CHAPITRE XXV

Leia écarta doucement une mèche de cheveux du front d’Anakin, qui dormait paisiblement. Elle lui avait trouvé sans peine des vêtements – des pièces d’uniformes offertes par l’équipage de plusieurs cargos.

L’hommage d’hommes endurcis à un jeune héros !

Leia jeta un dernier coup d’œil à Anakin, dont les cheveux foncés semblaient striés de blond à la lueur de la petite lampe de chevet. Malgré les bleus et les égratignures, il semblait en bonne santé. Elle avait regardé un droïd 2-1B soigner avec du bacta les coupures récoltées pendant ses combats contre les Yuuzhan Vong. Leia savait que Mara avait reçu des blessures similaires pendant leur fuite. Mais elle avait également été traitée par un droïd médical.

Leia attendait que Luke lui donne des nouvelles…

Elle sortit de la tente rudimentaire et tint le volet ouvert pour que R2-D2 puisse venir surveiller le sommeil du jeune garçon.

Le soleil n’était pas levé, mais les vents du nord gagnaient en puissance. Voyant des nuages se former à l’horizon, Leia supposa que la pluie qui avait martelé le continent nord serait bientôt sur eux.

Jusque-là, nous étions misérables et affamés. Après, nous serons misérables, affamés et mouillés.

Elegos approcha et lui tendit une barre énergétique.

– Il ne faudrait pas que vous vous évanouissiez, dit-il.

Leia accepta la barre.

– Il faut vraiment avoir faim pour manger ces trucs ! grommela-t-elle. Anakin dort. Je doute qu’il ait pris plus d’une heure ou deux de sommeil depuis le début de leur fuite. S’ils n’avaient pas eu la Force pour les soutenir…

– Votre fils doit être très puissant pour avoir accompli tant d’exploits.

– Il est si courageux ! Et il était résolu à ne pas décevoir son oncle. Il ne reculerait devant rien pour que Luke soit fier de lui.

– Et vous craigniez qu’en étant si puissant, il décide un jour de suivre le chemin de l’homme dont il porte le nom…

Leia baissa les yeux, n’osant répondre.

– Je me suis souvent posé la question : pourquoi lui avoir donné le nom de votre père ?

Elle soupira.

– Mon père – Anakin Skywalker, pas Dark Vador ! – s’est dressé contre l’Empereur. Il a racheté le mal qu’il avait fait. Peut-être pas entièrement aux yeux de certains, mais il a empêché Palpatine de continuer à sévir. Je voulais appeler mon fils comme lui pour réhabiliter son nom. Enfin, c’est ce que je me suis dit à l’époque.

– Vous avez changé d’avis ?

– Les Caamasi ont de la chance, car ils peuvent partager les souvenirs. Je n’en ai aucun d’Anakin Skywalker, et ceux de Dark Vador sont cauchemardesques. J’ai hérité d’une partie de la personnalité d’Anakin, et j’aime à croire que ses bons côtés se sont transmis à ses deux enfants. Mais j’ai conscience que ses aspects les plus sombres pourraient être en moi. En appelant mon fils comme son grand-père, je redonnais à son nom une innocence perdue. Tout ce que je voyais en Anakin, j’imaginais qu’il le tenait de son grand-père, à travers moi.

– Vous cherchiez à exorciser votre peur de Dark Vador en considérant « Anakin » comme le symbole de ce qu’il aurait pu être.

– Pas du tout… Nombre de pères et de mères déçus par leurs propres parents, jurent d’élever correctement leurs enfants. Peut-être essayez-vous de démontrer que votre père, dans d’autres circonstances, ne serait jamais devenu Dark Vador.

– Et vous considérez que c’est un problème ?

– Vous aussi. Sinon, nous ne serions pas en train d’en parler.

– Si je comprends un jour comment vous faites pour vous infiltrer dans mon esprit, je… je…

– Vous n’aurez plus besoin de moi, et j’aurai accompli mon travail.

Leia prit Elegos par le bras et le suivit dans le camp.

– J’aurai toujours besoin d’un ami comme vous.

– Je suis honoré…

– Vous feriez mieux d’être effrayé. Mes amis collectionnent souvent les ennuis à cause de moi.

Elegos désigna le campement.

– De ce genre ?

