CHAPITRE 18
Dissimulée dans le sourire d’une énorme sculpture de reine hapienne à flanc de falaise, l’entrée secrète du Hangar Royal constituait, comme tout ce qui était associé au Palais de la Fontaine, un témoignage de la richesse et de la puissance du Consortium de Hapes. Elle était également conçue pour accueillir les petits navires sportifs que les messagers ou les amants secrets employaient généralement, pas les transporteurs comme le Faucon Millenium.
Comme ils descendaient le tunnel d’accès, Han tourna son attention vers la longue ligne de lumeliers de cristal suspendus au plafond et espéra que C-3PO avait vu juste concernant leur gabarit. Certes, Tenel Ka ne serait pas du genre à lui tenir rigueur s’il heurtait quelque chose, mais il ne partirait pas du bon pied pour la convaincre que Jacen devait être neutralisé.
Dans le siège du copilote, Leia laissa brusquement échapper un hoquet, suivi de deux inspirations très vives.
Les yeux de Han se baissèrent vers l’affichage d’aide à la manœuvre. Pour autant qu’il puisse en juger, il disposait toujours d’au moins dix centimètres de marge de tous les côtés.
— Qu’est-ce que j’ai touché ? demanda-t-il. Je n’ai rien senti.
Comme Leia ne répondait pas, C-3PO prit la parole :
— Je ne crois pas que vous ayez heurté quoi que ce soit pour le moment, capitaine Solo.
— Inutile d’adopter un ton aussi déçu, (Han retourna son attention vers le hublot avant et aligna les mandibules de chargement du Faucon directement sous le dernier lumelier au plafond.) Ce n’est pas comme si tu avais parié là-dessus.
— Parier contre vous n’aurait aucun intérêt, répondit C-3PO. Je ne disposerais d’aucun endroit pour accumuler mes gains. Les droïdes ne sont pas autorisés à contrôler des comptes bancaires excédant un million de crédits.
Han aurait pu rétorquer que C-3PO n’avait pas à s’inquiéter de cela, mais il savait que le droïde était capable de se remémorer tous les paris que Han lui avait un jour proposés. Et il n’avait vraiment aucune envie d’écouter la litanie de l’issue de chacun d’eux.
Une fois le Faucon sorti du tunnel d’accès, il s’engagea dans l’opulent hangar de la Reine Mère. Puis il jeta un coup d’œil à Leia pour voir pourquoi elle ne lui avait pas répondu.
Elle était assise en avant sur son siège, appuyée contre ses sangles de sécurité, une main sur la bouche. Ses yeux étaient fixés vers l’extérieur du hublot, loin, loin devant eux. Et elle avait adopté l’Expression. Le cœur de Han se figea. Tout parut se figer. Et, alors que la Faucon se tournait vers les signaux de guidage orange, il n’eut même pas conscience d’avoir orienté le manche à balai dans leur direction.
— Oh...oh ! souffla-t-il. Pas encore... pas Jaina !
Leia secoua la tête, mais elle avait toujours l’air de quelqu’un qui vient de voir une étoile exploser.
— Non, Jaina va bien. Enfin, plus ou moins. Je ne sais pas.
— Tu ne sais pas ? s’exclama Han.
Il ressentit une terrible envie de lancer une salve de missiles à concussion contre la paroi du hangar, de braquer le Broyeur de Soleil vers le noyau de la galaxie. S’il était arrivé quelque chose à Jaina, il n’y avait plus que Leia et lui, désormais, car Jacen ne comptait plus. Ils en avaient discuté en chemin vers Hapes, de manière calme et posée. Il ne leur avait fallu que deux minutes pour conclure que leurs deux fils étaient désormais perdus, que Jacen était mort à leurs yeux. Perdre aussi Jaina semblait inimaginable, insupportable. Han ignorait s’il serait capable de se montrer de nouveau assez fort pour ça, s’il pourrait soutenir Leia durant cette épreuve comme il l’avait fait lorsque Anakin était mort. Han parvint à guider le Faucon jusqu’à son poste d’amarrage et le posa sur ses trains d’atterrissage. Puis il prit plusieurs inspirations, en essayant d’employer l’une de ces fameuses techniques de relaxation Jedi dont Leia lui avait parlé pour l’aider à se contrôler.
