Chapitre 18

Vandien trouva la peau de Ki froide au toucher tandis qu’il la déchargeait du dos de Sigurd.

— Ki ? fit-il en croisant son regard fixe.

Mais les yeux de Ki étaient rivés sur quelque chose situé loin derrière lui. Elle se tenait debout sur ses pieds, mais dès qu’il recula, son corps s’affaissa lentement. Il la rattrapa et l’éloigna des chevaux pour l’allonger à terre.

Vandien secoua la tête tout en lui frottant les mains et les pieds, qu’elle avait glacés. Il jeta un coup d’œil supplémentaire vers le ruban noir de la route. Il ne voulait pas que Hollyika dépasse sa cachette sans le voir. Il estimait avoir bien choisi ce bosquet d’arbres. Leurs troncs argentés camouflaient la robe grise des chevaux. Ils étaient en sécurité ici. Pour l’instant.

Il revint se pencher sur Ki, en lui présentant la robe ample qu’il avait prélevée dans le chariot à son intention.

— Allez. On va t’habiller et te réchauffer.

Elle ne répondait toujours pas. Ses yeux grands ouverts fixaient le ciel éternellement sombre derrière lui. Il soupira en songeant au coup que Hollyika avait décoché à Ki. Avait-elle perdu l’esprit ou était-elle trop en colère pour parler ? En tout cas, son corps était flasque sous ses doigts et elle ne lui résista pas lorsqu’il lui fit passer la robe. Il eut plus de difficultés pour lui faire enfiler chausses et bottines le long de ses jambes tout aussi molles. Une fois habillée, elle ressemblait un peu plus à la Ki qu’il connaissait, même si la coupe flottante de la robe amplifiait son aspect émacié.

— Que dirais-tu d’un peu de nourriture ?

Aucune réponse. Il récupéra néanmoins le sac et en tira des fruits séchés et du pain de voyage. Ki ne bougea pas tandis qu’il les déposait devant elle. Mais, lorsqu’il les lui agita sous le nez, exaspérée, elle se détourna avec une exclamation de dégoût.

— Bon, au moins tu sais encore parler, commenta-t-il avec amertume.

Il se rapprocha d’elle.

— Comment va ta tête ?

— Pourquoi m’as-tu amenée ici ? demanda-t-elle d’une voix basse, sauvage.

— Je te ramène à la porte. Vers notre monde, celui auquel nous appartenons, afin que Jace et Chess puissent retourner eux aussi d’où ils viennent.

— C’est ici mon monde à présent.

Sa voix trahissait une fureur contenue.

— J’appartiens à cet endroit. J’ai une tâche à accomplir ici, une création à mener à son terme. Dans ce monde, je peux donner une signification à mon existence. Je n’ai aucune envie de repartir.

— J’imagine que non, pour l’instant. (Vandien gardait un ton raisonnable.) Tu n’es pas toi-même en ce moment. Tu es toujours sous l’influence du Limbreth. Après quelque temps sans boire de leur eau et quand tu auras mangé quelque chose, tu retrouveras tes esprits.

— Tu veux dire que je me rabaisserai à ton niveau.

Ki se releva en position assise et fit courir des mains squelettiques dans sa chevelure emmêlée. Elle poussa un soupir sifflant.

— Regarde-moi. Tu m’as déjà ramenée vers la colère, l’une des émotions les plus viles de la race humaine. J’avais réussi à m’en libérer, Vandien, avant que tu ne reviennes. Pourquoi a-t-il fallu que tu viennes tout gâcher ? Tu ne vois donc pas ? Tu avais autrefois une place dans ma vie, que tu as occupée fort agréablement. Je te suis reconnaissante pour tout ce que tu as été pour moi et tout ce que nous avons partagé. Mais cette époque est révolue et tu fais partie du passé pour moi, maintenant. Ne le prends pas mal : je t’apprécie à présent plus que je ne l’ai jamais fait. J’ai revu chaque souvenir que j’ai de toi et tous les instants que nous avons partagés. J’y ai puisé le meilleur et en ai abandonné les scories. J’ai purifié l’apport que tu as eu sur ma vie. Et maintenant, tu voudrais revenir et tout souiller de nouveau. Je t’implore de n’en rien faire. Laisse-moi et reprends ta route, laisse-moi retourner à mon œuvre et conserver le meilleur de toi.

Vandien était resté silencieux face à ce plaidoyer passionné. Il força ses poings serrés à s’ouvrir. Il se leva et s’écarta d’elle pour ne pas empiéter sur son espace. Une petite voix en son for intérieur l’assurait que c’était le Limbreth qui parlait, et non Ki. Elle avait été empoisonnée par leur eau, droguée par leurs visions. Mais le petit démon de l’insécurité qui dort au cœur même de l’homme le plus aimé avait planté son dard empoisonné en lui.

Elle en avait fini avec lui. Elle avait pris tout ce qu’il avait à lui offrir et à présent, elle allait l’emporter avec elle. Qu’avait-il à proposer qui puisse rivaliser avec la vision des Limbreth ? Il toussa pour dissimuler un soupir et se dirigea vers les chevaux pour les importuner en examinant minutieusement leurs sabots. Il se mit à ruminer les choix amers qui s’offraient à lui. Il pouvait la ligoter comme un animal et la garder à ses côtés. Mais il aurait eu honte de traiter ne serait-ce qu’un chien de cette manière. Il pouvait l’implorer de le suivre. Il pouvait la laisser s’en aller.

