CHAPITRE III

Luke Skywalker se tenait immobile à l’orée du bosquet. La brise de Yavin 4 faisait voleter les pans du manteau noir qui l’enveloppait. Au centre du-bosquet se dressaient des stèles grises, les monuments funéraires des Jedi et des étudiants tombés au combat.

Gantoris avait été le premier. Puis Nichos Marr, Cray Mingla et Dorsk 81. D’autres avaient suivi, le dernier en date étant Miko Reglia.

Des émotions diverses tourbillonnaient en Luke. Il était fier des sacrifices que ces Jedi avaient consentis. Même ceux qui, pas entièrement formés, s’étaient admirablement acquittés de leur tâche.

Mais le remords le rongeait.

Je ne serais pas humain si je ne me le demandais pas : aurais-je pu empêcher leur mort ?

Les débuts de l’Académie Jedi avaient été difficiles ; Luke cherchait encore son chemin de Jedi et de professeur. S’être joint au Côté Obscur quand l’Empereur était revenu l’avait aussi empêché de voir de quoi ses étudiants avaient besoin. Il reconnaissait qu’il avait peut-être accepté des étudiants trop tôt. Mais s’il ne l’avait pas fait, ils auraient été moins nombreux à affronter l’invasion des Yuuzhan Vong.

– Jamais nous n’élèverons de monument à la mémoire de Mara dans ce bosquet !

Luke leva la tête et sourit au Jedi aux cheveux foncés.

Corran Horn haussa les épaules.

– Peut-être pas, mais tu dois garder cela dans un coin de ta tête. J’y pense chaque fois que je viens ici, depuis que j’ai appris… Mais personne ne plantera de pierre tombale pour elle !

– Ça pourrait vouloir dire deux choses, sais-tu ? Que sa maladie ne la tuera pas ou qu’il ne restera plus un Jedi dans le secteur pour s’occuper de sa mémoire !

Le Jedi aux yeux verts se gratta la barbe. Autrefois noire, elle était désormais striée de blanc.

– Je parie pour la première solution. Même si je sais que de nombreuses personnes, dans la Nouvelle République, ne pleureraient pas dans le deuxième cas.

– Malheureusement, c’est exact. (Luke regarda les plaques commémoratives.) Ils étaient tous si jeunes…

– A côté de nous, tout le monde est jeune ! rappela Corran en souriant. Et si on compte en événements, tu devrais avoir mille ans !

– Epouser Mara a un peu ralenti le processus…

– Oui, mais les années pendant lesquelles elle t’a fait poireauter comptent quand même ! Avant que nous devenions encore plus vieux, je crois que tu seras content d’apprendre qu’ils sont tous là. La dernière navette est revenue il y a dix minutes. Kyp Duron y était. Il a fait une entrée très remarquée, comme d’habitude.

– Je n’en doute pas. Encore que dire « comme d’habitude », c’est pousser un peu loin le bouchon.

– Peut-être, mais son arrivée a excité les plus jeunes Jedi et les apprentis.

– Y compris ton fils ?

Le Corellien hésita.

– Je sais ce qui te tracasse et tu n’es pas le seul à le dire. Kam et Tionne sont inquiets au sujet de l’Académie. Permettre aux apprentis d’avoir d’autres Chevaliers Jedi comme mentor a amélioré leurs capacités. Mais ça signifie que les Jedi qui partagent les idées de Kyp ont le statut de professeur.

– Je ne discute pas les méthodes, Maître Skywalker, et je mesure les risques, assura Corran. Ce qui m’inquiète, c’est que si Kyp a conscience des orages politiques que ses actions provoquent, il se contente de les ignorer. Nous en avons déjà parlé, je sais, mais le problème est encore plus aigu depuis les agissements de Skidder sur Rhommamool.

– C’est pour ça que j’ai rappelé tout le monde ici. Et je sais que convoquer les gens leur remet en mémoire qui est le chef. Je n’ai peut-être pas été élevé sur Corellia, où ce genre de tactiques vous vient tout naturellement, mais je les connais !

