The Project Gutenberg EBook of Lettres de Mmes de Villars, de Coulanges et
de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé, by Various and Ninon de L'Enclos and Charlotte-Elisabeth Aïssé and Marie-Madeleine Pioche de La Ver La Fayette
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Title: Lettres de Mmes de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé
accompagnées de notices bibliographiques, de notes
explicatives par Louis-Simon Auger
Author: Various
Ninon de L'Enclos
Charlotte-Elisabeth Aïssé
Marie-Madeleine Pioche de La Ver La Fayette
Commentator: Louis-Simon Auger
Release Date: July 21, 2009 [EBook #29476]
Language: French
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LETTRES
DE
MMES. DE VILLARS,
DE COULANGES,
ET DE LA FAYETTE;
DE NINON DE L'ENCLOS,
ET DE
MADEMOISELLE AÏSSÉ;
Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.
SECONDE ÉDITION.
TOME PREMIER.
A PARIS,
Chez LÉOPOLD COLLIN, Libraire,
Rue Gît-le-cœur, Nº. 18.
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AN XIII.—1805.
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AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.
La rapidité avec laquelle a été enlevée la première édition du recueil des Lettres de mesdames de Villars, de la Fayette et de Tencin et de mademoiselle Aïssé, nous a déterminés à en donner une seconde. Nous avons fait à ce recueil plusieurs changemens dont il est à propos de rendre compte.
On a remarqué dans un journal très-répandu[1] que les Lettres de madame de Tencin déparoient la collection. Nous étions parfaitement de l'avis du journaliste sur le mérite de ces Lettres: nous avions dit nous-mêmes dans la notice qui les précède, qu'elles étoient de madame de Tencin, intrigante, et non point de madame de Tencin, auteur des jolis romans du Comte de Comminges, du Siége de Calais, etc.; mais nous avions considéré qu'elles étoient en petit nombre; qu'il étoit fort souvent question de celle qui les a écrites, dans une autre correspondance qui fait partie du recueil, c'est-à-dire, dans les Lettres de mademoiselle Aïssé; et qu'enfin, puisque notre dessein étoit de rassembler des Lettres de femmes, celles de madame de Tencin rendroient la réunion plus complète. Ces considérations nous ont bientôt paru d'un moindre poids que l'observation qui nous a été faite; et nous avons reconnu que le principal but de ceux qui travaillent pour le public, étant de lui procurer de l'agrément ou de l'instruction, les Lettres de madame de Tencin devoient être exclues de notre recueil, puisqu'elles ne sont ni instructives, ni agréables.
Nous les avons remplacées par les Lettres de Ninon de l'Enclos et par celles de madame de Coulanges. Ce que nous avons ajouté étant beaucoup plus considérable que ce que nous avons retranché, nous nous sommes vus forcés de faire deux volumes, au lieu d'un.
Le mérite des Lettres de mesdames de Villars et de la Fayette, et de mademoiselle Aïssé, est aujourd'hui trop bien constaté par les éloges que leur ont donnés les journaux, et par l'empressement que le public a mis à se les procurer, pour que nous croyions nécessaire d'en rien dire ici. Il est également inutile de s'étendre sur celles de madame de Coulanges. On sait qu'il n'en est pas de plus enjouées et de plus spirituelles; elles sont remplies de ces traits vifs et brillans, que l'on appeloit les épigrammes de madame de Coulanges; et, en les lisant, on conçoit très-bien comment la femme qui les a écrites, faisoit les délices de la société, dans un siècle où l'on étoit si sensible aux grâces de l'esprit et du bon ton[2].
Quant aux Lettres de Ninon, elles exigent de nous une explication particulière. Beaucoup de personnes pourroient les confondre, d'après le simple énoncé du titre, avec les Lettres de Ninon de l'Enclos au marquis de Sévigné, ouvrage supposé, dont l'auteur est M. Damours, avocat au conseil, mort en 1788. Cette correspondance fictive ne jouit pas d'une grande estime auprès des gens de goût. Voici ce que Voltaire en écrivoit en 1771, à M. ******, ministre du Saint Évangile, qui lui avoit demandé des détails sur Ninon. «Quelqu'un a imprimé, il y a deux ans, des Lettres sous le nom de mademoiselle de l'Enclos, à peu près comme dans ce pays-ci on vend du vin d'Orléans pour du Bourgogne. Si elle avoit eu le malheur d'écrire ces Lettres, vous ne m'en auriez pas demandé une sur ce qui la regarde.» On a publié depuis un autre livre du même genre, intitulé Correspondance secrète entre Ninon de l'Enclos, M. de Villarceaux et madame de Maintenon. Nous ne porterons aucun jugement sur cette dernière production, que nous n'avons point lue, et avec laquelle d'ailleurs nous n'avons rien à démêler, non plus qu'avec celle de M. Damours, puisque l'une et l'autre sont des suppositions. Les Lettres que nous donnons, sont les véritables Lettres de Ninon, adressées à Saint-Evremont, dans les œuvres duquel elles sont comme ensevelies. On les en a déjà extraites une fois. Elles ont paru en 1751, précédées de Mémoires sur Ninon, que quelques-uns ont attribués à M. l'abbé Raynal. Ce volume se trouve aujourd'hui très-difficilement. Les Lettres qui nous restent de Ninon, sont au nombre de dix seulement; celles de Saint-Evremont, qui y correspondent, sont au même nombre, et nous les y avons jointes. Un recueil de Lettres, quel qu'il soit, ne peut que perdre du côté de l'intérêt, lorsqu'il n'offre que l'une des deux parties de la correspondance.
A la suite des Lettres de Ninon, nous avons mis la Coquette vengée, petit écrit attribué à cette fille célèbre par MM. Mercier, abbé de Saint-Léger et Jamet le jeune, deux des hommes du siècle dernier, qui ont été le plus profondément versés dans la bibliographie. L'assertion de tels érudits nous a paru suffire. Nous n'y ajouterons pas que nous avons cru reconnoître dans la Coquette vengée, le style de Ninon: on n'en pourroit juger que d'après ses Lettres; et des Lettres, qui sont une conversation écrite, n'ont presque rien de commun avec un ouvrage exprès; mais nous dirons, sans craindre de trouver des contradicteurs, que cet opuscule, rempli de grâce et de finesse, ne peut guère être sorti que de la plume d'une femme, et qu'il est en tout digne de cette Ninon, dont l'esprit et la raison n'ont pas été moins célèbres que l'éclat et la durée de ses charmes. Nous allons dire à quelle occasion il fut fait. En 1659, il parut un petit livre intitulé: le Portrait de la Coquette ou la Lettre d'Aristandre à Timagène. Aristandre apprenant que Timagène, son neveu, se dispose à faire le voyage de Paris, veut le prémunir contre les dangers que son innocence courra dans cette ville; et de tous ces dangers, le plus grand, à son avis, ce sont les coquettes, dont il décrit à son neveu les différentes espèces. Il est certain que, parmi ces portraits, il en est plusieurs, et notamment celui de la Coquette, qui affecte l'instruction, où la malignité des lecteurs dut vouloir retrouver quelques-uns des traits de Ninon; et il n'est guère douteux qu'en effet le peintre ne l'ait prise pour modèle. Il appartenoit à une femme de venger la plus grande partie de son sexe outragée dans la Lettre d'Aristandre; et ce soin regardoit sur-tout celle qui y paroissoit le plus directement attaquée. Cette circonstance, suivant nous, donne un grand poids au témoignage de nos deux bibliographes; et, à défaut d'autres indices, elle auroit pu servir de base à leur opinion. Ninon (car nous croyons fermement que c'est elle qui est l'auteur de l'écrit) Ninon fit donc la Coquette vengée, dont le titre seul annonce suffisamment le dessein. Cette défense, ou plutôt cette récrimination est dirigée contre certains philosophes, nommés pédans de robe courte, et docteurs de ruelles, qui dogmatisent dans des fauteuils, et raisonnent sans cesse sur l'amour, sans avoir rien de raisonnable pour se faire aimer. Pour expliquer l'emploi injurieux que Ninon fait ici du titre de philosophe, il faut dire que l'auteur du Portrait de la Coquette affiche de grandes prétentions à ce titre, pour lequel il assure que les coquettes ont une aversion insurmontable. Nous avouerons sans peine que la Lettre d'Aristandre nous a paru elle-même un ouvrage agréablement écrit, et vraiment digne de la colère de Ninon. Ce qui confirmeroit notre jugement, c'est qu'il fut réimprimé en 1685, c'est-à-dire, plus de vingt-cinq ans après sa première publication. Nous ignorons si l'écrit de Ninon a eu aussi les honneurs de la réimpression; en tout cas, nous pensons qu'il les méritoit pour le moins autant.
Dans la première, édition de ce recueil, les notices biographiques avoient été placées toutes ensemble, au commencement du volume. Mais cette fois nous les avons disposées plus convenablement; chacune se trouve en tête de la correspondance à laquelle elle a rapport.
Dans l'avertissement qui précédoit ces notices, nous disions à quel point la seule édition qu'on eût eue jusqu'alors des Lettres de mademoiselle Aïssé, étoit incorrecte, et quels efforts nous avions eu à faire pour restituer le sens altéré à chaque page par des omissions ou par des changemens de mots, et rétablir les noms propres, presque toujours défigurés à n'être pas reconnoissables. Nous avons fait, dans les écrits du temps, de nouvelles recherches au sujet de ces noms, et nous avons réintégré dans leur véritable orthographe tous ceux qui n'ont pas appartenu à des personnages totalement ignorés. Nous avons aussi ajouté quelques notes explicatives à celles que nous avions trouvées ou que nous avions faites nous-mêmes.
Nous ne croyons pouvoir mieux terminer cet avertissement, qu'en rapportant un passage de La Bruyère, où ce moraliste ingénieux et profond reconnoît et explique la supériorité que les femmes ont sur les hommes dans le genre épistolaire. «Les Lettres de Balzac, de Voiture, dit-il, sont vides de sentimens qui n'ont régné que depuis leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. Ce sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire: elles trouvent sous leur plume, des tours et des expressions qui, souvent en nous, ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche: elles sont heureuses dans le choix des termes qu'elles placent si juste, que, tout connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, et semblent être faits seulement pour l'usage où elles les mettent. Il n'appartient qu'à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatement une pensée délicate. Elles ont un enchaînement de discours inimitable, qui se suit naturellement et qui n'est lié que par le sens. Si les femmes étoient toujours correctes, j'oserois dire que les Lettres de quelques-unes d'entr'elles seroient peut-être ce que nous avons dans notre langue de mieux écrit[3].» Il n'est pas inutile de remarquer que La Bruyère proclamoit ainsi la prééminence des femmes dans l'art d'écrire des Lettres, à une époque où celles de madame de Sévigné n'étoient point connues du public, et ne l'étoient probablement pas de La Bruyère lui-même. Elles ont été imprimées pour la première fois plus de 30 ans après la publication des Caractéres.
NOTICE
SUR
MADAME DE VILLARS.
Marie de Bellefonds, fille de Bernardin Gigault de Bellefonds, aïeul du maréchal de ce nom, fut mariée au marquis de Villars. Le vainqueur de Dénain, le célèbre maréchal de Villars, fut le fruit de ce mariage.
M. le marquis de Villars fut envoyé ambassadeur auprès de Charles II, roi d'Espagne, au moment où ce prince épousa Marie-Louise d'Orléans, fille de Monsieur, frère de Louis XIV et de Henriette-Anne d'Angleterre, sa première femme.
Madame de Villars suivit son mari dans cette ambassade, qui ne dura guère plus de dix-huit mois. Pendant son séjour à Madrid, elle écrivit à madame de Coulanges. Il ne nous est parvenu que trente-sept Lettres de cette correspondance; elles commencent au 2 novembre 1679, et finissent au 15 mai 1681. Elles contiennent des détails très-curieux sur le caractère du roi et de la reine, sur leur manière de vivre, sur les intrigues et l'étiquette de leur cour, enfin sur les mœurs et les usages de l'Espagne. Une preuve de la confiance qu'elles méritent, c'est que le président Hénault, écrivain sévère dans le choix de ses autorités, les cite, en parlant du pouvoir absolu que les ministres de l'Empereur exerçoient à la cour de Charles II[4]. Du reste, elles sont écrites d'un style simple, facile et agréable; c'est celui d'une femme, qui à beaucoup de sens et d'esprit naturel joignoit ce ton délicat et fin qui distingue la bonne compagnie. Ces Lettres étoient lues avec beaucoup de plaisir par les personnes les plus spirituelles de la plus aimable société qui ait peut-être jamais existé. Qui pourroit se piquer d'être plus difficile qu'elles? Voici ce que madame de Sévigné écrivoit à sa fille, au sujet des Lettres de madame de Villars. «Madame de Villars mande mille choses agréables à madame de Coulanges, chez qui on vient apprendre les nouvelles. Ce sont des relations qui font la joie de beaucoup de personnes; M. de la Rochefoucault en est curieux; madame de Vins et moi, nous en attrapons ce que nous pouvons. Nous comprenons les raisons qui font que tout est réduit à ce bureau d'adresse; mais cela est mêlé de tant d'amitié et de tendresse, qu'il semble que son tempérament soit changé en Espagne. Cette reine d'Espagne est belle et grasse; le roi amoureux, et jaloux sans savoir de quoi, ni de qui; les combats de taureaux affreux; deux grands pensèrent y périr; leurs chevaux tués sous eux; très-souvent la scène est ensanglantée. Voilà les divertissemens d'un royaume chrétien; les nôtres sont bien opposés à cette destruction et bien plus aisés à comprendre[5]». Madame de Sévigné, dans une autre lettre à madame de Grignan, avoit déjà parlé ainsi de celles de madame de Villars. «Madame de Villars n'a écrit uniquement, en arrivant à Madrid, qu'à madame de Coulanges; et, dans cette lettre, elle nous fait des complimens à toutes nous autre vieilles amies. Madame de Schomberg, mademoiselle de Lestrange, madame de la Fayette, tout est en un paquet. Madame de Villars dit qu'il n'y a qu'à être en Espagne pour n'avoir plus d'envie d'y bâtir des châteaux[6]. Vous voyez bien qu'elle ne pouvoit mieux adresser sa lettre, puisqu'elle vouloit mander cette gentillesse[7]».
Madame de Villars mourut le 24 juin 1706, âgée de 82 ans.
Ses Lettres étoient entre les mains de M. le chevalier de Perrin, éditeur de celles de madame de Sévigné, qui se disposoit à les faire imprimer, lorsqu'il mourut en 1754. Elles l'ont été depuis sur le manuscrit que l'on a trouvé dans ses papiers.
LETTRES
DE
MADAME DE VILLARS,
A MADAME DE COULANGES.
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LETTRE PREMIÈRE.
Madrid, 2 novembre 1679.
Me voici enfin à Madrid, où je suis résolue d'attendre tranquillement le retour du roi, et l'arrivée de la reine, sa femme. Je n'ai pas eu le courage d'aller à Burgos. M. de Villars, qui m'attendoit ici, est parti pour rejoindre le roi, qui va chercher la reine d'une telle impétuosité, qu'on ne peut le suivre; et si elle n'est pas encore arrivée à Burgos, il est résolu d'emmener avec lui l'archevêque de cette ville-là, et d'aller jusqu'à Vittoria, ou sur la frontière, pour épouser cette princesse. Il n'a voulu écouter aucun conseil contraire à cette diligence. Il est transporté d'amour et d'impatience. Ainsi, avec de telles dispositions, il ne faut pas douter que cette jeune reine ne soit heureuse. La reine douairière, qui est très-bonne et très-raisonnable, souhaite passionnément qu'elle soit contente. Je trouvai, en venant, toutes les dames, et tous les officiers de sa maison, qui est très-nombreuse, auprès de Burgos. La duchesse de Terranova, sa camarera mayor, fit arrêter sa litière auprès de la mienne. Elle me parut spirituelle et très-honnête, point aussi vieille que je me l'étois figurée. Toutes les dames et filles d'honneur me montroient de loin leurs mouchoirs que l'on met en l'air en signe d'amitié. Je pensai oublier d'en faire autant; et, si ma fille ne m'en eût fait aviser, j'allois débuter par une grande sottise. Vous ne sauriez vous imaginer quelles honnêtetés je reçois ici. La reine mère m'a envoyé son majordome pour savoir comment je me trouvois des fatigues de mon voyage, et me donner beaucoup de marques de bonté. On dit qu'elle n'a pas accoutumé d'en user de la sorte avec les autres ambassadrices; ce n'est pas à mon médiocre mérite que j'attribue cet honneur.
Je n'ai pas encore voulu recevoir de visites. J'attends le retour de M. de Villars. Il y a tant de manières et tant de cérémonies à observer, qu'il faut qu'il m'instruise de tout, depuis les moindres choses jusques aux plus importantes. Rien ne ressemble ici à ce qui se pratique en France.
Don Juan est mort de chagrin; le roi commençoit à lui en donner, en rappelant, sans lui en parler, plusieurs grands qu'il avoit exilés.
Je ne sais si la princesse d'Harcourt entrera dans le carrosse de la reine.
La connétable Colonne m'a envoyé visiter. Elle est toujours dans son couvent, dont elle s'ennuie fort; elle espère en sortir quand la reine sera ici, et loger chez sa belle-sœur, la marquise de los Balbasès. L'abbé de Villars, qui l'alla voir l'autre jour, l'a trouvée très-bien faite, et j'entends dire qu'elle n'est pas reconnoissable de ce qu'elle étoit en France: c'est une taille charmante, un teint clair et net, de beaux yeux, des dents blanches, de beaux cheveux. Elle a fait un livre de sa vie, qui est déjà traduit en trois langues, afin que personne n'ignore ses aventures: il est fort divertissant. Elle est habillée à l'espagnole d'un fort bon air, mais ayant retranché et augmenté, ce qui en effet est mieux.
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LETTRE II.
Madrid, 30 novembre 1679.
On ne peut mener une plus plaisante vie, que celle que je mène ici depuis mon arrivée, ne faisant aucune visite, et n'en voulant recevoir qu'après le retour de M. de Villars. Je sors quelquefois, quand il fait beau, pour aller, ce qu'on appelle tomar el sol[8], hors des portes. Le soleil est très-agréable en cette saison. Il faut soigneusement tirer tous les rideaux du carrosse dans la ville; autrement on passeroit pour n'être pas honnête femme, et par tout pays il seroit fâcheux de se décrier pour un si petit sujet.
Les ducs d'Ossone et d'Astorga se sont fort querellés devant la reine. L'on a jugé que le premier avoit tort, et on l'a envoyé ici attendre les ordres du roi. Je ne sais plus quelle charge il a[9]; mais les bruits de Madrid sont que le marquis de los Balbasès la pourroit bien avoir. Je n'ai point encore vu de beautés Espagnoles.
