8.

 

 

 

 

— Ce n’est pas lui qui a fait ça, dit Ellen d’une voix ferme.

— Non, ça ne peut pas être lui, confirma Nicole tout aussi fermement.

Chloé les observa tour à tour. Elles étaient sincères. Rien dans leur voix ni dans leur attitude ne trahissait la moindre ambiguïté.

Aussitôt, elle se sentit mieux, libérée de cette impression de resserrement autour de la poitrine qui lui avait broyé le cœur et l’avait empêchée de respirer alors qu’elle écoutait l’interrogatoire de Mike.

Elle ne savait rien de lui. Mais que savait-elle des hommes en général ? Pratiquement rien. Et ce n’était pas parce qu’il lui avait fait connaître son premier orgasme que c’était forcément quelqu’un de bien !

Elle avait quand même de la peine à croire qu’il fût capable de brutaliser une femme. Lorsqu’il l’avait touchée, elle, ses grandes mains avaient été d’une douceur incroyable. D’accord, elle était en terre inconnue, son expérience des hommes et de l’amour était très limitée, mais elle n’arrivait pas à imaginer Mike en train de faire une chose pareille.

Elle ne savait rien de Mike, absolument rien, mais ce n’était pas le cas d’Ellen et de Nicole.

— Mike, faire du mal à une femme ? Jamais ! dit Ellen en berçant Gracie dans ses bras.

Nicole se passa la main sur le ventre.

— C’est l’homme le plus gentil du monde, dit-elle.

Chloé eut l’impression que ces paroles étaient prononcées à son intention et elle se demanda pourquoi. Cette affaire ne la concernait en rien.

— Je suis sûre que vous avez raison, dit-elle. Prenez-le pour ce que ça vaut, mais moi non plus, je ne pense pas que c’est lui qui a maltraité cette pauvre femme.

Elle repérait d’instinct les caractères violents. Elle avait le flair pour ça. C’est pourquoi elle s’était toujours défiée de son soi-disant père. Et elle avait compris pourquoi lorsque la détective privée avait découvert ce qui lui était arrivé à l’âge de cinq ans.

Elle avait compris que toute sa vie avait été marquée par l’hyperviolence du concubin de sa mère.

— Alors, ne vous fatiguez pas à essayer de me convaincre d’une chose que je sais déjà, ajouta-t-elle.

Ellen et Nicole échangèrent un regard.

— Passons plutôt dans le salon, dit Nicole avec un geste de la main. Après ça, je suppose que plus personne n’a faim.

L’estomac de Chloé était serré comme un poing.

Dans le salon, Ellen et Nicole, l’air de rien, coincèrent Chloé entre elles. Une fois assises sur le grand canapé, elles échangèrent un nouveau regard, au terme duquel il fut tacitement décidé que Nicole ouvrirait le débat.

— Chère Chloé, il faut que tu nous croies quand nous disons que Mike est innocent. Jamais il…

— Oh ! Mais je vous crois, dit Chloé en regardant tour à tour les deux femmes. Je vous crois. Même si mon opinion importe peu.

— Elle importe beaucoup, au contraire, dit doucement Ellen. Vraiment beaucoup.

— Mike ressent quelque chose pour toi, dit Nicole en posant sa main sur celle de Chloé. J’imagine qu’après ce que tu viens d’entendre, tu as de lui l’image d’un homme qui couche à droite et à gauche. Et tu ne te trompes pas, hélas ! Tout le monde cherche l’amour, mais il y a des gens qui ne le cherchent pas au bon endroit. Mike est de ceux-là. Mais il ne nous a jamais présenté une seule de ses conquêtes. D’après Sam et Harry, il n’a jamais eu de liaison durable, rien que des aventures d’un soir. Et je t’assure que nous ne l’avons jamais vu se comporter avec une femme comme il se comporte avec toi. Il te couve des yeux. Nous pensons que tu ne lui es pas indifférente et peut-être, conclut-elle en pressant la main de Chloé, peut-être qu’il ne t’est pas indifférent non plus.

Chloé revécut en pensée la scène qui s’était déroulée dans sa chambre, au Del Coronado. Les lèvres de Mike, son sexe contre son ventre. À ce souvenir, elle se troubla.

C’est le problème des peaux claires. Elle n’avait pas besoin de se regarder dans un miroir pour savoir qu’elle était rouge comme une pivoine. Elle ne vit aucune raison de mentir, alors que la vérité était écrite en lettres de feu sur ses joues.