– Parfait. Tu sais aussi que Kyp, en arrivant le dernier, claironne qu’il t’a combattu jusqu’au bout.

– Oui, j’avais saisi. (Luke se détourna du bosquet et désigna le Grand Temple.) Nous y allons ?

Corran ouvrit la marche, Luke sur les talons. Il observa Corran. Quand le Corellien était arrivé à l’Académie, voulant suivre une formation de Jedi pour sauver son épouse, Mirax Terrik, il était entêté et arrogant, comme Luke s’y attendait chez un pilote de chasseur ancien policier.

Et un Corellien !

Mais Corran, au cours de son apprentissage, avait beaucoup mûri et changé. Même s’il était resté dans l’Escadron Rogue, devenant un Chevalier Jedi à part entière six ans plus tôt, après la signature de la paix avec les Vestiges, la philosophie et les exigences des Jedi faisaient depuis longtemps partie intégrante de sa vie.

Alors que Corran avait renoncé à son arrogance, Kyp et ses fidèles s’étaient laissés détourner du droit chemin par leur fierté. Luke comprenait parfaitement que cela puisse arriver. Quand on était en phase avec la Force, des options que les autres ne voyaient pas devenaient évidentes. Lorsqu’ils résolvaient un problème, Luke et ses disciples prenaient soin d’expliquer ce qu’ils faisaient et pourquoi. Kyp et les siens se contentaient d’agir, sûrs d’avoir raison. Luke ne doutait pas que les Jedi trouvaient la meilleure solution à la plupart des problèmes. Mais les conséquences étaient parfois difficiles à accepter pour ceux qui devraient, en fin de compte, vivre avec les résultats. Que les actions autoritaires menées par certains Jedi soient mal perçues était inévitable.

– Avant que nous nous rendions à la réunion, dit Luke, je voudrais te remercier de t’être joint à nous pour nous aider depuis que Mara est tombée malade.

– Tout le plaisir est pour moi. Comme ça, je vois souvent Valin et Jysella. Elle a passé plus de temps à l’Académie qu’avec sa mère et moi. Je ne veux pas perdre le contact…

– Jadis, tous les Jedi potentiels étaient enlevés enfants à leurs familles. Je ne crois pas que c’était facile… Il y a tant de choses que nous ignorons…

– Exact. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de penser que ce tu as créé ici est mauvais, ou que l’ancien Conseil n’aurait pas approuvé. Après tout, Obi-Wan et Yoda ont accepté de se charger de toi. Il n’est pas impossible de former un Jedi déjà adulte. C’est plus difficile, voilà tout. En dépit de mes désaccords avec toi sur la méthode, je pense que tu as fait un boulot superbe. La galaxie compte maintenant une centaine de Jedi. Une sacrée réussite !

– Les dés sont jetés ! Nous devons jouer, et espérer que tout ça ne se retournera pas contre nous. (La porte de l’ascenseur s’ouvrit. Corran recula pour laisser Luke passer le premier.) Vos étudiants vous attendent, Maître.

Luke sortit et sentit son cœur se gonfler de fierté. Les Jedi étaient disposés en rang dans la salle d’audience du Grand Temple. Ils n’étaient pas aussi nombreux ni aussi bariolés que les Rebelles qui s’y étaient réunis après la destruction de l’Etoile Noire, mais il éprouva le même type d’émotion qu’alors. Voir les Jedi réunis – un mélange d’humains et de non-humains, d’hommes et de femmes –, lui rappela les efforts héroïques qui avaient été nécessaires pour repousser l’Empire.

Avançant sur le tapis rouge qui coupait la salle en deux, Luke gagna l’autre bout de la pièce et monta sur l’estrade. Il fit un signe de tête à Kam Solusar et Tionne, le couple d’administrateurs de l’Académie. Puis il se tourna et vit Corran se glisser dans les rangs à sa place, derrière son fils. Les étudiants les plus jeunes se tenaient près de l’estrade, alors que les Chevaliers Jedi et leurs apprentis s’étaient répartis à leur gré dans le reste de la salle.