M. de Villars vient d'arriver de Burgos. Il m'a conté beaucoup de détails de tout ce qu'il vient de voir. Il se flatte que le prince et la princesse d'Harcourt auront été contens de lui. Il m'a parlé de la plus belle robe du monde qu'avoit la princesse. Madame de Grancey a très-bien fait, et s'est fort bien servie de son temps de faveur auprès de la reine, pour ne lui donner que de très-bons conseils. On croit qu'elle aura du roi Catholique une pension de deux mille écus. On ne sait point encore si elle viendra jusques ici. Elle paroissoit fort tentée de s'en retourner avec la princesse d'Harcourt. Le roi et la reine viennent seuls dans un grand carrosse sans glaces, à la mode du pays. Il sera fort heureux pour eux qu'ils soient comme leur carrosse. On dit que la reine fait très-bien: pour le roi, comme il étoit fort amoureux avant que de l'avoir vue, sa présence ne peut qu'avoir augmenté sa passion. Elle reçut le roi avec un très-bel habit à la françoise, et une quantité surprenante de pierreries; mais elle le quitta le lendemain pour s'habiller à l'espagnole; et le roi la trouva beaucoup mieux. Madame de Grancey en mit un aussi, que la reine lui donna, et se coiffa à l'espagnole; ce qui lui sied fort bien. Elle étoit avec les dames d'honneur, qui sont proprement les filles de la reine. Elles passent toutes deux à deux, après la comédie, devant le roi et la reine, faisant leurs révérences: madame de Grancey figuroit avec une qui étoit de fort bonne grâce. Je n'ai point entendu dire que la maréchale de Clérembault figurât avec personne, mais qu'elle parloit fort bien espagnol. Le roi et la reine seront ici dans trois jours, et viendront demeurer à Buen-Retiro, maison royale aux portes de Madrid, jusqu'à ce que tout soit prêt pour l'entrée de la reine. Que j'appréhende de m'habiller, et de commencer à sortir! Je ne suis point du tout née pour représenter.
Je viens d'apprendre que madame de Grancey est partie de Burgos pour Paris avec le prince et la princesse d'Harcourt. Elle a eu mille louis, deux mille écus de pension, et un présent de diamans de dix-huit cents ou deux mille pistoles, tout pareil à celui qu'on a donné à la maréchale de Clérembault. Il y en a eu deux autres de trois mille pistoles pour le prince et la princesse d'Harcourt. Toutes les femmes, hors les deux nourrices de la reine, et deux autres filles, ont été renvoyées. Une vieille sous-gouvernante, nommée mademoiselle Fauvelet, est morte en chemin; mais si bien en chemin, que son âme est partie de ce monde pour l'autre de dedans sa litière, ayant toujours voulu suivre, quelque malade qu'elle fût. Elle mourut peu d'heures avant que d'arriver au lieu où le roi vint trouver la reine, et où ils se sont mariés.
La reine avoit perdu en chemin mille pistoles contre le prince et la princesse d'Harcourt, et autres personnes qui l'accompagnoient. Quand leurs majestés furent parties, les joueurs eurent grand'peur de n'être pas payés; mais ils furent agréablement surpris par l'arrivée d'une bourse où étoit cette somme.
Ne trouvez-vous pas que madame de Grancey a fait un agréable voyage? Tout le monde dans cette cour est fort content d'elle. Le prince et la princesse d'Harcourt avoient un très-beau train, une grande table, et se sont fort bien acquittés de leur emploi. Leur entrée à Burgos fut trouvée fort belle. Le prince d'Harcourt s'est très-bien gouverné, et l'on est ici très-satisfait de l'un et de l'autre. Vous pouvez en assurer M. de Brancas[10].
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LETTRE III.
Madrid, 14 décembre 1679.
Peu après que la reine a été ici, elle a témoigné beaucoup d'envie de me voir, et me l'envoya dire. Je répondis que j'étois fort sensible à l'honneur qu'elle me faisoit. Elle me fit dire pour la seconde fois qu'elle avoit prié le roi que j'y allasse incognito, parce que, jusqu'à ce qu'elle ait fait son entrée, et qu'elle soit logée dans le palais, personne, homme ni femme, ne la verra. On envoya à la camarera mayor, pour lui dire ce que la reine avoit mandé, et la permission que le roi lui avoit donnée de me voir incognito. La camarera répondit qu'elle ne savoit point cela. Le gentilhomme espagnol, que nous lui avions envoyé, la supplia de vouloir s'en informer; elle répondit qu'elle n'en feroit rien, et que la reine ne verroit personne, tant qu'elle seroit au Retiro. Nous fîmes savoir à la reine la diligence que nous avions faite: on ne pouvoit pas moins après l'envie qu'elle avoit témoignée que j'eusse l'honneur de la voir. Après cela, nous nous sommes tenus en repos. Je n'ai pas même voulu aller à l'église, où l'on peut la voir d'une tribune, de peur qu'on ne m'accusât de trop d'empressement. Le roi en a un très-grand pour elle. Il ne voudroit jamais la perdre de vue. Cela est très-obligeant. Mais, pour en revenir à cette envie de me voir, je fus dimanche, pour la première fois, rendre mes devoirs à la reine mère, qui est bonne, obligeante, disant tout ce qu'elle peut et tout ce qu'il faut pour plaire. Elle me demanda si je n'avois pas encore vu la reine, sa belle-fille. Je lui dis que non. Elle me répondit: Elle a fort envie de vous voir; vous la verrez dès que vous le voudrez, et dès demain. Ce demain est aujourd'hui. Je vous ai écrit tout ceci par avance. Ce sera sur les quatre heures que je me rendrai à cette audience de la reine. Je vous rendrai compte comme tout cela m'aura paru. On dit qu'elle se conduit fort bien: j'en suis persuadée. Aucun François ne l'a vue. Il y a deux jours que la marquise de los Balbasès la voulut voir: elle alla dans l'appartement de la camarera, qui touche à celui de la reine. Dès que la jeune princesse le sut, elle y vint tout aussitôt; mais comme elle voulut parler à la marquise, la camarera prit la reine par le bras, et la fit entrer dans sa chambre. Ce sont des usages qui ne sont pas si extraordinaires ici qu'ils le seroient ailleurs.
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LETTRE IV.
Madrid, 15 décembre 1679.
Je fus hier au Retiro, cette maison où le roi et la reine sont présentement. J'entrai par l'appartement de la camarera mayor, qui me vint recevoir avec toutes sortes d'honnêtetés; elle me conduisit par de petits passages dans une galerie où je croyois ne trouver que la reine; mais je fus bien étonnée quand je me vis avec toute la famille royale; le roi étoit assis dans un grand fauteuil, et les reines sur des carreaux. La camarera me tenoit toujours par la main, m'avertissant du nombre de révérences que j'avois à faire, et qu'il falloit commencer par le roi. Elle me fit approcher si près du fauteuil de sa majesté Catholique, que je ne comprenois point ce qu'elle vouloit que je fisse. Pour moi, je crus n'avoir rien à faire qu'une profonde révérence; sans vanité, il ne me la rendit pas, quoiqu'il ne me parût pas chagrin de me voir. Quand je contai cela à M. de Villars, il me dit que sans doute la camarera vouloit que je baisasse la main à sa majesté. Je m'en doutai bien; mais je ne m'y sentis pas portée. Il m'ajouta qu'elle avoit proposé à la princesse d'Harcourt de baiser cette main, et que, sur l'avis que cette princesse lui en avoit demandé, il lui avoit répondu de n'en rien faire.
Me voilà donc au milieu de ces trois majestés; la reine mère me disant, comme la veille, beaucoup de choses obligeantes, et la jeune reine me paroissant fort aise de me voir. Je fis ce que je pus pour qu'elle ne le témoignât que de bonne sorte. Le roi a un petit nain flamand qui entend et qui parle très-bien françois. Il n'aidoit pas peu à la conversation. On fit venir une des filles d'honneur en guarda-infante[11], pour me faire voir cette machine. Le roi me fit demander comment je la trouvois, et je répondis au nain que je ne croyois pas qu'elle eût jamais été inventée pour un corps humain. Il me parut assez de mon avis. On m'avoit fait donner une almoada[12]. Je m'assis seulement un instant pour obéir, et je pris aussitôt une légère occasion de me tenir debout, parce que je vis beaucoup de segnoras de honor qui n'étoient point assises, et que je crus leur faire plaisir de faire comme elles: je me tins donc toujours debout, quoique les reines me dissent souvent de m'asseoir. La jeune fit une légère collation servie à genoux par ses dames, qui ont des noms admirables, et qui ne prétendent pas moins être que des maisons d'Arragon, de Portugal, de Castille, et autres des plus grandes. La reine mère prit du chocolat: le roi ne prit rien.
La jeune reine, comme vous pouvez penser, étoit habillée à l'espagnole, de ces belles étoffes qu'elle a apportées de France; très-bien coiffée, ses cheveux de travers sur le front, et le reste épars sur les épaules. Elle a le teint admirable, de beaux yeux, la bouche très-agréable quand elle rit. Que c'est une belle chose de rire en Espagne! Mais il est plaisant que je vous fasse le portrait de la reine.
Cette galerie est assez longue, tapissée de damas ou de velours cramoisi, chamarré fort près à près de larges passemens d'or. Depuis un bout jusqu'à l'autre, est le plus beau tapis de pied que j'aie jamais vu; des tables, cabinets et brâsiers, des flambeaux sur les tables: et de temps en temps, on voit des menines très-parées, qui entrent avec deux flambeaux d'argent pour changer, quand il faut moucher les bougies. Elles font de grandes et longues révérences de bonne grâce. Assez loin des reines, il y avoit quelques filles d'honneur assises à bas, et plusieurs dames d'un âge avancé, avec leurs habits de veuves, debout, appuyées contre la muraille. Le roi et la reine s'en allèrent après trois quarts d'heure, le roi marchant le premier. La jeune reine prit sa belle-mère par la main, passant devant à la porte de la galerie, après quoi elle revint plus vîte que le pas me retrouver. La camarera mayor ne revint point, et il parut assez qu'on lui donnoit toutes sortes de libertés de m'entretenir. Il ne demeura qu'une vieille dame fort loin. Elle me dit que, si la dame n'y étoit pas, elle m'embrasseroit bien. Il n'étoit que quatre heures quand j'arrivai là; il en étoit sept et demie avant que j'en sortisse; et ce fut moi qui voulus sortir.
Je vous assure, madame, que je voudrois que le roi, la reine mère et la camarera mayor eussent pu entendre tout ce que je dis à la princesse. Je voudrois que vous le sussiez aussi, et que vous nous eussiez pu voir nous promener dans cette galerie que les flambeaux rendoient très-agréable. Cette jeune reine, dans la nouveauté et la beauté de ses habits avec une infinité de diamans, étoit ravissante.
Imaginez-vous une fois pour toutes, que le noir et le blanc ne sont pas plus différens que la vie d'Espagne et celle de France. Il me semble que cette jeune princesse fait très-bien. Elle voudroit que j'eusse l'honneur de la voir tous les jours; je l'assurai que j'en serois charmée; mais je la suppliai de m'en dispenser, à moins qu'on ne me fît voir clair comme le jour que le roi et la reine mère le souhaitoient presqu'autant qu'elle. La camarera mayor me vint prendre à la porte de la galerie pour me reconduire. Je trouvai là des femmes françoises de la reine, auxquelles je dis qu'il falloit apprendre l'espagnol, et s'empêcher, autant qu'il leur seroit possible, de dire un mot de françois à la reine. Je savois qu'on les grondoit un peu, quand elles lui parloient trop souvent. Je dis en espagnol à la camarera mayor, ce que je disois à ces Françoises: elle m'en sut un très-bon gré. Voilà, à peu près, madame, tout ce que je puis vous mander de cette première visite.
Si vous aviez été aujourd'hui ici, vous auriez eu le plaisir de voir au travers d'une porte le plus beau nonce du monde et le mieux disant. Il parle un espagnol tout-à-fait aisé. Je l'ai reçu en cérémonie tout à mon aise sur des carreaux, et lui dans un fauteuil. Il m'a fort parlé de Charles-Quint. J'étois un peu honteuse d'en être si peu instruite; je n'en ai pas fait semblant; je disois quelques mots par-ci, par-là, rappelant dans ma mémoire beaucoup de beaux endroits, dont mon fils aîné m'a entretenue quelquefois. Mon fils l'abbé, qui m'assistoit en cette occasion, a beaucoup brillé dans cette conversation, et n'y a pas moins paru que sur les bancs de Sorbonne.
M. de Villars, qui revient de la ville, se met à vos pieds, pour parler en termes espagnols. Il me vient d'avouer qu'il a passé son après-dinée chez cette femme dont vous lui avez vu le portrait. Il dit qu'elle n'a plus de beauté, mais bien de l'esprit. J'en jugerai incessamment; car il veut que ce soit une des premières dont je reçoive visite.
Adieu, madame: si ma lettre ne vous prouve le plaisir que je prends à penser à vous, et à vous entretenir, je ne sais pas ce qu'il faut faire pour vous le persuader. Peut-être aimeriez-vous mieux en douter; car cette lettre est bien longue pour une personne comme vous, au milieu de la bonne compagnie et des plaisirs. Telle cependant que vous voyez cette lettre, il y a mille choses que je ne vous mande point, et que je vous dirois bien. Je ne pense point, quand tout le monde verroit ceci, que je pusse en recevoir ni reproche ni blâme. Cependant usez-en avec prudence.
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LETTRE V.
Madrid, 27 décembre 1679.
J'ai reçu depuis peu mes visites. La manière dont se passe cette cérémonie, est une chose assez singulière. Premièrement, dès que j'ai été arrivée, toutes les dames, princesses, duchesses, Grandes, ont envoyé plusieurs fois me complimenter, et s'informer avec soin quand elles me pouroient voir, chacune voulant être avertie des premières. Enfin ce temps est venu; il y a quelques jours qu'on leur fit savoir que je recevrois le monde trois jours de suite. On envoie un page chez toutes celles qui ont envoyé, avec des billets qu'on nomme nudillos, parce qu'en effet ce sont des billets noués. Ce fut la marquise d'Assera, veuve du duc de Lerme, que j'ai vue en France, et qui croit que je lui ai rendu quelque petit service, qui fit les trois jours les honneurs de ma maison. La dame de ce portrait qu'a M. de Villars, les a faits aussi. Je crois qu'elle a été belle, et même qu'elle le seroit encore passablement, sans cette épouvantable coiffure de veuve qu'elle porte. Il n'est pas possible, à quelque belle personne que ce soit, de le paroître avec cet accoutrement; et je ne sais pas comment une veuve qui seroit un peu galante, et qui compte sur sa beauté, ne se remarie pas tout au plus tard au bout de l'an. Cette dame a bien de l'esprit, et est honnête et polie. Je ne vous dirai point les pas comptés que l'on fait pour aller recevoir les dames, les unes à la première estrade, les autres à la seconde ou à la troisième; car, par parenthèse, j'ai un très-grand appartement. Tirez de là, en soupirant pour moi, la conséquence de ce qu'il m'en coûte à le meubler. Il faut, en entrant et en sortant, passer devant toutes ces dames. Celle qui me conduisoit avoit assez d'affaire à me redresser; car j'oubliois souvent le cérémonial. Ces visites durent tout le jour. On les conduit dans une chambre couverte de tapis de pied, un grand brâsier d'argent au milieu. Je n'oublierai pas de vous dire que, dans ce brâsier; il n'y a point de charbon, mais de petits noyaux d'olives qui s'allument, et qui font le plus joli feu du monde, une petite vapeur douce. Ce feu dure plus que la journée. La manière de s'entretenir et de se faire des amitiés, seroit trop longue à vous dire. Toutes ces femmes causent comme des pies dénichées; très-parées en beaux habits et pierreries, hors celles qui ont leurs maris en voyage ou en ambassade. Une des plus jolies, sans comparaison[13], étoit vêtue de gris par cette raison. Pendant l'absence de leurs maris, elles se vouent à quelque saint, et portent, avec leur habit gris ou blanc, de petites ceintures de corde ou de cuir. Je ne puis vous dépeindre aucune beauté; car je n'en ai point vu. La connétable de Castille est des mieux faites; mais revenons à notre brâsier; toutes assises sur nos jambes, sur ces tapis; car, quoiqu'il y ait quantité d'almohadas, ou carreaux, elles n'en veulent point. Dès qu'il y a cinq ou six dames, on apporte la collation qui recommence une infinité de fois. On présente d'abord de grands bassins de confitures sèches; ce sont des filles qui servent, après cela quantité de toutes sortes d'eaux glacées, et puis du chocolat; ce qu'elles ont mangé ou emporté de marons glacés, qu'elles nomment castagnas, ne se peut comprendre, tant elles les trouvent bons. Il règne une grande honnêteté parmi elles; touchées de plaire et de faire plaisir; avec tout cela, madame, que je fus aise de me trouver à la fin de mes trois jours! La plupart me sont venu voir deux fois; trois ou quatre entendent et parlent un peu le françois, et moi très-peu l'espagnol. Si ce récit vous paroît trop long, gardez-le pour le mettre en la place de la lecture que vous faites quelquefois les soirs. Il n'a tenu qu'à moi de vous faire encore un détail des comédies et de leurs machines. La reine, avec qui je me suis trouvée deux fois, comme elle y alloit, m'y a voulu mener; mais jusqu'ici je m'en suis exemptée par m'y figurer un ennui mortel, et je lui ai dit que j'irois quand elle seroit au palais. Cette jeune reine est assurément plus belle et plus aimable que toutes les dames de sa cour. Elle n'a point encore fait son entrée; on dit que le deux du mois prochain on saura le jour destiné à cette cérémonie; il y a des soupçons sur une grossesse. A l'égard de ne la pas voir aussi souvent qu'elle me témoigne le souhaiter, ce que je fais jusqu'à la durété, ce n'est pas que je méprise cet honneur, et que je n'en sache faire tout le cas que je dois; mais je crains plus que je ne puis vous le dire, qu'on ne me puisse accuser de trop d'empressement. Ce que la princesse fera de bien ou moins bien, ne me doit point être attribué; elle se conduit fort prudemment; il n'auroit pas été plus mal qu'on lui eût donné en France quelque bonne tête en qui elle eût confiance; cette cour est remplie de plusieurs personnes, qui peuvent indirectement se mêler de lui donner des conseils; il y a bien peu qu'elle y est, pour savoir choisir les bons et rejeter les mauvais; ce ne sont nullement mes affaires; et, si la reine mère n'avoit souhaité que je visse plus souvent la reine que je ne me l'étois proposé, je n'y aurois été qu'une seule fois. Je vous assure, madame, que, quand il faut m'habiller, quoiqu'il me soit permis d'aller avec toutes sortes de manteaux, et qu'il me faut sortir de ma chambre, je suis triste et peinée par avance, d'aller représenter en public. On prépare, pour l'entrée de la reine, cinq ou six beaux arcs de triomphe. J'en ai vu un qui m'a paru tel. Si le deux du mois prochain on la croit encore grosse, elle fera son entrée dans une espèce de chaise découverte, que des hommes porteront sur leurs épaules; sinon elle la fera à cheval. J'étois, il y a peu de jours, avec elle; le roi vient faire de petites comparanzas[14] et puis s'en reva. Elle me montroit un fort beau présent d'une parure de pierreries, que le roi lui avoit fait le matin. Ils se couchent tous les jours à huit heures et demie, c'est-à-dire, le moment d'après qu'ils sont sortis de table, ayant encore le morceau au bec.
