CHAPITRE V
Luke entra dans l’auditorium… et constata qu’il avait fait une erreur tactique en confiant à Kyp l’organisation de la séance. Deux tables formant un angle droit étaient placées sur l’estrade. A leur intersection se trouvait un podium. Kyp Durron, Ganner Rhysode, Wurth Skidder et Daeshara’cor étaient assis à gauche. Que la Twi’lek soit de ce côté surprit Luke, car elle avait toujours considéré les positions de Kyp comme trop extrêmes.
Il y avait trois chaises seulement à l’autre table. Corran Horn et Kam Solusar en occupaient deux. Luke pensa que Mara prendrait le troisième siège, mais, regardant derrière lui, il la vit s’installer au fond de l’auditorium.
Ça lui ressemble bien. Observer qui est pour moi et qui est contre…
Le maître Jedi monta sur l’estrade. Kyp lui fit signe de prendre place derrière le podium, mais Luke avança et s’inclina, saluant les soixante Jedi présents.
— Je vous souhaite la bienvenue. Nous nous sommes rencontrés il y a peu de temps, mais les événements nous rassemblent de nouveau.
Kyp alla au podium régler le micro. Un couinement sortit du système de sonorisation.
— Maître, l’éclairage et le son sont bien meilleurs ici.
Avec un sourire, Luke s’assit sur l’estrade, les pieds sur les marches.
— Peut-être, Kyp, mais ceux qui connaissent la Force feront mieux de se fier à l’impression qu’ils éprouvent à travers elle, pas à ce que leur apprennent leurs yeux ou leurs oreilles.
Luke sentit une vague de surprise émaner de Kyp, puis cesser aussitôt.
Mara lui fit un signe de tête.
Kam et Corran rejoignirent Luke puis sautèrent devant l’estrade, pour être plus bas que lui.
Kyp et ses associés durent les imiter.
Daeshara’cor s’assit aussi sur le bord de l’estrade, enroulant ses tentacules crâniens autour d’elle comme un châle.
— Merci de vous être joints à moi. Vous avez travaillé dur pour tout installer, mais je ne veux pas que les choses soient trop officielles. Ça ferait de cette réunion un conseil de guerre, alors que nous avons surtout besoin de réfléchir à l’avenir.
— Maître, vous êtes le premier au sein d’un groupe d’égaux. Votre sagesse nous guidera, dit Kyp, inclinant la tête.
Tu serais fichtrement surpris si je me servais de ça pour t'imposer ma volonté !
Luke sentit que Corran souhaitait qu’il prenne Kyp à son propre piège, mais il secoua la tête.
— La sagesse inspirée par la Force n’est pas ma prérogative.
Wurth Skidder sourit d’un air pincé.
— Maître, vous avez dit que ce n’était pas un conseil de guerre. Pourtant, nous sommes en guerre contre un ennemi impitoyable qui menace la Nouvelle République. N’est-ce pas pour parer ce type de menace que l’Ordre des Jedi a été fondé ?
— C’est notre but, oui. Comment nous l’accomplirons, voilà de quoi nous devons débattre. Les Jedi sont destinés à protéger et à défendre les peuples de la galaxie. La distinction entre « protecteurs » et « guerriers » est essentielle si nous voulons éviter de glisser vers le Côté Obscur.
Ganner Rhysode se leva. Avec sa grande taille et ses yeux bleus au regard dur, il fit paraître Skidder insignifiant.
— Peut-être notre confusion vient-elle du fait qu’une action offensive peut être défensive. Frapper une cible de manière préventive est une forme active de défense.
Corran répondit :
— Tu joues sur les mots, Ganner. Ton argument ne prend pas en compte l’étendue de l’opération. Dans le cas où empêcher l’ennemi de riposter garantirait la sécurité des populations, tu as raison, il s’agirait d’une défense. Mais prévoir un assaut planétaire afin de déloger les Yuuzhan Vong avant qu’ils puissent envahir d’autres mondes est une mesure nettement offensive.
— Corran, tes arguments vont dans mon sens. Qu’est-ce qui permet de distinguer une attaque d’une défense ? Je considère que c’est une question d’intention, et toi d’envergure. Toutes ces variables doivent être prises en compte et équilibrées. Mais la sagesse consiste à noter les différences.
— Un bon point, Ganner, dit Luke en souriant.
Il regarda les Jedi, humains et non-humains. Il émanait d’eux de l’intérêt teinté d’inquiétude. Le maître Jedi reprit la parole.
— Le point d’équilibre vient dès qu’on se concentre sur le danger. Les Yuuzhan Vong ont conquis une multitude de mondes. Maintenant, beaucoup d’êtres sont menacés, mais la nature exacte de cette menace reste à déterminer. Tant qu’elle ne se précisera pas, nous ne pourrons pas utiliser de véritables tactiques défensives. L’exemple de Corran le montre : il est plus facile de localiser le danger si on ne travaille pas à trop grande échelle.
La Twi’lek à la peau verte se tourna vers Luke.
