CHAPITRE XII
Anakin regarda son oncle, Mara et Mirax partir à bord du speeder. Il n’aimait pas rester sur la touche, mais il se refusait de céder à une colère infantile.
Il entendit un bruit de pas, derrière lui, et se retourna.
— J’allais juste faire un tour dehors, annonça Chalco. Histoire d’admirer le paysage.
— Maître Luke nous a dit de rester dans le vaisseau.
— C’est votre maître, petit, pas le mien !
— Vous n’êtes pas censé sortir de là.
— Vous pensez pouvoir m’arrêter ?
— M’en croyez-vous incapable ?
Anakin se retint d’utiliser la Force pour expédier l’homme contre une paroi. Mara l’avait averti : il fallait réserver la Force à de nobles causes, pas à des tâches triviales…
Je me sais capable de le maîtriser. Je n’ai pas besoin de le faire. Il doit y avoir une autre solution.
— Si vous n’êtes pas à bord quand nous partirons, vous serez coincé sur ce monde. Ce n’est pas précisément Coruscant… Sauf si vous acceptez un travail manuel, vous aurez du mal à gagner votre croûte, et encore plus à repartir.
— Vous pensez vraiment m’empêcher de sortir ? insista Chalco, sourcils froncés.
— Peu m’importe ! Si vous voulez sortir, allez-y. Les gens pensent que les Jedi sont prêts à les sauver de leur propre stupidité. Si c’était le cas, nous n’aurions jamais un moment de libre !
— Vous me croyez stupide ?
— Si vous l’étiez, maître Skywalker ne vous aurait pas fait venir. Vous êtes comme beaucoup de gens : vous vivez pour l’instant présent, sans réfléchir au lendemain.
— Vous croyez ça, petit ?
— Je ne vous connais pas depuis longtemps, mais je pense que vous avez le même problème que certains Jedi. Vous vous inquiétez trop de l’opinion d’autrui. Ça ne vous fatigue jamais ?
— Peut-être, oui… Par moments. Les autres vous poussent tout le temps à vivre à la hauteur de votre réputation.
— Je sais. Mon père a été confronté toute sa vie à ce problème. Et les Jedi… Tout le monde essaie de voir ce qu’ils ont dans le ventre. Certains ont peur de nous et restent à l’écart ; d’autres réagissent à la peur différemment, en essayant de nous provoquer.
— Votre père, c’est Yan Solo ?
— Oui.
— Je l’ai vu une fois ou deux, récemment. Il est anéanti par la mort de son partenaire.
Anakin lutta contre une culpabilité devenue automatique dès qu’on mentionnait Chewbacca.
— Ça l’a frappé très durement.
— Ils devaient être de bons amis. Je n’ai jamais été si copain avec un Wookie. Avec personne, d’ailleurs !
— Ils avaient connu tant de choses ensemble ! Chewie était tout le temps là… Et maintenant…
Anakin se tut, submergé par le chagrin. Il sentit une larme couler sur sa joue et l’écrasa d’un revers de main.
— Désolé, murmura-t-il.
— Je n’ai jamais eu d’ami aussi proche, admit Chalco, mais je comprends votre chagrin. Il y a des gens qu’on a l’habitude de croiser sur les spatioports, ou en cellule. Et un jour, ils disparaissent. On ne sait pas si on les reverra. Je sais que je ne suis pas très doué pour ce genre de truc, mais…
Anakin fit un signe de tête. Il sentit le soulagement de l’homme.
— Je comprends. Quand on connaît quelqu’un, sa disparition soudaine fait mal. Chewie… Il a toujours été là, souriant et plaisantant. Il ne protestait jamais quand je lui grimpais dessus ou que je le dérangeais dans son travail. C’était un roc. Et quand on perd ça…
— Ce n’était pas le seul roc de votre vie, petit. Vous avez votre père, votre mère et votre oncle.
— Vous avez vu mon père, vous savez dans quel état il est… Ma mère a beaucoup de responsabilités. Elle m’a soutenu, mais nous n’avons pas été souvent ensemble. Oncle Luke aussi a beaucoup à faire. Bah… C’est comme ça que je deviendrai adulte.
— Ne grandissez pas trop vite, gamin. Pas trop lentement non plus…
— L’important, c’est de grandir. (Anakin regarda les commandes de la rampe d’atterrissage.) Vous voulez toujours sortir ?
Chalco réfléchit puis secoua la tête.
— Non. Mais pas parce que j’ai peur de travailler dur. Traquer une Jedi, c’est aussi du boulot ! Après tout, il est temps que je me force un peu. Les adultes doivent en passer par là…
Dans la salle du Conseil des Moffs, l’amiral Gilad Pellaeon était assis sur une estrade. Seuls quatre Moffs étaient là en personne, les autres étant présents sous forme holographique. L’amiral estimait que le coût de la communication était bien supérieur à la valeur de l’avis des Moffs… Mais ceux-ci étaient accrochés à leurs privilèges.
La Moff Crowal, de Valc VII, pointa le menton mais ne se leva pas de son siège holographique. Valc VII était proche des Régions Inconnues, l’endroit le plus éloigné du couloir d’invasion des Yuuzhan Vong.
Inquiète malgré tout, elle insista, comme toujours, pour que sa planète reculée reçoive davantage de ressources que ce qu’elle méritait.