Le prince de Ligne mourut, il y a trois jours; il étoit assez vieux; sa femme s'en retourne en Flandre. Il y en a huit qu'un fameux théatin, nommé le P. Vintimille, fut chassé; il étoit intrigant, à ce qu'on dit, des amis de feu don Juan, et ennemi déclaré de la reine mère; il eût fort souhaité d'être confesseur de la jeune reine; il ne lui auroit pas fait des scrupules de rien; il est ami de la connétable Colonne que je n'ai point encore vue, parce que je n'ai fait aucune visite: je les commencerai bientôt, et la verrai des premières. Elle ne sort point de son couvent: on croyoit qu'elle demeureroit chez la marquise de los Balbasès, sa belle-sœur; mais cela ne sera pas.
Le duc d'Ossone continue de ne pas aller à la cour.
Il y a très-souvent, ce qu'on appelle des cérémonies de chapelle, dans l'église qui touche la maison où leurs majestés sont à présent; on voit la reine à travers les barreaux d'une tribune; elle est très-magnifiquement parée, aussi bien que toutes les dames: ce lieu d'oraison n'est pas moins chéri d'elles. La fête de Noël est solemnisée dans le palais par des parures extraordinaires, et la comédie sur les quatre heures. Sans beaucoup me divertir ici, je vous dirai, madame, qu'il n'y a lieu au monde où je voulusse être qu'en Espagne, tant que M. de Villars y sera, cela s'entend; voilà la pure vérité.
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LETTRE VI.
Madrid, 12 janvier 1680.
Je vous rendis compte par ma dernière lettre des visites que j'avais reçues; je n'entrerai point dans le détail de celles que je rends. J'oubliai de vous dire que toutes ces grandes dames ne se parlent que par tu et toi; c'est une marque d'amitié. Nous commençons à nous tutoyer. Le roi et la reine usent de ces termes entr'eux. La reine n'est plus grosse. Dès le lendemain qu'elle ne le fut plus, le roi et la reine allèrent au Pardo, jolie maison à deux lieues d'ici; elle eut le plaisir de monter un peu à cheval, et de voir tuer un sanglier par le roi, son mari. Son entrée se fera samedi prochain; on dit qu'il s'y verra des magnificences extraordinaires. Leurs majestés quitteront le Retiro, et iront demeurer au palais; l'appartement de la reine est fort doré et très-bien meublé; nous l'allâmes voir l'autre jour. Quand elle y sera, et qu'elle recevra mille visites, je me propose, sans en rien dire, de lui en rendre moins. Toutes les dames, qui sans vanité m'aiment assez, croient et s'attendent que j'y serai tous les jours, et que je puis un peu contribuer à leur faire faire leur cour; mais, ma chère madame, entre vous et moi, non-seulement je ne veux entrer en rien, mais je voudrois me mettre entièrement hors de portée d'aucun soupçon. Je vous prie d'avoir quelque application pour entrevoir au lieu où vous êtes, si l'on ne trouvera pas que ce soit le meilleur parti. Il se peut fort bien qu'on ne prendra pas la peine de songer à ce que je fais ou ne fais pas, à moins que vous ne le mettiez sur le tapis. Il n'y a presque pas de milieu entre voir la reine très-souvent, ou ne la voir que très-rarement, en cherchant, pour le public et pour elle, des raisons qui ne seront guère vraisemblables, puisque le roi, la reine mère, et la camarera mayor font paroître qu'ils sont très-aises que je sois souvent avec elle, et tout le monde disant que l'ambassadrice d'Allemagne étoit tous les jours avec la reine mère, ne parlant ensemble qu'allemand. Vous voyez donc que, du côté de cette cour, tout veut que je sois souvent avec la reine; mais si je ne sais que la cour de France l'approuve, rien ne me peut empêcher de retirer mes troupes, et de laisser penser ici tout ce qu'on voudra: c'est pourquoi je vous supplie encore une fois de tâcher de savoir ce que vous pourrez là-dessus. Cette jeune reine se conduit jusqu'ici avec beaucoup de douceur et de soumission pour le roi; on dit qu'il l'aime fort: chacun a sa manière d'aimer; je le vois assez souvent venir dans une galerie où est la reine. Vous avez apparemment vu de ses portraits.
Le lendemain de l'entrée, il y aura une fête le soir, que l'on nomme mascarade, où tous les grands de la cour courent deux à deux dans une lice avec un flambeau à la main. Le roi court avec son grand écuyer. Ce sont des habits extraordinaires; je crois que cela sera plus beau à dépeindre qu'à voir. Un autre jour, ce sera juego de cagnas; je ne sais pas trop ce que c'est; on jette des cannes en l'air. Mais la grande fête, ce sera celle de la course des taureaux. Pour celle-là, je crois que ce sera une très-belle chose. Des Grands, des fils de Grands tauricideront. La magnificence du train et des livrées sera, à ce qu'on dit, surprenante. Pourvu qu'il ne s'y tue personne, j'y prendrai peut-être quelque plaisir. Si cela est, je vous souhaiterai souvent sur mon balcon. Hélas! madame, si j'osois, je vous y souhaiterois, même quand la fête seroit ennuyeuse.
Je ne me suis point encore habillée à l'espagnole, quoique j'aie fait faire deux habits. La reine mère aime tout-à-fait l'habit à la françoise, et toutes les dames aussi; c'est-à-dire, les manteaux principalement, et c'est ce qui m'accommode fort. Le noir ou la couleur ne marquent pas plus de respect l'un que l'autre.
Il fait aussi froid ici qu'à Paris; j'espère qu'il n'y fera pas plus chaud.
Le marquis de Flamarens est à Madrid avec l'habit espagnol et la honille. Je croirois sans peine qu'il s'y ennuiera bientôt. Le comte de Charni, prétendu fils naturel de feu Monsieur (duc d'Orléans), y passe une vie bien triste. C'est un honnête homme; et s'il est vrai, comme on n'en doute pas, qu'il ait l'honneur d'être frère de tant de princesses, celles qui sont en état de lui faire du bien, devroient bien lui en faire un peu, et lui procurer quelque moyen de subsister. Nous ne le voyons pas souvent, ni Flamarens non plus; il faut qu'ils aient des égards.
Je n'ai été qu'une seule fois chez la reine mère depuis que je suis ici.
La reine m'a expressément chargée de vous faire ses complimens. Je vous mène au palais toutes les fois que j'y vais; et votre nom, sans que je me le propose, est toujours dans toutes nos conversations. La philosophie en-dehors, et les pieds en-dedans, la pensèrent faire mourir de rire. Ce que les François et Françoises trouvent ici de triste, ne l'est nullement, et la reine m'a avoué de très-bonne foi qu'elle n'avoit jamais cru s'accoutumer aussitôt. Vous pouvez penser que je ne lui tiens guère de propos qui soient propres à faire soupirer incessamment après la France. Enfin jusqu'ici j'ai fait de mon mieux par le seul plaisir de bien faire.
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LETTRE VII.
Madrid, 26 janvier 1680.
Je ne vous entretiendrai guère de l'entrée de la reine d'Espagne. Elle en étoit le plus grand et le plus agréable ornement; à cheval sous un grand dais, fort parée, un chapeau de plumes blanches, un habillement fait exprès pour ce jour de cérémonie; précédée de plusieurs Grands fort brodés, et quantité de livrées riches et mal entendues, aussi-bien que les habits des maîtres. La reine avoit très-bonne grâce. Elle quitta un peu sa gravité devant le balcon où nous étions, et je la lui vis reprendre. Il y a eu deux jours de suite des feux d'artifice devant le palais, où je me dispensai d'aller. Jusqu'ici il n'y a point eu d'autre fête. Le roi mène souvent la reine dans des couvens, et ce n'est point du tout une fête pour elle. Elle a voulu absolument que je l'y suivisse ces deux derniers jours. Comme je n'y connois personne, je m'y suis beaucoup ennuyée; et je crois qu'elle ne vouloit que j'y fusse, qu'afin de lui tenir compagnie. Le roi et et la reine sont assis, chacun dans un fauteuil; des religieuses à leurs pieds, et beaucoup de dames qui viennent leur baiser les mains. On apporte la collation; la reine fait toujours ce repas d'un chapon rôti. Le roi la regarde manger, et trouve qu'elle mange beaucoup. Il y a deux nains qui soutiennent toujours la conversation. Je croyois hier au soir, au sortir du couvent, m'en retourner chez moi; mais la connétable de Castille me pria que nous allassions ensemble au palais; car vous saurez que, sans l'avoir mérité, il ne tiendroit qu'à moi de me donner un grand air ici, les dames croyant que c'est assez qu'une ambassadrice soit de la même nation que leur reine, pour leur être de quelque agrément. Je fais aussi de mon mieux pour ne pas tromper leur attente. Voilà toutes les affaires que je veux avoir au palais. La reine mère est toujours une très-bonne princesse; je n'en puis dire autre chose. Je n'abuse point des bontés qu'elle m'a fait paroître; car, depuis que je suis à Madrid, je n'ai été que deux fois chez elle. Il y a, depuis deux jours, un ambassadeur d'Espagne nommé pour la France. L'on a révoqué celui que vous aviez. C'est le marquis de la Fuente, fils de celui que vous avez vu ambassadeur. Sa femme partira bientôt. Elle ne vous paroîtra ni jeune ni belle; elle est peut-être l'un et l'autre en ce pays. C'est une bonne femme.
Je ne passe pas en Espagne une vie aussi oisive que je voudrois, et ce sera beaucoup si je puis jamais rendre toutes les visites que j'ai à y faire. Tout ce que j'y ai de plus agréable, c'est la commodité des habits. La reine mère et toutes les dames approuvent toujours si fort ceux que j'ai, et sur-tout les manteaux, que vous pouvez croire avec quel plaisir je les satisfais. Le noir, comme je crois vous l'avoir déjà mandé, n'est pas une couleur plus respectueuse qu'une autre.
Je ne vois pas qu'on se presse trop ici d'expédier le brevet de cette pension de deux mille écus pour madame de Grancey; M. de Villars voudroit bien lui être utile; mais avec tout l'or qui vient des Indes, l'Espagne ne paroît pas opulente. Ce que j'ai vu de plus riche, de plus doré, de plus magnifique, est l'appartement de la reine. Il y a entre autres meubles dans sa chambre, une tapisserie, dont ce qu'on y voit de fond, est de perles. Ce ne sont point des personnages; on ne peut pas dire que l'or y soit massif, mais il est employé d'une manière et d'une abondance extraordinaires. Il y a quelques fleurs: ce sont des bandes de compartimens; mais il faudroit être plus habile que je ne suis à représenter les choses, pour vous faire comprendre la beauté que compose le corail employé dans cet ouvrage. Ce n'est point une matière assez précieuse pour en vanter la quantité; mais la couleur et l'or qui paroît dans cette broderie, sont assurément ce qu'on auroit peine à vous décrire; mais il ne vous importe guère. Cette tapisserie m'est demeurée dans la tête; c'est ce qui m'a fait écrire ceci, qui vise assez au galimatias. Adieu, madame: ce que je sens bien distinctement, c'est que je vous aime. Aimez-moi aussi, je vous en prie; et ne consentez jamais en vous-même que je sois en Espagne et vous en France.
Madrid, 27 janvier 1680.
Comme le courrier ne partit point hier au soir, et qu'il me reste un peu de temps, je veux vous conter, si je puis, en peu de mots, une belle aventure. Nous arrivions hier, M. de Villars et moi, sur les dix heures du matin, quand nous vîmes entrer dans ma chambre une tapada, suivie d'une autre qui paroissoit sa suivante. Je fis signe à M. de Villars que c'étoit à lui à se mettre en devoir de faire les honneurs; la suivante se retira. L'autre fit signe qu'elle vouloit que quelques gens qui étoient dans l'antichambre, se retirassent aussi. Elle s'approcha d'une fenêtre avec M. de Villars, me faisant signe en même temps de m'approcher. Elle leva son manteau, je n'en étois guère plus savante. Je me souvenois un peu d'avoir vu quelque personne qui lui ressembloit; M. de Villars s'écria: c'est madame la connétable Colonne! Sur cela je me mis à lui faire quelques complimens. Comme ce n'est pas son style, elle vint au fait. Elle pleura et demanda qu'on eût pitié d'elle. Pour dire deux mots de sa personne, sa taille est des plus belles. Un corps à l'espagnole qui ne lui couvre ni trop ni trop peu les épaules. Ce qu'elle en montre, est très-bien fait: deux grosses tresses de cheveux noirs, renouées par le haut d'un beau ruban couleur de feu: le reste de ses cheveux en désordre et mal peigné; de très-belles perles à son cou; un air agité qui ne siéroit pas bien à une autre, et qui pour lui être assez naturel, ne gâte rien; de belles dents. Je voudrois bien vous faire entendre tout ceci en peu de mots. La connétable est dans un couvent royal, nommé San-Domingo. Elle en est déjà sortie quatre ou cinq fois; et la dernière qu'elle y entra, le nonce fit semblant de vouloir parler à une religieuse à la porte; et quand elle fut ouverte, la connétable que l'on croyoit bien loin, rentra promptement; car en Espagne, dans ces sortes de couvens, il y a d'extraordinaires régularités sur les entrées et les sorties. Quand elle y fut, les parens du connétable exigèrent d'elle qu'elle signeroit entre les mains du roi un papier, par lequel elle s'engageroit de ne plus sortir sans la permission de son mari, promettant que, si elle en sortoit, on pourroit la renvoyer à Saragosse, ou en tel autre lieu que son mari souhaiteroit. La voilà donc avec de doubles liens. Quand le marquis de los Balbasès revint avec sa femme, elle crut qu'ils la recevroient dans leur maison; mais ils s'en excusèrent, disant qu'elle étoit trop petite. Le bruit de l'entrée de la reine a fait prendre la résolution à madame Colonne de sortir encore de son couvent. Aussitôt pensé, aussitôt fait. Elle envoie emprunter un carrosse, et s'en va droit chez la marquise de los Balbasès. Elle fut bien reçue, malgré leur surprise. Au bout de quelques jours, quelqu'un vint lui dire que los Balbasès l'alloit envoyer à Saragosse trouver son mari. Sur cela elle demande un carrosse pour aller prendre l'air; on lui en donne un. Elle fait quelques tours par la ville, et se fait descendre à notre porte; la voilà chez nous disant qu'elle n'en vouloit plus sortir, et que l'on ne voudroit pas la mettre dans la rue. Il parut qu'elle seroit bien aise de voir le nonce. Nous la fîmes dîner; je lui fis de mon mieux, parce qu'en effet elle fait très-grande pitié d'être de l'humeur qu'elle est. Le marquis de los Balbasès envoie un de ses parens pour essayer de la résoudre à retourner, et à ne pas donner une nouvelle scène au public. Elle dit qu'elle n'en fera rien. Le nonce arrive; elle le prie qu'il la fasse rentrer dans son couvent. Il répond qu'il n'en a pas le pouvoir. Une dame de qualité de nos amies, qui est la comtesse de Villombrosa, dont le fils a épousé la fille de los Balbasès, vint ici. M. de Villars et le nonce firent plusieurs allées et venues chez los Balbasès, qui promit plusieurs fois, foi de cavalier, qu'il ne feroit nulle violence à madame Colonne pour retourner avec son mari; qu'il la prioit de revenir chez lui, et que l'on tâcheroit de faire en sorte que le roi qui avoit l'écrit de madame Colonne, ne sauroit rien, de sa sortie, et que, si elle s'opiniâtroit à ne pas vouloir revenir, elle alloit mettre contre elle le roi, son mari, et toute sa famille. Enfin, madame, il étoit près de minuit que nous ne savions tous que faire par les conséquences que cette pauvre créature attiroit contre elle en demeurant chez nous. Mais enfin elle se résolut à s'en aller. La comtesse de Villombrosa, M. de Villars et moi la remmenâmes chez le marquis de los Balbasès. Sa femme et lui la reçurent très-bien; mille embrassades. Vraiment, c'est une chose inconcevable que les mouvemens extraordinaires qui se passent dans cette tête. Elle l'avoue elle-même. Si elle ne fait pas plus de chemin, ce n'est pas manque de bonne volonté. Cependant, s'il lui prend envie une autre fois de revenir chez nous et de n'en vouloir pas sortir, par les frayeurs qu'on ne la remette au pouvoir de son mari, nous en serions bien embarrassés. Si cette histoire vous ennuie, madame, prenez-vous-en à l'envie et au plaisir que j'ai de vous conter tout ce que je sais qui peut vous être écrit.
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LETTRE VIII.
Madrid, 9 février 1680.
La reine d'Espagne, bien loin d'être dans un état pitoyable, comme on le publie en France, est engraissée au point que, pour peu qu'elle augmente, son visage sera rond. Sa gorge, au pied de la lettre, est déjà trop grosse, quoiqu'elle soit une des plus belles que j'aie jamais vues. Elle dort à l'ordinaire dix à douze heures. Elle mange quatre fois le jour de la viande; il est vrai que son déjeûner et sa collation sont ses meilleurs repas. Il y a toujours à sa collation un chapon bouilli sur un potage, et un chapon rôti. Je la vois fort rire, quand j'ai l'honneur d'être avec elle. Je suis persuadée que je ne suis ni assez plaisante ni assez agréable pour la mettre en cette bonne humeur, et qu'il faut qu'elle ne soit pas chagrine d'ordinaire. L'on ne peut assurément se mieux gouverner, ni avec plus de douceur et de complaisance pour le roi. Elle avoit vu son portrait; on ne lui avoit pas fait celui de son humeur pour les manières et la vie solitaire. On n'a pas renversé toutes les coutumes du pays, pour y en mettre de plus agréables. Mais la reine mère fait tout ce qu'elle peut pour les adoucir. Il paroît à tous les gens de bon sens que la jeune reine ne peut mieux faire que de contribuer de son côté à s'attirer la continuation de l'amitié et de la tendresse que ce prince lui témoigne. Il y a cette duchesse de Terranova, camarera mayor, dont l'humeur passe pour être un peu hautaine. La jeune reine plaît infiniment à toutes les dames. Je fais tout ce que je puis, quand j'ai l'honneur d'être auprès d'elle, pour la faire souvenir de leur dire tout ce qui est le plus propre à les gagner. Quand je vous dis qu'elle est grasse, qu'elle dort, qu'elle rit, encore une fois, je vous dis vrai. Il n'est pas moins vrai aussi, avec tout cela, que la vie qu'elle mène, ne lui est guère agréable. Enfin, madame, je vous assure qu'elle fait à merveille; j'en suis tout étonnée.