— D’accord, dit-il. Que veux-tu dire par « plus ou moins » ? Soit tu sens qu’elle est en vie, soit non.
Leia parut enfin comprendre la panique qu’elle avait causée chez lui et serra la main de Han entre les siennes.
— Elle va bien. Je veux dire, elle se remettra. Je pense qu’elle est affectée parce qu’elle a senti la même chose que moi... Peut-être même qu’elle l’a vu.
— Vu quoi ?
Leia resserra ses doigts autour des siens.
— Luke...
Ce fut tout ce qu’elle put dire avant de se mettre à sangloter. Et Han n’avait pas besoin de plus. Luke était mort. Fondamentalement, cela paraissait impossible, comme si une loi naturelle affirmait que la galaxie devrait prendre fin avant que Luke ne disparaisse. Mais il savait de manière certaine que c’était ce que Leia voulait dire.
— Tu plaisantes. (Il n’arrivait pas à trouver autre chose à dire.) C’est une plaisanterie, hein ?
Leia secoua la tête.
— J’ai perçu sa surprise, et puis... et puis cette immense angoisse. Après ça, Luke avait disparu.
Ils restèrent assis sur leurs sièges. Leia laissait couler ses larmes tandis que Han demeurait trop stupéfait pour faire autre chose que lui tenir la main. Il n’aurait pas su dire combien de temps ils restèrent ainsi. D’abord Mara, et maintenant Luke. C’était plus qu’une coïncidence. Il en vint à se demander si un courant sombre dans la Force avait décidé de prendre les Skywalker pour cible. Ou peut-être Luke avait-il décidé de suivre Mara dans la Force en se lançant à l’assaut d’un Destroyer Stellaire avec son seul sabre laser, ou quelque chose du même genre. Han était sûr d’une chose : Luke n’avait pas pu disparaître d’une manière ordinaire, dans un duel de sabre laser, une poursuite spatiale ou en traversant une rue sans regarder. Il avait forcément fallu quelque chose d’énorme, comme l’explosion d’une planète... ou un changement soudain des lois de la physique.
Au bout d’un moment, on entendit une série de heurts discrets à travers la coque, provenant de la rampe d’accès toujours fermée.
— Peut-être devrais-je répondre ? proposa C-3PO. Les responsables de la sécurité des hangars ont tendance à se montrer sans merci face aux comportements suspicieux, ces temps-ci.
— Merci, dit Han. Fais-leur savoir que nous venons de recevoir de mauvaises nouvelles. Nous allons avoir besoin d’un peu de temps pour nous remettre.
— Non. (Leia entreprit de tamponner ses yeux humides.) Dis-leur que nous arrivons dans un instant.
— Très bien, Princesse Leia. (C-3PO se retourna puis marqua une pause.) Et toutes mes condoléances pour Maître Luke. Avez-vous pu sentir si R2 était avec lui ?
Leia fit non de la tête.
— Navrée, 3-PO. Je ne saurais pas le dire.
— Oui, eh bien... Si Maître Luke a jugé nécessaire de mourir, je suis sûr que R2 aura tenu à être avec lui.
On cogna de nouveau à la paroi, de manière plus forte cette fois, et C-3PO se dirigea vers l’arrière du Faucon. Leia défit ses sangles de sécurité et se leva, puis vérifia l’état de son visage dans le reflet du hublot.
— Je vais devoir y aller avec les yeux gonflés, dit-elle. Au travail.
— Es-tu sûre d’en être capable ? demanda Han. Tenel Ka est presque de la famille. Elle comprendra que tu aies besoin d’un peu de temps...