— Non, reconnut-elle à mi-voix. Non, il ne m’est pas indifférent.

Ellen sourit.

— C’est ce que je pensais, dit-elle. C’est ce que nous pensions, renchérit-elle après un coup d’œil à Nicole. Et la raison pour laquelle nous nous permettons de fourrer notre nez dans tes affaires, chose qui doit naturellement t’agacer, c’est que nous voudrions que Mike soit heureux. Parce qu’il le mérite.

— Il nous a sauvé la vie, expliqua Nicole. À Ellen et à moi. Nous te raconterons toute l’histoire un de ces jours. Pour le moment, tout ce que tu as besoin de savoir c’est que, lorsque nos vies ont été en danger, Mike n’a pas hésité à se mouiller. Sam et Harry, ils étaient amoureux. Qu’ils risquent leur peau, ça allait de soi. Mais Mike l’a fait par amitié. Et aussi parce que, en dépit de son côté cavaleur, c’est un preux chevalier comme on n’en fait plus. Nous sommes très inquiètes. Les apparences sont contre lui. On ne voit même pas comment il pourrait s’en sortir.

— Le pire, c’est que ça lui arrive juste au moment où il vient de rencontrer une femme dont il commençait à tomber amoureux, et que maintenant il risque de la perdre, dit abruptement Ellen. Je t’en prie, ajouta-t-elle en pressant de nouveau la main de Chloé, dis-moi que cette triste histoire ne va pas tout gâcher. Dis-moi que tu vas lui donner une chance. Aujourd’hui, il avait l’air heureux comme jamais. Il ne te quittait pas des yeux. Il ne demande sans doute qu’à te prouver que lui aussi, il est capable d’amour. Ne le prive pas de cette chance.

Les deux femmes regardèrent intensément Chloé.

Chloé se leva brusquement et alla chercher son sac. Elle sortit son téléphone et garda le pouce appuyé sur une touche pour appeler la seule personne dont elle avait le numéro en appel abrégé. La seule personne en qui elle pouvait avoir confiance pour tirer cette affaire au clair.

Nicole et Ellen la suivaient des yeux. Elles avaient l’air anxieuses.

— OK, leur dit-elle. Vous voulez aider Mike ? Eh bien, moi aussi !

Elle sourit lorsque, à l’autre bout du fil, une voix féminine répondit.

— Amanda ? C’est Chloé. Oui, je suis à San Diego. Amanda, j’ai besoin de ton aide.

Elle regarda les deux femmes assises en face d’elle sur le canapé et, pour la première fois de sa vie, elle se sentit en famille.

— Nous avons besoin de ton aide, rectifia-t-elle.

 

 

— On recommence tout, dit O’Connell.

Mike grogna. Ça faisait combien de fois qu’on recommençait ?

La pièce puait la sueur et l’angoisse. Mike pensa que les cellules de prison devaient avoir cette odeur-là. Il risquait de le vérifier bientôt, car les choses se présentaient mal.

Mike ne pouvait pas en vouloir à O’Connell. À la seconde où Mila Koravitch s’était réveillée, elle l’avait identifié comme étant son agresseur. Elle couvrait l’enfant de salaud qui l’avait vraiment envoyée à l’hosto. Les flics croyaient qu’ils avaient un dossier en béton. Ce n’était pas le cas. Mais ils avaient assez d’indices pour le garder en prison jusqu’au procès.

Sam et Harry feraient tout pour empêcher ça. Ils paieraient la caution, même si RBK devrait emprunter pour cela, car compte tenu de leur trésorerie, le moment était mal choisi. Et ils devraient aussi emprunter pour lui payer un grand avocat. Il en était malade.

Il était innocent. Sam et Harry n’avaient qu’à le laisser moisir sur la paille humide des cachots jusqu’à ce que la police et la justice en fassent la preuve. Mike savait qu’ils ne feraient jamais ça, mais ils devraient.

De toute façon, il n’avait pas envie de rentrer à la maison, d’affronter le regard d’Ellen ou de Nicole et encore moins celui de Chloé. Il avait trop honte. Chloé ! L’espoir qu’il avait éprouvé depuis qu’il avait posé le regard sur elle, la chaleur dans ses yeux lorsqu’elle le regardait, ce baiser tendre qui promettait beaucoup plus – envolé, tout ça !