Il y eut hier la plus célèbre fête de taureaux qui se soit vue depuis plusieurs règnes des rois d'Espagne. Il y eut six Grands ou fils de Grands qui furent les toreadors. Je pensai mourir dans la première heure: mourir est un peu trop dire; mais j'eus une émotion et un si violent battement de cœur, que je crus n'y pouvoir résister, et je me levois pour m'ôter de dessus le balcon où j'étois, si M. de Villars ne m'eût dit que pour rien du monde il ne falloit faire cette faute. C'est une terrible beauté que cette fête. La bravoure des toreadors est grande. Aucuns taureaux épouvantables éprouvèrent bien celle des plus hardis et des meilleurs. Ils crevèrent de leurs cornes plusieurs beaux chevaux; quand les chevaux sont tués, il faut que les seigneurs combattent à pied, l'épée à la main, contre ces bêtes furieuses. Je n'aurois jamais fait, si je voulois vous conter tout ce qui s'observe dans ces combats, qui ont bien des rapports avec ceux des anciens Maures et Grenadins. Les dames, dont les amans combattent, et qui sont présentes, doivent bien mal passer leur temps, pour peu qu'elles les aiment véritablement. Les seigneurs, qui doivent combattre, ont chacun cent hommes vêtus de leurs livrées. C'est une chose qui mériteroit de vous être contée plus en détail. Si j'étois roi d'Espagne, jamais on n'en reverroit.
Je crois vous avoir déjà parlé de la dévotion de ce pays. Nous avons été obligés, de peur d'y scandaliser séculiers et religieux, de manger de la viande le samedi. Nous ne mangeons point ce jour-là ce qu'on appelle petits pieds. C'est une médiocre mortification. Cela est partout, en Espagne.
Toutes les dames, généralement parlant, sont honnêtes et civiles, sur-tout celles qui ont un peu voyagé avec leurs maris.
Le roi d'Espagne hait parfaitement François et Françoises.
Il y a ici un François dont je vous ai parlé: c'est le comte de Charmy, qui mériteroit de vivre dans son pays, et de ne pas finir ses jours dans celui-ci. Nous le voyons peu; mais ce que j'en connois est d'un homme sage et de bon sens. Nous voyons encore moins le marquis de Flamarens. J'ai assez bonne opinion de lui pour croire qu'il s'ennuie beaucoup. Adieu, madame.
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LETTRE IX.
Madrid, 6 mars 1680.
Nous voici au mercredi des Cendres. Je n'ai rien à vous dire du carnaval. Comme le carême n'est point du tout ici un temps de pénitence, celui qui le précède ne se distingue par aucun plaisir; car jamais vous ne voudriez croire que c'en fût un que de jeter sur les passans beaucoup d'eau par la fenêtre. Pour ce qui se passe dans le palais, le roi, la reine et les dames se battent à coups d'œufs remplis d'eau de senteur, mais en si prodigieuse quantité, que l'on ne comprend pas où l'on peut en trouver tant. Ils sont tous argentés et peints. La reine m'en donna un panier dont je régalai ma fille. Voilà, madame, par où l'on marque à cette jeune princesse des jours qu'elle passoit autrement en France, et dont je tâche, autant que je le puis, de lui ôter le souvenir. En vérité, sa douceur, sa complaisance et toute sa conduite, sont des choses extraordinaires à dix-huit ans. Il entre de tout dans cette heureuse composition; et, pour ajouter encore à la gloire qu'elle peut tirer de tout ce qu'elle fait, c'est que d'abord qu'elle arriva, on lui donna les plus méchans conseils du monde. Elle le connoît bien présentement.
J'ai été assez souvent à la comédie espagnole avec elle: rien n'est si détestable. Je m'y amusois à voir les amans regarder leurs maîtresses, et leur parler de loin avec des signes qu'ils font de leurs doigts; pour moi je suis persuadée que c'est plutôt une marque de leur souvenir qu'un langage; car leurs doigts vont si vîte, que, si ces amans s'entendent, il faut que l'amour d'Espagne soit un excellent maître dans cet art. Je pense que c'est qu'il y voit plus clair qu'ailleurs, et qu'il ne se soucie guère de faire plus de chemin.
Il y a, depuis peu de jours, un premier ministre, qui est le grand duc de Medina Celi, le plus grand seigneur de cette cour; il n'a que quarante ou quarante-cinq ans. Voilà tout ce que vous saurez des affaires d'Etat. Je n'en sais guère davantage. On n'a point remédié à celle qui me tient assez au cœur, qui est ce rabais des monnoies. C'est une chose bien triste, madame, que le peu d'argent qui nous vient de France par cette diminution, et qu'il faille sur chaque pistole en perdre plus de la moitié. La pitié que j'ai de nous ne m'empêche pas d'en avoir pour ce pauvre peuple, qui paroît ne vivre que de ce qu'on appelle ici tomar el sol; tant il est maigre, abattu et misérable.
Il y eut dimanche, au Retiro, une comédie de machines, où les deux reines et le roi étoient. Il y falloit être à midi. L'on y mouroit de froid. Comme je me promenois dans les galeries de cette maison, qui sont très-agréables, habillée à ma commodité comme devant voir cette comédie derrière des jalousies, et ne songeant ni à roi, ni à reine, j'entendis notre jeune princesse qui m'appeloit fort haut par mon nom. J'entrai dans le lieu d'où me paroissoit venir sa voix, avec un air un peu composé: je la trouvai assise au milieu du roi et de la reine mère. Elle n'avoit consulté, en m'appelant, que son envie de me voir, et avoit tout-à-fait oublié la gravité espagnole. Elle de rire en me voyant. La reine mère me rassura; elle est toujours aise que la reine sa belle-fille se divertisse. Elle lui donna même occasion de me venir parler auprès d'une fenêtre; mais je m'en retirai bientôt. Elle me demanda si je n'avois point reçu de vos lettres.
Au reste, madame, toutes les ambassadrices meurent à Madrid; en voilà deux en six semaines, qui étoient plus jeunes que moi[15]. J'aimerois autant que la mort en eût pris de quelqu'autre état. On me dit qu'on ne peut résister aux chaleurs. Je me tranquillise un peu sur cela, quand je songe à mesdames de Schornberg et de la Fayette, qui cherchent et qui trouvent des airs tempérés dans leurs maisons de la ville, et dans celles qu'elles choisissent à la campagne. Elles sont toujours malades, sans que d'ailleurs la fortune les accable de ses revers; et moi, je me porte bien, sans faire aucun remède et sans les croire nécessaires. Mais cela ne peut pas durer. J'observe mon régime de chocolat, auquel seul je crois devoir ma santé. Je n'en use pas comme une folle et sans précaution. Mon tempérament ne paroît nullement se pouvoir accommoder de cette nourriture. Elle est pourtant admirable et délicieuse. J'en ai fait faire chez moi, qui ne peut jamais faire mal. Je songe souvent que, si je puis vous revoir, je veux vous en faire prendre méthodiquement, et vous faire avouer que rien n'est meilleur pour la santé. Voilà bien parler de chocolat. Songez que je suis en Espagne, et que c'est presque mon seul plaisir que d'en prendre.
La connétable Colonne, depuis la visite qu'elle nous fit, est toujours dans un couvent à cinq lieues d'ici. Son mari est à Madrid depuis deux jours. On dit qu'il lui permettra de revenir dans un autre couvent de cette ville, où elle aura beaucoup moins de liberté que dans celui d'où elle est sortie. Nous avons appris qu'elle fut toute prête le jour qu'on l'emmena de Madrid au lieu où elle est présentement, de s'en venir encore se fourrer chez nous dans ma chambre.
J'ai reçu par cet ordinaire une lettre de madame de Sévigné. Je ne saurois lui faire réponse aujourd'hui, quelqu'envie que j'en aie. J'ai fait lire à la reine l'endroit où madame de Sévigné parle d'elle et de ses jolis pieds, qui la faisoient si bien danser, et marcher de si bonne grâce. Cela lui a fait beaucoup de plaisir. Ensuite elle a pensé que ses jolis pieds, pour toute fonction, ne vont présentement qu'à faire quelques tours de chambre, et à huit heures et demie tous les soirs, à la conduire dans son lit. Elle m'a ordonné de vous faire à toutes deux bien des amitiés. Elle étoit hier belle comme un ange, accablée, sans se plaindre, d'une parure d'émeraudes et de diamans sur la tête, c'est-à-dire, mille poinçons; de furieux pendans d'oreilles; et devant elle et autour d'elle en écharpe, des bagues, des bracelets. Vous croyez que les émeraudes avec les cheveux bruns ne faisoient pas un bon effet; Détrompez-vous; son teint est un des plus beaux teints de brune qu'on puisse voir; sa gorge blanche et très-belle. Elle étoit un peu plus parée qu'à l'ordinaire. Elle me dit qu'elle avoit donné audience le matin au connétable Colonne, et qu'en le voyant et l'entendant parler, elle avoit été bien persuadée de la folie de sa femme. Il est fait à peindre: pour de bonne humeur, on n'en peut douter, si l'on en juge par l'air dont il laissoit vivre sa femme à Rome. La reine me demanda fort des nouvelles de madame de Grignan[16], et si elle ne reviendroit point cet hiver à Paris.
Si trois semaines après que vous aurez reçu cette lettre, vous envoyez un laquais au quartier de Richelieu, faites-le passer au couvent des Petits-Pères, et dites-lui de s'informer si deux de leurs religieux ne sont pas arrivés d'Espagne. Ces pères ont pour vous une petite boîte où il y a le plus petit présent du monde. Faites pourtant cas des tasses de boucaro. J'ai, en vérité, quelque sorte de honte, non du petit présent, mais de cette longue lettre. Il n'appartient pas à quelqu'un qui est à Madrid de tenter la patience d'une personne comme vous, dont les journées sont remplies d'occupations agréables ou soi-disantes.
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LETTRE X.
Madrid, 21 mars 1680.
Je veux vous parler d'une promenade où je fus hier, qui est la plus ordinaire, quand il fait chaud; et il en fait déjà beaucoup ici. C'est dans cette rivière si vantée du Mançanarès: au pied de la lettre, la poussière commence à y être si grande, qu'elle incommode déjà beaucoup. Il y a de petits filets d'eau par-ci, par-là, mais pas assez pour qu'on en puisse arroser des sables menus, qui s'élèvent sous les pieds des chevaux; en sorte que cette promenade n'est plus supportable. Ce n'est donc pas pour vous dire une mauvaise plaisanterie, mais une vérité assez extraordinaire. Je vous prie, madame, de conter cela, comme vous savez orner toutes les choses auxquelles vous voulez donner un air. Je vous expose seulement celle-ci, qu'on ne peut se promener dans une rivière, parce qu'il y a de la poudre. Mais ce n'est rien: il faut voir le grand et prodigieux pont qu'un roi d'Espagne a fait bâtir sur ce Mançanarès. Il est bien plus large et bien plus long que le Pont-Neuf de Paris: et l'on ne peut s'empêcher de savoir bon gré à celui qui conseilla à ce prince de vendre ce pont, ou d'acheter une rivière. Je pensois que je pourrois vous dire tout ceci en cinq ou six lignes; en voilà bien davantage.
Les femmes de la reine partirent d'ici le 14 de ce mois. Elles vinrent ce jour-là chez nous; elles y firent toutes leurs affaires, et après-dîner, M. de Villars et moi nous les menâmes dans mon carrosse hors la ville, prendre le leur. Elles avoient dit le soir à la reine qu'elles la reverroient le lendemain; mais elles firent prudemment de ne lui dire point adieu. Dès les sept heures, elle les demanda; elles n'y étoient plus. Elle pleura beaucoup: elle ordonna qu'on me vînt dire de l'aller trouver; mais je revins chez moi un peu tard. J'allai, sur les cinq heures du soir, au palais. Elle se levoit. Il est surprenant, en vérité, comme elle est embellie. Elle avoit ses cheveux sur le front, renoués en grosses boucles; des rubans couleur de rose à sa cornette et dessus sa tête, point barbouillée de rouge, comme il faut qu'elle le soit ordinairement; une gorge admirable. Elle mit une robe de chambre à la françoise, et passa le reste du jour avec cet habillement. Elle se considéra un peu de cette sorte dans un grand miroir. Cette vue la remit. Il paroissoit à ses yeux qu'elle avoit bien pleuré. Comme elle commençoit à me parler, le roi entra; et c'est ici une loi établie, que, quand sa majesté entre dans la chambre de la reine, toutes les dames qui s'y trouvent, en sortent aussitôt, si ce n'est la camarera mayor et deux ou trois autres qui sont domestiques. J'entendis qu'on demandoit des cartes, et je conjecturai par là que la reine s'alloit fort ennuyer au petit jeu que le roi aime, et où l'on peut perdre une pistole avec un malheur extraordinaire. La reine fait toujours comme si elle étoit ravie de cette occupation. Il lui est resté deux des femmes qu'elle a amenées, une de ses nourrices, qui est assez adroite, et une Provençale qui joue du clavecin. Le roi a une grande joie de voir diminuer le nombre des François; car il ne peut celer qu'il hait au dernier point notre nation. Pour vous expliquer un peu mieux le renvoi de ces femmes, c'est une grosse nourrice de la reine, et une fille nommée Martin, jolie, belle et sage. On ne les a pas chassées; mais on leur a rendu la vie du palais, assez insupportable, pour les obliger d'en sortir. Joignez à cela les marques que le roi leur donnoit de son aversion.
M. de Villars me prie de ne pas oublier de vous parler d'une parure qu'une des dames de la reine avoit, il y a deux jours; c'est ce qu'on appelle en France fille d'honneur. Elle en a dix. L'on en prend tous les jours quelque nouvelle. Celle dont je vous parle est la fille du duc d'Albe. Leurs habits sont des plus magnifiques; beaucoup de pierreries. Celle-ci servant la collation à la reine, comme les autres, reportoit un plat. Je lui vis un pistolet pendu au côté avec un gros nœud de ruban. Ne croyez pas que ce fut un bijou. Il auroit fort bien tué un homme: il étoit de plus de demi-pied de long, d'un acier bien poli et bien monté. Je ne voulus pas faire semblant, devant la reine, de le remarquer; peut-être ne fis-je pas ma cour à la fille, qui ne portoit pas cette arme pour la cacher, et pour n'en prétendre pas quelque louange.
Il y eut l'autre jour une procession dans ce qu'on appelle les cloîtres du palais. Je la vis par une petite fenêtre devant laquelle elle passoit. Le roi et la reine marchoient ensemble. Elle avoit une grande robe de cérémonie, des manches pendantes, une longue queue portée par la camarera mayor. Les filles ou dames d'honneur marchoient ensuite, parées avec des habits extraordinaires pour ces jours-là. La croix, le patriarche, les évêques, les prêtres et religieux marchent devant leurs majestés. Mais pour en revenir aux dames qui sont suivies de celle qui s'appelle la guarda mayor, leurs amans obtiennent ces jours-là ce qui s'appelle dar lugar[17], c'est-à-dire, qu'ils ont place et la liberté pendant cette procession d'entretenir leurs maîtresses. Les processions sont bien meilleures ici pour les amans que les comédies, où ils ne peuvent se parler que de loin avec les doigts. Voilà, madame, tout ce qu'on peut vous dire de cette cérémonie. Si la croix n'y étoit pas portée, je vous-dirois que c'est une des plus galantes fêtes que l'on voie en Espagne.
Je m'en vais finir cette lettre par quelque chose, qui vous paroîtra aussi extraordinaire que ce que je vous ait dit au commencement: c'est un secret que M. de Villars m'a confié. Le roi, les deux reines et le premier ministre n'ont point du tout de crédit. Ce secret est comme celui de la comédie. Je m'en suis un peu doutée par le peu de précaution que M. de Villars a pris en me le confiant.
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LETTRE XI.
Madrid, 16 avril 1680.
J'ai reçu deux de vos lettres par ce dernier ordinaire, comme je montois en carrosse pour aller à l'Escurial. Hélas! madame, quelle nouvelle m'avez-vous apprise que celle de la mort de M. de la Rochefoucauld[18]. Je n'ai pas le courage de vous parler de toutes les merveilles que je viens de voir. La tristesse de cette mort dont j'étois pénétrée, m'engagea à considérer plus long-temps que je ne l'aurois peut-être fait dans une autre situation d'esprit, ce magnifique Panthéon, et ces huit belles demeures, si l'on peut nommer de la sorte celles que les morts habitent, et où sont déjà quatre rois[19] et quatre reines. Tout de bon, madame, je ne saurois vous entretenir de rien aujourd'hui. Je vous embrasse de tout mon cœur; et c'est tout ce que je puis faire, affligée comme je le suis.
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LETTRE XII.
Madrid, 27 avril 1680.
Si j'avois été dimanche à une belle procession qui se fit encore, je vous en rendrois un léger compte; mais je ne jugeai pas raisonnable de passer de propos délibéré toute la matinée du dimanche des Rameaux sans prier Dieu. Je me contentai la veille de voir l'habit de la reine qu'elle me fit apporter. Il y en a toujours un exprès pour cette cérémonie, où il s'agit de marquer le deuil et la mortification. Le fond de cet habit est de satin noir tout brodé de jais blanc et d'acier, mais, sans nulle comparaison, mieux qu'on ne les emploie en France. C'est la seule broderie que j'aie vue dans sa perfection. La reine avoit beaucoup de pierreries, mais avec de petits morceaux de gaze plissés, attachés en quelques endroits sur le corps de jupe; l'on prétend marquer une grande modestie. Les dix filles d'honneur avaient des pointes de gaze blanche sur leurs têtes, et leurs amans à leurs côtés. Je ne vous dirai rien, de tout ce qui se passe les trois jours saints, mercredi, jeudi et vendredi. Toutes les femmes sont parées, et courent d'église en église toute la nuit, hors celles qui ont trouvé dans la première où elles ont été, ce qu'elles y cherchoient; car il y en a plusieurs, qui, de toute l'année, ne parlent à leurs amans que ces trois jours-là.
