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C’est une sorte de temple antique, au milieu d’une clairière perdue dans la verte forêt galicienne, à quelques lieues seulement de Saint-Jacques-de-Compostelle. La façade est sculptée de fins ornements, et son entrée bordée de deux colonnes corinthiennes qui se terminent en larges chapiteaux et supportent un fronton à jour triangulaire. Au pied des murs de pierres grimpent des lierres qui, tels des bras sortis de la terre, semblent vouloir empêcher l’édifice de la quitter.
Si le lecteur, poussé par quelque légitime curiosité, passait le porche de ce temple, il arriverait dans la pénombre d’un vestibule envahi par la poussière et par la flore environnante, sans meuble ni décor, aux murs craquelés, au sol jonché de débris, et il aurait le sentiment, sans doute, de visiter une ruine oubliée de l’Antiquité. S’il franchissait ensuite la porte qui se niche au bout de ce prodromos – mais alors pour cela il faudrait qu’il se baisse car cette porte est bien basse, et il faudrait qu’il en trouve les clefs car cette porte est close – s’il la franchissait, disons-nous, il découvrirait derrière une longue salle qui, remplissant la quasi-totalité de la surface du temple, s’inscrit dans les belles proportions du rectangle d’or, et il verrait alors que les lieux sont occupés par une bien étrange assemblée.
Cette vaste salle n’a pas de fenêtre et ne reçoit pour lumière que celle des bougies qui brûlent sur trois chandeliers, dressés en son centre et qui forment un triangle droit. De chaque côté des chandeliers, longeant les murs latéraux, sont deux rangées de fauteuils, et sur ces fauteuils sont des hommes, et ces hommes portent de longs manteaux blancs. Au pied de la paroi qui fait face à la porte, et qui est à l’orient, une estrade élève trois trônes en bois de cèdre ouvragés, et sur ces trônes, dominant l’assemblée, sont trois hommes, et celui qui se tient au milieu est une figure que le lecteur connaît.
C’est Simón Diaz, que l’on a vu recevant Andreas en sa maison de Saint-Jacques-de-Compostelle et lui soufflant le secret du tombeau de Priscillien.
Et maintenant c’est lui qui parle :
— Il va trouver le Livre, dit-il.
— En es-tu certain, mon frère ? dit un autre.
— Je le suis, répond-il.
— Et comment peux-tu l’être ? demande un autre encore.
— Je le suis car il est parti pour le mont du Néant, que l’on appela par la suite mont Sinaï, mont de Moïse ou Djebel Moussa, et qu’il a remporté trop d’épreuves pour ne pas mener sa quête jusqu’à son terme. Il a vaincu le roi de France, il a vaincu l’Inquisition, il a vaincu les Mal’achim, et il est accompagné de deux braves adolescents. J’ai vu dans ses yeux la lueur de celui qui n’abandonne jamais et qui ne vit que pour découvrir la vérité.
— Moi aussi, j’ai vu cela.
— Et moi aussi.
— Et quand il l’aura trouvé ?
À cette question, nul ne répond. Le silence règne car tout est dit. Et alors les bougies s’éteignent une à une, et les visages rentrent dans l’ombre, et les corps s’effacent, et c’est comme si, soudain, tout avait disparu.