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Samedi 2 juillet – 11 h 00 

Le soleil tapa dans l’œil de Marianne. Épée lumineuse, tranchante, qui força le rideau opaque de ses paupières à se lever au beau milieu d’un rêve. Les chiffres verts lui reprochèrent l’heure tardive.

Elle étira ses muscles endoloris, des courbatures en cascade lui rappelèrent les mauvais souvenirs de la veille. Elle s’extirpa des draps. Ses mollets étaient durs comme si elle avait disputé un marathon, elle peina pour atteindre son paquet de Camel. À la fenêtre, elle espéra le premier train de sa journée. N’entendit que la mélodie du vent dans les feuillages assoiffés. Puis trois coups contre la porte.

— Une minute !

Elle enfila son jean à la va-vite, passa une main dans ses cheveux indomptables. Donna le signal.

Le commissaire apparut. Il avait une mine insomniaque mais lui offrit un sourire.

— Salut Marianne... Comment tu te sens ce matin ?

— Ça va...

Elle sourit à son tour. Un peu embarrassée.

— Comme si j’étais passée sous un train, en fait !

— Je vois. Il est un peu tard pour un café mais...

— Il n’est jamais trop tard pour un café !

— Il y en a dans la cuisine, si tu veux descendre...

Elle enfila ses baskets, le précéda dans le couloir. Il marchait toujours derrière, craignant sans doute une attaque sournoise. Après la descente douloureuse de l’escalier, elle découvrit la cuisine, vaste pièce moderne et bien équipée.

Elle s’attabla, se laissa servir.

— Tu prends combien de sucres ?

— Trois... S’il vous plaît.

— Trois ? C’est plus du café !

— Si. C’est seulement du café sucré...

Il s’assit en face d’elle, remarqua qu’elle évitait son regard. Lui donna un cendrier. Elle remonta les manches de son cardigan, il aperçut l’hématome sur son bras. Là où Laurent avait enfoncé l’aiguille. Bien maladroitement. Elle fixait sa tasse vide. La fenêtre, la porte, les meubles. Tout sauf lui. Jusqu’à ce qu’enfin, elle se décide à parler.

— Je suis désolée pour hier, commença-t-elle d’une voix un peu sèche.

— Je suppose que tu aurais préféré éviter ça... Tu aurais dû m’en parler, avant que ça ne se produise. Avant qu’on atteigne ces extrémités...

— Pas facile de dire ce genre de choses... Et puis, une telle crise, ce n’est pas souvent… Je crois même que c’est la plus dure qui me soit arrivée.

— Vraiment ? Pourquoi hier ? Tu es angoissée ?

— Non ! Pensez-vous ! Y a vraiment pas de quoi ! Je passe de super vacances à la campagne... Gratos, en plus...

Il feignit de ne rien avoir entendu. Elle grilla encore une cigarette.

— Tu fumes toujours autant ?

— Toujours, oui. Quand j’ai des clopes, du moins.

— Et... comment tu faisais pour te procurer la came en taule ?

— Ça ne vous regarde pas.

Un nouveau silence, encore plus long que le premier.

— Pour cette nuit, lâcha-t-elle enfin, je crois que j’ai dit un certain nombre de conneries après la piqûre... Je ne me rappelle plus très bien, mais...

— T’en fais pas. C’est oublié.

— C’est la poudre, vous savez... On raconte n’importe quoi. Je... Je vous ai fait des avances, pas vrai ?

— En quelque sorte, révéla-t-il avec un sourire.

Elle se souvenait de tout, en fait. Mais préférait lui laisser entendre que non. Pourtant, elle se rappelait même du goût de ses lèvres. Du baiser brutal et sanglant. Qui lui avait procuré de drôles de sensations.

— Merci de... de ne pas en avoir profité, ajouta-t-elle. Il se leva. Se servit un deuxième café.

— Un autre ? proposa-t-il.

Elle hocha la tête. Encore une suspension dans leur conversation.

— Je t’ai embrassée, avoua-t-il soudain.

Elle mima la stupéfaction. Se força à rire. Des pas résonnèrent dans l’escalier comme pour les sortir du trouble au moment opportun.