Mike ne supportait pas l’idée de l’avoir déçue et de lui avoir fait de la peine. Chloé se détournant de lui avec dégoût, non, il ne voulait pas voir ça.

Il méritait de pourrir en prison. Pas parce qu’il était coupable de ce dont on l’accusait, il était innocent et le savait bien, mais parce qu’il avait passé les vingt dernières années à baiser des femmes dont il se foutait pas mal.

— Donc, je suis sorti de chez moi vers 11 heures, reprit-il pour la énième fois. J’ai pris ma voiture. Après avoir tourné un peu, je me suis retrouvé dans Logan Heights. Je suis allé de bar en bar et j’ai fini par atterrir dans un endroit qui s’appelle la Caverne. J’y suis arrivé vers minuit. J’ai bu. Et puis, j’ai rencontré une femme. On a échangé quelques mots…

Les coups frappés à la porte les étonnèrent tous les deux. On n’interrompt pas un interrogatoire, c’est la règle. O’Connell serra les dents et Mike plaignit le type qui se trouvait de l’autre côté de la porte – sans doute un flic jeune et inexpérimenté.

À sa grande surprise, ce n’était pas un jeune flic. C’était un vieux de la vieille, que Mike avait connu du temps où il était dans les SWAT : l’inspecteur Jerry Klein. Et, derrière lui – chose à peine croyable ! –, se trouvaient Harry et Sam.

O’Connell se leva d’un bond. Il était furax. Il avait de bonnes raisons. De la part d’un vieux flic, c’était déjà impardonnable. Mais les deux civils ! Ils se croyaient où, ceux-là ? Ils confondaient visite à un ami et entrave à la justice ! Ils ne savaient pas que c’était un délit d’empêcher un officier de police d’accomplir son devoir.

O’Connell prit son souffle et ouvrit la bouche. Mais avant qu’il ne commence à l’engueuler, Klein posa un ordinateur portable sur la table.

— Excusez-moi, chef, mais ces deux messieurs ont cru bon de porter à ma connaissance des éléments importants. À mon avis, il faut que vous voyiez ça.

Klein se mit au garde-à-vous, regarda Mike d’une drôle de façon et, pour couronner le tout, lui fit un clin d’œil.

Qu’est-ce que ça voulait dire ?

Klein alluma l’ordinateur et puis s’écarta pour faire place à Harry. C’était un virtuose de l’informatique. Tout le monde se pencha pour le regarder œuvrer, mais il ne fit rien de plus prodigieux que d’ouvrir sa boîte mail.

— Ellen m’a fait savoir que Chloé avait appelé à la rescousse la détective privée qu’elle connaît à Boston, expliqua Harry, et cette fille n’a pas été longue à déterrer quelque chose de vraiment important.

Le mail avait des pièces jointes. Harry cliqua sur la première. Elle s’ouvrit et sur l’écran apparut l’image d’une rue, la nuit. La caméra avait un objectif grand angle qui permettait de voir dix mètres sans distorsion. Une femme apparut dans le cadre, tapota sur quelque chose qui se trouvait hors-champ. Ces images avaient été prises par la caméra d’un distributeur de billets. Après la femme, quatre personnes vinrent retirer de l’argent. En lettres blanches, dans le bas à droite, on pouvait lire la date et l’heure : 4 Jan, 03.02. Jusqu’à 3 h 07, il ne se passa plus rien et puis une silhouette apparut sur la droite et traversa l’écran à toute vitesse.

Les doigts d’Harry dansèrent sur le clavier. Il fit reculer le film au ralenti et puis appuya sur une touche. Arrêt sur image. La silhouette s’immobilisa au milieu de l’écran. C’était Mike en train de courir. Le corps était flou mais la caméra l’avait saisi au moment où il tournait la tête. Le visage était facile à reconnaître.

— Cela a été enregistré à 3 h 07 dans Griffin Street, à quatre pâtés de maisons d’Alameda Street. Nous pouvons suivre Mike jusqu’au ferry, où il arrive à 3h48.

Ils regardèrent une série d’images prises par des caméras de surveillance situées le long du chemin suivi par Mike – quatorze au total. La détective de Boston connaissait son boulot. En un rien de temps, elle avait vérifié le contenu de pratiquement toutes les caméras de surveillance entre Alameda Street et l’embarcadère. Ça demandait du talent et du matos.

