CHAPITRE XXVII

Au centre de la passerelle du destroyer impérial Gorgone, l’amirale Daala contemplait avec fierté sa flotte. Elle sentit l’énergie monter en elle : l’ivresse précédant la bataille lui était inconnue depuis plus de dix ans !

Enfin !

L’Empire était peut-être tombé, mais ceux qui la brimaient dans sa jeunesse avaient disparu avec lui. A présent, elle montrerait au monde de quoi elle était capable.

Elle mènerait sa propre guerre.

Daala scruta les couleurs tournoyantes de la Gueule et l’assemblage d’astéroïdes qui avait donné naissance à tant d’armes mortelles. En formation, l’Hydre, le Manticore et le Basilic attendaient de fondre sur la Galaxie.

La Nouvelle République tomberait à genoux devant eux.

L’amirale n’éprouvait aucune envie de diriger l’Empire ; jamais elle n’avait eu de telles aspirations. Pour l’instant, son objectif était de faire souffrir l’ennemi. Elle se passa la langue sur les lèvres ; le Grand Moff Tarkin aurait été fier d’elle.

Le commander Kratas, responsable de l’équipage du Gorgone, lui parla depuis un terminal de communications :

– Amirale Daala, j’ai un message prioritaire en provenance du niveau de détention.

– La détention ? Que se passe-t-il ?

– Les prisonniers Yan Solo et Kyp Durron se sont échappés ! Un garde a été retrouvé assommé dans la cellule de Solo ; un autre est mort dans celle de son complice. Tous deux ont été délestés de leur armure. Nous questionnons le survivant.

Daala sentit la colère souiller le feu martial qui courait dans ses veines. Un sourcil levé, elle se dressa et fixa Kratas :

– Recherchez leur matricule. Peut-être ont-ils été repérés.

Le commander consulta son terminal.

Les mains croisées dans le dos, l’amirale arpenta la passerelle en donnant des ordres :

– Engagez des recherches immédiatement. Il faut fouiller chaque pont du Gorgone. Ils n’ont pas pu quitter le navire.

– Amirale ! s’écria soudain Kratas. Le garde prétend qu’une scientifique du Complexe est venue voir Solo. Il s’agit de Qwi Xux. Selon lui, elle avait une autorisation signée de votre main.

Daala en resta bouche bée. Puis elle pinça les lèvres :

– Localisez le Wookie ! Voyez s’il lui est arrivé quelque chose.

Kratas se renseigna :

– Le gardien dit que le nouveau prisonnier wookie a été réquisitionné pour une mission spéciale. (Il déglutit.) C’est Qwi Xux qui l’a emmené. Elle a utilisé votre code.

Daala fulmina ; puis une idée la frappa comme un astéroïde en percute un autre :

– Oh, non ! Ils vont voler le Broyeur de Soleil !

Dans le hangar du Complexe, Yan se hissa par le sas.

– Je ne me souviens pas de la dernière fois où j’ai dû utiliser une échelle pour grimper dans un vaisseau ! grommela-t-il. Plutôt primitif pour une arme aussi sophistiquée !

– Qui fonctionne ! (Qwi le suivit à l’intérieur.) La sophistication est interne ; le reste est purement décoratif.

Solo s’installa aux commandes, qu’il étudia :

– Ça a tout d’un tableau de bord usuel, même si certaines commandes ont été modifiées. A quoi sert celle-là ? Attendez une minute, je vais deviner.

Kyp arriva dans la cabine. Il ôta son casque de soldat impérial.

– Ces filtres empestent ! s’exclama-t-il avant de jeter le casque par l’écoutille.

Les cheveux frisés par la sueur, il arborait un large sourire.

Baissant la tête pour ne pas se cogner au plafond de la cabine, Chewbacca entra à son tour. Une fois dans le cockpit, il jeta un coup d’œil au-dessus d’eux.

Au travers des baies vitrées, il vit un destroyer impérial en orbite.

Il gronda.

Yan ôta son casque et activa l’ordinateur de navigation du Broyeur de Soleil :

– Ce rafiot est en meilleur état que la navette impériale que nous avions volée. Toutes les coordonnées possibles ont-elles été saisies dans l’ordinateur, doc ?

S’installant dans son fauteuil, Qwi hocha la tête :

– Le Broyeur de Soleil est prêt depuis des années. Nous attendions les ordres de l’Empire. Heureusement qu’ils ne sont jamais venus, n’est-ce pas ?

Le Corellien grimaça :

– Toutes les commandes me paraissent standard.

De toute manière, je n’ai pas vraiment le temps de prendre des leçons de pilotage.