– Oui. J’ai mis un sacré fardeau sur les épaules d’Anakin en lui donnant ce nom…

– Il est assez fort pour l’accepter, Leia. Il vous a, et il a les Jedi pour le soutenir et le garder sur le bon chemin. S’il avait tendance à se servir du Côté Obscur de la Force, il l’aurait utilisé pour sauver Mara Jade. Il est jeune, mais il a du courage et de l’intelligence. Heureusement, parce qu’à l’arrivée des Yuuzhan Vong, le carnage sera effrayant.

– Pour un pacifiste comme vous, ça doit être horrible.

– Ça l’est pour tout le monde ! S’il existait un moyen d’éviter ça… Les Yuuzhan Vong aiment la lutte. Nous ignorons la raison de leur présence. Mais qu’ils aient « joué » ainsi avec Anakin et Mara n’est pas un bon présage…

– Votre frère a consenti à me détacher R2-D2. Je serai dans la navette de commandement, à servir les canons-laser et les blasters.

– D’après ce que vous m’avez dit, tuer vous laissera un souvenir si horrible que vous ne pourrez jamais l’oublier.

Le Caamasi répondit d’une voix calme et froide.

– Personne n’oubliera ce qui se passera ici, ni moi, ni aucun survivant. Mais n’avoir rien fait pour arrêter le massacre serait pire. Je prendrai mes responsabilités, et j’éviterai peut-être à certains de devoir le faire. Si je ne peux pas éviter cette horreur, je trouverai un certain réconfort à l’épargner aux autres.

– C’est aussi le fond de ma pensée.

– Vous l’avez prouvé à de nombreuses reprises. Et maintenant, vos enfants démontrent qu’ils ont hérité de votre courage.

– On dirait… Quand vous serez à votre poste, visez haut pour que nous ne soyons pas dans votre ligne de mire !

A bord du Courage, Luke s’assit doucement sur la couchette de sa femme. Mara ouvrit les yeux.

– Je ne voulais pas te réveiller.

– Pas de problème. Je dors trop ces derniers temps.

– Tu as été soumise à des tensions considérables. Ta maladie…

Quand Luke l’avait trouvée dans la montagne, elle était à un souffle de l’évanouissement. Mais elle avait refusé qu’il la porte, demandant même à copiloter le Skipray.

Mara refusait obstinément d’admettre la défaite ou de trahir de la faiblesse.

Elle prit un flacon sur sa table de nuit et but un peu d’eau. Une goutte coula le long de sa bouche. Elle essaya de l’essuyer, mais la rata.

Luke se pencha et l’enleva du bout d’un doigt. Mara lui prit la main, l’embrassa, puis la serra sur sa poitrine.

– Je n’ai jamais douté que je sortirais vivante de ces montagnes. Quand je t’ai vu… J’ai cru un instant que le pauvre Anakin… Je suis si heureuse que tu sois arrivé à temps pour le sauver.

– C’est le moins que je pouvais faire pour le remercier. Je n’aurais pas dû t’envoyer sur Dantooine. Ithor est plus loin de la Bordure. Tu aurais été plus en sécurité.

– Tu crois ?

– Que veux-tu dire ?

– Les Yuuzhan Vong étaient sur Dubrillion et sur Belkadan. Ils sont maintenant sur Dantooine. A mon avis, ils ont envahi d’autres planètes en envoyant des éclaireurs ou des troupes. Ils occupent peut-être toutes les planètes de la Bordure.

– Tu as raison. Nous ne savons pas jusqu’où ils se sont infiltrés. S’ils ont déjà atteint Ithor…

Luke frissonna. Si les Yuuzhan Vong avaient débarqué sur Ithor, ils seraient une menace directe pour de nombreux mondes du Noyau. Et s’ils les conquéraient, l’économie de la Nouvelle République s’effondrerait. Dans la foulée, la Nouvelle République elle-même ne tarderait pas à disparaître.

– S’ils sont déjà sur Ithor, nous mourrons ici, parce que personne ne pourra venir à notre aide.

– Nous ne mourrons pas sur cette planète.

– Une vision ?

– Plutôt un espoir. Nous avons un périmètre de défense efficace, et de l’artillerie lourde bien placée. De quoi tenir le coup un bon moment.

– Combien de temps ? Les réfugiés sont ici parce que les vaisseaux n’avaient pas assez de vivres pour les transporter vers d’autres mondes. Tiendrons-nous le coup jusqu’à ce que la nourriture devienne un problème fondamental ? Et que se passera-t-il si les Yuuzhan Vong attaquent et massacrent assez de gens pour que la nourriture ne soit plus un problème ?

