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Si Andreas et ses compagnons, pris par leur aventure, semblaient ne plus avoir pensé aux Mal’achim depuis plusieurs jours, le lecteur, lui, ne les a certainement pas oubliés, et il ne sera donc pas étonné de les voir entrer à leur tour, avec l’opiniâtreté qu’on leur connaît, dans la ville de Compostelle.
Et ce ne fut point un spectacle engageant : leurs costumes noirs de la tête jusques aux pieds se mariaient parfaitement aux couleurs de la ville, c’était même à croire qu’ils avaient été conçus pour elle. Derrière le rideau de la pluie, c’était deux silhouettes lugubres, épaissies par le soir, juchées sur leurs chevaux, qui parcouraient au pas les rues de la vieille cité. L’eau qui ruisselait sur leurs pourpoints étincelait par moments dans des éclats argentés qui agrandissaient encore leur fantastique allure, et nous donnons ici au mot « fantastique » le sens de ce qui semble irréel, car en vérité on eût dit deux fantômes. La lenteur du pas de leurs chevaux, enfin, plein d’une sinistre majesté, tel celui des montures conduisant un empereur triomphant devant la plèbe de Rome, achevait le funeste tableau.
Indifférents à la terreur qu’ils inspiraient sur leur passage – ici qui verrouillait sa porte, qui partait en courant – ils s’arrêtèrent enfin au milieu de la place Quintana, et ce fut comme deux statues équestres qui s’élevaient sur elle.
Le plus grand des deux, qui était Suriel, descendit de cheval et, la main sur le pommeau de son épée, promena son regard sur la grande esplanade. Puis il releva la tête vers son jeune frère et murmura, souriant :
— Il est ici.