Le Wookie émit un long hurlement de défi. Yan entendit s’ouvrir l’immense porte du hangar ; le pas cadencé d’une escouade de soldats impériaux retentit,

Kyp s’écria :

– Les voilà !

– Ferme le sas, petit ! ordonna Solo. Nous sommes coincés, maintenant. Chewie, as-tu trouvé les commandes de l’armement ?

Dans le siège du copilote, Chewbacca gronda. Il appuya sur une série de boutons jusqu’à ce qu’il parvienne à faire pivoter les canons-lasers du Broyeur de Soleil.

Les quatre fuyards entendirent des tirs ricocher sans faire de dégâts sur la coque du vaisseau.

Yan se tourna vers Xux :

– Nous n’avons même pas levé les boucliers !

– Ce blindage bloquera tout ce qu’ils nous enverront, répondit-elle avec un sourire. C’est pour cette raison qu’il a été conçu.

Le Corellien lui rendit son sourire, puis il fit craquer ses phalanges.

– Eh bien, dit-il, dans ce cas, prenons quelques secondes de plus pour décoller dans les règles de l’art !

Il enclencha les commandes et activa les fusées.

Dehors, montaient les hurlements de la sirène d’alerte.

Chewie, pointe les canons-lasers vers le haut. Nous allons nous accorder une salve d’honneur… au travers des baies vitrées !

Le Wookie gémit. Sans attendre d’ordre, il déclencha tous les canons du Broyeur de Soleil.

Kyp s’agrippa aux accoudoirs de son siège.

Qwi fixait la paroi de transparacier avec de grands yeux ébahis.

Le plafond du hangar explosa. Des débris tombèrent sur la carlingue du Broyeur ; la plupart des éclats furent aspirés dans l’espace, ainsi que les Impériaux, qui disparurent dans l’immensité stellaire. Leur armure les protégerait de la décompression, quelques minutes au plus. Ils étaient fichus.

Solo accéléra pour traverser le trou béant qu’ils venaient de percer dans le toit. Le Broyeur de Soleil fonça.

Yan sentit une montée d’adrénaline comme il n’en avait plus eue depuis leur arrivée sur Kessel.

– C’est parti ! s’écria-t-il. A nous les réjouissances !

 

Fixant le Complexe de la Gueule depuis la passerelle du Gorgone, l’amirale Daala sentit son estomac se nouer. Pendant des années, son devoir avait été de protéger le petit groupe d’astéroïdes et ses scientifiques. Le Grand Moff Tarkin disait que ces gens détenaient l’avenir de l’Empire ; elle l’avait cru.

A l’académie impériale de Carida, Daala avait été écrasée, abusée et utilisée. Tarkin l’avait tirée de là. Il lui avait donné les responsabilités et les pouvoirs qu’elle méritait.

La jeune femme lui devait tout.

Elle vengerait sa mort en détruisant la Nouvelle République.

Ses ennemis n’auraient aucun recours contre l’incroyable puissance du Broyeur de Soleil.

Et elle resterait dans l’histoire galactique comme la guerrière qui avait réussi là où un Empire avait échoué.

Cette idée amena un sourire cruel sur ses lèvres.

Alors elle remarqua le nuage d’une explosion, sur un rocher du Complexe de la Gueule. Puis la silhouette du Broyeur de Soleil s’élança dans l’espace, fuyant le groupe d’astéroïdes.

– Alerte rouge ! Mobilisez toutes nos forces. Ils ont volé le Broyeur de Soleil ; c’est notre arme la plus redoutable !

– Mais… amirale, répondit le commander Kratas, si les rapports techniques sont exacts, rien ne peut endommager le Broyeur de Soleil.

– Il faut trouver le moyen de le capturer. Mobilisez les autres destroyers. Nous allons tenter de leur bloquer la route pour les empêcher de s’échapper. Envoyez une escadrille de chasseurs Tie !

Elle foudroya Kratas du regard. Sa chevelure rousse parut un instant s’animer d’une vie propre, comme celle de Méduse, la Gorgone.

– Comprenez-moi bien, commander, continua-t-elle. Je me moque de nos pertes. Nous ne pouvons pas abandonner le Broyeur de Soleil. Cette arme vaut bien plus cher que les six escadrilles de chasseurs Tie embarquées à bord de ce destroyer. Récupérez-le à tout prix.

 

Trois destroyers impériaux se lancèrent à la poursuite du Broyeur de Soleil.

– Il ne leur aura pas fallu longtemps pour comprendre qu’il se passait quelque chose, déclara Solo.

