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Aalis se précipita dans la maison de ses parents et, sans même s’arrêter devant sa mère qui préparait encore des marchandises pour la foire de Montpellier, elle partit, les joues trempées de larmes, se réfugier dans la chambre à l’étage.
La chose n’avait pas échappé à Mme Nouet qui, rapidement, alla chercher sa fille et la trouva étendue sur sa paillasse, la tête enfouie dans son manteau.
La drapière, attendrie, vint s’asseoir à côté d’elle et passa une main dans sa chevelure châtaine.
— Allons, ma fille, que se passe-t-il ?
Aalis, secouée de sanglots, ne répondit pas ; les mots lui semblaient trop horribles. Sa mère s’approcha davantage et se blottit contre elle.
— Aalis, ma petite Aalis ! Pourquoi pleures-tu ?
— C’est… C’est Zacharias, balbutia finalement la jeune fille d’une voix étouffée par les pleurs.
Les doigts de Mme Nouet continuèrent de caresser lentement son cuir chevelu.
— Il… Il est mort.
La drapière poussa un soupir, serra sa fille dans ses bras, puis elle l’obligea à se retourner afin de pouvoir la regarder dans les yeux et essuyer les larmes sur ses joues.
— Mon pauvre enfant… C’est ainsi. Je comprends que tu sois triste, mais il était vieux, tu sais.
— Non ! On l’a tué !
Et la colère monta au front d’Aalis, y chassant la seule tristesse.
— On l’a tué maman ! C’est le prévôt, n’est-ce pas ?
— Allons, allons ! Calme-toi ! répondit Catherine d’un ton énergique. M. Ardignac n’y est sûrement pour rien.
— Si ! C’est le prévôt qui l’a tué ! insista la jeune fille. Parce qu’il était juif !
— Ne dis pas ça. Tu ne sais pas.
Aalis se redressa et, de ses grands yeux verts injectés de sang, elle dévisagea sa mère.
— C’est vous qui l’avez dénoncé ?
— Non.
— Papa a dit qu’il le ferait si je retournais voir Zacharias ! C’est lui qui l’a dénoncé !
— Non Aalis, répéta fermement la drapière. Ton père ne l’a pas dénoncé au prévôt.
— Tu me le promets ?
— Je ne suis pas sûre qu’une mère doive promettre quoi que ce soit à sa fille, mais si cela peut te rassurer, alors oui, je te promets que ton père ne l’a pas dénoncé au prévôt.
Aalis resta un instant immobile, les yeux plantés dans ceux de sa mère, comme si elle essayait d’y lire une autre vérité, puis elle se laissa de nouveau tomber sur sa couche de paille.
Catherine Nouet continua de caresser les cheveux de sa fille pendant un long moment, comme savent si bien le faire les mères, puis elle se leva.
— Je dois aller finir d’aider ton père. Nous partons demain matin pour la foire de Montpellier. Tu vas rester seule ici une semaine entière, pour surveiller la boutique. Cela te donnera du temps pour te consoler, ma fille. Tu dois apprendre à accepter la mort, car c’est la volonté de Dieu.
Mais Aalis, du haut de ses quatorze ans, savait déjà qu’il est des douleurs dont on ne se console jamais.