— Mon amour est à toi, Vandien, dit-elle en s’adressant à ses épaules voûtées. Je te le laisse. C’est quelque chose que tu peux posséder sans avoir besoin de m’avoir à tes côtés pour toujours. Nous avons pris soin l’un de l’autre. Mais je ne suis pas une plante grimpante pour enrouler mon existence autour d’un puissant tuteur tel que toi. Nous avons plutôt été comme deux grands arbres qui poussent côte à côte mais qui doivent au final se pencher loin l’un de l’autre. Tu ne voudrais pas que je réside dans ton ombre, chétive et difforme, n’est-ce pas ? Laisse-moi partir.

— Je ne te retiens pas.

Les mots sortirent péniblement, comme autant de morceaux de chair qu’on lui aurait arrachés par la force. Il croisa les bras sur sa poitrine, comme pour se soutenir lui-même, sans toutefois trouver le moindre réconfort dans cette embrassade solitaire. Les senteurs riches et chaleureuses de la forêt fleurissaient autour de lui, un souffle aussi paisible que celui d’un enfant endormi. Les chevaux, heureux, broutaient l’herbe qui poussait au milieu de la mousse. Nul vent pour déranger la moindre feuille ; la paix arpentait la nuit, chaussée de velours. En regardant Ki se lever avec difficulté, Vandien eut l’impression d’être une blessure ouverte et sanglante au sein de la nuit tranquille. Son jeûne l’avait rendue si maigre que c’en était douloureux. C’était l’eau, se répétait-il vainement, l’enchantement des Limbreth, qui les avaient conduits à cette séparation. Mais il n’arrivait pas à s’en convaincre tout à fait. Ils n’avaient fait que pousser Ki à réaliser plus tôt que prévu une vérité que lui, Vandien, avait toujours secrètement connue : qu’il avait besoin d’elle plus qu’elle n’avait besoin de lui, que le destin qui attendait quelqu’un d’aussi capable et d’aussi fort ne pouvait se partager avec un vagabond insouciant dans son genre. À l’occasion d’un millier de cauchemars, il était resté sur le bas-côté de la route en criant le nom de Ki tandis que son chariot disparaissait au loin. Et voilà qu’elle s’en allait, le chariot perdu pour l’un comme pour l’autre, et il ne l’appelait pas. Elle avait la démarche hésitante d’un faon nouveau-né, effectuant chaque pas avec une prudence extrême qui reflétait son état de faiblesse. Sa robe était sombre, de même que sa chevelure. En quelques instants seulement, la route l’engloutit hors de vue de Vandien. Il retourna sous le couvert des arbres en s’apercevant soudain que ses traîtres de pieds avaient été sur le point de la suivre. Laisse-la partir, se morigéna-t-il.

Une fois à l’intérieur du bosquet, il se laissa tomber à terre, la tête sur les genoux. Il se demanda ce qu’il allait faire.

Il n’aurait pas su dire combien de temps il resta assis ainsi. Il entendit le bruit de sabots qui descendaient la route noire au trot. Il allait devoir sortir du bosquet et l’appeler, sans quoi elle le dépasserait sans le voir dans l’obscurité. Non pas que ça ait beaucoup d’importance. Il se rappela tardivement que c’était lui qui avait toute la nourriture et que, pour Hollyika, cela aurait une réelle importance. Il se leva à contrecœur mais, le temps qu’il sorte à découvert, les chevaux gris avaient henni en direction de Noir et celui-ci leur avait répondu. Le claquement des sabots ralentit et Vandien entendit le destrier quitter la route pour s’aventurer sur le gazon épais.

Le cheval et sa cavalière avaient mauvaise mine et sentaient plus mauvais encore. Vandien avait entendu des rumeurs au sujet du musc que les Brurjan émettaient au combat mais n’en avait jamais humé l’odeur. Il considéra que c’était une arme au moins aussi puissante que son épée. Vandien s’avança pour saisir les rênes du cheval épuisé, mais celui-ci s’écarta brusquement de son chemin. Hollyika tira vivement la tête de sa monture sur le côté.

— Tu es un crétin ! gronda-t-elle.

— Moi aussi, je suis heureux de te revoir.

Elle ne marqua pas même une pause.

— Tu ne muselles même pas tes bêtes ; comment savais-tu que c’était moi qui arrivait ? Et en plus, tu t’avances juste devant un cheval de bataille en agitant la main, une cible parfaite ! Et enfin, tu as perdu quelque chose en chemin.

La « chose » s’avéra être Ki, négligemment placée en travers de la croupe du cheval derrière la Brurjan et presque entièrement dissimulée par la masse de la guerrière.

— Par tous les dieux ! s’exclama Vandien, consterné.

Il s’approcha de nouveau pour se saisir de Ki mais se reprit à temps et fit un saut en arrière pour éviter un coup de sabot de Noir.

— Arrête de l’énerver ! gronda la Brurjan en sautant au bas de sa selle comme un chat du haut d’une palissade. Elle se tourna et s’approcha d’un pas tranquille de sa monture, laquelle se tint docilement immobile pour elle. Elle défit les liens qui retenaient Ki et la déposa au sol sans précaution. Vandien se précipita pour s’agenouiller à ses côtés.