Si ceux de gauche se sont ralliés à Kyp, la situation est plus grave que je ne le pensais.

Le côté gauche de la salle contenait les deux tiers des Jedi adultes et la moitié des non-humains. Du côté droit, où était Corran, Luke reconnut Streen et plusieurs autres Jedi qui s’étaient fermement opposés aux vues de Kyp. Le Maître Jedi ne sentit aucune haine entre les deux groupes. Mais la tension augmentait…

Il remarqua Jacen dans la rangée la plus éloignée. Le jeune homme s’était rangé avec les partisans de Kyp, mais Luke ne capta aucun lien entre son neveu et la faction dissidente. Anakin était à trois places de Streen, sa loyauté pour son oncle visible dans son regard.

Luke sourit aux étudiants les plus jeunes.

– Je suis heureux de vous voir réunis. Vos visages reflètent la lumière de la Force. Vous travaillez tous très dur. Un jour, vous serez des Chevaliers Jedi. J’ai hâte de voir ça, et je sais que vous aussi.

– Nous pourrons aller nous battre contre les méchants, lança un jeune Twi’lek.

Ce commentaire enthousiaste et naïf amena un sourire sur de nombreux visages, y compris celui de Luke.

– C’est tout à fait ça ! Mais pour le moment, je vais demander à Tionne de vous emmener avec elle pour continuer votre formation. Ce que j’ai à dire à vos collègues… vous n’avez pas à l’entendre pour l’instant. Merci d’être venus nous accueillir, et que la Force soit avec vous.

Les enfants sortirent, les plus grands conduisant les plus petits. Les adultes se rapprochèrent de l’estrade, mais la séparation droite/gauche demeura. Kyp se porta en avant, face à Corran et à Streen. L’atmosphère s’alourdit en l’attente d’une confrontation.

Luke leva la main.

– Nous sommes face à deux très graves problèmes, susceptibles l’un comme l’autre de nous anéantir. Et c’est ce qui arrivera, à moins que nous mettions de côté nos différences. Kyp, voulez-vous partager avec nous ce que vous savez des Yuuzhan Vong ?

Cette demande surprit le Jedi aux cheveux noirs. Kyp était arrivé à l’Académie à seize ans. Jeune homme dégingandé, il était devenu un adulte mince mais fort aux traits taillés à la serpe et au regard coléreux. Il avait été le premier Jedi à rencontrer les Yuuzhan Vong. Son évasion prouvait sa valeur de pilote et sa maîtrise de la Force.

– Quel est l’élément le plus important que vous avez appris sur les Yuuzhan Vong ?

– Je ne comprends pas la question.

– Vous dites être tombé dans une embuscade. Comment un Chevalier Jedi a-t-il pu se laisser abuser ainsi ?

– Leurs chasseurs ressemblaient à des rochers… Des fragments d’astéroïdes. Je n’ai perçu aucune hostilité. Je ne les ai même pas détectés à travers la Force.

Des exclamations jaillirent dans la salle. Luke laissa les Jedi s’exprimer, puis il reprit la parole.

– Exactement. J’ai aussi affronté les Yuuzhan Vong, et je ne les ai pas sentis dans la Force. Ils semblent en être déconnectés, ou séparés par un bouclier.

Streen, le vieux mineur de Bespin, fronça les sourcils.

– S’ils ne sont pas connectés à la Force, comment peuvent-ils être vivants ?

– C’est une excellente question, dit Luke, à laquelle je n’ai malheureusement pas de réponse. La Nouvelle République est persuadée que la menace a été éliminée. Mais à mon avis, ces êtres viennent de l’extérieur de notre galaxie, et ceux que nous avons affrontés jusque-là faisaient partie d’une équipe d’éclaireurs…

– Une fois de plus, lança Kyp, la Nouvelle République reste aveugle à une menace, préférant nous laisser l’affronter !