— Merci, Han, mais nous n’avons pas le temps. (Elle lui serra le bras.) Pas alors que Kashyyyk brûle.
Elle se dirigea vers le fond du vaisseau, Han sur ses talons. Quarante ans plus tôt, elle avait surgi dans sa vie comme une nova et continué à briller d’un éclat puissant depuis lors. Elle était son étoile du Berger, son phare. Alors, pourquoi être si surpris devant la force dont elle faisait preuve à présent ? Pourquoi ne s’était-il pas attendu à la voir faire face à cette perte avec le même courage que celui qu’elle affichait face à toutes les épreuves ? Peut-être était-ce parce que lui-même avait tant de mal à accepter la mort de Luke. N’étant pas capable de sentir la mort d’un être cher, il avait toujours besoin de voir le corps pour y croire.
Lorsqu’ils rejoignirent le sas, ils découvrirent une petite troupe de soldats royaux qui les attendait au bas de la rampe. Le capitaine, une femme superbe aux yeux verts et aux lèvres pleines et sombres, s’avança vers eux et s’inclina de manière formelle.
— Bienvenue, Princesse. Sa Majesté a demandé que nous vous escortions immédiatement jusqu’à elle. (Le capitaine fit un geste pour désigner les portes décorées d’aurodium qui protégeaient l’accès d’un antique ascenseur mécanique, à une vingtaine de mètre derrière elle.) Si vous voulez bien me suivre, votre escorte nous rejoindra.
Han se rembrunit et, comme Leia, s’immobilisa immédiatement.
— Notre escorte ?
Le capitaine lui décocha un coup d’œil agacé mais réagit comme toute femme officier hapienne bien entraînée le devait face à un membre masculin de l’entourage d’une diplomate étrangère : elle l’ignora. Han serra les dents et attendit patiemment que Leia prenne les rênes. S’emporter contre quatre mille ans de tradition hapienne n’aiderait pas à convaincre Tenel Ka de quoi que ce soit.
Leia devait vraiment être troublée, car il lui fallut deux secondes avant de réagir.
— Nous sommes venus seuls, capitaine. À quelle escorte faites-vous référence ?
Le capitaine fronça les sourcils et parut sur le point de répondre lorsqu’une fine silhouette vêtue d’une combinaison de vol noire fit son apparition. Après le long vol depuis Kashyyyk, les cernes sous ses yeux étaient plus profonds que jamais et ses cheveux blonds bouclés plaqués sur son crâne par la transpiration.
— C’est de moi qu’il s’agit, annonça Tahiri.
Han arqua un sourcil tandis que Leia posait la question :
— Que fais-tu ici ?
— Je suis venue voir ce que vous faisiez, répondit Tahiri. (Han remarqua que sa main flottait à quelques centimètres du sabre laser suspendu à sa ceinture.) Et je doute d’apprécier la réponse.
Han eut la désagréable impression de commencer à comprendre pourquoi Tahiri les avait suivis... voire peut-être comment Luke avait pu être tué.
— Alors va-t’en sans poser de questions, lança-t-il. Et, à ta place, je ferais vite, avant que mes soupçons ne me poussent à l’action.
Le capitaine tourna vers Tahiri un regard sévère.
— Vous avez annoncé à la tour de contrôle que vous étiez avec les Solo.
— D’une certaine façon, c’est le cas, affirma Tahiri. Je suis ici pour les placer en état d’arrestation.
Han n’était pas assez naïf pour sortir son blaster face à une Jedi tenant pratiquement son sabre laser à la main, mais il avait largement le temps de se retrancher derrière la coque pour activer la commande du sas. Malheureusement, Leia était déjà en train de descendre la rampe.
— Nous arrêter ? lança-t-il. Ne me dis pas que tu es avec Jacen ?
— Il faut bien que quelqu’un le soit. (Tahiri était restée près d’un train d’atterrissage, à trois mètres sur le côté de la rampe.) Il fait simplement ce qu’il faut pour sauver l’Alliance.