— Elle est blessée ?

— Pas aussi gravement que moi.

Pour la première fois, il remarqua le liquide sombre et poisseux qui s’écoulait de ses avant-bras musculeux.

Un coup de faux, décida-t-il en se relevant, inquiet pour les deux femmes.

— Laisse-la comme elle est.

Hollyika lisait ses pensées.

— Je lui ai donné un nouveau coup et elle est tombée sans broncher. Elle va rester inconsciente un moment. Elle ne se relèvera pas tout de suite, c’est certain. Arrache la manche de ta chemise pour faire un bandage.

Elle fit tourner sa langue dans son immense bouche puis appliqua ses lèvres sur sa blessure. Vandien fixa des yeux ébahis sur la langue noire qui courait délicatement le long de la coupure. Il arracha rapidement l’une de ses manches qu’il entreprit de déchirer en fines bandelettes.

— Tu ne dis pas grand-chose, fit observer Hollyika lorsqu’elle eut terminé de lécher sa blessure. Pas de « merci Holly, je l’avais laissée tomber du cheval de trait sans m’en rendre compte », ni rien d’autre.

— Je ne l’ai pas laissée tomber de son cheval.

Vandien se releva pour saisir le bras de Hollyika entre ses mains. Il fractionna une extrémité de l’une des bandelettes pour la nouer fermement, mais pas trop, en amont de la blessure. Puis, il enroula précautionneusement la bandelette en une longue spirale autour de son bras. Hollyika ne semblait ressentir aucune douleur.

— Alors comment l’as-tu perdue ? insista-t-elle.

— Est-ce que tu me demandes ce que je crois que tu me demandes ? demanda Vandien avec rancœur.

— Non. Je veux juste savoir quelle action stupide tu as bien pu mener, c’est tout.

— Elle ne voulait pas rester avec moi. Elle voulait retourner vers les Limbreth. Je l’ai laissée partir.

Il s’exprimait avec concision, d’un ton neutre, mais il dut résister à l’envie de resserrer le bandage autour de la plaie.

— Encore plus stupide que je ne le pensais. Je m’étais dit que tu avais dû faire un somme et la laisser s’éloigner. Tu ne veux plus d’elle, après tous les obstacles que nous avons dû vaincre ?

— Si. Non. Bon sang, lâche-moi ! Je ne veux pas d’elle si elle n’a aucune envie d’être avec moi.

— Et il décide ça maintenant. Merveilleux. Méfie-toi des « si », humain. Ils diminuent ta motivation et gâchent ton engouement. Considère ta décision sans les « si ». Tu la désires. Tu l’as. Garde-la, après tout ça.

— Facile à dire pour toi. Elle n’a aucune importance pour toi. Tu ne te demandes pas si c’est bien pour elle, bon pour elle.

— Noir lui-même dirait moins d’âneries. Regarde-la, idiot ! Est-ce que tu as l’impression que les Limbreth sont bien pour elle ?

— Il y a des choses plus importantes que le fait d’être en vie et en bonne santé, avança Vandien à mi-voix.

Mais la Brurjan le coupa d’un rire sonore.

— Cite-moi une seule chose qui mérite d’être possédée sans être en vie et en bonne santé ? demanda-t-elle.

— Elle veut laisser une marque en ce monde, un témoignage de son passage.

— Un peu comme un tas de crottes de cheval sur la route.

Hollyika lui décocha sa grimace brurjan mi-moqueuse mi- menaçante.

— T’es marrant, humain. J’ai ri plus souvent depuis que je t’ai rencontré que pendant les années qui ont précédé. Viens là, Noir.

Le cheval se retourna et se dirigea vers elle. Vandien la regarda avec curiosité et la vit lécher les blessures de sa monture, les nettoyant à l’aide de sa langue.

— Ça a bon goût ? lui lança-t-il, avec autant de grossièreté que possible.

Cela lui valut un nouvel éclat de rire.

Il s’agenouilla auprès de Ki, réalisant soudain que la Brurjan l’avait ligotée, pieds et poings liés.

Peut-être la Brurjan avait-elle eu plus de mal qu’elle ne l’avait laissé entendre pour maîtriser Ki. Les mots d’adieu de la Romni résonnaient encore douloureusement dans son esprit. La laisser partir une première fois avait déjà été difficile ; pourquoi fallait-il qu’il revive une telle épreuve ?

— Mais je t’ai promis, il y a longtemps, de ne jamais rien réclamer de toi que tu ne serais prête à m’offrir. Si tu ne veux plus m’offrir ta compagnie, comment pourrais-je t’y contraindre ? Je ne crois pas que tu fasses ce qui est le mieux pour toi ; mais je n’ai pas le droit d’en décider à ta place.

Il tendit la main pour défaire les courroies de cuir qui l’entravaient.

Le poignard de Hollyika se planta soudain dans l’herbe à côté de Vandien.

— Merci, marmonna-t-il, en s’apprêtant à s’en saisir pour trancher les liens.

Mais :

— Pas touche, Vandien. Le prochain jet de poignard ne sera plus un avertissement.

— Tu ne comprends pas, Hollyika. Je ne veux pas d’elle de cette manière.