— Tiens, voilà notre ami Laurent, chuchota Marianne.

— Comment tu sais que c’est lui ?

— En taule, on développe certaines facultés. Je reconnais ses pas. Ceux de quelqu’un qui pèse son poids... quatre-vingt-dix kilos au bas mot ! Quelqu’un sûr de lui, pas particulièrement discret...

Laurent se présenta dans la cuisine.

— Salut ! grommela le flic. Qu’est-ce qu’elle fout là ?

— Salut, répondit le commissaire. Nous prenions un café...

— Je vais remonter, murmura Marianne.

— Mais non, reste, je t’en prie ! dit Laurent avec un mauvais rictus.

Il se versa un jus, s’attabla. Il toussa, alluma une Camel. Puis la dévisagea, enfin. Droit dans les yeux.

— J’espère que tu ne vas pas nous casser les couilles, aujourd’hui !

— Non, capitaine. Je vais essayer de ne rien vous casser du tout.

— Comment sais-tu qu’il est capitaine ? S’étonna le commissaire.

— Il est moins gradé que vous, mais plus que les deux autres. Donc, soit capitaine, soit commandant.

— Bien vu... Tu pèses combien, Laurent ?

Le capitaine écarquilla ses yeux encore fripés de sommeil. Avec des poches impressionnantes dessous.

— Pourquoi tu me poses cette question ? Tu veux me foutre au régime ou quoi ? ! Je sais pas... Environ quatre-vingt-dix... Marianne esquissa un sourire. Franck ne cacha pas sa surprise.

— Quand t’as descendu l’escalier, Marianne t’a reconnu à ton pas. Et en a déduit ton poids... Qu’est-ce que tu dis de ça ? Laurent haussa les épaules.

— Elle a ajouté aussi que c’était la démarche d’un mec sûr de lui et pas très discret.

Le capitaine fixa la prisonnière.

— T’as aussi donné mon signe astrologique ?

— J’suis pas douée pour l’astrologie ! Taureau, Lion ou Bélier, je pense...

— Pas mal, concéda Laurent. J’suis Taureau...

— Et tu vois quoi d’autre à son sujet ? S’amusa Franck.

— Vas-y ! pria Laurent. J’ai rien à cacher !

— J’ai l’impression que... vous vous méfiez des femmes. Un peu comme si vous aviez eu un gros chagrin d’amour, une trahison... Et que depuis ça, vous vivez seul... Enfin, vous n’avez pas d’aventures sérieuses.

— Cette fille est incroyable ! lança Franck en riant. Comment peut-elle percevoir tout ça ?

Laurent faisait grise mine. Il aurait aimé un peu plus de discrétion de la part de son ami. Mais il décida d’inverser les rôles.

— OK, puisque tu veux nous la jouer psychologue de bazar, parle-nous donc un peu du type en face de toi qui se marre comme une baleine...

Franck cessa de rire. Augurant à son tour des révélations gênantes.

— C’est un homme qui voue sa vie à son travail. Qui aime son boulot, énormément, comme vous d’ailleurs... Il porte une très grande attention à son apparence physique, il refuse et refusera toujours de vieillir... On dirait qu’il a une revanche à prendre sur quelque chose... sur la vie... Parce qu’il a dû vivre des choses difficiles... Des épreuves...

Le visage du commissaire se modifia lentement.

— Mais c’est juste qu’elle s’en sort bien, la petite ! Ricana Laurent. Continue, Marianne...

— Il a un côté violent qu’il cache sous un calme apparent. Qu’il assume assez mal. Je pense qu’il est brutal parce qu’on l’a été avec lui... Ou que la vie l’a été avec lui. Un malheur qui l’a frappé, peut-être... La perte d’un être cher ou...

Franck déboutonna le col de sa chemise.

— C’est un angoissé, qui dort peu ou mal... Qui a complètement raté sa vie personnelle. Qui traîne derrière lui des regrets, des remords... Quelque chose lui est resté coincé là.

Elle pressa deux doigts sur sa gorge puis s’accorda une pause.

— Je ne voulais pas vous mettre mal à l’aise… D’ailleurs, je me suis certainement plantée.