Han avait rattrapé Leia et la prit par le bras avant de s’adresser à Tahiri.
— Tu es trop maligne pour avaler ça, lança-t-il. Quel moyen de pression a-t-il contre toi ?
— Contre moi ? (Tahiri détourna le regard et même Han put percevoir la culpabilité qui se dégageait d’elle. Il suffisait d’une bonne paire d’yeux et d’une longue expérience du sabacc.) Rien. Je fais seulement ce qui est juste. Anakin aurait voulu que je soutienne Jacen.
C’en était trop pour Leia.
— Anakin ?
Elle se libéra de l’étreinte de Han et s’avança dans le hangar en crachant quelque chose à propos du fait qu’Anakin n’aurait jamais approuvé la torture et les coups d’État. Tahiri agrippa son sabre laser et Han réalisa que la jeune femme était sur le point d’apprendre une dure leçon en matière de mauvais timing. De même que le capitaine de la garde d’honneur, qui écarquilla les yeux, alarmé, lorsque Leia décrocha à son tour son sabre laser.
— Rangez immédiatement ces armes !
La femme soldat dégaina son blaster et s’apprêtait à s’interposer entre Leia et Tahiri, quand Han bondit pour la tirer en arrière par le col.
— Croyez-moi, vous n’avez pas envie de...
Il ne termina pas sa phrase. La femme officier s’était retournée pour lui mettre son pistolet sous le nez.
— D’accord, peut-être que si, après tout... (Il leva les mains et recula.) Je vous en prie, allez-y.
Une paire des sabres laser s’alluma en sifflant derrière la femme et des étincelles jaillirent comme Leia et Tahiri croisaient le fer. Le temps pour le capitaine de se retourner, les deux Jedi s’étaient lancées dans une bataille furieuse de lames scintillantes et de coups de pied volants.
— Stop ! ordonna le capitaine. (Elle fit signe à son escouade. Les fusils blaster réglés sur « assommer » furent immédiatement pointés vers les deux combattantes.) Arrêtez immédiatement, ou nous ouvrirons le feu !
Leia cueillit le menton de Tahiri d’un coup de coude à vous décrocher la mâchoire. La jeune femme riposta d’un coup de genou dans les côtes de Leia. Le capitaine étouffa un juron puis se tourna vers ses soldats.
— Attendez ! s’écria Han. C’est une très mauv...
— Feu à volonté, ordonna l’officier.
Han se laissa tomber au sol, qu’il atteignit de juste avant qu’une tempête de tirs ne jaillisse vers les deux Jedi... puis dans la direction opposée quand les deux guerrières renvoyèrent les projectiles vers leur source. Les soldats s’écroulèrent avec force spasmes et gémissements et le crâne de la femme soldat heurta celui de Han comme elle s’affalait sur lui.
Il se dégagea par une roulade sur le côté et se frotta la tête en jurant. Des alarmes retentissaient à travers le hangar et des gardes royaux sortaient de multiples recoins et de passages secrets. Mais les deux Jedi ne paraissaient pas en avoir conscience. Leia porta à Tahiri un méchant coup de pied qui força la jeune femme à se courber en arrière au-dessus d’un train d’atterrissage.
Tahiri lâcha un grognement puis tendit la main vers un fusil blaster abandonné, qui s’envola pour heurter Leia par-derrière. Cueillie entre les omoplates, Leia fut projetée au sol. Elle se retourna sur le dos puis ramena ses jambes au-dessus de sa tête et atterrit sur un pied. Sa pirouette se changea immédiatement en attaque, sa lame sifflant à la hauteur du cou de Tahiri.
— Attends ! s’écria Han. Pas mon train d’atterrissage !
Leia accéléra sa pirouette pour tenter de frapper avant que Tahiri n’ait le temps de bloquer son attaque. C’est à cet instant que Han réalisa que sa femme était sérieuse : elle n’allait pas se contenter de donner une bonne leçon à la jeune femme.