— Peut-être pas. Mais moi, si. Je l’ai attrapée, je l’ai ligotée et elle est donc à moi. Tu as eu ta chance. Tu l’as laissée partir, tout en sachant qu’elle courait droit à la mort. Alors maintenant, elle est à moi, et je t’interdis de la toucher.

Les yeux sombres de Vandien se relevèrent pour la clouer sur place.

— Tu crois vraiment que je vais rester là sans rien faire ? demanda-t-il d’une voix glaciale.

Elle se mit à rire.

— Comme si ce que tu faisais avait la moindre importance ! Humain, je te l’ai dit. Et je ne te le dirai qu’une fois. Regarde-moi. Tu penses que tu pourrais me battre si nous nous affrontions pour elle ? Il existe une vieille coutume brurjan : tuer ses prisonniers plutôt que de les laisser être secourus. Si j’avais pensé que tu avais la moindre chance de la libérer, ce poignard se serait planté dans son cœur. Alors, pas touche et occupe-toi de tes propres affaires à présent.

Vandien resta immobile, le cerveau en ébullition. Il ne faisait pas le poids contre une Brurjan, même aussi affaiblie que l’était Hollyika, à moins de pouvoir la prendre en traître. Ki n’était pas en position de s’allier à lui. Il jeta un regard noir à Hollyika, en demandant :

— Pourquoi ?

Elle passa une main sous son armure pour se gratter.

— Parce que j’en ai envie. Ça ne me convient pas qu’elle retourne vers les Limbreth. Peut-être que je leur en veux de m’avoir jugée indigne de leur confiance et de m’avoir laissée sur la route pour y mourir. Peut-être que j’estime qu’elle se vendra un bon prix de l’autre côté de la porte. Peut-être que je pense lui devoir quelque chose. Ou à toi. Mais peut-être aussi que je fais ça pour te tourmenter. Tu te souviens de ce que je t’ai dit, Vandien ? Tu n’as pas besoin de savoir ce que je pense ou ce que je ressens. Seulement ce que je fais. Et je la laisse entravée, et je l’emmène avec nous. Apporte-moi de la nourriture, tu veux bien ? Si Noir n’avait pas déjà été saigné par ces maudits fermiers, j’aurais bien prélevé un peu de son sang.

— La nourriture est dans le sac. Va te la chercher toi-même, gronda Vandien.

Elle s’avança à pas rapides pour récupérer son poignard dans l’herbe. Elle le toisa de toute sa hauteur puis, avec un rire bref, lui décocha une bourrade qui l’envoya bouler. Il était toujours en train de s’en remettre lorsqu’elle récupéra le sac pour y prélever de la nourriture.

— Vandien, lança-t-elle d’une voix affable par-dessus son épaule, tu pourrais bien n’être pas complètement bon à rien. Au moins, tu es convaincant quand tu grondes, même quand tu sais que tu es battu. Tu veux quelque chose à manger ?

— Je suis encore en train d’avaler mon orgueil, merci, marmonna-t-il en se relevant pour épousseter ses vêtements des morceaux de mousse qui y étaient restés collés.

— De toute façon il est trop tard pour que tu aies le temps de manger, fit-elle observer avec calme. Il faut se remettre en selle. Je vais mettre Ki sur le dos du gris acariâtre. Si on doit tomber sur de nouveaux fermiers, je ne veux pas qu’elle me gêne. C’est toujours toi qui tireras sa monture, mais ne tente rien de stupide.

— Ai-je déjà tenté quelque chose d’autre ? demanda Vandien, amer.

Il s’avança pour l’aider à hisser Ki sur le dos de Sigurd. Elle était bien trop légère entre ses bras. Il l’installa de la manière la plus confortable possible, mais elle avait toujours l’air aussi fragile que la fleur qu’il avait piétinée. Tandis qu’il s’assurait qu’elle ne glisserait pas, la pluie se mit à tomber. Il n’y avait eu aucun signe annonciateur de son arrivée ; elle s’abattit sur eux comme un rideau glaçant, impitoyable.

Le temps que Vandien grimpe sur le dos de Sigmund, le cheval était déjà trempé. Il n’avait aucune envie de s’aventurer hors de l’abri formé par les arbres mais Vandien le força à se mettre en route. Hollyika et Noir ne formaient qu’une ombre floue devant lui. La route leur appartenait de nouveau, déserte de tout poursuivant, pour autant que Vandien pouvait en juger sous les trombes d’eau.

Le crépitement de la pluie noyait tous les autres sons. Les cheveux de Vandien lui collaient au front et de minuscules ruisseaux commencèrent à se former à la surface de son visage. Sa moustache lui faisait l’effet d’un chiffon humide pressé contre ses lèvres. Il secoua la tête pour se débarrasser des gouttes qui lui couraient sur le visage mais l’eau s’accrochait à sa peau avec la ténacité de l’huile. Il finit par se résigner et fixa son regard sur le dos de Hollyika qui avançait sans trêve, traversant prairies, champs et marais.

Au moins paraissait-elle connaître le même inconfort que lui. Aux endroits où elle était exposée, sa fourrure formait des mèches dégoulinantes d’eau. Sa crête détrempée s’était affaissée sur le côté, ce qui gâchait son allure soi-disant martiale.

— Vandien !