Sur l’écran, à présent, on voyait Mike qui sautillait sur le quai. Il était reconnaissable, malgré la buée qui sortait de sa bouche et estompait un peu sa figure. Il n’avait pas en mémoire tous les détails de sa course mais, en revanche, il se souvenait très bien d’avoir couru sur place en attendant le ferry. Lorsque Mike finit par embarquer, l’heure indiquée dans un coin de l’image était 4 h 10.

La dernière pièce jointe était un bout de film où l’on voyait Mike sur Coronado Shores. Il traçait une dernière ligne droite au pas de charge, entrait dans son immeuble et saluait le veilleur de nuit. Mike avait déclaré être rentré chez lui vers 5 heures. Les caméras de surveillance le confirmaient. Il aurait été à la rigueur possible d’agresser Mila Koravitch à 4 heures et d’être rentré à la maison à 5 heures, à condition de faire le trajet en voiture. Mais Mike était revenu en courant et il y avait des images pour le prouver.

Harry se tourna vers O’Connell et le regarda avec dureté.

— Si j’ai bien compris, l’appel au 911 a été passé à 4 h 02. L’embarcadère est à 18,9 km d’Alameda Street. Or, nous venons de le voir, à cette heure-là, Mike attendait le ferry. Donc, ça ne peut pas être lui qui a tabassé cette femme.

Tous les regards convergèrent sur O’Connell. Celui-ci envisagea le problème sous tous les angles pendant un moment. Puis, il posa délicatement son calepin sur la table à côté de l’ordinateur et se tourna vers Mike.

— Je suis bien content de ne pas avoir à te mettre les menottes, Keillor. Tu es libre.

Mike poussa un soupir de soulagement. Il était libre grâce à Chloé.

Sam et Harry congratulèrent Mike et O’Connell lui tapa dans le dos, soulagé lui aussi. C’était un honnête homme. Il n’avait fait que son devoir. Mike lui tendit la main.

— J’espère que tu trouveras le salaud qui a fait ça…

O’Connell serra la main de Mike.

— Nous avons entendu dire qu’elle avait un petit ami qui aimait lui taper dessus. Nous allons nous intéresser à lui. Et d’abord, réinterroger la fille. Quant à toi, fais gaffe où tu mets les pieds, d’accord ?

Pour ça, oui ! Mike venait de recevoir une leçon. On ne l’y reprendrait plus. Sauf que, pour Chloé, c’était sans doute trop tard.

Sam le tira par la manche.

— Viens, on s’en va. Avec tout ça, on n’a toujours pas fait la fête. Nos femmes nous attendent.

Nos femmes. Pour Sam et Harry, c’était la stricte vérité. Ils avaient des épouses formidables qui les attendaient. Dans un autre monde, Mike aussi aurait eu une femme à rejoindre – un monde dans lequel il n’aurait pas couché avec la première venue, n’aurait pas rencontré l’exquise Chloé Mason juste après avoir sauté une maso qui, déçue de ne pas s’être fait démolir par lui, avait appelé quelqu’un d’autre pour finir le boulot.

Dans ce monde-là, il aurait pu recommencer à zéro avec Chloé. Tandis que, dans ce monde-ci, c’était fini avant d’avoir commencé.

Il y était allé fort avec elle. Il avait aussitôt été séduit, attiré. Il avait éprouvé un sentiment proche du bonheur rien que de se trouver dans la même pièce qu’elle ! Et il… il lui avait fait la cour. À sa manière…

L’espace d’une seconde, il avait pu croire que ce qui était arrivé à Sam et à Harry était en train de lui arriver aussi. L’un comme l’autre, ils avaient eu le coup de foudre pour leur femme. À présent, ils étaient heureux, installés, éperdument amoureux… Et lui, comme un imbécile, il avait cru qu’il venait de trouver ce qu’il avait toujours cherché, quelque chose d’authentique et durable. Quelque chose de beau et de propre.

Quelque chose qu’il avait détruit alors qu’il venait à peine de le découvrir.

Ce que cela aurait pu être, il ne le saurait jamais. Maintenant, une moitié de lui-même avait besoin de Chloé comme il avait besoin d’air et d’eau. Et l’autre moitié avait envie de la repousser. Elle avait beaucoup souffert, elle méritait mieux qu’un type comme lui.

Dans l’ascenseur, Harry ne dit pas un mot. Sam ne s’en rendit même pas compte. Il était soulagé que Mike soit tiré d’affaire. Il avait hâte de reprendre les festivités là où elles avaient été interrompues.