— Leia, non !
L’appel fit hésiter Leia juste assez longtemps pour que Tahiri pare le coup. Puis Leia fut de nouveau debout. Elle maintint Tahiri plaquée contre le train d’atterrissage, frappant encore et encore contre sa garde, tout en glissant des coups de coude et de genou avec la vitesse et la férocité propres aux combattants entraînés par les Barabels.
— Leia, arrête ! cria Han. Tu veux la tuer ou quoi ?
Leia continua d’attaquer et son mari réalisa que c’était exactement ce qu’elle voulait. Elle avait trouvé une cible idéale pour sa rage, tout comme lui avait blâmé Anakin lors de la mort de Chewbacca. Leia était déterminée à faire payer Tahiri pour ce qui venait d’arriver à Luke... et pour ce que Jacen était devenu.
Han arracha le pistolet blaster de la main du capitaine et tira à quelques centimètres de Leia, dans l’espoir de la surprendre et de l’obliger à reprendre ses esprits. L’éclair ricocha contre le Falcon et laissa un impact noir et fumant sur la coque. De toute évidence le capitaine n’avait pas réglé son blaster sur « assommer ». Leia jeta un coup d’œil en arrière, ce qui permit à Tahiri de lui asséner un coup de pied retourné qui repoussa son adversaire en arrière.
Han bondit pour rattraper sa femme chancelante. Il avait conscience de risquer sa peau, mais il savait que Leia ne se le pardonnerait jamais si elle tuait Tahiri à cause d’un commentaire stupide et de mauvais choix. Il referma ses bras autour des épaules de Leia et la tira en arrière... puis sentit l’air quitter brusquement ses poumons et ses pieds se soulever de terre comme elle lui lançait instinctivement un coup dans les côtes et s’apprêtait à effectuer une projection.
— Waouh... Leia ! grogna-t-il. C’est moi.
Il sentit la tension quitter le corps de sa compagne et ses pieds touchèrent à nouveau le sol. Puis ce fut Tahiri qui s’avança, le regard empli de colère et de malveillance.
— Ne fais pas ça ! ordonna Han. (Il tira Leia sur le côté et, comme elle éteignait son sabre laser, s’interposa entre Tahiri et elle.) N’y pense même pas.
Tahiri s’arrêta à deux pas de là, son sabre toujours allumé. Son regard passait de Leia à Han, avec l’air d’un joueur de sabacc qui essaye de savoir s’il doit se coucher ou augmenter la mise.
— Tu penses que c’est ça qu’Anakin aurait voulu ? lui lança Han. Que sa mère et sa petite amie s’entretuent ?
— Pour ma part, je suis certaine que non, lança une voix de femme derrière lui, par-dessus le vrombissement de son propre sabre laser. Et je refuse d’assister à cela dans mon hangar.
La colère sur le visage de Tahiri se changea brusquement en embarras. Elle désactiva sa lame et s’inclina profondément.
— Je suis navrée, Votre Majesté. Je ne pensais pas qu’ils résisteraient.
— Résister à quoi ? demanda Tenel Ka.
— Tahiri tentait de nous arrêter, expliqua Han. Et son timing était très malvenu.
Il se retourna pour découvrir Tenel Ka debout derrière lui, vêtue d’une tunique décontractée mais élégante et d’une cape qui réussissait l’exploit de lui donner un air à la fois royal et accessible. Un contraste très net par rapport aux gardes à l’air dur derrière elle.
Tenel Ka désactiva à son tour son sabre laser, puis fit signe à Han de se relever, comme s’il s’était effectivement souvenu de s’incliner devant elle. Elle jeta un bref regard aux yeux rougis de Leia et fronça les sourcils. Puis son attention revint sur Han.
— Vous pouvez vous expliquer, capitaine Solo.
