni stupide ni sans honneur, en dépit de ce que vous décidez de croire. Aucun Jedi ne l’est, pas plus que la Nouvelle République. Vous accordez trop d’importance à leur ignorance de vos mœurs, et les comprendre si peu vous trouble, quoi que vous en disiez.

— Mais, grâce à vous, Elegos, je comprends mieux beaucoup de choses.

Le Caamasi esquissa un sourire.

— Depuis que je suis avec vous, j’ai aussi appris à saisir votre approche de la vie. Pour voir, un accord entre nos deux puissances reste envisageable. Cette guerre ne sera pas éternelle.

— Je suis d’accord. Si je devais entamer des pourparlers, il me faudrait un émissaire en qui j’ai toute confiance. Je n’en ai pas dans mon peuple.

— Je pourrais être votre ambassadeur, proposa Elegos.