— Vous dites que tant que nous ne détectons pas le danger, nous ne pouvons rien faire ?
— Pas du tout ! Nous devons être sur le front, prêts à réagir dès qu’une menace se précisera. Puis nous devons calmer les réfugiés et leur rendre courage.
— Si nous ne combattons pas directement les Yuuzhan Vong, comment rendre courage aux gens ? demanda Kyp. Ne serons-nous pas considérés comme des faibles qui ont aussi peur des Yuuzhan Vong que les réfugiés ?
— Ces questions nous ramènent à une perception erronée des Jedi, soupira Luke. C’est ma faute. Venu de la Rébellion, je suis considéré comme le guerrier qui a détruit les Etoiles Noires et tué Dark Vador et l’Empereur. D’autres missions ont renforcé ce mythe. Si on leur donne le choix entre un chasseur de primes et un Jedi, les gens préfèrent nous appeler, parce que nous travaillons gratuitement et que nous nous soucions des dégâts que nous provoquons.
— Maître, vous n’avez pas été le seul à donner cette impression.
— C’est exact, Kyp. Mais il me revenait de cerner l’erreur et de prendre des mesures pour la rectifier. Cet échec m’est imputable. Maintenant plus que jamais, nous devons projeter l’image de ce qu’est un Jedi. Il faut faire naître l’espoir dans le cœur des gens.
Daeshara’cor se laissa gracieusement tomber de l’estrade, inclinant la tête vers Luke.
— Avec tout le respect que je vous dois, maître, je pense que vous vous trompez.
— Je vous en prie, Daeshara’cor, expliquez-vous.
— Nous avons tant perdu sous l’Empire, maître, que nous ne savons plus grand-chose des Jedi. Obi-Wan Kenobi et maître Yoda se sont chargés de votre formation de guerrier. Vous avez affronté Dark Vador trois fois, et vous avez à chaque fois survécu ou triomphé. Dire que les Jedi ne sont pas des guerriers revient à nier votre succès et la liberté que vous doivent les habitants de la galaxie.
Elle regarda la femme aux cheveux blancs, assise à la troisième rangée.
— Tionne n’a pas ménagé ses efforts pour récupérer tous les documents possibles sur l’histoire des Jedi. Et que trouvons-nous dans ces légendes et ces ballades ? La célébration de grandes victoires ! L’aspect martial de notre tradition ne peut pas être ignoré, maître. Nous devons nous y référer pour vaincre les Yuuzhan Vong.
Kam Solusar croisa les bras.
— Il y a une grande faille dans votre logique, Daeshara’cor. Vous dites que nous avons perdu beaucoup d’archives, puis vous reconstituez votre version de la réalité sur la foi de ce qui nous reste. Mais pour chaque grande bataille livrée par les Jedi, il y a peut-être eu des centaines de victoires mineures. Du type dont nous aurons besoin, selon maître Skywalker, pour repousser les Yuuzhan Vong.
« Définir le danger est vital. En affrontant les Yuuzhan Vong, Kyp a failli mourir, et Miko Reglia est mort. Pourquoi ? Parce qu’ils ignoraient à qui ou à quoi ils avaient affaire.
Kyp ricana.
— Corran avait l’avantage de savoir ce que j’avais appris, et ce que ses missions de reconnaissance lui avaient montré. Pourtant, il est passé beaucoup plus près de la mort que moi !
— Oui. Sur Bimmiel, le danger était très limité, et j’ai quand même failli y rester. Quand nous en saurons assez pour lancer des missions efficaces, nous aurons une meilleure chance de succès qu’avec une série d’attaques sans but précis.
Luke leva une main.
— J’aimerais que nous nous calmions. Personne n’a envie de se laisser emporter par ses émotions et d’envenimer les choses. Quelle que soit notre position sur les positions offensives ou défensives, nous sommes tous d’accord : quand le danger se précisera, nous passerons à la contre-offensive. Comme disait Corran, avec un objectif clair, nous pourrons prévoir et utiliser nos capacités au mieux. D’accord ?
Les Jedi approuvèrent, ce qui remonta le moral de Luke.
Kyp reste peut-être opposé au type d’action que nous envisageons, mais il a accepté que je pose certaines limites, et c’est déjà une victoire !
Daeshara’cor fut la seule à ne pas acquiescer, mais elle avait toujours été raisonnable par le passé.
Le maître Jedi eut un sourire las.
— J’ai de mauvaises nouvelles… J’ai appris hier par ma sœur que la Nouvelle République n’approuverait et ne soutiendrait pas les opérations montées par les Jedi dans le couloir d’invasion.
— Quoi ? cria Kyp. C’est de la folie ! Nous sommes sa meilleure chance, et la République ne veut pas que nous travaillions avec elle ?
Octa Ramis, une jeune femme originaire d’une planète à forte pesanteur, prit la parole à son tour.
— Ça n’a aucun sens. Si ces gens réagissent ainsi, il est peut-être aussi bien d’être débarrassés d’eux !
— Nous devons les faire changer d’idée, dit Ganner Rhysode. Les ramener à la raison.