Il réalisa qu’elle n’avait probablement pas perçu la mort de Luke. Il n’était pas sûr de savoir comment ce truc fonctionnait, mais dans la mesure où elle n’était pas du même sang que Luke, cela ne semblait pas vraiment étonnant. À moins d’avoir été proche d’eux, Leia ne percevait généralement pas la disparition d’autres Jedi.
— D’accord, dit-il. Nous pensons que Luke est mort. Leia l’a senti dans la Force.
Le visage de Tenel Ka s’affaissa. En moins de deux secondes, son expression passa de la surprise à l’incrédulité, puis à la compassion. Elle se tourna vers Leia.
— Nous sommes terriblement navrée, Princesse. (Tenel Ka ne demanda pas comment c’était arrivé, sans doute parce qu’elle réalisait que la question ne ferait que causer plus de chagrin... et que Leia ne saurait pas ce qu’il en était, de toute façon.) Le palais et son personnel sont entièrement à votre disposition. Sentez-vous libres de demander tout ce dont vous aurez besoin pendant votre séjour.
Leia hocha la tête mais ne réussit pas à exprimer verbalement ses remerciements. Elle agrippa le bras de Han.
— Merci, Votre Majesté, dit celui-ci. Votre générosité nous touche.
— Bien entendu, vous vouliez dire « pendant votre détention », lança Tahiri avec audace, en se rapprochant de Han et Leia. Il y a toujours un mandat d’arrêt de l’Alliance contre eux.
— Pour ma part, répondit Tenel Ka, j’ai informé le colonel Solo que, par reconnaissance envers leur aide héroïque durant nos récentes difficultés, ses parents ont le droit d’asile partout dans le Consortium. Et en particulier au sein du Hangar Royal.
Toujours déterminée à les empêcher de plaider leur cause auprès de Tenel Ka (du moins était-ce la raison pour laquelle Han supposait qu’elle les avait suivis), Tahiri continua de se dresser derrière eux.
— Je vous présente mes excuses, Votre Majesté, répondit-elle, mais je ne peux permettre...
— Vous ne pouvez permettre ? (Tenel Ka dépassa Han pour faire face à Tahiri, suivie par assez de gardes royaux pour maîtriser dix Jedi.) Vous êtes dans le Consortium de Hapes, Jedi Veila. C’est moi qui gouverne ici. Ni Jacen, ni l’Alliance, et certainement pas vous.
— Évidemment, admit Tahiri. Je voulais seulement dire que l’Alliance désapprouverait...
— À cet instant, Hapes fournit à l’Alliance presque un cinquième de son armée, continua Tenel Ka. L’Alliance n’est pas en position de désapprouver quoi que ce soit. Est-ce bien clair ?
— Bien... bien sûr, répondit Tahiri. Mais...
— Il n’y a pas de « mais », l’interrompit Tenel Ka. À présent, dites-moi : avez-vous été blessée après avoir attaqué la Princesse Leia ?
Tahiri prit un air stupéfait :
— C’est moi qui ai été attaquée !
— Je vais prendre ceci pour un « non ». (Tenel Ka se tourna vers un officier aux cheveux noirs debout derrière elle.) Dans ce cas, le Jedi Veila est prête à voyager. Ramenez-la à son StealthX et escortez-la en dehors de l’espace hapien, commandant Espara.
L’officier inclina la tête.
— À vos ordres, Majesté. Et si je peux faire une suggestion...
— Les suggestions sont toujours bienvenues, commandant, répondit Tenel Ka. Vous le savez.
— Merci, Majesté. Peut-être serait-il avisé de conserver l’unité furtive du StealthX ici sur Hapes, juste pour être certaines que le Jedi Veila ne filera pas entre les doigts de notre escorte.
— Vous ne pouvez pas faire ça ! objecta Tahiri. Cette technologie est la propriété des Jedi. Le colonel Solo verrait cela d’un très mauvais œil.