Des nuées de chasseurs Tie jaillirent des entrailles du Manticore et du Gorgone, fondant sur eux en formation si dense que Yan n’y voyait pas au travers.

Les rafales de lasers pleuvaient sur le cockpit comme des gouttes de pluie mortelles.

– J’ai toujours voulu savoir si j’étais capable de piloter les yeux bandés ! fit Yan.

– Que font-ils ? Ils essaient de nous détruire ou de nous faire peur ? demanda Qwi.

Intact malgré les tirs, le Broyeur de Soleil était ballotté de gauche à droite.

– Non, mais ils peuvent détruire notre armement extérieur… En réalité, c’est déjà fait. Tous nos lasers sont en surchauffe.

– Dans ce cas, notre seule chance est de prendre la fuite, soupira Kyp.

Un autre destroyer impérial, le Basilic, lança ses escadrilles de chasseurs aux trousses du Broyeur de Soleil.

– Il va y avoir tellement de navires dans le secteur que nous ne pourrons plus circuler !

Yan s’agrippa aux commandes, tentant d’esquiver l’ennemi.

– Qui a déjà entendu parier d’un embouteillage spatial au milieu d’un amas de trous noirs ? demanda-t-il, nerveux.

– Attention, Yan ! cria Kyp.

Le quatrième et dernier destroyer venait de prendre position devant l’étroit goulot qui reliait le Complexe de la Gueule au reste de l’Univers, leur bloquant le passage.

L’Hydre ouvrit le feu, ses énormes canons à turbolasers concentrant toute leur puissance sur le frêle esquif. Les trois autres forteresses volantes approchaient pour leur couper la retraite.

– Et maintenant, que fait-on ? demanda Kyp.

La forme triangulaire de l’Hydre obstruait leur champ de vision.

– Qwi, vous avez dit que ce blindage pouvait supporter n’importe quelle attaque, n’est-ce pas ? interrogea le Corellien.

– Tout ce que j’ai pu tester, oui.

– Très bien. Accrochez-vous. L’instant de passer à la vitesse supérieure est venu !

Il tira les commandes vers lui. Les fuyards furent collés à leur siège par le changement de vitesse.

Le Broyeur de Soleil fonçait sur l’Hydre.

L’énorme vaisseau de combat grossissait à vue d’œil. Des rafales de turbolasers fondaient sur eux ; les ordinateurs tactiques ne parvinrent pas à compenser assez vite pour les toucher.

– Yan, que fais-tu ? demanda Kyp, paniqué.

– Fais-moi confiance, dit Solo. Ou plutôt, fais-lui confiance. (Il désigna Qwi Xux d’un signe de tête.)

Si elle a commis une erreur dans ses tests, nous serons en bouillie dans peu de temps !

La tour de contrôle abritant la passerelle de l’Hydre parut fondre sur eux. Un chasseur Tie suicidaire percuta le Broyeur de Soleil de plein fouet pour le dévier de sa course, mais il explosa en touchant le blindage invincible.

Yan n’eut aucune peine à corriger son cap.

– Attention ! hurla l’Omwati.

Ils étaient si près que Solo voyait les détails de la tour. Il aperçu les officiers debout derrière les baies vitrées. Certains étaient paralysés d’horreur ; d’autres tentaient de fuir.

– Yan ! s’écrièrent Kyp et Qwi à l’unisson.

Inquiet pour la santé mentale de son ami, Chewbacca gronda.

– Et maintenant, une trachéotomie !

Le Broyeur de Soleil traversa la passerelle de l’Hydre comme une balle de revolver. Il ressortit de l’autre côté de la tour de contrôle, déchirant la coque et projetant des débris dans son sillage.

Le choc et l’horrible vacarme du métal qui se déchire plongèrent les fuyards dans une stupeur temporaire.

Enfin, Yan poussa un cri de triomphe :

– Nous avons réussi !

Derrière eux, l’énorme navire en flammes chavirait lentement.

– Vous êtes fou ! s’exclama Qwi.

– Ne me remerciez pas encore, doc.

Décapitée, l’Hydre dérivait lentement vers un ensemble de trous noirs. Une nuée de capsules de secours quittèrent le géant métallique, mais leurs moteurs n’avaient pas assez de puissance pour les arracher à l’attraction de la Gueule.

Le destroyer impérial explosa, déchiqueté par les forces gravitationnelles de la Gueule. L’épave s’abîma dans la singularité.

– Il s’en est fallu de peu, soupira le Corellien, plongeant dans les gaz ionisés. O. K., Kyp, à ton tour de prendre les commandes. Sors-nous de là.

Quelques instants plus tard, les trois derniers destroyers impériaux se lancèrent à leurs trousses.