— Si la menace est sérieuse, amiral, nous vous supplions de défendre nos planètes. Et si c’est un piège, mieux vaut que vos vaisseaux restent dans l’espace Impérial.
— Comme je vous l’ai dit, ce n’est pas un piège. La menace contre la Nouvelle République est réelle et la demande d’aide est sincère.
Les bajoues du Moff Flennic tremblèrent de colère.
— Laissons ces gens se débrouiller ! S’ils n’avaient pas détruit l’Empire, cette menace aurait été éliminée en un clin d’œil par l’Empereur.
— Comment pouvez-vous affirmer une telle chose ? demanda Sarreti, le jeune Moff de Bastion. Il est probable que l’Empire ne s’en serait pas mieux sorti contre les Yuuzhan Vong que la Nouvelle République.
— Dans ce cas, ricana Flennic, pourquoi devrions-nous intervenir, si nous sommes moins forts qu’eux ?
— Parce que c’est notre devoir.
— Vraiment ? Aider ceux qui ont détruit l’Empire et qui nous ont saignés à blanc ? Et qui perturbent notre économie en inondant nos planètes de leurs produits bon marché ? C’est un piège, et vous êtes tombé dedans !
Sarreti se leva et resta silencieux, comme perdu dans ses pensées.
Puis il reprit la parole.
— La sagesse de mes aînés compte beaucoup pour moi quand je réfléchis à des sujets aussi graves. Ma famille a fui le Centre Impérial au moment de sa chute, quand j’étais adolescent.
« N’ayant jamais connu l’Empire à son apogée, ma vision est peut-être différente. Je ne considère pas les choses à travers la colère, le chagrin ou la nostalgie. La Nouvelle République n’a peut-être pas toujours agi pour le mieux, mais, il y a six ans, elle aurait pu nous écraser. Elle a choisi de ne pas tous nous punir pour les exactions d’un petit nombre et nous a offert une paix honorable.
« La demande présentée à l’amiral Pellaeon n’est pas un piège. Les Républicains nous considèrent comme leurs égaux. C’est une chose importante que nous ne devons pas perdre de vue. Sinon, nous méritons d’être conquis par les Yuuzhan Vong.
Les Moffs acquiescèrent.
Pellaeon se leva, poings sur les hanches.
— Comme toujours, mes chers Moffs, j’apprécie vos commentaires et vos conseils, mais laissez-moi vous rappeler que je suis aux commandes de l’espace Impérial. Je ne vous ai pas convoqués pour connaître vos opinions, mais pour vous prévenir. Quand nous dirons au peuple ce qui se passe dans la Nouvelle République, beaucoup de gens réagiront comme certains d’entre vous. Ils ne verront aucune raison de soutenir un ennemi. J’espère que vous parviendrez à les persuader du contraire. Je remercie le Moff Sarreti pour son éloquence et je vous conseille à tous de prendre modèle sur lui.
L’image holographique de Flennic fronça les sourcils.
— Vous engagerez nos forces à leurs côtés, quel que soit notre avis ?
— Vous avez l’air étonné, Moff Flennic. Mais tous les militaires pensent comme moi. L’ordre de mobilisation réactivera les réservistes. Certaines unités seront rappelées au service, ainsi que nos forces secrètes, tant dans notre espace qu’à l’extérieur. Pour vaincre les Yuuzhan Vong, nous aurons besoin de tous nos atouts.
« Je vous ai préparé la liste des codes en cours de validité. Si vous ne me mettez pas de bâtons dans les roues, je ne mobiliserai pas vos gardes personnelles, et je vous laisserai utiliser les unités de réserve pour maintenir l’ordre.
— Vous pensez nous distraire en nous donnant des soldats pour faire joujou ? grogna Crowal.
— Si vous pensez que c’est la raison de mes actes, vous êtes assez superficielle pour que ça vous distraie. Comprenez-moi bien : si les Yuuzhan Vong tiennent en échec la Nouvelle République, nous n’avons aucune chance contre eux. Je vous suggère d’utiliser le répit que je nous gagnerai en aidant à renforcer les défenses de vos planètes. Si j’échoue, et que vous êtes obligés de « jouer » avec vos soldats, j’espère ne plus être en vie pour voir le résultat. Terminé.
Les images holographiques des Moffs disparurent. Quand les trois autres quittèrent la salle, Sarreti se dirigea vers Pellaeon. Sarreti sourit.
— Vous ne leur avez pas reproché assez vertement leurs mauvaises manières.
— Sinon, ils auraient eu l’impression que leur comportement a de l’importance à mes yeux.
— Très juste. Les forces de Bastion sont à votre service. Je suis toujours un réserviste. Si vous avez besoin de moi, mon administration fonctionnera toute seule un certain temps.
— J’aimerais vous avoir avec moi, Ephin, mais vous me seriez plus utile pour coordonner les Moffs.
— Tant que je ne me rebelle pas contre votre autorité ?
— Je préfère avoir le peuple avec nous que contre nous. Si je m’y prends assez mal pour que vous vous retourniez contre moi, j’aime autant vous voir aux commandes, plutôt que des gens comme Crowal ou Flennic.
— J’espère que cette situation ne se présentera pas.
— Moi aussi. Si les Yuuzhan Vong ont l’obligeance de se laisser vaincre, la présence de guerriers dans mon genre ne sera plus nécessaire. L’avenir sera entre les mains de gens comme vous, prêts à rebâtir. Mais nous aurons au moins fait en sorte qu’il y ait un avenir !