Je vous écris par un courrier que le roi a envoyé à M. de Villars. Vous aimeriez peut-être davantage cet ambassadeur, si vous saviez à quel point il sait bien se gouverner dans cette cour. Comme je suis toujours sur mes gardes pour ne rien écrire qui vise aux affaires d'état, je ne vous ai point informée de plusieurs choses qui se sont passées ici, quoique publiques; mais, en général, vous pouvez dire que M. de Villars a fait rétablir toutes choses comme le roi le désiroit. On lui a tendu mille panneaux depuis deux ou trois mois, pour lui donner dans son quartier, à Madrid, des sujets de batterie, et pour faire piller et brûler notre maison, en animant le peuple. Tout est à craindre, quand il arrive de semblables esclandres: il faut avoir une attention continuelle à les empêcher, et même, s'il se peut, à les prévoir, quoique cela soit quelquefois bien difficile. Le cardinal Bonzi, étant ici ambassadeur, y a passé. Quand ces désordres-là arrivent, les plaintes ne manquent pas d'être portées en France, et un pauvre ambassadeur est condamné, sans avoir pu dire ses raisons. Ils ont eu ici un tel dépit que Juvenozo, leur ambassadeur en France, n'ait pas reçu les traitemens qu'il vouloit, qu'ils auroient acheté bien cher quelques sujets d'attaquer la conduite de M. de Villars, sur le fait ou le caractère de l'ambassade. Personnellement on ne peut être plus aimé, ni plus estimé qu'il l'est. Ce roi a une haine effroyable contre les François; je ne cesse pas de vous l'écrire. La conduite de la reine est toujours très-bonne. Vous la louez du bon goût qu'elle a pour moi; mais savez vous à quelle sauce je me mets pour être trouvée de si bon goût? Adieu, ma chère madame; M. de Villars vous assure de mille véritables respects.
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LETTRE XIII.
Madrid, premier mai 1680.
Tout ce que je puis vous dire de la reine, c'est qu'elle continue à bien faire. Le roi fut mercredi à l'Escurial, et en revint vendredi. Il faut des airs ici: la reine eut tous ceux qui étoient nécessaires pour marquer une grande mélancolie de cette absence. Je ne serois pas bonne comédienne; mais je sais bien comme il faut louer, et donner des avis à propos, quand je me trouve dans l'occasion de le faire. Ils se sont envoyé, pendant cette courte absence, des présens riches et galans.
Je reviens du palais. C'est aujourd'hui la fête de Monsieur. La reine étoit belle comme le jour. Je ne sais pas comment elle peut être si belle à Madrid. Elle étoit extraordinairement parée de très-grosses perles, et de beaucoup de diamans. J'ai été quelque temps seule avec elle. Nous avons chanté quelques airs d'opéra: car il n'est pas question, dans nos conversations, de la gravité que comporteroit mon âge. En vérité, si je dressois bien mon intention, je ne crois pas que ce fût une œuvre très-bonne que de la divertir. La vie du palais de Madrid ne se peut guère comprendre. Le roi se trouva un peu mal hier: il se porte bien aujourd'hui. J'ai laissé toute la maison royale aller à la comédie; j'ai senti un grand plaisir de n'y point aller, et de revenir chez moi. Je ne vous dis point tout ce que M. de Villars voudroit que je vous fisse entendre de sa part. On ne peut vous honorer ni vous respecter plus qu'il fait, et ma fille aussi, qui aime M. de Coulanges de tout son cœur. Adieu, madame.
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LETTRE XIV.
Madrid, 26 mai 1680.
Vous dites, madame, que j'attire des louanges à la reine par le goût qu'elle paroît avoir pour moi, et le désir qu'elle fait voir que je sois presque toujours auprès d'elle. Elle en mérite, en vérité, d'autres, par la manière dont elle supporte cette vie affreuse du palais. Elle joue trois ou quatre heures par jour aux jonchets, qui est le jeu favori du roi, sans lui marquer de chagrin. Il lui fait souvent des présens qu'elle aime fort, et voilà par où il la console.
Le marquis de Grana et sa femme sont arrivés. On dit que cette femme parle cinq ou six sortes de langues; je serai bien simple auprès d'elle. Je ne sais si elle verra souvent la jeune reine. Si cela est, nous serons souvent ensemble; car il n'y a que les ambassadrices de France et d'Allemagne, qui entrent dans la chambre des reines. Toutes les autres femmes de ministres étrangers ne les voient que dans un lieu destiné pour les cérémonies. Avec cette prérogative, peut-on ne se pas trouver heureuse à Madrid?
M. de Villars vous assure de mille très-humbles respects, et ma fille aussi. Elle aime un peu mieux M. de Coulanges que vous. Elle porta hier à la reine la lettre et les chansons de M. de Coulanges. Elles les chantèrent long-temps. N'avez-vous pas reçu une petite boîte par des religieux?
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LETTRE XV.
Madrid, 28 mai 1680.
J'ai vu M. et madame de Grana; le mari me vint voir il y a deux ou trois jours; il fut toute l'après-dînée avec moi. Il parle mieux françois qu'un François même; il est de bonne conversation. Il s'ennuie à la mort à Madrid, quoiqu'il y ait demeuré long-temps, et qu'il y ait beaucoup de parens. Il est épouvanté du gouvernement, quoiqu'il n'en parle que comme en doit parler un ambassadeur de l'Empereur, à une Françoise. Il dit qu'il ne sera pas long-temps ici. Il me soutient qu'il n'y avoit qu'un ambassadeur de France qui pût présentement trouver quelque plaisir dans cette cour, en entendant parler du méchant état où on la voit. Pour moi, madame, vous croyez bien que je n'entre dans aucun de ces détails.
Je jouis du beau temps, qui est admirable présentement. Depuis un mois, il est tempéré. Nous ne voyons ni ne sentons de soleil que ce qu'il en faut pour réjouir. La reine m'ordonne, et, si je l'ose dire, me prie instamment de la voir souvent. L'ennui du palais est affreux, et je dis quelquefois à cette princesse, quand j'entre dans sa chambre, qu'il me semble qu'on le sent, qu'on le voit, qu'on le touche, tant il est répandu épais. Cependant je n'oublie rien pour faire en sorte de lui persuader qu'il faut s'y accoutumer, et tâcher de le moins sentir qu'elle pourra; car il n'est pas en mon pouvoir de la gâter, en la flattant de sottises et de chimères, dont beaucoup de gens ne sont que trop prodigues. On a cru deux mois qu'elle étoit grosse; c'est à elle à savoir s'il y en avoit sujet. On ne peut être moins propre à questionner que je le suis sur de pareils chapitres. De plus, vous savez que, quand elle est partie de Paris, je n'étois pas beaucoup dans sa confiance, ni connue et considérée au Palais-royal. Je ne m'entremets de rien ici: la reine a du plaisir à voir une Françoise, et à parler sa langue naturelle. Nous chantons ensemble des airs d'opéra. Je chante quelquefois un menuet qu'elle danse. Quand elle me parle de Fontainebleau, de St-Cloud, je change de discours; et il faut éviter de lui en écrire des relations. Quand elle sort, rien n'est si triste que ses promenades. Elle est avec le roi dans un carrosse fort rude, tous les rideaux tirés. Mais enfin ce sont des usages d'Espagne; et je lui dis souvent qu'elle n'a pas dû croire qu'on les changeroit pour elle, ni pour personne. Entre nous, ce que je ne comprends pas, c'est qu'on ne lui ait pas cherché par mer et par terre, et au poids de l'or, quelque femme d'esprit, de mérite et de prudence, pour servir à cette princesse de consolation et de conseil. Croyoit-on qu'elle n'en eût pas besoin en Espagne? Elle se conduit envers le roi avec douceur et complaisance. Pour des plaisirs, elle n'en voit aucun à espérer dans cette cour; mais comme je n'ai aucun personnage à faire auprès d'elle, et que je n'ai ni charge ni mission de m'en mêler, ni de pénétrer rien sur le présent, le passé et l'avenir, elle me fait beaucoup d'honneur de vouloir que je sois souvent auprès d'elle; mais, quand cela n'est pas, je ne meurs point d'ennui avec M. de Villars, avec qui j'aime bien autant m'aller promener. Si je vous disois la continuation, où, pour mieux dire, l'augmentation des misères de ce pays, cela vous feroit de la peine. Adieu, madame; je suis à vous de tout mon cœur.
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LETTRE XVI.
Madrid, 13 juin 1680.
Depuis ma dernière lettre, nous avons fait un petit voyage en la seule maison qu'ait le roi d'Espagne, quand il veut, pour quelque temps, quitter la demeure de Madrid. Elle s'appelle Aranjuez. Elle passe ici pour la merveille du monde. La situation pour les eaux est des plus belles; et, si M. le Nostre en trouvoit une pareille, ce qu'il y pourroit faire s'appelleroit en effet une merveille. Le jardin, qui est grand, est entouré de deux rivières dont l'une est le Tage, et l'autre le Guadaran. Voilà de grands noms; mais me voilà, pour toute ma vie, détrompée de ces noms fameux. N'avez-vous pas une haute idée de ce Tage? et le Mançanarès n'a-t-il pas quelquefois touché votre imagination, comme de quelque agréable rivière? Le Tage est plus grand; mais, en revanche, son eau n'est point claire. Il faut pourtant dire la vérité; ce jardin, pour l'Espagne, est agréable, par la quantité de fontaines et d'arbres qui y sont; car rien n'est si rare en ce pays que les bois, par la sécheresse du climat. Je n'ai rien trouvé à redire au peu de largeur des allées. C'est Philippe II qui les a fait planter; et peut-être que, de son temps, il falloit qu'elles fussent ainsi pour être parfaites. La maison serait assez belle, si elle étoit achevée; mais il s'en faut plus de la moitié, quoique le dessin ne soit pas grand. Il y a sept ou huit lieues d'Aranjuez à Madrid. Nous y allâmes le vendredi, et nous en revînmes le lundi: j'allai le lendemain, voir la reine: je lui en dis des merveilles, et je la suppliai de le dire au roi qui entra. Elle fit fort bien son devoir: je lui avois conseillé de marquer quelque impatience que sa majesté la menât voir ce beau lieu. Elle n'eut pas de peine à lui persuader que j'en étois charmée; car il le croit au-dessus de tout ce qu'il y a au monde. Cette demeure, qui semble n'être propre que pour le temps des chaleurs, est mortelle en été; et le gouverneur a permission de n'y être jamais en cette saison. Pour toutes bêtes rares, il y a une infinité d'horribles chameaux: d'en voir un seul, comme on en voit quelquefois à Paris, ne fait pas un effet désagréable, comme lorsqu'on en voit beaucoup ensemble. Tout ce qu'on voit là ne fait point du tout souvenir de la ménagerie de Versailles. Il n'y a même point de ménagerie; car ces vilains animaux paissent dans les champs comme des troupeaux de bœufs et de vaches; et l'on s'en sert pour porter des pierres ou de la terre, quand on bâtit. Me voilà donc revenue de cette maison royale, dont je ne vous parlerai plus.
Les Espagnols nous disent incessamment que nous aurons bientôt la guerre: les pauvres gens en ont grand'peur. Pour moi, j'aime bien mieux l'ennui de Madrid, que d'en partir pour une telle raison, et je leur réponds toujours que je n'en crois rien. Ce bruit est plus grand au palais qu'ailleurs; et la reine, comme vous pouvez penser, en est bien alarmée. Elle continue de se bien porter. C'est un heureux tempérament pour la santé; et je ne sais pas ce qui se passe dans son esprit et dans sa tête, pour la soutenir si bien; car pour son cœur, je crois qu'il ne s'y passe rien. Quand je suis un peu de temps sans la voir, elle ne le trouve point bon. Nous chantons comme des cigales. Elle lit des opéras; elle joue à merveille du clavecin, assez bien de la guitare; en moins de rien, elle a appris à jouer de la harpe. Elle ne prend pas beaucoup de consolation dans les livres de dévotion. Cela n'est point extraordinaire à son âge. Je dis souvent que je voudrois bien qu'elle fût grosse, et qu'elle eût un enfant.
Je n'ai point vu le marquis de Grana depuis que je vous ai écrit. Je serois fort aise que nous nous vissions, mais la politique qu'il croit devoir garder en cette cour, le retient peut-être et sa femme aussi, qui, par politique de son côté, s'habille à l'espagnole. On l'en devroit récompenser, car elle est bien mieux autrement.
Il y aura lundi une fête de taureaux. On s'y attend à beaucoup de plaisir, parce qu'on n'a jamais vu de taureaux si furieux. L'abbé de Villars vous entretiendra, si vous voulez, sur ce sujet. Il est charmé de celle qu'il a vue; mais, quoi qu'il vous en puisse dire, croyez-moi, c'est une épouvantable beauté. Il y aura une autre fête le 31 de ce mois, dont je vous ferai écrire une ample relation. Vous la trouverez bien extraordinaire. Elle ne se fait que de cinquante en cinquante ans. On y brûle beaucoup de Juifs; et il y a d'autres supplices pour des hérétiques et des athées. Ce sont des choses horribles.
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LETTRE XVII.
Madrid, 25 juillet 1680.
Je n'ai pas eu le courage d'assister à cette horrible exécution des Juifs. Ce fut un affreux spectacle, selon ce que j'en ai entendu dire; mais, pour la semaine du jugement, il fallut bien y être, à moins de bonnes attestations de médecins d'être à l'extrémité; car autrement on eût passé pour hérétique. On trouve même très-mauvais que je ne parusse pas me divertir tout-à-fait de ce qui s'y passoit. Mais ce qu'on a vu exercer de cruautés à la mort de ces misérables, c'est ce qu'on ne vous peut décrire.
Le marquis de Grana fit lundi son entrée. Les Espagnols s'attendoient à voir plus de magnificence. Pour moi, je trouve qu'il a bien fait de n'en pas faire davantage. C'est un très-galant homme, et qui fait toute la dépense qu'il peut. Il est effrayé de tout l'argent qu'il faut ici. Il en touche cependant beaucoup. Il a quinze cents pistoles de pension, payées par le roi d'Espagne, double franchise, et sa maison payée, sans les appointemens que lui donne l'Empereur, son maître. Il a pour le nôtre une grande estime et un grand respect; mais il mêle parmi cela certaines choses dans ses conversations avec les gens de cette cour sur les conquêtes du roi, qui marquent assez de vivacité. Je vois souvent sa femme au palais; elle a bien de l'esprit. J'irois bien plus souvent chez elle, les voir l'un et l'autre, si je ne craignois de leur faire de la peine, par les airs qu'il faut qu'ils observent ici. Le marquis de Grana est un des plus gros hommes que l'on voie, mais de très-bonne mine. Notre jeune reine, pour être heureuse, auroit grand besoin d'avoir du goût pour la solitude dans son triste palais, où elle veut que j'aille souvent griller de chaud avec elle. Il est violent le chaud qu'il fait ici. Il est vrai que, chez nous, nous n'en souffrons pas beaucoup. Nous sommes dans un appartement bas, délicieux pour cette saison. La reine a été ces jours passés deux fois incognito avec le roi, se promener à dix heures du soir dans cette rivière poudreuse. Elle me le fit savoir, afin que nous nous y trouvassions, et me donna un signe pour reconnoître son carrosse, et moi un pour reconnoître le mien. Si vous saviez ce que c'est que ce plaisir! On croit pourtant que la reine en doit de reste. Adieu, ma chère madame, c'en est un bien sensible pour moi de croire, comme je fais, que vous m'aimez véritablement. Si M. de Coulanges, selon les souhaits de M. de Schomberg, et par les pas qu'il a faits à Fontainebleau, eût été envoyé ambassadeur en Portugal, nous l'aurions gardé à son passage par Madrid, tout autant qu'il nous auroit été possible.
Si vous n'avez encore ni donné ni rompu ces petits boucaro, que je vous ai envoyés, dont le dedans étoit blanc, conservez-les; car ce blanc est une composition de bézoard.
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LETTRE XVIII.
Madrid, 28 août 1680.
Je vous adresse cette lettre à Paris, quoique, par votre dernière, vous m'ayez mandé que, dans trois jours, vous partiez pour Lyon. Il me revient par vous et par tout le monde, à quel point vous faites valoir mes lettres; et, comme je ne suis pas persuadée de leur mérite, j'ai été jusqu'à présent tout étonnée du cas qu'on en faisoit. Mais je crois en avoir découvert la raison; c'est que vous ne les donnez pas à lire, et que vous les lisez vous-même; comme cela ne vous coûte guère, vous y mettez tout ce qui leur manque pour les rendre agréables, et pour leur attirer des louanges. Je vous prie, ma chère madame, de m'avouer la vérité là-dessus, sans consulter votre modestie. Je lirai avec plus d'attention et de sensibilité tout ce que vous m'écrirez de Lyon, que tout ce que vous m'écrivez de Paris, parce que vous me parlerez plus de vous et de tout ce qui vous touche; car je prétends que vous n'omettiez rien de tout ce que vous ferez; je voudrois bien aussi tout ce que vous penserez. Pour moi, madame, si je voulois ne vous parler que de ce qui m'occupe le plus ici présentement, ce seroit de la cruelle canicule qu'on y souffre. Car la peste et la famine, que nous avons déjà vues deux fois, et la guerre qu'on croit fort proche, ne me paroissent pas encore si insupportables que l'horrible chaleur qu'il fait. Encore le jour se sauve-t-on assez, en se tenant dans un appartement bas; mais la nuit on n'y peut coucher, à cause des moucherons qui dévorent les pauvres personnes.
C'est vous, madame, qui pensez et qui écrivez mieux que personne du monde. Hélas! nous ne savons à qui en parler ici. Nous lisons vos lettres, M. de Villars, ma fille et moi, avec un grand goût et un grand plaisir. Elles m'en causent bien plus d'un, par ne me point laisser douter que vous ne m'aimiez; et, quoique ce plaisir réveille l'ennui que l'on souffre de ne point voir ce que l'on aime, et de qui l'on est aimé, cette peine est bien douce, comparée à la moindre diminution de votre amitié pour moi. Il y a quatre ou cinq endroits dans votre dernière lettre, d'une vivacité et d'une imagination bien ignorées jusqu'à vous, madame, et qu'on n'imitera jamais. Je ne pense pas même qu'on puisse faire aller son ambition jusqu'à espérer d'en devenir une méchante copie.
Puisque nous sommes sur les copies; voulez-vous bien que je vous fasse souvenir que vous m'avez parlé de votre portrait? Je n'aurois osé vous le demander, quelqu'envie que j'en eusse, si vous ne m'en aviez parlé la première.