— En fait, ajouta Luke, je suis plutôt content de leur décision.
— Pourquoi, maître ?
— Octa a vu juste, dit Luke. Pas de soutien signifie également pas de rapports à faire aux politiciens. Nous serons libres d’agir selon notre jugement.
— Peut-être, dit Ganner, mais ça nous privera de ressources.
— Il suffira d’être créatifs ! lança Luke.
— Comment peuvent-ils nous laisser tomber après tout ce que nous avons fait pour eux ? s’indigna Daeshara’cor.
— C’est mieux ainsi. Nous sommes une centaine. Si la Nouvelle République comptait sur nous, elle nous jetterait dans la bataille en espérant nous voir résoudre tous ses problèmes. C’est arrivé plus souvent que j’aurais voulu.
« Et dernièrement, nos "exploits" n’ont pas été très remarquables… Citons Rhommamool, ou la perte de Dantooine. Comme Leia l’a dit, les politiciens ne peuvent pas soutenir les Jedi. Cela n’implique pas que nous serons seuls. Les militaires ne pourront pas ouvertement nous aider, mais leurs sympathies nous sont acquises.
— Quelle surprise, ricana Kyp. Des guerriers qui soutiennent d’autres guerriers !
— Les chefs militaires ont conscience des enjeux. Savoir que nous réglerons les problèmes des civils leur permettra de se consacrer à ce qu’ils savent faire le mieux.
Skidder gémit.
— Nous jouerons les baby-sitters pour les réfugiés pendant que d’autres se battront ?
— Nous les protégerons et les guiderons. Si un danger survient, nous prendrons les mesures nécessaires.
— Et rien de plus ? demanda Kyp Durron. Pas de mission ? Pas d’infiltration des territoires occupés par les Yuuzhan Vong ?
Luke eut l’air mal à l’aise.
— Il y aura une seule mission. Corran est envoyé sur Garqi.
— J’aurais dû me douter que ce serait lui…
— Je n’y suis pour rien. On ne m’a pas donné le choix.
— Comment ?
Le plaisir de Corran devant la déconfiture de Kyp filtra à travers la Force.
— Je faisais encore partie de l’Escadron Rogue il y a cinq ans. Depuis, je suis dans la réserve, et on vient de me réactiver.
— Le colonel Horn conduira une équipe de six commandos et de deux observateurs civils sur Garqi pour étudier les Yuuzhan Vong, en coordination avec les mouvements de résistance éventuels de la planète. Il préparera aussi un plan d’évacuation.
Ganner plaqua les poings sur les hanches.
— Une demi-douzaine de commandos contre une planète grouillant de Yuuzhan Vong ?
— Ce sont des Noghri, Ganner, rappela Corran. De plus, je pensais t’emmener comme observateur civil. Tu vaux au moins une douzaine de Noghri, non ?
L’expression hargneuse de Ganner s’adoucit.
— Des Noghri… C’est une mission intéressante.
Corran regarda dans la salle.
— Jacen, j’ai l’accord de maître Skywalker pour que tu sois le second observateur civil. Tu veux la place ?
Luke sentit les émotions conflictuelles de Jacen. Mais le devoir l’emporta.
Le jeune homme se leva.
— Je suis… honoré d’avoir été choisi. Si vous pensez que je dois y aller, maître, j’irai.
— Parfait, Jacen. Je savais que je pouvais compter sur toi. (Luke claqua des mains.) J’aurai des missions pour chacun de vous. Tout devrait être prêt à la fin de la semaine. Nous attendons seulement le planning de transport. Je sais que ce que je vous demanderai ne sera peut-être pas ce que vous jugez nécessaire. Sans doute estimerez-vous être sous-employés. J’en ai conscience, mais il y a des tâches à accomplir.
— Alors, cette réunion était inutile ? lança Daeshara’cor.
— Pas du tout, dit Luke.
— Si vous préparez les affectations, ça veut dire que vous aviez déjà décidé. Vous refusez d’envisager que vous aviez peut-être tort.
— Ça n’est pas du tout le cas… Les ordres auraient pu être changés si quelque chose m’avait convaincu que ma façon de voir était erronée. Votre discours était excellent, mais il manquait de bases solides.
— La réponse de Kam n’en avait pas davantage ! Il avait tort et vous aussi ! Si nous continuons ainsi, les Yuuzhan Vong débarqueront sur Coruscant. Je le sais. Je le perçois !
— Vous avez peut-être raison, Daeshara’cor. J’espère que non. Pourtant, si nous écoutons ce que vous préconisez, nous deviendrons des guerriers et passerons à l’offensive. Dans ce cas, la présence des Yuuzhan Vong à Coruscant sera le moindre de nos soucis.
Les yeux de Daeshara’cor s’étrécirent.
— Si les Jedi s’en occupaient, les Vong n’arriveraient jamais jusqu’ici.
— Peut-être, mais à leur place, nous aurions encore pire, dit Luke d’une voix rauque. Une centaine de Dark Vador. Voilà qui devrait nous donner à réfléchir !