Le long cri strident avait traversé le rideau de pluie pour arriver à ses oreilles. À son tour, Vandien lança un appel en direction de Hollyika et stoppa sa monture. Sigmund semblait heureux de faire une pause. La route, auparavant si solide sous le pied, était de nouveau en train de se transformer un ruban boueux qui aspirait les sabots quand il ne se dérobait pas sous eux. Vandien frissonnait. La pluie s’écoulait le long de son bras nu d’un côté et détrempait sa manche de l’autre. Il n’avait pas le souvenir d’avoir connu une nuit plus misérable.

— Ki est réveillée, lança-t-il à la Brurjan dont le cheval noir était revenu vers lui à pas précautionneux. Avec ta gracieuse autorisation, je vais trancher les liens de ses chevilles pour qu’elle puisse chevaucher en position debout.

— Non. (La voix de Hollyika était ferme.) Je sais de quoi je parle. Elle trouverait un moyen de retourner sa monture et de la lancer au galop. C’est son cheval, après tout, et il a l’habitude d’obéir à sa voix. Non, elle sera très bien comme elle est.

Une colère froide commença à se faire jour dans le for intérieur de Vandien, tandis qu’il contemplait l’expression lugubre de la Brurjan. Il jeta un nouveau coup d’œil vers Ki, dont la chevelure terne et détrempée pendait lamentablement.

— Regarde-la, dit-il sèchement. Tu vas la tuer. Qui sait quand elle a eu à manger pour la dernière fois ?

— Non. Elle est plus résistante qu’il n’y paraît. C’est une évidence, même pour moi qui ne l’ai pas connue très longtemps. Je suis prête à parier qu’elle a mangé juste avant que je la rencontre sur la berge de la rivière. Et depuis, elle n’a fait que boire l’eau du Limbreth. Mais ne t’inquiète pas. Les Romni peuvent rallier l’autre bout du monde avec seulement une gorgée d’eau et un os à ronger. J’en sais quelque chose, j’en ai fait déguerpir suffisamment. Elle ira bien. Tu crois essayer d’aider ton amie, mais tu ne fais que servir les intérêts des Limbreth. Elle leur appartient. Ils accaparent toutes ses pensées ; elle ne se soucie plus de son propre bien-être ou de son confort. Alors, nous n’allons pas nous en soucier non plus. Qu’elle chevauche sur le ventre ; cela nous causera moins de soucis.

— Écoutez-moi !

Ki avait hoqueté ses mots en recrachant des mèches de cheveux. Elle haletait sous l’effort nécessaire pour parler, allongée sur le dos de Sigurd, le visage tourné vers le sol.

— J’ai quelque chose à vous dire.

— Alors parle, lui ordonna Hollyika tout en faisant taire Vandien d’un regard noir.

— Les Limbreth me parlent et, à travers moi, s’adressent à vous. Ils me prient de vous faire connaître leur volonté, aussi peu éclairés que vous soyez.

Ki marqua une pause et Hollyika leva les yeux au ciel devant le style dramatique de ses propos. Mais Vandien se pencha plus avant, les sourcils froncés, car la voix était étrangement différente de celle de Ki, comme si quelqu’un d’autre parlait par sa bouche. Même si, songea-t-il rapidement, il n’avait que rarement eu l’occasion de lui parler après qu’elle avait été jetée sur le dos d’un cheval, tel un sac de céréales.

— Les Limbreth ont décidé de vous offrir leur miséricorde. Cela leur fait de la peine, car vous vous détournez tous les deux de la grâce et de la connaissance qu’ils proposent ainsi que de la chance de faire plus de vos vies qu’une courte période dédiée à manger, se reproduire et dormir.

— Ils ont oublié « combattre », grinça Hollyika en direction de Vandien.

Ki prit une inspiration.

— Vous pouvez partir. Ils feront en sorte qu’il soit très facile pour vous de rejoindre la porte. Si vous me libérez et me laissez leur revenir afin de terminer la tâche que nous avons commencée. Ils ne souhaitent pas vous empêcher de poursuivre vos petits objectifs mesquins. Tout ce qu’ils demandent est le retour de leur servante consacrée afin qu’elle puisse revenir terminer la tâche qu’elle s’était elle-même assignée.

— Et si nous n’en faisons rien ? Si l’un de nos objectifs mesquins est de la ramener à la porte avec nous ?

— Alors vous échouerez. Vous trouvez la route mauvaise actuellement ? Défiez-les et vous verrez ce qu’il en adviendra. Les habitants de ce pays se soulèveront contre vous, en nombre tel que vous ne pourrez pas les ignorer, et la route oubliera le chemin de la porte, ne vous menant qu’à votre propre destruction. Ainsi qu’à la mienne. Vous voyez donc que vous ne pourrez me garder pour je ne sais quel but. Vous feriez mieux de me relâcher maintenant et de retourner à la porte sains et saufs plutôt que de suivre de façon entêtée un chemin qui nous mènera à la mort.

Hollyika émit un reniflement amusé.

— Quelle belle logique. Nous devrions te libérer et reprendre la route, ainsi tout le monde aurait ce qu’il voudrait. La seule chose qu’ils ont oublié de mentionner, c’est que tu courras vers la mort, de leur main à eux. Donc pour nous, ça ne change rien que tu meures en accomplissant la volonté du Limbreth ou en te faisant embrocher par un fermier. Vandien. Passe-moi la gourde.