J'aime notre jeune reine du plaisir qu'elle me paroît avoir, quand je lui nomme votre nom, et que je lui dis que vous vous souvenez d'elle. Elle m'a chargée de beaucoup d'amitiés pour vous. Je ne saurois vous rien dire qui puisse vous instruire sur tout ce qui la regarde. Nous en parlerons un jour, si nous nous revoyons. Elle est grasse, belle, buvant, mangeant, dormant, riant très-souvent, dansant de tout son cœur, quand nous sommes seules; moi chantant le menuet et le passe-pied. Contentez-vous de cela.
Vous n'avez pas trouvé que le marquis de la Fuente fît souvenir de M. de Villars. S'il n'y a point de guerre, sa femme partira au mois de septembre pour l'aller trouver. C'est une des plus raisonnables femmes d'ici: je vous prie de me mander tout ce que vous savez touchant la guerre.
Vous me dites, et cela est vrai, que l'on seroit bien heureux, si les lieux d'ennui pouvoient inspirer de solides et sérieuses réflexions pour le salut, nous détacher des choses de ce monde, qui se détachent tous les jours de nous: la santé, la jeunesse, la beauté, les amis.
Il passera dans peu un étranger[20] à Lyon, qui vous remettra un très-petit présent de ma part. J'aime à vous marquer le plus souvent que je puis que je songe à vous, par ces légères bagatelles. M. de Villars en a honte; car il vous croit digne qu'on ne vous présente que des couronnes. Quand vous en auriez, il ne pourroit pas vous honorer, ni vous respecter au-delà de ce qu'il fait. Adieu, madame.
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LETTRE XIX.
Madrid, 15 août 1680.
J'ai une véritable impatience d'avoir de vos nouvelles; j'en ai beaucoup aussi d'en apprendre de Paris, puisqu'on y parle sans cesse de guerre, sans que je comprenne encore qui commencera à la déclarer. Les Espagnols ne sont pas en état de la soutenir. Leur misère passe tout ce qu'on en peut imaginer. Il est vrai qu'ils espèrent, ou, pour mieux dire, qu'ils croient sûrement que l'Empereur, l'Angleterre et la Hollande se joindront à eux. Le prince de Parme doit partir aujourd'hui pour aller commander en Flandre. On dit ici qu'ils n'ont pas voulu qu'elle s'achevât de perdre, sans un Espagnol naturel. Notre marquis de Grana a le cœur bien envenimé contre la France; et, s'il étoit secondé par tout ce qu'il voudroit bien mettre contre nous, il tailleroit ce qu'il appelle de la besogne. Il est galant homme, il a de l'esprit; mais, dans ses manières de parler, on le prendroit pour être né sur les bords de la Garonne.
Nous avons été ici en véritable péril de mourir des excessives chaleurs. La beauté et la fraîcheur de la reine n'en ont point souffert. Elle m'a promis de me donner un petit coffre pour vous. Dès que je l'aurai, je chercherai une voie pour vous le faire tenir. Elle me paroît fort souhaiter votre amitié; je l'assure aussi qu'elle a raison de la souhaiter.
Je voudrois que l'on crût un peu moins aux horoscopes; je ne me reprocherai jamais d'avoir eu, sur ce sujet, de pernicieuse complaisance, et de n'avoir pas fait mon possible pour désabuser des faussetés qui s'y trouvent.
Il y a, dans la boîte que vous recevrez par le marquis de Ligneville, deux paires de bas de soie, des pastilles d'ambre dans une bourse, et un œuf d'aventurine avec des pastilles dedans, dont je crois que le goût ne vous déplaira pas. Je vous fais ce détail de peu d'importance, afin que vous vous aperceviez si l'on en prenoit quelque chose.
La connétable Colonne est dans la maison de son mari, assez inquiète de ce qu'elle deviendra, car elle n'est nullement résolue de s'en retourner en Italie avec lui. Elle voudroit bien pouvoir rentrer en ce temps-là dans un couvent à Madrid; bien entendu d'en sortir peu après, et de s'en aller, tant que terre la pourra porter, en Flandre, en Angleterre, en Allemagne; car, pour en France, elle a peur qu'on ne l'y veuille pas souffrir. Vraiment c'est un original qu'on ne peut assez admirer, à le voir de près, comme je le vois. Elle a ici un amant; elle me veut faire avouer qu'il est agréable, qu'il a quelque chose de fin et de fripon dans les yeux. Il est horrible; mais ce n'est pas ce qui devroit diminuer son inclination et la rebuter, au prix d'une autre petite chose qui ne vaut pas la peine d'en parler; c'est que cet amant ne l'aime point du tout, à ce qu'elle m'a dit. Elle se trouve heureuse cependant qu'il soit comme cela; parce que, s'il répondoit un peu à ses sentimens, les choses feroient encore plus d'éclat. Elle ne déplaît point; elle s'habille à l'espagnole, d'un air beaucoup plus agréable que ne font toutes les autres femmes de cette cour. Elle a trois grands fils mal élevés; l'aîné va épouser une des filles du duc de Medina Celi, premier ministre; mais vous ne vous souciez guère de tout cela.
Il est fort question ici que, dans peu, la duchesse de Terranova quittera sa place de camarera mayor qui sera, à ce qu'on dit, donnée à la duchesse d'Albuquerque. C'est une joie dans cette cour; car cette première n'y est pas aimée. Pour moi, il ne m'importe, pourvu que la reine s'en trouve bien. Adieu, ma très-chère madame; dites-vous souvent que je vous aime de tout mon cœur.
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LETTRE XX.
Madrid, 29 août 1680.
Je ne reçois point de lettres, madame; je n'ai point de vos nouvelles, et j'en voudrois savoir préférablement à toutes celles qu'on me peut mander de Paris. Comment vous portez-vous? Que faites-vous du matin jusqu'au soir? Combien serez-vous à Lyon? Après cela, je vais vous dire des miennes, qui ne sont pas des plus agréables. La misère augmente ici tous les jours, et les monnoies n'y sont point rehaussées. De douze mille écus que le roi donne à M. de Villars, ce n'est à Madrid qu'environ cinq mille cinq cents écus. Notre maison nous coûte neuf mille fr. de loyer. Voyez ce qui reste pour toutes sortes d'autres dépenses. M. de Villars veut donc me renvoyer pour se loger moins chèrement, et ne garder que très-peu de gens après mon départ. C'est une chose fort triste pour moi que cette séparation, attachée comme je le suis à M. de Villars, et fort triste aussi par ne trouver d'autre moyen de soulager sa dépense. J'ai été quelque temps sans dire ce projet à la reine, et quand je le lui ai appris, elle n'a pu le croire, ni s'y résoudre. Il y a plus d'honneur que de vanité à se persuader que cette pauvre princesse me regretteroit en demeurant en Espagne dans son triste palais, et ses tristes petites occupations. On lui a changé de camarera mayor: c'est, depuis deux jours, que la duchesse d'Albuquerque remplit cette place. La reine s'en accommodera mieux que de celle qu'elle avoit. Quel pays, madame, que celui-ci! Il faut bien aimer M. de Villars, pour sentir de la peine à le quitter; mais, à force aussi qu'on s'y ennuie, je désire qu'il n'y soit pas sans moi, puisqu'il n'y peut trouver mieux. Je sens une grande consolation d'avoir passé cette horrible canicule, dont je vous ai parlé, sans y avoir succombé. Il est mort ici une infinité de gens, et j'avois beaucoup de peur pour notre maison. Mais, ma chère madame, quand aurai-je de vos nouvelles? Vous aurez, par un homme qui partira bientôt, ce petit coffre de la reine, plein de pastilles à manger.
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LETTRE XXI.
Madrid, 5 septembre 1680.
Je vous ai mandé par ma dernière lettre la destitution de la duchesse de Terranova; qu'on avoit mis à sa place la duchesse d'Albuquerque; et que je ne pouvois être ni aise ni fâchée de ce changement, que selon que la reine s'en trouveroit bien ou mal. Quoique madame de Terranova ait une grande aversion pour la France et pour les François, elle m'a toujours traitée fort honnêtement. On croit que la reine n'aura pas sujet de se repentir de ce changement. L'air du palais est déjà tout autre, et le roi aussi. Sa majesté a permis à la reine de ne se coucher plus qu'à dix heures et demie, et de monter à cheval quand elle voudra, quoique cela soit entièrement contre l'usage. Il lui a accordé encore une chose qui lui a donné une grande joie. Il y a trois ou quatre jours que me voyant entrer dans sa chambre, elle vint au-devant de moi avec un air de gaîté extraordinaire, et me dit: Ne direz-vous pas oui à ce que je vais vous demander? C'étoit que le roi vouloit bien que ma fille eût l'honneur d'être une de ses dames. Elle en étoit transportée. Vous jugez bien avec quel respect et quel plaisir je reçus ce qu'elle me disoit; mais elle fut un peu mortifiée quand je lui répondis que je croyois qu'il falloit, avant que d'accepter cet honneur, que M. de Villars en eût la permission du roi, notre maître. Ma fille ne s'en sent pas de joie. A son âge, combien ne se figure-t-on point de plaisirs dont, selon les apparences, elle ne jouiroit pas long-temps? Elle auroit d'illustres compagnes; car ce ne sont que des filles des maisons de Portugal, Aragon, Mauriquès, Castille; enfin tout ce qu'il y a de plus grand dans le royaume. Elles ont beaucoup de petites fonctions. La plupart n'omettent rien de celles qui regardent la galanterie.
L'on ne parle plus de guerre ici. Ce n'est pas ce qui me rassureroit.
Adieu, madame; je vous quitte pour m'aller parer. La reine vient de me mander que c'est aujourd'hui le jour de la naissance de notre roi, et que je ne manque pas d'aller au palais avec tout ce que j'ai de diamans. Si j'avois pu ce matin être à sa toilette, je lui aurois conseillé de n'affecter pas trop de magnificence ce jour-ci; car elle ne fera plaisir à personne; et je suis assurée que le roi, son oncle, l'en dispenseroit volontiers.
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LETTRE XXII.
Madrid, 12 septembre 1680.
J'ai enfin reçu deux de vos paquets de Lyon, madame, et j'ai fort peu de temps à y répondre, parce que le courrier part ce soir. J'étois affligée de ne point recevoir de vos nouvelles; mais je ne l'étois point de l'appréhension que vous m'eussiez oubliée. Vous me parlez de la peste, et de la peine où vous en êtes pour moi. Elle ne m'a point approchée, Dieu merci, et il faut espérer qu'elle laissera Madrid hors d'intrigue. Vous me parlez encore d'une autre peste, qui est la continuation de la misère où l'on est ici. Elle augmente toujours, et les monnoies ne haussent point. Je ne vous ai que trop entretenue de tout cela; je ne veux point que vous y fassiez de réflexion. Vous êtes vive, et vous m'aimez. Pensez une fois, et puis n'y pensez plus, que les douze mille écus qu'on a d'appointemens, ne font ici que cinq mille cinq cents écus, et que nous payons neuf mille francs de loyer de notre maison. Je vous ai déjà mandé que M. de Villars, ne pouvant plus subsister, prenoit la résolution de me faire partir d'ici le mois prochain. Le marquis de Grana, qui est riche par lui-même, par ce que son maître lui donne, et par les pensions qu'il tire de cette cour, dit bien aussi qu'il n'y peut pas subsister. Qu'il est gascon, cet Allemand! un peu hargneux sur les affaires de France, et sur tout ce que projette et exécute le roi, notre maître.
Mais votre portrait, que vous me faites espérer, il faut le confier à mes enfans qui seront à Paris avant la fin de ce mois. En vérité, je ne puis vous dire le plaisir que vous me faites. Je ne croyois plus être aussi sensible que je trouve que je le suis sur cette sorte de joie. Mes enfans vous auront vue à Lyon. Qu'ils auront été aises, s'ils tiennent de leur mère!
On se trouve toujours bien du changement de la camarera mayor. L'air du palais en est tout différent. Nous regardons présentement la reine et moi, tant que nous voulons, par une fenêtre qui n'a de vue que sur un grand jardin d'un couvent de religieuses qu'on appelle l'Incarnation, et qui est attaché au palais. Vous aurez peine à imaginer qu'une jeune princesse, née en France, et élevée au Palais-royal, puisse compter cela pour un plaisir; je fais ce que je puis pour le lui faire valoir plus que je ne le compte moi-même. Il y a neuf jours qu'on soupçonnoit encore qu'elle étoit grosse. Pour moi, je ne le soupçonne pas. Le roi l'aime passionnément à sa mode, et elle aime le roi à la sienne. Elle est belle comme le jour, grasse, fraîche; elle dort, elle mange, elle rit; il faut finir là; et, avec tout l'esprit que vous avez, je vous défie de deviner tout ce que j'aurois à vous dire ensuite de tout cela.
Adieu, ma chère madame; je voudrois bien écrire encore, si j'en avois le temps; mandez-moi ce que vous saurez de la paix et de la guerre.
Vous recevrez un petit paquet que je ne vous envoie, que parce qu'il ne vous coûtera rien de port; car, pour peu que vous en payassiez, ce seroit plus qu'il ne vaut: c'est pourtant la reine d'Espagne qui vous l'envoie.
Je rends mille grâces à M. de Coulanges, de sa prose et de ses vers. La marquise d'Uxelles m'avoit envoyé ceux qu'il avoit faits pour elle, en passant à Châlons-sur-Saône.
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LETTRE XXIII.
Madrid, 26 septembre 1680.
Je reçois présentement vos lettres. Je dirai aujourd'hui à la reine tout ce que vous m'écrivez d'honnête et d'obligeant pour elle. Que dix-huit ans et une heureuse disposition à croire tout ce qu'on souhaite, sont choses agréables, et conservent bien la santé et la beauté! Pour moi, je lui dis tous les jours que, par malheur, j'ai toute ma vie été opposée à cette heureuse situation.
Celle de la pauvre connétable Colonne est à présent bien détestable. Il y a plus de deux mois que je lui ai prédit ce qui arriveroit. Mais, sans nulle réflexion, elle vivoit au jour la journée, comptant qu'on la laisseroit jouir de la liberté de sortir de sa maison, de faire des visites, et qu'on ne parleroit de rien qu'après les noces de son fils aîné. Il y a douze ou quinze jours qu'on lui vint signifier, de la part du roi, qu'il ne se mêloit plus de ses affaires, et qu'elle songeât à obéir à son mari, qui vouloit la mener ou l'envoyer en Italie. Le lendemain, elle eut une défense de ne plus sortir de chez elle; le jour d'après, de ne plus voir personne; et, à tout moment, elle est dans les horreurs qu'on ne l'entraîne avec violence, et qu'on ne la mette dans une litière pour la mener où il plaira à son mari. Je ne veux pas justifier sa conduite passée, mais il faut convenir, en s'en souvenant, qu'elle a bien sujet de ne vouloir pas se confier à un mari italien. Elle fait ce qu'elle peut pour obtenir qu'on l'enferme ici dans le plus austère couvent qu'il y ait. Je ne sais pas ce qu'on lui accordera: elle n'a contre elle que le roi, le premier ministre, son mari, toute la famille Balbasès. Elle me fait beaucoup de pitié.
Si j'en juge par les amples relations de Madame[21] à la reine d'Espagne, jamais les plaisirs n'ont été pareils à ceux dont on jouit à Versailles.
M. de Villars dit toujours qu'il veut me renvoyer, à cause que la misère augmente à Madrid, et que, sans moi, il fera beaucoup moins de dépense. Je ferai tout ce qu'il voudra, quoiqu'avec peine, si je le laisse dans un lieu aussi triste, et dans un état aussi chagrinant que le sien. Jusqu'ici, on ne nous a point encore ôté le bien de la santé; mais ce bien est fragile et très-sujet à ne point durer, sur-tout quand on n'est plus jeune[22]. Adieu, madame; tels que nous sommes, c'est entièrement à vous.
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LETTRE XXIV.
Madrid, 10 octobre 1680.
Permettez-moi, madame, de vous parler, avant toute chose, d'une petite bagatelle qui arriva hier à sept heures du matin. Ce n'est qu'un violent tremblement de terre qui dura la longueur d'un miserere. M. de Villars dans son lit et moi dans le mien, le sentîmes remuer. Il se leva, s'imaginant qu'à cause des horribles pluies, les fondemens de la maison s'écrouloient. Pour moi, je m'écriai, assez effrayée, que c'étoit la terre qui trembloit. Il vint trois secousses qui donnèrent un mouvement à toute la maison, comme pourroit être celui d'un arbre agité du vent. Les prêtres dans les églises où ils disoient la messe, eurent de la peine à empêcher que le calice ne fût renversé. La plupart des hommes et des femmes couroient en chemise dans les places et dans les rues, sans savoir où se cacher, pour éviter l'accablement dont ils se croyoient menacés par la ruine des maisons. Je n'avois pas imaginé qu'à tous les désagrémens d'Espagne, il se fût joint celui de s'y voir englouti dans la terre, qui s'est ouverte en quelques endroits, ou écrasé sous les ruines des maisons; car jamais on n'a vu ici de ces tremblemens. Hier, à tout moment, je croyois que cela alloit recommencer. Comme les pluies recommencent, il se pourra bien faire qu'il reviendra encore quelque tremblement. Je souhaite avoir cette singularité par-dessus vous, et que vous n'éprouviez de votre vie ce qu'on pense en pareille occasion. Je ne sais point encore si le tremblement de terre aura été jusqu'à l'Escurial, où cette cour est depuis lundi dernier. Je fus, dimanche au soir assez tard, avec la reine, qui n'avoit pas beaucoup d'envie d'aller en ce lieu, dont les plus grandes beautés sont les magnifiques places qu'on a fabriquées pour mettre les corps des rois et des reines après leur mort. Elle n'a pas laissé de marquer de la joie d'y aller, pour faire voir sa complaisance pour les volontés du roi. Elle m'écrivit, le lendemain, qu'elle n'avoit pas trouvé tout ce que je lui avois dit de cette maison; car il est vrai que je lui en avois parlé à lui donner de l'envie d'y aller. Je ne vous dis point tout ce qu'elle m'a dit, ni tout ce qu'elle m'a écrit sur la peur qu'elle a que je ne m'en aille. Elle ne le peut croire par cette heureuse facilité qu'elle a à se persuader tout ce qui lui peut ôter du chagrin. Elle me fit savoir, avant que de partir pour l'Escurial, que, sans m'en parler, elle avoit écrit d'une sorte à Monsieur sur mon sujet, qu'elle ne pouvoit pas croire qu'il n'eût assez de crédit pour obtenir qu'on m'accordât de ne point m'en aller, et qu'elle avoit représenté les raisons et les véritables besoins qu'elle croit avoir que je ne parte pas d'ici. Je l'ai suppliée de se préparer au peu d'effet qu'aura sa lettre; et j'ai ajouté que, si elle m'avoit fait l'honneur de m'en demander mon avis, je lui aurois dit de marquer simplement le bonheur que j'avois de lui plaire, et de n'insister point sur autre chose. Quoi qu'il arrive de cette lettre, je lui en aurai autant d'obligation que si le succès en étoit heureux; mais je ne m'y attends pas.