– Mais il s’agit d’une menace que nous ne serons pas capables de contenir sans l’aide de la Nouvelle République, dit Corran. Si nous affirmons pouvoir régler le problème et qu’ils ont raison, à savoir qu’il n’y en a pas, nous passerons pour des imbéciles. Si le problème existe et que nous échouons, cela pourrait sonner le glas de l’Ordre.

– Nous n’échouerons pas. Avec la Force de notre côté et nos sabres laser, nous détruirons les Yuuzhan Vong.

Jacen Solo avança vers l’estrade.

– Pensez à ce que vous venez de dire, Kyp. Les Yuuzhan Vong sont protégés contre nos moyens de détection. Ils ont des blindages et des armes que nos sabres laser ne peuvent pas détruire, et ce sont des guerriers entraînés. De plus, si Maître Skywalker a raison, ils viendront en nombre suffisant pour conquérir une galaxie ! Même si chacun de nous se dresse contre un millier de Vong, nous ne serons pas assez nombreux. Kyp pointa fièrement le menton.

– Que suggérez-vous, Jacen ?

Avant que son neveu puisse répondre, Luke leva une main.

– Nous sommes confrontés à un ennemi indétectable – dont les effectifs, les positions stratégiques et les motifs nous sont inconnus –, et à un gouvernement galactique qui a décidé de s’en laver les mains. Ce gouvernement n’a pas confiance en nous. Quelle que soit la façon dont les choses tourneront, on fera retomber le blâme sur nous.

– Raison de plus pour ne pas nous soucier de ce que pense le gouvernement ! lança Wurth Skidder. Il ne s’intéresse pas au bien de la galaxie, de toute évidence !

– Ce qui signifie que nous nous y intéressons ? demanda Streen. C’est ça que vous voulez dire ?

– Ce qu’il veut dire, Streen, intervint Kyp, c’est que la galaxie a souffert chaque fois que l’Ordre Jedi a été affaibli. Quitte à porter le blâme de toute façon, autant que ça soit pour s’être attaqué au problème plutôt que pour être resté inactif face au danger.

Luke ferma les yeux un instant, étudiant le sens profond de ce que disait Kyp. Les Chevaliers Jedi étaient censés être des défenseurs de la paix. Kyp prônait les actions offensives et les attaques préventives. Il avait appelé son escadron les Apôtres de la Vengeance, au lieu d’un nom plus adéquat comme les Défenseurs. Et maintenant, il parlait à attaquer le problème.

Quoi d’étonnant ? Au fil des années, Luke avait vu cette tendance se développer chez Kyp. Apprenti, il était tombé sous la coupe du spectre d’un seigneur de la Sith. Il avait volé une super-arme et pulvérisé la planète Carida, exterminant des millions de gens. Kyp avait travaillé sans relâche pour se réhabiliter, mais il choisissait des campagnes de plus en plus difficiles et publiques, afin de prouver à tout le monde qu’il rachetait ses erreurs passées.

Cette invasion doit lui sembler providentielle : l’occasion de se faire accepter par ses détracteurs les plus acharnés.

Luke rouvrit les yeux.

– Il est prématuré de parler d’attaquer les Yuuzhan Vong. Jacen a raison : nous ne pouvons pas nous dresser seuls contre eux. Pour le moment, il faut nous préparer au pire et en apprendre autant que possible sur l’ennemi. Nous devons obtenir des données utilisables par la Nouvelle République pour planifier une défense, ou une offensive. Nous avons un rôle de gardiens. Nos pouvoirs nous permettent de servir d’éclaireurs. Quand nous aurons réuni suffisamment de renseignements sur les Yuuzhan Vong, nous réfléchirons à ce qu’il convient de faire.

Il regarda les Jedi : les hommes et les femmes, les humains et les non-humains.