Il défit le récipient accroché sur le dos de Sigurd. Hollyika le lui prit des mains et glissa au bas de sa monture. Ses bottes s’enfoncèrent dans la boue.

— Tu bois ou tu suffoques, lança-t-elle à Ki.

Comme Vandien ouvrait la bouche pour protester,

Hollyika le fit taire d’un regard funeste.

— Si tu descends de ce cheval, je te brise le cou. Ça n’est pas pire que cette saloperie que tu m’as fait avaler de force. Tu étais moins sensible et miséricordieux à l’époque. Regarde ailleurs, si ça te dérange vraiment.

Mais il en était incapable. La Brurjan se rapprocha de Ki, coinça la tête de la Romni au creux de son bras dans une position inconfortable et lui fit entrer de force le goulot dans la bouche. Elle pinça le nez de Ki et pressa sur la gourde. Ki hoqueta et cracha autant que possible en s’étouffant. Puis elle avala l’eau pour permettre à l’air de rentrer dans ses poumons. Mais elle fut obligée d’avaler de l’eau avant de recevoir de l’air. Hollyika la relâcha. Ki s’étrangla, haletante, avant d’éternuer violemment.

— Dommage qu’on ne puisse pas la forcer à avaler de la nourriture avec la même méthode, fit calmement observer Hollyika. Cela pourrait bien lui rendre ses esprits. Mais nous n’avons pas le temps de nous arrêter, ni le bois sec et la marmite nécessaires pour que tu lui concoctes un de ces ragoûts dégoûtants. Plus longtemps on restera ici, plus ils auront de temps pour mettre leur menace à exécution. Allons-y.

— La porte ne peut pas être loin, admit misérablement Vandien tout en examinant Ki.

Ses yeux étaient fermés et la pluie dégoulinait le long de son visage.

— Je me souviens avoir couru de la porte jusqu’au pont, à pied. Nous avons déjà parcouru une bonne distance depuis le pont. Je crois que les Limbreth savent que nous sommes presque hors de leur portée et qu’ils essayent de récupérer notre captive en bluffant.

— Allons-y.

Hollyika se remit en selle.

Le cheval noir reprit sa route au-devant d’eux et Sigmund le suivit à pas lents, Sigurd à une courte distance derrière lui. Vandien tenta de s’asseoir de manière à ce que son poids ne risque pas de déséquilibrer le grand cheval sur ce terrain boueux. La pluie s’abattait sur eux sans discontinuer depuis les cieux obscurs, et la route se réduisit à un sentier de boue au milieu des arbres. Vandien cherchait en vain du regard les arbres aux fleurs odoriférantes qui s’étaient penchés sur lui après qu’il avait émergé de la porte. Devant eux, tout n’était que ténèbres. Il n’y avait aucun signe de l’éclat rougeâtre de la porte. Les arbres qui bordaient la route étaient désormais des choses noires et sans feuilles dont les branches penchées sur eux n’étaient ornées que de longues épines.

Le sentier était plus étroit que dans le souvenir de Vandien, et mal entretenu. Des racines sortaient de terre en plein milieu de la voie dans l’espoir de faire trébucher les chevaux épuisés. Par deux fois, leur chemin fut coupé par un torrent. Les cours d’eau avaient taillé de larges tranchées dans le sentier, ce qui obligeait les chevaux à plonger dans l’eau avant de remonter en glissant le long de parois traîtresses. Ils continuèrent d’avancer, encore et encore. Le sentier se transforma en piste, puis se réduisit encore. Bientôt, les chevaux furent obligés de se frayer un chemin à travers des plantes grimpantes qui s’enroulaient d’un bord à l’autre de la piste. Vandien n’aurait absolument pas su dire quels signes Hollyika pouvait bien suivre. Il n’y avait même pas d’étoiles pour leur indiquer le chemin. Mais le destrier devant lui continuait de tracer sa route et il maintenait les chevaux gris dans son sillage. Vandien n’avait pas de meilleure idée, même s’il savait qu’ils auraient dû avoir rejoint la porte depuis longtemps.

Ils ralentirent de plus en plus. Sigurd était pratiquement sur les talons de Sigmund et Vandien entendit soudain la voix de Ki. Il ne savait pas depuis combien de temps elle s’était mise à parler, mais elle s’adressait à lui. Elle parlait d’un ton calme et raisonnable, ses mots étaient choisis et acérés.

— ... m’as tiré d’une lubie à une autre. Tu n’as jamais voulu me laisser vivre ma propre vie, à ma manière, hein ? Dans la passe des Sœurs, tu as détourné la mort de moi, alors que j’étais prête à en finir, que j’avais même envie de cette mort. Mais non, Vandien l’omniscient avait décidé que cela ne me conviendrait pas. Tu m’as imposé ta présence, tu as mis ma vie et mes habitudes sens dessus dessous, faisant de moi plus que jamais une étrangère parmi les miens. Toi, toujours bruyant et agité, incapable de voir quand un homme ferait mieux de rester silencieux ou quand un peu de gravité serait mille fois préférable à un rire sans cœur. Combien de fois tes idées stupides m’ont-elles ralentie alors que je devais me hâter vers un objectif précis ? Toi qui parles si souvent de camaraderie et de partage, tu appelles ça « respecter » les souhaits de l’autre ? La seule raison pour laquelle tu me veux à tes côtés est que tu as besoin de quelqu’un pour être la mère de l’enfant que tu es resté. Quelqu’un qui soit responsable de tes bêtises, qui se préoccupe du lendemain et qui prenne tes décisions à ta place. Il n’y a aucune affection là-dedans.