Je ne puis finir celle-ci, sans vous parler de quelle manière cette cour se prépare pour les voyages, qui ne sont jamais qu'à l'Escurial ou Aranjuez. Il en coûte au roi des sommes immenses; il n'y a pourtant que sept lieues; mais les voleries, sur cela, vont toujours leur chemin. Il y a, pour le moins, ce jour-là, cent cinquante femmes du palais, soit segnoras de honor, ou dames qui sont comme les filles d'honneur en France, ou camaristes ou leurs criadas, ou servantes. Pour les segnoras, ce sont de vieilles veuves, toujours habillées et coiffées de la même sorte; les dames sont en leur plus beaux habits, avec des chapeaux et des plumes, assez galamment mises, et sur leurs épaules ce qu'elles appellent mantilles: ce n'est ni manteau, ni écharpe; cela est de velours en broderie d'or et d'argent; les unes les ont vertes, les autres incarnates. Elles les portent d'un air particulier, un bout qui passe sous le bras, et l'autre sur l'épaule, en sorte qu'elles ont un bras dégagé. Voilà ce qu'elles ont de meilleure grâce. Tous les galans les voient monter en carrosse, et font leur chemin en galopant après elles. Plusieurs de ces messieurs, sur de beaux chevaux, suivent incognito, avec des bonnets qui s'abattent, et qui leur cachent le visage. Ils ne sont pas, pour cela, inconnus à leurs dames. La reine avoit, le jour qu'elle fut à l'Escurial, un chapeau avec des plumes jaunes et noires; mais, pour, ces mantilles, il est écrit qu'il faut que les reines n'en portent point, en dussent-elles mourir de froid. Je ne pourrai vous faire comprendre comme cette princesse est embellie, crue et engraissée; un teint admirable; elle s'aime aussi passionnément. L'ordre de ce voyage de l'Escurial est que la cour y séjourne jusqu'à la Toussaint. Le lendemain, leurs majestés font prier Dieu solemnellement pour tous les rois et reines, qui sont là devant leurs yeux; et, le jour d'après, ils reviennent à Madrid avec le même équipage qu'ils en sont partis. Mais, si j'étois à leur place, je n'y reviendrois pas, et j'établirois ma cour en un autre lieu, où la terre ne trembleroit point.
Si le courrier n'alloit partir, je crois que je vous écrirois jusqu'à demain. Quel signe est-ce, madame? car je n'aime point du tout à écrire.
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LETTRE XXV.
Madrid, 31 octobre 1680.
J'attends la reine à son retour de l'Escurial, pour lui faire voir tout ce que vous me dites d'elle dans votre lettre. Elle a été deux jours malade. J'y envoyai aussitôt, pour m'offrir de l'aller servir. Ce n'étoit rien, et j'en fus doublement aise; car nous avons souhaité, M. de Villars et moi, qu'elle fût un peu sous sa propre conduite, et que l'on vît que je ne suis pas bien empressée de la cour. On dit qu'il s'est passé plusieurs petites affaires; si j'avois été là, nous n'aurions pas été d'accord; car je l'aurois suppliée de n'abuser pas de la permission qu'on lui donnoit de monter à cheval, et de ne s'en servir que rarement. Elle m'a souvent honorée de ses lettres. Elle est toujours persuadée qu'il est impossible que je m'en aille. Cependant, si M. de Villars avoit eu de l'argent pour me faire partir, je crois que je serois déjà bien loin. Je pense vous avoir écrit que ma fille ne seroit point dame de la jeune reine. On dit que c'est une loi indispensable qu'il faut demeurer dans le palais; qu'il est de toute nécessité d'y faire de la dépense, et que dix mille francs ne suffiroient pas: au moins quatre ou cinq femmes pour servir; un ordinaire, des meubles, des habits, et, au bout de tout de cela, entre vous et moi, une vie fort ennuyeuse, et qui ne promet pas une fortune assurée. Je ne puis, ma chère dame, vous en dire davantage; il le faudroit pourtant, si je voulois vous faire comprendre mille choses que, malgré tout l'esprit que vous avez, vous ne pouvez pénétrer de si loin. Je vous prie encore que vous ne vous amusiez point, s'il se peut, à faire des réflexions sur notre malheureux état, état dont, par discrétion, je vous cache plus de la centième partie du désagrément. Pour m'en remettre, j'use du charmant remède de songer que je ne suis rien moins que jeune, que la mort approche, et qu'il est meilleur qu'elle nous trouve dénués de tout ce qui compose les plaisirs de la vie. Pour vous, madame[23], qui la pouvez envisager d'une plus longue durée, vous avez de quoi être plus vive et plus sensible aux injustices de la fortune. Je ne vous dis point tous les souhaits que je fais pour qu'elle puisse changer, et à quel point, si on le mérite, je vous crois digne d'être heureuse; mais, madame, quel trésor, si nous pouvions découvrir et mettre en usage le secret d'être véritablement dévotes, et de nous en servir pour l'autre vie! Je ne me saurois plaindre de ce que nous souffrons, tant que Dieu me conservera mes enfans[24], que j'aime tendrement.
Je n'ai point encore de nouvelles de votre portrait; j'espère pourtant l'avoir bientôt par un gentilhomme que nous attendons. Que ce portrait me fera de plaisir!
Nous fûmes hier à une maison du roi, à deux lieues d'ici, qu'on nomme le Pardo. Il n'y a autour ni bois, ni jardins, ni fontaines; et, dans la maison, ni sièges, ni bancs, ni tables, ni carreaux, ni lits; c'est pourtant la favorite, et celle où leurs majestés vont très-souvent. Je ne sais pas encore à quoi elles s'y peuvent divertir: je le demanderai à la reine. Toute mon attention fut de regarder très-long-temps les portraits de cette reine Elisabeth[25], et de ce misérable don Carlos[26], en songeant à leurs funestes aventures: ils étoient bien faits l'un et l'autre.
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LETTRE XXVI.
Madrid, 14 octobre 1680.
Votre petit portrait a été très-bien reçu, et trop bien de M. de Villars, qui en fait son propre. Je n'ai pas laissé de le porter au palais, où il a passé par toutes les mains des dames; car, pour les hommes, ils ne peuvent ici rien admirer que de bas en haut; par les fenêtres. La reine le prit d'abord pour celui de madame de Nevers. Ce portrait fait souvenir de vous, c'est-à-dire, qu'il ne vous ressemble pas parfaitement; et il est impossible, quand on viendroit à bout de peindre tous vos traits, d'imiter que très-grossièrement ce qu'il y a de vif et de spirituel dans tout ce qui compose votre visage. Ce n'est pas la faute du peintre, et ce petit portrait est aussi bien et aussi agréable qu'on le pouvoit faire. Je vous en rends mille grâces, ma chère madame, et de tout ce que vous me dites pour me marquer votre amitié et votre tendresse. Je ne puis pas mieux sentir l'amitié que j'ai pour M. de Villars, que d'être avec lui dans le pays du monde le plus rempli d'ennuis. Car, comme dans les lieux de plaisir, on dit ordinairement que les semaines passent fort vîte, celles d'ici sont d'une longueur infinie. Je vais souvent au palais; peut-être ne trouverais-je pas tant d'ennuis, si je n'avois que dix-huit ans. Il y auroit bien des choses à vous dire là-dessus.
Il y a deux ans qu'il mourut une dès dames de la maison de la reine[27], qui n'avoit que treize ou quatorze ans. On a plus de soin d'elles, quand elles sont mortes, que dans leurs maladies; car ce sont des chiens que tous ces médecins-ci, et leurs remèdes ridicules. Il y a une grande chapelle dans le palais. Elle y fut mise dans un coffre couvert de panne couleur de feu, avec un grand galon d'or, à la lueur de quantité de flambeaux. Elle étoit en habit de religieuse, composé de bleu et de blanc. On lui avoit mis bien du rouge sur les joues et sur les lèvres. Elle étoit très-belle dans cet état. Ce coffre ferme à clef: la guarda mayor le ferma, et puis vint le majordome de la reine, auquel on ouvrit ce coffre, pour lui faire voir qu'elle étoit dedans, et il en prit la clef. Les gardes du roi portèrent le corps jusqu'au haut du degré, à une porte où les Grands d'Espagne attendoient pour le porter jusqu'au carrosse qui le devoit mener jusqu'au lieu de la sépulture. Le majordome, arrivé dans cette église, ouvrit encore ce coffre pour faire voir aux religieux le corps de cette pauvre dona Juana de Portugal. Après quoi, il fut mis en terre avec les prières ordinaires. Je ne pensois nullement à vous faire ce récit, qui n'est pas divertissant. Mais il ne faut pas aussi être toujours tant sur ses gardes, pour ne parler jamais de la mort, qui va indifféremment dans tous les pays du monde.
J'espère vous envoyer, par la première commodité, deux excellentes paires de gants d'ambre, et un éventail de la part de la reine, dont la santé et la beauté augmentent tous les jours.
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LETTRE XXVII.
Madrid, 28 novembre 1680.
Je n'ai point eu de vos lettres par ce courrier. Je vous ai déjà mandé que je ne m'en allois plus. Quand jusqu'ici j'aurois douté de l'amitié, que vous croyez que j'ai pour M. de Villars, j'en serois plus que certaine à l'heure qu'il est, par la joie que j'ai sentie de ne m'en point aller de cette aimable ville de Madrid; entendez par ce mot aimable, tout l'opposé de ce qu'il dit en effet. Après tout cela, malgré la destinée, je commence à jouir aujourd'hui d'un plaisir. Nous quittons notre grande, incommode et chère maison pour aller loger dans une autre beaucoup moins chère, et très-commode. A peine ai-je trouvé de quoi vous écrire, n'ayant plus rien dans ma chambre. Notre jeune reine m'a fait paroître plus de joie de ce que je ne m'en allois point, que vraisemblablement cela ne lui en a dû causer.
Je ne vous entretiendrai guère aujourd'hui. Il m'en déplaît fort, ma chère madame; car il me semble que j'aurois bien des choses à vous dire.
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LETTRE XXVIII.
Madrid, 27 décembre 1680.
Vous m'écrivez que le marquis de Ligneville a passé par Lyon, et qu'il ne vous a point vue. Ce n'est pas de quoi je me soucie; et je lui pardonne de n'avoir pas eu cet esprit, pourvu qu'il vous ait laissé le petit présent que je vous envoyois par lui.
Je suis beaucoup plus tranquille que je n'étois le temps passé, quand je vous parlois de la peine que me causoit cette vue d'un départ prochain. Le petit secours, que le roi a eu la bonté de donner à M. de Villars, nous fait un peu respirer. Nous avons payé et quitté notre grande maison de huit cents pistoles de loyer, et nous sommes présentement dans une autre la moitié moins chère, et mille fois plus commode. Je ne voudrois pour rien du monde que la guerre recommençât; car je me souviens trop de la vivacité de mes peines dans ce cruel temps. Mais quel plaisir, sans qu'il en fût question, de sortir d'Espagne, et de pouvoir subsister en quelque lieu agréable, jouissant du plaisir de voir et d'entretenir ce qu'on aime! Si vous me revoyez jamais, vous prendrez, s'il vous plaît, la peine de me siffler comme un perroquet; car assurément je perds ici l'usage entier d'entendre et de parler, comme on fait au coin de votre feu. Il fait ici le même froid qu'à Paris; mais il n'y a point de cheminées. Nous en avons fait faire une dans notre nouvelle maison, qui est la plus grande consolation que nous ayons à Madrid. Elle n'en donne point aux dames qui me viennent voir; car elles ne savent point s'asseoir dans une chaise, ou sur quelque autre siège. C'est une chose plaisante que l'air qu'elles ont, quand elles sont assises: elles paroissent lasses, fatiguées, ne pouvant non plus se tenir que si on les faisoit danser sur la corde. Voilà de belles nouvelles; mais jamais Madrid n'en a moins produit. Tout y est dans une manière d'assoupissement misérable.
Vous recevrez un paquet, qui en contient trois autres cachetés du cachet de la reine, et les dessus de sa propre main. Il y a deux paires de gants, et un éventail dans chacun; vous aurez soin de les envoyer à leur destination. La reine ne vouloit pas que je vous mandasse que c'étoit de sa part, trouvant que le présent étoit trop petit. Vous le direz à mesdames de Sévigné et de Vins. On dit que les éventails seront meilleurs dans quelque temps. Cette jeune princesse continue d'embellir. Elle est grasse, le plus beau teint du monde, une gorge admirable, les yeux très-beaux, la bouche agréable. Quand je vois qu'elle croit avoir sujet de s'ennuyer, je change de discours. Adieu, madame.
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LETTRE XXIX.
Madrid, 12 décembre 1680.
La connétable Colonne est dans un pitoyable état. Je crois que je vous ai mandé que son mari la fit partir un peu brusquement d'ici, pendant que la reine étoit à l'Escurial. Elle ne tua ni ne blessa personne. Elle est actuellement dans ce qu'on appelle l'Alcaçal[28] de Ségovie, très-misérablement traitée. La reine auroit fort souhaité qu'on lui eût accordé avant cela ce qu'elle demandait pour toute grâce à son mari, qu'on la mît dans un couvent, le plus austère qu'on pût choisir à Madrid. Cette pauvre malheureuse écrit souvent au confesseur de la reine, qui, par l'ordre de cette princesse, va quelquefois exhorter le connétable à vouloir bien que sa femme vienne ici dans un couvent. Il y a douze ou quinze jours que ce mari dit au confesseur, qu'il ne pouvoit consentir que sa femme vînt à Madrid, si elle ne se faisoit religieuse dans le couvent où elle entreroit, et que lui, il prendroit les ordres. Le confesseur a écrit cette proposition à la connétable, qui l'a acceptée. Je crois qu'il n'y a pas une moindre vocation que la sienne à la religion. Cependant, comme elle a fait dire à son mari qu'elle fera tout ce qu'il voudra, cela pourra l'embarrasser; car je ne crois pas qu'il ait aucune intention de la faire entrer dans Madrid. On m'écrit de Paris que je me mêlois de ses affaires, et que j'étois fort dans ses intérêts. J'ai répondu sur cela à une de mes amies qui m'en écrivoit, que je croyois qu'on avoit jeté à croix ou pile, duquel il valoit mieux m'accuser, ou de trop de dureté pour cette infortunée, ou de trop de pitié. Car pour elle, elle se sentit tout-à-fait outragée, quand elle vint dans notre maison, pleurant et demandant qu'on l'y souffrît pour une nuit, et qu'on lui prêtât secours pour la faire entrer dans son couvent; on ne put lui accorder ce qu'elle vouloit, et je la résolus avec une peine extrême à retourner chez le marquis de los Balbasès, où je la remenai à dix heures du soir, M. de Villars ne voulant pas se mêler de ses affaires. Si j'ai eu pitié d'elle depuis cette visite-là, cette pitié ne s'est signalée en rien; et la reine qui auroit bien voulu lui faire le plaisir d'obliger son mari de la mettre ici dans un couvent, dit que Monsieur lui a recommandé de lui rendre tous les bons offices que raisonnablement elle pourroit désirer d'elle. Celui de la faire enfermer dans un couvent le plus austère, ne paroissoit pas indigne à cette princesse qu'elle s'y employât.
M. le prince de Parme est donc amoureux de la comtesse de Soissons? Ce n'est pas un joli galant. Ce n'est pas aussi que s'il avoit cent mille écus dans son coffre, il ne les dépensât en un jour, mieux qu'aucun homme du monde, pour plaire à sa dame. Le roi, notre maître, ne peut pas souhaiter un autre gouverneur en Flandre pour sa majesté Catholique.
La reine ne se divertit pas si bien qu'on pourroit le croire. Elle est jeune et saine, d'un heureux tempérament. Je ne pense pas qu'au reste du monde l'on voie ce que nous avons vu depuis que nous sommes dans ce royaume; la peste, la famine, des ravages d'eaux dont on n'avoit jamais entendu parler; un tremblement de terre, qui a presque entièrement détruit cinq ou six villes; sans compter les frayeurs où je fus après cela quinze jours durant. Le moindre mouvement me paroissoit un tremblement de terre; mais il nous manquoit encore quelque chose, une comète. Assurez-vous que depuis huit jours il en paroît une des plus grandes et des mieux marquées qu'on ait jamais vues. Elle commence à se montrer sur les quatre à cinq heures du soir, et dure jusqu'à huit ou neuf. Comme il ne nous appartient pas d'en avoir peur, c'est une des choses qui me sont le plus indifférentes; car je suis persuadée qu'elle ne signifie rien pour la France.
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LETTRE XXX.
Madrid, 26 janvier 1681.
Il faut vous dire deux mots de la connétable Colonne. Je trouvai le confesseur de la reine, il y a deux jours, au palais, qui avoit apporté une lettre pour la montrer à cette princesse, avant qu'il la fermât. Il venoit de chez le connétable Colonne, qui l'avoit écrite à sa femme, en présence du confesseur. Elle contient que le mari consent qu'elle vienne à Madrid, dans un couvent nommé; qu'elle prenne l'habit de religieuse le même jour qu'elle y entrera; et, trois mois après, qu'elle fasse profession. Je ne doute pas qu'elle n'accepte ces conditions pour quitter le lieu qu'elle habite présentement. Je ne conseillerois pas à la reine de répondre qu'elle n'en sortira jamais.
Cette princesse continue de se bien porter, et de passer à l'église sept ou huit heures les jours et veilles de grandes fêtes. Je ne voudrois pas vous répondre qu'elle en fût plus dévote. J'ai toujours l'honneur de la voir souvent. Le roi l'aime autant qu'il peut; elle le gouverneroit assez; mais d'autres machines, sans beaucoup de force ni de rapidité, donnent d'autres mouvemens, et tournent et changent les volontés du roi. La jeune princesse n'y est pas trop sensible. Elle parle présentement très-bien espagnol. Elle connoît toute la cour, et les différens intérêts de ceux qui la composent. La reine, sa belle-mère, qui est très-bonne princesse, l'aime toujours fort tendrement.
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LETTRE XXXI.
Madrid, 23 janvier 1681.
Le comte de Monterei a été exilé de cette cour, il y a quatre ou cinq jours. On ne dit point pourquoi. Je ne le puis comprendre, si ce n'est qu'il est le plus honnête homme du monde, et le plus propre à bien servir son roi. L'on refuse toujours le congé à son père, le marquis de Liche, qui est ambassadeur à Rome, malade, ruiné, par conséquent fort ennuyé. Je vis, l'autre jour, sa femme, qui est fort jolie, fondre en larmes aux pieds du roi, pour obtenir le congé. Je ne vous parlerai point de choses plus divertissantes et plus gaies, ma chère madame. Qu'il est difficile de l'être à Madrid! et que, si l'on avoit de bonnes dispositions pour la pénitence, ce seroit un lieu propre pour la faire! La reine est en parfaite santé, et dans une grande fraîcheur. De vous dire de quoi elle soutient tout cela, c'est ce que j'ignore absolument.