– Je l’ignore. Personne n’y pense encore…

– Personne, vraiment ? Crois-tu que ta sœur n’y pense pas ?

– Peut-être, mais j’ai d’autres soucis… Mara, c’est toi qui comptes pour le moment. Anakin m’a dit que tu t’affaiblissais de jour en jour.

– C’est exact. Il a suggéré que ma maladie avait un lien avec les Yuuzhan Vong.

– Tu as dit avoir senti sur Belkadan une connexion entre ta maladie et les scarabées.

– Oui. Je perçois la même chose ici. Mais ce n’est pas pour ça que je m’affaiblissais.

– Je ne comprends pas.

– Je n’avais pas compris non plus jusqu’à ce que les Yuuzhan Vong nous poursuivent. Après les événements de Belkadan et de Dubrillion, j’avais besoin de souffler. Tu as bien fait de m’envoyer sur Dantooine, mais nous avons cru qu’un peu de repos serait un remède. Cette maladie me coupe lentement de la Force. Je peux la combattre en rassemblant la Force en moi. Et c’est là que nous avons commis une erreur.

– Je ne suis pas sûr de saisir.

– C’est un peu tordu, mais tu vas comprendre. La Force, telle que tu la définis, est un champ d’énergie qui nous entoure et imprègne toute créature vivante, la liant aux autres.

– Excepté, apparemment, aux Yuuzhan Vong.

– Quand nous pouvons accéder à la Force, elle restaure notre énergie. Nous en tirons de la puissance.

– Sur Belkadan, je n’ai pas utilisé la Force, sauf quand j’ai eu besoin de sauver Jacen.

– Je veux entendre le récit de ce combat, Luke.

– Non, ce n’est pas le problème. J’ai déjà trop paressé.

– Mara, tu as du mal à rester assise !

– J’ai besoin de redevenir la femme que je suis, et de recommencer à sentir la Force. Tu te souviens de notre première rencontre ?

– Tu as essayé de me tuer pour obéir au dernier ordre de l’Empereur…

– Luke, je suis une combattante ! Je l’ai toujours été. A l’arrière, je me suis ennuyée à périr. Je veux des défis, j’en ai besoin. Pendant la période où tout était si tranquille, dans la montagne, ma combativité est morte. Anakin a fait en sorte que je n’aie aucun souci ni aucune activité, si minime soit-elle. Et Dantooine, avant l’arrivée des Yuuzhan Vong, n’avait rien de dangereux. J’essayais de conserver mon énergie, mais je dépérissais, parce que je m’étais détournée de la Force.

Mara regarda Luke dans les yeux. Il sentit leur lien se renforcer. Au-delà de la fatigue, il retrouva Mara telle qu’elle était au fond de son âme. Cette Mara-là portait une armure et des blasters et on l’aurait jurée capable de démolir une Etoile Noire à mains nues.

– Voilà qui je suis, Luke. Quand Anakin et moi avons dû fuir, je me sentais épuisée physiquement, mais j’étais toujours efficace dans la Force. Alors, j’ai pu réparer une partie des dégâts provoqués par la maladie. Puis j’ai compris que c’était l’aspect le plus insidieux de ce mal. Beaucoup de gens, quand ils perdent la santé, régressent à un stade infantile, à l’époque où ils étaient sans défense. Ils abandonnent leur place dans le réseau de la Force. Quand la maladie coupe les dernières connexions, ils meurent.

– Tu es en train de me dire qu’en dépit de ta fatigue, te laisser affronter les Yuuzhan Vong te fera du bien ?

– Je ne suis pas sûr d’apprécier le remède, mais j’aime encore moins la maladie.

– Tu me laisseras faire ?

– Je ne pense pas être capable de t’en empêcher, tout Maître Jedi que je sois.

Mara éclata de rire.

– D’autres hommes auraient dit la même chose, mais aucun ne l’aurait pensé. Je suis si contente de t’avoir trouvé. Et de ne pas t’avoir tué.

– J’en suis ravi aussi ! J’ignore quand les Vong arriveront, mais tu as peut-être envie de te reposer en les attendant.

– J’aimerais autant passer un peu de temps avec mon époux.

Mara tira Luke vers elle.