Vandien s’était affaissé sous le poids de ces paroles autant que de la pluie. Elles s’abattaient sur lui et l’érodaient. Les chevaux gris avançaient de moins en moins vite et il n’arrivait pas à empêcher son regard de revenir se poser sur Ki. Chaque mot le touchait avec froideur et clarté, aussi démoralisant que les trombes d’eau. La douleur était presque hypnotique. Il ne pouvait nier l’essentiel de ce qu’elle disait. Il encaissait les injures d’un air hébété.

— Espèce d’idiot ! Faudra-t-il que j’accroche également une longe à ton canasson, pour que nous puissions avancer tous en ligne, comme une cordée de mendiants aveugles ?

Hollyika poussa son cheval contre celui de Vandien et lui décocha un violent coup de coude dans les côtes. Elle ne plaisantait pas.

— Réveille-toi ! Je suis aussi épuisée que toi, mais il faut continuer. J’ai jeté un regard en arrière sans même arriver à te voir dans cette purée de poix. Tu veux te perdre ou quoi ?

— Ne sommes-nous pas déjà perdus ? demanda Vandien d’une voix fatiguée.

Hollyika ne répondit pas.

— Elle est revenue un peu à elle, déclara-t-elle pendant que Ki reprenait son souffle. Elle me semble un peu plus blessante et méchante que ce que le Limbreth pourrait lui inspirer de dire. Des attaques un peu plus personnelles, aussi. Lorsqu’on est entre leurs mains, les souvenirs personnels s’entremêlent en une brume floue. Mais elle semble plutôt bien se rappeler le temps que vous avez passé ensemble. Bon sang ! Tu t’es vraiment conduit comme un salaud avec elle ; je me demande pourquoi elle t’a gardé avec elle. Eh, toi, écoute !

Elle s’était tournée vers Ki et parlait d’un ton lugubre.

— Ferme ta grande gueule pendant une minute et écoute-moi. Tu espérais le convaincre de te libérer, hein ? Quelques coups de pieds bien placés dans leur fierté, comme tu l’as fait, et la plupart des hommes t’auraient relâchée. Mais moi, je n’ai aucune fierté que tu puisses blesser, et je suis celle qui te maintient captive. Tu peux en informer tes Limbreth. Et fais-leur aussi savoir ceci : j’ai analysé la situation en profondeur tout en chevauchant au milieu de cette saleté. Voilà mon offre. Qu’ils nous laissent trouver la porte, et alors on te laissera partir. Mais si on ne la trouve pas rapidement, je vais commencer à prélever du sang sur toi. J’ai faim, et je me contrôle mal quand j’ai faim.

Elle se tourna vivement vers Vandien.

— Je boirai ton sang à toi aussi, si tu te mêles de ce qui ne te regarde pas. Retire ta main du manche de ta rapière. Je vais prendre la longe, maintenant. Si tu ne fais pas plus attention, la seule chose que tu perdras, ce sera toi-même. En route !

Vandien ne bougea pas. Sa main reposait toujours avec légèreté sur sa rapière, là où il l’avait posée en entendant les menaces proférées par Hollyika. Et il tenait toujours la longe. Il braqua sur elle des yeux plus noirs que l’obscurité qui les entourait.

— Ne fais pas l’idiot maintenant, Vandien. C’est notre seule porte de sortie.

Vandien déglutit mais resta silencieux et immobile, attendant qu’elle agisse. Son cœur battait la chamade tandis qu’il s’efforçait de ne pas évaluer à quel point les chances étaient contre lui. Hollyika était plus proche de Ki que lui. Elle lui planterait un couteau dans le cœur avant qu’il n’ait le temps d’agir, à moins qu’il ne trouve un moyen de focaliser toute l’attention de Hollyika sur lui.

— Vandien. (La voix de Ki était aussi rauque à présent qu’elle avait été claire auparavant.) Je t’en prie. Non. Tu vas seulement nous faire tuer tous les deux.

— Et ça a de l’importance pour toi ? sourit Hollyika. C’est la première chose sensée que je t’entends dire. Un peu d’eau en plus te ferait du bien, si on en avait le temps. Mais ce n’est pas le cas. Et toi, avec la pluie qui te coule dans la bouche et te détrempe la peau ! Tâche donc d’utiliser ta cervelle ! Écoute-la ! Ne sois pas stupide.

La poigne de Vandien s’était raffermie sur la rapière. Il plissa les yeux pour essayer de percevoir les moindres mouvements de la Brurjan. Mais il faisait nuit noire et la pluie crépitante étouffait les sons les moins audibles qui accompagnaient les mouvements de la guerrière. De plus, son destrier s’agitait impatiemment. Lorsque son avant-bras épais jaillit et le fit tomber à bas de son cheval, il réalisa brusquement qu’elle avait en fait contrôlé son cheval par le biais de petits coups de talons. Il atterrit dans la boue et la bruyère et se débattit pour se relever tout en dégainant son arme. Mais le cheval de Hollyika s’était déjà interposé entre lui et Ki. Les yeux de l’animal luisaient d’un méchant éclat.