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LETTRE XXXII.
Madrid, 6 février 1681.
Vous n'avez donc point reçu par le marquis de Ligneville, le petit présent que je croyois qui vous seroit fidèlement rendu? Les messagers ordinaires, à ce que je vois, ont plus d'honneur et de probité que les gens de qualité portant de beaux noms. Vraiment, madame, ce n'est pas pour le vanter; mais ce que je vous envoyois, quoique peu précieux et peu magnifique, étoit pourtant joli et bien choisi; et j'aimois à imaginer que tout cela vous plairoit. Ce Ligneville est des amis du marquis de Grana, et ma confiance étoit parfaite. Ne vous fatiguez d'aucun compliment pour la reine Catholique, je les lui fis hier.
L'on attend, tous les jours ici, la connétable Colonne, pour prendre l'habit de religieuse. Son mari, qui est fort avare, dispute sur le prix avec le couvent où elle doit entrer. Elle écrivoit, l'autre jour, que sa sœur Mazarin feroit bien mieux de venir se faire religieuse avec elle.
Je songe à ce que je puis vous dire de cette cour. Je ne manquerois pas de matière; mais, de si loin, il n'est pas possible de traiter beaucoup de sujets. La vie du palais ne convient point à des personnes qui n'y sont point nées, ou du moins qui n'y sont pas venues dès l'enfance; il faut pourtant dire la vérité en faveur des Espagnols, qu'ils ne sont ni si terribles, ni si soupçonneux qu'on nous les figure. Les reines sont toujours bien ensemble. Depuis le moment que la jeune est entrée en Espagne, M. de Villars s'est appliqué à la bien persuader qu'il falloit pour son repos, qu'elle fût en bonne union avec la reine, sa belle-mère, et qu'elle se gardât bien d'écouter des avis contraires. Je ne fais autre chose aussi que de tâcher de lui mettre cela dans la tête. Elle ne se divertit pas trop à raisonner sur la politique. Jusqu'ici tout a assez bien été; et, entre vous et moi, tout auroit été encore mieux, si, dès la frontière, on lui eût ôté généralement toutes les Françoises. On ne peut avoir plus d'esprit qu'elle en a, joint à mille aimables qualités. J'y vais toujours souvent, quoique je la supplie quelquefois de trouver bon que mes visites ne soient pas si fréquentes. Ma fille y va peu, quoique la reine m'ordonne souvent de la lui mener.
Je vous ai mandé que le comte de Monterei avoit été exilé. Le duc de Veragas le fut hier aussi. Il est dans l'alliance et ami de ce premier.
Je ne vous parle point de la misère de ce royaume. La faim est jusque dans le palais. J'étois hier avec huit ou dix Camaristes et la Moline qui disoient qu'il y avoit fort long-temps qu'on ne leur donnoit plus ni pain ni viande. Aux écuries du roi et de la reine, de même. Je ne voudrois pas qu'on sût, au pays où vous êtes, que je me mêlasse seulement d'écrire cela. Mais je sais bien que vous ne me commettrez pas, et qu'il y a bien souvent des choses dans mes lettres, dont on pourroit se moquer.
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LETTRE XXXIII.
Madrid, 19 février 1681.
Me voici à mon second mercredi des cendres; ce qui m'a assez plu, c'est que le carnaval, comme je vous l'ai déjà mandé, ne veut point, en ce pays, se donner un air de plaisir; et hors qu'il n'y a plus de comédie au palais ni à la ville, tout le reste va son même train; personne ne fait le carême. Le palais est toujours la même chose. On y parle d'aller à Aranjuez, incontinent après Pâques, que la reine fera quelques remèdes, et qu'elle en reviendra sûrement grosse. Je vais souvent voir la marquise de Grana, qui est malade, et qui ne sort point depuis trois mois. Ce sera un grand hasard, si elle n'est la troisième ambassadrice qui mourra ici. Elle prendroit la résolution de s'en retourner, sans qu'elle ne peut se déterminer à laisser son mari qu'elle aime fort.
La connétable arriva samedi dernier de fort bonne heure. Elle entra dans le couvent; les religieuses la reçurent à la porte avec des cierges, et toutes les cérémonies ordinaires en pareille occasion. De là on la mena au chœur, où elle prit l'habit avec un air fort modeste. Un Espagnol, qui étoit dans l'église, m'a conté tout ce qu'il vit. L'habit est joli et assez galant, le couvent commode. Je ne puis avoir bonne opinion de l'esprit et de la pénétration de messieurs les Italiens et Espagnols, de s'être persuadés que cette femme ait pu accepter de bonne foi la proposition de se faire religieuse, et d'espérer par là qu'elle va leur assurer tout son bien. La première fois que j'entendis parler au confesseur de la reine de la commission qu'il avoit du connétable, d'écrire à sa femme, et de lui proposer ce parti, je crus que c'étoit une pure raillerie, dont je n'aurois jamais voulu me mêler. Le bon père écrivit, et la dame n'hésita pas un moment à lui répondre qu'elle y consentoit. Pour moi, sans en savoir autre chose, je ne crois point du tout à cette subite vocation. Je ne me suis pas pressée de lui aller rendre visite: je ne sais encore quand je la verrai.
A propos de visites, vraiment j'en fis une, il y a trois ou quatre jours, qui m'effraya beaucoup. Une dame de qualité, femme du comte Ernand-Nuguès, depuis un mois ou six semaines étoit accouchée; et, comme elle avoit été assez mal, on ne l'avoit point vue. J'envoyai savoir de ses nouvelles, et son mari, qui est de nos amis et qui parle bien françois, me manda que je ferois honneur à sa femme de l'aller voir. J'y fus donc: je m'assis un moment auprès de son lit; car je ne l'eus pas plutôt envisagée, que je me levai. Je tirai son mari à part, et je lui dis que je ne demeurois pas plus long-temps, craignant d'incommoder madame sa femme. Il me répondit que point du tout; et moi, je l'assurai qu'elle étoit fort mal, n'osant lui dire qu'elle se mouroit. Il vint, sur ces entrefaites, deux Grandes d'Espagne, dont la duchesse de Patrana étoit une. Je sortis, et, à trois heures après minuit, la dame étoit morte: elle n'avoit que vingt-deux ans. Voilà la quatrième, depuis trois mois, qui meurt en couche. Le comte Ernand-Nuguès a été menin de notre reine, et a été assez long-temps en France. On est très-mal traité en ce pays-ci de toutes sortes de maladies.
Adieu, madame; je vais me promener dans un carrosse incognito, à une promenade publique, au milieu de la campagne, où il y a un prédicateur qui prêche quatre ou cinq heures, et qui se donne des soufflets à tour de bras; on entend, dès qu'il a commencé à se les donner, un bruit terrible de tout le peuple qui fait la même chose. Comme il n'y a pas d'obligation de se châtier de la sorte, nous allons assister à ce spectacle qui se voit, en carême, trois fois la semaine. Le détail des dévotions de ce pays seroit une chose divertissante à vous faire savoir.
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LETTRE XXXIV.
Madrid, 3 avril 1681.
Vous, madame, plusieurs de mes amies, et même mes enfans, vous paroissez étonnés et comme fâchés de n'être point informés par mes lettres de tout ce qui se passe ici touchant le rappel de M. de Villars, et ce qui me regarde en mon particulier, jugeant qu'il faut bien que ce ne soit pas un secret en cette cour. Vous m'en croirez bien, ma chère madame, puisqu'assurément, dans le nombre de mes défauts, je n'ai point celui de mentir. Rien au monde n'est donc venu à notre connoissance de ce qu'on a pu inventer sur la conduite que j'ai tenue ici. Vous et mes enfans me dites seulement que j'ai fait des intrigues dans le palais. Si l'on savoit ce que c'est que l'intérieur de ce palais, et qu'aucune dame ni moi, ne nous disons jamais que bonjour et bonsoir, parce que je n'ai pu apprendre la langue du pays, on ne diroit pas que ça été avec les femmes, non plus qu'avec les hommes, dont aucun ne met le pied dans tout l'appartement de la reine. A l'égard du jeune roi, et de sa haine pour les François, qui est grande, je puis dire qu'elle est moins violente pour moi que pour les femmes françoises de la reine, par la raison qu'elles sont plus souvent auprès d'elle que je n'ai cet honneur. Si le premier ministre a fait négocier notre retour en France par l'ambassadeur d'Espagne, qui est à Paris, le roi, leur maître, n'en a rien su; car, le jour qu'on en eut ici la nouvelle, il parut fort étonné quand on la lui apprit, et demanda aussitôt si ce n'étoit point une marque qu'on allât rentrer en guerre avec la France. Jugez, sur cela, de beaucoup d'autres circonstances que je ne vous dis pas. Le roi et la reine sont dans une grande union, et meilleure, depuis deux ou trois mois, qu'elle n'a jamais été. Je ne me vanterai pas de m'être mêlée de donner des conseils à la reine; elle a un assez bon esprit pour n'en avoir pas besoin. Je ne sais si le roi lui communique les secrets de l'état; c'est ce qui n'est jamais entré dans les conversations que j'ai eu l'honneur d'avoir avec elle. Je ne sais plus que vous dire; car, en vérité, je ne trouve pas la moindre chose digne de remarque en tout ce qui s'est passé depuis que je suis en ce pays. Avec toute la tranquillité que doit inspirer le repos d'une bonne conscience, je suis pourtant affligée du malheur que j'ai de ne pouvoir quasi douter que mon nom n'a jamais été proféré que bien sinistrement devant tout ce qu'il y a de plus grand et de plus respectable dans le monde; et ce que je souffre à cet égard, me fait porter une véritable envie aux gens dont on n'a jamais entendu parler ni en bien ni en mal. Le jour que M. de Villars reçut son ordre pour son retour, je tremblois qu'il ne portât aussi de me faire partir incontinent. Mais, quand je sus qu'il n'y en avoit pas un mot, je pris patience. J'ai plus de reconnoissance de cette bonté du roi, malgré mon innocence, que n'en ont mille gens pour les solides bienfaits qu'ils reçoivent tous les jours de sa majesté. Je ne laisserai point de partir la première, parce que M. de Villars s'en ira plus vîte, quand il sera tout seul, dès le moment qu'il aura reçu les derniers ordres du roi. Adieu, madame; laissez dire de moi tout ce qu'on voudra. Je vous verrai bientôt; ce me sera une véritable joie. Quel voyage ai-je à faire, et quelle fatigue à essuyer!
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LETTRE XXXV.
Madrid, 17 avril 1681.
Je vous rends grâces de l'impatience que vous me marquez de savoir le temps de mon retour; je ne puis vous le dire. On a mille choses à faire avant que de partir. C'est M. de Villars qui règle tout cela. J'ai pris congé de la reine ayant son départ pour Aranjuez. Elle m'a fort commandé de l'y aller voir; mais je ne sais si j'irai. Vous me demandez des raisons pour alléguer contre les torts qu'on me donne au pays où vous êtes; mais il me les faudroit apprendre auparavant. Tout ce que je sais de Paris, est qu'on publie que j'ai eu un grand démêlé avec un maître-d'hôtel de la jeune reine; mais, comme j'ai déjà répondu que je n'en connois pas un, et que jamais je n'ai eu le moindre mot avec homme ni femme, dedans ou dehors le palais, je ne saurois plus en rien dire. Toutes ces choses seront des nouveautés pour moi, quand j'arriverai à Paris. Il me semble qu'on dit encore que je vois trop souvent la reine. Si elle ne l'avoit pas voulu, cela n'eût pas été; et si, de France, on avoit ordonné à M. de Villars que mes visites fussent moins fréquentes, on ne se le seroit pas laissé dire deux fois. Je vous conterai un jour plus au long comme je m'y divertissois. Je vous supplie instamment encore une fois, ma chère madame, de laisser dire, sur mon sujet, tout ce qu'on voudra, pourvu que ces mensonges ne fassent point d'impression sur votre esprit: c'est tout ce que je désire de vous.
Ce que l'on vous mande de Rome de la connétable Colonne seroit meilleur pour elle que ce qui se passe ici. La pauvre femme est peut-être bien près d'éprouver de pires aventures que toutes celles qu'elle a eues par le passé. Il ne faut rien imputer à toutes ces sortes de têtes-là; mais on ne peut s'empêcher de la plaindre. C'est la meilleure femme du monde, à cela près qu'il n'est pas au pouvoir humain de lui faire prendre les meilleurs partis, ni de résister à tout ce qui lui passe dans la fantaisie. Son mari part samedi ou lundi avec ses enfans. Il a marié l'aîné, comme vous savez, avec une fille de Medina Celi, premier ministre, qu'il emmène aussi à Rome. La connétable demeure dans son couvent, où apparemment elle va manquer de tout. Elle y est déjà misérablement. Si je n'avois pas autant compati à son malheur, je n'aurois pu m'empêcher de me divertir à l'entendre parler comme elle fait. Elle a de l'esprit. Elle écrit que cela est surprenant, avec ses hauts et bas. Il étoit, en quelque sorte, facile à M. de Nevers, son frère, de la tirer du malheureux état où elle est, s'il étoit venu ici pour soutenir ses intérêts. Elle n'auroit pas été réduite à jouer la religieuse. Je pensai tomber de mon haut, quand le confesseur de la reine me dit qu'il lui alloit écrire la proposition de se faire religieuse pour sortir du château de Ségovie. Elle n'hésita pas un moment, comme je vous l'ai mandé, à trouver qu'elle en avoit la vocation. Je crus, au moins, qu'étant entrée dans le couvent, elle déclareroit qu'elle se moquoit, et que tout ce qu'elle avoit promis étoit pour sortir de prison; mais, au lieu de cela, elle prend l'habit dès l'instant qu'elle a mis le pied dans l'église. Il falloit que son frère vînt alors l'enlever de là, et tâcher de la faire aller demeurer avec la duchesse de Modène, comme on l'avoit proposé.
J'ai fort bien commencé et fini le carême; je n'en suis pas malade, Dieu merci. Le chocolat est une chose merveilleuse. N'en voudrez-vous point prendre?
On parle beaucoup de guerre avec le Portugal. Les deux princes veulent absolument qu'une certaine île soit à eux. Ils assurent qu'ils vont faire la guerre, si l'on ne la leur cède. On est pourtant tout-à-fait tranquille dans cette cour. Adieu, madame; je vous aime de tout mon cœur.
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LETTRE XXXVI.
Madrid, premier mai 1681.
Jamais rien au monde ne m'a paru moins un compliment que tout ce que vous me dites, ma chère madame, sur l'obligeante envie que vous me marquez que j'aille loger chez vous en arrivant à Paris. Soyez bien persuadée que je pense et que je sens sur cela tout ce qu'il faut pour inspirer une tendresse vive et reconnoissante. Mes enfans vous feront mille excuses de ma part, de ce que je ne puis faire ce que vous souhaitez. Ce sont des excuses bien différentes de celles que l'on emploie pour refuser une grâce ou un service que l'on ne peut rendre. Mais votre cœur est fait de manière que je ne puis douter que ce ne soit vous faire une espèce d'offense de mettre quelque obstacle aux services que vous voulez rendre. Je vous demande donc une infinité de pardons; je m'en demande à moi-même de m'opposer à la joie que j'aurois de me trouver à portée de vous voir, de vous parler à tout moment. Je ne suis pas destinée à des plaisirs continuels, il s'en faut bien; et, pour changer de discours, je vous avouerai que, depuis quelque temps je suis moins empressée de mon retour à Paris; car vous saurez que M. de Villars prit la résolution de me faire partir, quand il sut, par la lettre du roi, son maître, qu'il le rappeloit. Il crut, pour plus grande commodité, qu'il étoit plus à propos que je m'en allasse la première, pour être en état de faire plus de diligence, débarrassé de femmes, de hardes et d'équipages; ne doutant point qu'au plus tard, trois semaines ou un mois après, il n'eût ordre du roi pour partir, et qu'il n'y eût un autre ambassadeur nommé. Mais je vois présentement qu'on ne parle de rien, et que M. de Villars peut demeurer encore ici long-temps. Cela étant, je ne voudrois plus m'en aller, pour ne pas laisser mon mari dans cet ennuyeux pays, où je puis être comptée pour quelque chose, par rapport au dénuement de toute sorte de plaisirs. Cependant M. de Villars ne pouvant s'imaginer d'être ici pour long-temps, et les chaleurs approchant, veut que je parte. A propos de cela, si vous trouvez par hazard, sur votre chemin, quelqu'un qui dise que le roi ait ordonné que je m'en revinsse en France, dites hardiment, madame, qu'il n'en est rien; sa majesté n'en a jamais écrit un mot à M. de Villars. Si ce que je vous écris là n'étoit pas vrai, vous croyez bien que je ne vous manderois pas le contraire. Vous voyez à quoi se réduisent mes vanteries, qui sont de vouloir établir, parce que cela est vrai, que le roi n'ordonne point de me faire partir, par la raison de mes malversations. Je vous entretiendrai bien, madame, quand je vous verrai. Il ne me sera, je crois, guère difficile de vous faire avouer que je ne mérite pas beaucoup de blâme sur ma conduite en cette cour; et, sans me vanter, peut-être n'ai-je fait tort à la conduite de personne. Adieu, ma chère madame.
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LETTRE XXXVII.
Madrid, 15 mai 1681.
Je ne suis point encore partie; les pluies ont été si excessives et si continuelles ici, que les carrosses ni les litières ne peuvent se mettre en chemin. Présentement que le temps se met au beau, et qu'on nous fait espérer que nous apprendrons par le premier courrier, que le roi a nommé le successeur de M. de Villars, je partirai plus volontiers avec la certitude qu'il ne demeurera pas long-temps ici après moi. Leurs majestés Catholiques revinrent samedi d'Aranjuez. La reine a eu la bonté de me dire qu'elle eût été au désespoir d'en revenir sitôt, sans la joie qu'elle avoit de me revoir. Elle n'a pas pourtant engraissé dans ce charmant séjour. Je l'ai trouvée changée. J'ai vu la reine mère ces jours passés, dont j'ai tous les sujets du monde de me louer, par toutes les choses obligeantes qu'elle dit de la conduite de M. de Villars et de la mienne, quant à l'union de sa belle-fille avec elle; et je suis bien persuadée qu'elle en écrit conformément à la reine en France. Je suis à vous, ma chère madame, plus que je ne puis vous le dire.
Fin des Lettres de Madame de Villars.
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