Espara avait déjà une réponse toute prête :
— Et pourtant, les Jedi ont déserté l’Alliance à Kuat, tandis que le colonel Solo les attaque sur Kashyyyk. Et vous êtes ici, pour tenter d’arrêter les Solo au nom de l’Alliance. (Elle se tourna vers Tenel Ka.) La guerre est devenue des plus déroutantes. Il est difficile de dire dans quel camp nous sommes à cet instant.
Tenel Ka haussa les sourcils puis, après avoir réfléchi quelques instants, opina du chef.
— Très juste, commandant Espara... mais je veux que le Jedi Veila quitte les lieux immédiatement. Conservez le StealthX complet et fournissez-lui un skiff de messager à la place.
— Jacen n’acceptera pas une telle chose, l’avertit Tahiri. Vous volez un chasseur de l’Alliance.
Tenel Ka secoua la tête.
— Non, Jedi Veila. Nous capturons un chasseur ennemi. Et puisque vous le pilotiez, cela signifie que vous êtes désormais une prisonnière de guerre de l’Alliance. (Elle fit signe au commandant Espara.) Faites-la remettre au colonel Solo, avec nos excuses pour tout malentendu. Comme vous le dites, la guerre est devenue si déroutante.
Espara sourit.
— Comme vous voudrez, Majesté.
Le commandant fit signe à sa compagnie d’avancer pour désarmer prudemment Tahiri.
Han tira Leia contre lui.
— Comment te sens-tu ?
— Mieux. Merci d’avoir... (Elle détourna les yeux pour regarder les gardes qui emmenaient Tahiri au loin.) De m’avoir arrêtée.
— En effet, dit Tenel Ka en les rejoignant. C’était très courageux de vous interposer ainsi entre deux Jedi en colère.
Han se sentit un peu embarrassé.
— Merci. Ce n’était rien.
— Quoi qu’il en soit, ne faites plus jamais cela. Nous vous aimons tel que vous êtes, avec vos bras et vos jambes intacts. (Tenel Ka sourit et leur fit signe d’emprunter l’antique ascenseur.) À présent, peut-être pourriez-vous me dire pourquoi Tahiri tenait tant à vous empêcher de me parler.
— Parce qu’elle espionne les Jedi pour le compte de Jacen, je pense, répondit Leia. Et qu’elle ne veut pas que vous soyez informée de ce qu’il est en train de faire.
À la surprise de Han, Tenel Ka se contenta de hocher la tête.
— C’est ce que je craignais.
Elle entra dans l’ascenseur et fit signe aux Solo de la suivre. Elle eut toutefois un geste de la main pour arrêter Espara et le reste de ses gardes du corps.
— Vous pourrez nous rejoindre dans l’antichambre, commandant. Les Solo ne représentent aucun danger pour moi.
Espara opina du chef et referma les portes. Comme l’ascenseur se mettait en marche, les yeux de Tenel Ka s’embuèrent et ses lèvres se mirent à trembler.
— Ainsi les rapports que j’ai reçus depuis Kashyyyk sont exacts ? demanda-t-elle.
— J’en ai bien peur, répondit Leia. J’aimerais qu’il y ait une autre manière de présenter les choses, mais ce n’est pas le cas. Jacen est en train de calciner la planète.
Une larme unique s’écoula le long de la joue de la Reine Mère.
— Pourquoi ?
Han avait du mal à comprendre pour quelles raisons Tenel Ka prenait les choses tellement à cœur. Elle agissait comme si Jacen était son gamin, ou quelque chose du même genre.
— Qui sait ? Parce que c’est Jacen et qu’il n’aime pas quand les gens lui disent non ?
C’en était trop pour Tenel Ka. Les larmes se mirent à couler sans retenue et elle activa un bouton sur la paroi pour arrêter l’ascenseur. Ils se retrouvaient tous les trois bloqués dans le petit compartiment.