— Ça y est, tu as parlé aux Limbreth ? demanda Hollyika à Ki.

Comme elle ne recevait pas de réponse, elle se pencha pour l’agripper par les cheveux.

— Tu leur as parlé ? gronda-t-elle en soulevant la tête de Ki vers le haut afin qu’elle voie la lame nue du poignard devant son visage.

— Oui ! souffla Ki. Je n’ai pas besoin de leur parler. Ils entendent tout, ils savent tout.

Vandien s’était avancé discrètement pendant qu’elles parlaient, contournant lentement le cheval de Hollyika. Mais celle-ci reporta soudain son attention sur lui et, avec un juron, lança son destrier vers lui. Il battit en retraite, trébuchant sur les bruyères traîtresses. Il tomba lourdement sur le dos, les doigts toujours crispés sur sa rapière. Le cheval était encore en train d’avancer lorsque retentit la voix de Ki :

— La porte ! La porte !

Vandien attendit la mort, la pluie dégoulinant sur lui, sa rapière formant un minuscule aiguillon qui n’allait faire qu’augmenter le courroux du cheval de guerre qui marchait sur lui. Mais la Brurjan avait tourné la tête pour vérifier les cris de Ki. Elle coula un regard chargé de colère vers Vandien puis jeta un œil en arrière vers la Romni. Celle-ci secouait la tête pour écarter les cheveux mouillés qui lui collaient au visage.

— Là-bas ! cria-t-elle en indiquant une direction de la tête.

— Ça, alors... Ils se sont décidés drôlement rapidement.

La porte était visible sous la forme d’un éclat rouge derrière le rideau des arbres. La lueur était faible, un rouge sombre, mais dans ce lieu de ténèbres, elle brillait à la manière d’un phare. Hollyika décocha soudain à Vandien un sourire acéré, menaçant.

— Lève-toi, dit-elle en riant. On s’en va.

— Et moi ? hoqueta Ki. Laissez-moi partir. Au moins, laissez-moi m’asseoir.

Hollyika la jaugea en silence tandis que la pluie continuait à s’abattre autour d’eux.

— Laisse-la se relever, finit-elle par gronder à destination de Vandien.

Celui-ci se remit sur pieds en gardant un œil sur le cheval noir et s’avança vers Ki. Il remit sa lame au fourreau et tira son poignard pour couper les liens qui enserraient les chevilles de Ki. Il l’aida à se remettre d’aplomb jusqu’à ce qu’elle puisse supporter son propre poids. Elle s’agrippait à l’épaule déchirée de sa chemise pour garder l’équilibre.

— De l’eau ? lui proposa-t-il à voix basse.

Elle secoua légèrement la tête. Puis elle soupira et opina du chef d’un air de regret.

— La pluie ne fait que me donner plus soif encore. Ma gorge est si sèche que je pourrais boire n’importe quoi. J’ai l’impression d’avoir toutes les côtes fêlées.

— Ce ne sont probablement que des contusions.

Il attrapa la gourde pour elle et la déboucha. Hollyika était assise sur son cheval, l’air maussade. Elle regarda Ki prendre une gorgée, puis une pleine lampée. La Romni repoussa brusquement la gourde dans les mains de Vandien.

— Ça a le goût d’eau des marais ! se plaignit-elle.

Sa voix avait cependant récupéré un peu de force. Vandien ouvrit la bouche pour parler mais Hollyika prit la parole avant lui.

— Remets-la sur le cheval.

Elle s’était déjà emparée de la longe de Sigurd et en manipulait nerveusement l’extrémité. Vandien souleva Ki mais elle dut se débrouiller seule pour trouver sa place au milieu des sacs sanglés sur le grand cheval gris. Une fois installée, elle fit un hochement de tête et Vandien se dirigea vers Sigmund.

— Je crois que Ki se sent...

— Oh, la ferme ! siffla Hollyika. Ce que tu crois, ce qu’elle ressent, ça ne fait aucune différence. La porte est là. Suivez-moi.

L’endroit s’avéra plus éloigné qu’ils n’en avaient eu l’impression. À moins, songea Vandien, que la porte ne s’éloigne de nous au fur et à mesure que nous avançons. Cette idée ne lui plaisait guère. Ils suivaient la lueur comme un chaton une ficelle. Les Limbreth étaient-ils en train de jouer avec eux pour gagner du temps et rassembler une armée de paysans ? Il n’avait aucune idée de l’étendue des pouvoirs des Limbreth. Ceux-ci avaient-ils, comme le craignait Hollyika, envoyé la pluie pour les tremper jusqu’aux os dans l’espoir que le découragement les inciterait à leur obéir ? La route obéissait clairement à leur volonté, de même que les paysans. Vandien se baissa contre l’encolure de Sigmund pour rester à l’écart des branches basses qui menaçaient de le jeter à bas de sa monture. Ils ne suivaient plus de chemin défini. Hollyika les conduisait de bosquets en bosquets ; les chevaux trébuchaient sur des racines et se frayaient un chemin au milieu de buissons. La lumière rouge se fit de plus en plus visible, mais la silhouette de troncs noircis se dressait toujours entre elle et eux. Vandien gardait les yeux fixés sur le point rouge, au point de continuer à le voir même en clignant des paupières.

La porte du Limbreth
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