Cependant, lorsque la cabine s’ouvrit, Harry étendit le bras pour barrer le passage à Mike. Harry était costaud, mais pas autant que Mike. S’il l’avait voulu, Mike aurait pu forcer le passage. Mais Harry était comme son frère et il avait quelque chose à lui dire. Alors, il fit signe que c’était OK.

Harry s’adressa d’abord à Sam.

— Écoute, Sam, dit-il posément, j’ai deux mots à dire à Mike en privé. Tu veux bien nous attendre dans la voiture ?

Harry avait toujours l’air sombre, mais là, on aurait dit qu’il venait d’enterrer son meilleur ami et son chien dans la même journée. Sam s’éloigna sans poser de question. Harry se tourna vers Mike et posa une main sur son épaule.

— Je suis heureux que tu sois mis hors de cause.

Le visage d’Harry était impassible. Il disait des choses agréables à entendre, mais il les disait d’un peu trop près. Inquiet, Mike approuva :

— Oui, moi aussi. Je n’aurais jamais pensé aux caméras de surveillance qui pouvaient se trouver le long de mon chemin. Et encore moins à celles des distributeurs de billets !

Il disait vrai. Et il était sincère en ajoutant :

— Je dois une fière chandelle à Chloé.

— Ça, tu peux le dire. C’est une chic fille. C’était la plus adorable gamine que tu puisses imaginer. Tendre, gentille, délicate. Chloé a vécu l’enfer, continua-t-il en fixant Mike d’un regard noir. J’ai remarqué qu’elle t’avait tapé dans l’œil, mais je sais comment tu te comportes avec les femmes. Je suis désolé d’avoir à te dire ça, mais il le faut. Baise qui tu veux, où tu veux, ce n’est pas mes oignons. Mais je ne veux pas que tu tournes autour de ma petite sœur. Elle mérite mieux qu’un homme comme toi. Tu vas me donner ta parole que tu ne la toucheras pas. Parce que, si tu la touches, je te casserai la gueule. Enfin, j’essaierai. Tu pourrais bien emporter le morceau, mais ça n’arrangerait pas tes affaires auprès de Chloé. Pas vrai ?

Mike hocha la tête. Sûr que contre Harry, il aurait le dessus, parce qu’il était le plus fort et aussi le plus vicieux. Dans une bagarre, il ne reculait devant aucun coup bas. Mais après ? Il aurait gagné une bataille, et perdu Chloé. Elle serait définitivement dégoûtée de lui, s’il abîmait son frère. De toute façon, il n’avait pas envie de se battre avec Harry. Il le comprenait. À sa place, il aurait fait pareil. Il aurait averti son pote de ne pas toucher à sa sœur. Quand on a une petite sœur, on cherche à la protéger de types comme Mike, qui sautent sur tout ce qui passe à leur portée.

Mike ne pouvait que s’incliner. Parce que Harry avait raison.

Il n’était pas l’homme qu’il fallait à Chloé. Voilà tout.

Harry se mit à pétrir l’épaule de Mike. Il avait des mains vigoureuses. Les épaules de Mike avaient beau être dures comme de l’acier, ça lui fit quand même un peu mal.

— Je t’aime beaucoup, Mike, tu le sais, dit Harry. Mais il y a quelque chose qui cloche chez toi. C’est pour ça qu’il n’est pas question que tu touches à Chloé. Suis-je clair ? ajouta-t-il en secouant Mike. Je ne peux pas te demander de ne pas t’approcher d’elle, parce qu’on n’arrête pas de se voir, mais je te demande de ne pas lui faire du gringue. Sois gentil avec elle, laisse-la tranquille.

Mike ne dit rien. Chaque muscle de son corps était tendu à craquer. Harry le secoua plus fort.

— Tu m’as entendu ? Réponds !

— Oui.

Mike avait craché ce oui comme un caillou qui lui obstruerait la gorge.

— Oui, quoi ?

Mike se força à se détendre et à avaler un peu d’air. Il avait mal partout.

— Oui, je ne toucherai pas à Chloé.

La poigne d’Harry se fit sentir plus fort encore sur l’épaule de Mike.

— J’ai ta parole ?

Harry savait ce qu’il demandait. Mike draguait peut-être à droite et à gauche, mais sa parole était sacrée.

Mike prit une profonde inspiration et ce fut comme s’il avalait du feu.

— Je ne toucherai plus jamais Chloé, tu as ma parole.