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Il était si tard qu’ils n’avaient aucune chance de trouver une auberge où dormir ; en outre, ne parlant pas le galicien, la chose se fût sans doute révélée compliquée. Aussi, Robin et Aalis, après s’être éloignés de la cathédrale, optèrent-ils pour un ancien hórreo – ces longs greniers de bois rectangulaires qui reposent sur des piliers afin de les maintenir à l’abri des rats et de l’humidité et où, depuis l’époque romaine, on conservait en ce pays le maïs et les fèves.
S’étant hissés à l’intérieur en prenant garde à ce que personne ne les vît, ils trouvèrent de nombreux sacs de toile dont ils se couvrirent tous les deux en s’allongeant sur un tas de paille, et Aalis, qui pleurait encore un peu, se blottit contre l’apprenti.
Ils étaient éreintés l’un et l’autre, Robin était blessé au visage, mais après les aventures qu’ils venaient de vivre, aucun des deux ne put trouver le sommeil.
— Pourquoi les hommes sont-ils ainsi ? murmura soudain la jeune Occitane comme si elle se fût parlé à elle-même.
Elle avait les yeux grands ouverts, malgré la pénombre, et fixait le toit de leur cabane de bois.
— Que veux-tu dire ?
— Ce que cet homme a voulu me faire tout à l’heure, c’est… C’est la troisième fois que cela m’arrive.
— Oh ! Mon Dieu ! Je… Je suis désolé…
— Pourquoi les hommes sont-ils ainsi ? répéta-t-elle.
— Tous les hommes ne sont pas comme ça, Aalis, tu le sais bien.
— Parfois, je me demande…
— Penses-tu cela d’Andreas et de moi ?
La jeune fille ne répondit pas.
Après un long moment de silence, pendant lequel Robin, sans vraiment y songer, avait tendrement caressé le front de la jeune fille, Aalis déclara soudain :
— Peut-être est-ce ma faute.
— Pourquoi dis-tu cela ?
— J’ai tué mes parents.
Robin tourna lentement la tête vers elle.
— Je sais, Aalis, je me souviens. Mais je ne vois pas le rapport…
— Eh bien, c’est sans doute pour cela qu’il m’arrive toutes ces choses. C’est la punition que Dieu m’inflige. Je l’ai méritée.
— Allons ! Ce n’est pas ainsi que cela fonctionne, Aalis, et tu ne mérites aucune punition. Je te connais, maintenant, tu as le cœur bon, et Dieu le sait certainement, lui aussi, car il sait tout.
— Alors pourquoi me punit-il ainsi ?
— Ce n’est pas Dieu qui te punit, ce sont ces hommes-là qui sont des bêtes… et eux, sans doute, seront châtiés. Le monde est ainsi, Aalis. Il est dangereux pour une fille de ton âge qui voyage seule… Surtout quand… Surtout quand elle est aussi belle.
Aalis esquissa son premier sourire de la soirée.
— Seriez-vous en train de me faire du charme, monsieur Meissonnier ?
— Non ! se défendit l’apprenti, heureux que le rouge qui venait de monter à ses joues ne pût se voir dans les ombres. Non… Ce que je veux dire, c’est que… tu es belle… et… comment dire ? Certains hommes, qui n’ont pas de morale… Eh bien…
Aalis se tourna vers lui à son tour.
— Toi aussi, tu as le cœur bon, murmura-t-elle.
— J’essaie de suivre l’exemple de mon maître, qui, même s’il se donne parfois l’apparence d’un homme dur, est l’homme le plus généreux que je connaisse.
— Il est compliqué, dit la jeune fille.
— Pas autant qu’il veut le faire croire…
Aalis sembla réfléchir.
— Promets-moi de ne pas lui dire ce qu’il s’est passé ce soir. Je ne veux pas qu’il le sache.
— Je te promets.
— Merci. Et merci de… Merci de m’avoir sauvée.
Et alors elle l’embrassa chastement sur le front.
— Essayons de dormir, à présent. Demain, nous irons retrouver cet homme compliqué.