— Pardonnez-moi, dit-elle en secoua la tête d’un air désespéré. Je ne sais pas comment faire face à d’aussi tristes nouvelles.
Dans son dos, Leia fit les gros yeux à Han, pour lui reprocher de s’être montré aussi insensible, même si lui n’avait aucune idée de ce qu’il avait pu dire de choquant. Puis elle désigna Tenel Ka du menton, en lui faisant signe de réparer ce qu’il venait de faire.
Han posa une main hésitante sur l’épaule de Tenel Ka et, soudain, elle se retrouva la tête enfouie contre sa poitrine, à sangloter comme la petite fille qu’elle était autrefois ne l’avait sans doute jamais fait. Oubliant un instant qu’elle était la souveraine du plus grand royaume indépendant de la galaxie, il la serra dans ses bras et caressa sa chevelure rousse.
— Tout va bien, petite. (Han jeta un coup d’œil vers Leia dans l’espoir d’obtenir un indice sur ce qu’il devait faire ensuite. Mais celle-ci fixait simplement le dos de Tenel Ka en tentant de retenir ses propres larmes.) Nous aurions dû trouver un meilleur moyen de te le dire. Je ne pensais pas que perdre Luke te ferait un tel effet.
Tenel Ka murmura quelque chose d’inintelligible contre le gilet de Han, puis s’écarta de lui en secouant la tête.
— Ce n’est pas Luke. (Son regard se tourna vers Leia et elle ajouta vivement :) Je suis très triste de le perdre, mais c’est plus que cela. C’est aussi Jacen. La galaxie est en train de se déliter autour de nous et il était autrefois la seule personne qui semblait assez forte pour en maintenir la cohésion.
— Ses méthodes sont un peu trop brutales, dit Leia d’une voix douce.
Tenel Ka opina du chef.
— Il avait promis de faire la paix avec les Jedi. Au lieu de quoi il a tenté de vous arrêter aux funérailles de Mara et s’est emparé de l’Académie sur Ossus. Puis il a incité Ben à assassiner Cal Omas et le voilà qui embrase tout Kashyyyk. (Elle secoua la tête avec une expression où la tristesse le disputait au dégoût.) Il a pris ma dernière flotte, Han. Il nous a laissées vulnérables, Allana et moi. Nous.
Étant donné les autres promesses que Jacen avait rompues, Han avait du mal à comprendre qu’elle soit si surprise de se retrouver coincée sans défenses planétaires. Mais le moment semblait mal choisi pour lui mettre le nez dans ses erreurs passées. Il se contenta de hocher la tête d’un air sage.
— On ne peut pas lui faire confiance, Tenel Ka, dit-il. À nous aussi il nous a fallu un moment avant de nous en rendre compte.
— Oui, il nous a trompés pendant bien trop longtemps. (Tenel Ka tira un petit miroir à main de sa poche et entreprit d’examiner son visage strié de larmes.) Je pense qu’il est temps que quelqu’un lui retourne la pareille, vous ne croyez pas ?
Han arqua un sourcil.
— Est-ce que ça veut dire ce que je crois que ça veut dire ?
Tenel Ka continua de scruter ses traits dans le miroir et employa la Force pour masquer les gonflements autour de ses yeux et équilibrer le teint de sa peau.
— C’est bien la raison pour laquelle vous êtes venus, n’est-ce pas ? Pour me convaincre de changer de camp ?
— Ou au moins de lui retirer ton soutien, précisa Leia. Étant donné l’ingérence récente de Corellia dans les affaires internes de Hapes, je ne suis pas certaine qu’il soit juste de te demander de soutenir activement la Confédération.
Tenel Ka abaissa le miroir, son visage désormais parfaitement présentable, sans la moindre trace visible des larmes qu’elle venait de verser. Elle appuya sur un bouton et l’antique ascenseur se remit en route.
— Allons, Princesse. Nous savons toutes les deux que si l’on n’est pas pour Jacen, on est forcément contre lui.