— Pas du tout ! assura Laurent en savourant sa vengeance. C’est vrai que tu es forte...

— Très impressionnant ! commenta Franck avec fair-play. À mon tour, maintenant...

— C’est pas du jeu, commissaire ! Vous avez lu les rapports des psychiatres dans mon dossier...

Elle alla nettoyer sa tasse dans l’évier. Laurent lui donna la sienne.

— Puisque t’y es...

— Aucun problème, capitaine.

Il s’adressa ensuite à son chef.

— Je prends la bagnole. Je vais acheter des clopes et le journal... Tu veux quelque chose ?

— Non... Marianne ? Tu as envie de lecture, peut-être... Ou d’autre chose. Ne te gêne pas.

Elle mit son cerveau en action. En ébullition.

— Je... Si c’est possible, j’aimerais... Si vous voyez une pharmacie...

Elle attrapa un calepin et un stylo qui traînaient sur le plan de travail, griffonna quelques mots, tendit le papier à Franck.

— Il me faudrait ces trois médicaments... Un, pour les douleurs musculaires et l’autre, pour les maux de ventre... La pommade, c’est aussi pour les muscles... J’ai des courbatures partout.

— Je peux avoir ça sans ordonnance ? S’inquiéta Laurent.

— Aucune idée ! Le toubib de la prison me les donnait... Merci d’essayer.

Marianne avait envie de sourire, mais elle se retint et retourna à la vaisselle. Pourvu qu’il me ramène les deux médocs ! Les deux, et pas un seul. Les deux qui, mélangés, donnent le plus soporifique des cocktails. Une spécialité très usitée, en taule. En l’occurrence, de quoi assommer un flic en moins de dix minutes. Même un flic de quatre-vingt-dix kilos. 

*** 

Le juge d’instruction aimait les longs silences. Ceux qui mettent mal à l’aise. Il prenait tout son temps pour relire la déposition de Daniel. Il releva enfin la tête, le toisa au-dessus de ses verres en demi-lune. Des petits yeux marron, inexpressifs.

— Êtes-vous conscient de la gravité de vos actes, monsieur Bachmann ?

— Écoutez, monsieur le juge... Je... Je souhaite revenir sur mes déclarations.

Le front du magistrat se plissa comme un vieux fruit oublié sur l’étal d’un marché.

— Allons bon ! Pourquoi donc ?

— Parce que... Parce que je n’ai pas aidé Marianne à s’échapper de l’hôpital...

— Ah oui ? Pourquoi alors l’avoir dit hier aux policiers ?

— Parce que je n’en pouvais plus de cet interrogatoire qui a duré des heures et des heures ! Je voulais juste que ça s’arrête... Mais je n’ai pas aidé Marianne à s’évader, je vous le jure.

— Jurer ne sert à rien, monsieur Bachmann.

Daniel passa une main sur sa barbe. Il rêvait d’une douche. Il sentait sur lui l’odeur humiliante de la geôle infâme qui l’avait digéré toute la nuit comme un intestin nauséabond avant de le vomir au petit matin.

Il tourna la tête vers son avocat, Maître Hendy, commis d’office. Qui lisait un message sur son portable. L’avocat concéda un petit effort face au regard fâché de son client.

— Vous connaissez les méthodes policières, monsieur le juge ! S’exclama-t-il avec un effet de manche ridicule. Les interrogatoires sans fin, les nerfs des prévenus mis à rude épreuve...

— Votre client ne me semble pas être quelqu’un de particulièrement fragile, maître. Je vois mal comment il pourrait se laisser impressionner par deux policiers !

— Mon client vient de vous le dire, monsieur le juge ; il avait envie que ça s’arrête...

— On ne s’accuse pas de choses aussi graves sous prétexte qu’on est fatigué !

— J’étais épuisé ! Rectifia Daniel. Ils m’interrogeaient encore à deux heures du matin...

— Pourtant, vous déclarez être amoureux d’elle, monsieur Bachmann.

— C’est vrai. Je ne reviens pas là-dessus. Je suis amoureux de cette fille, j’ai couché avec elle mais... Mais je ne l’ai pas aidée à s’enfuir.

— Est-ce dans vos habitudes de coucher avec les détenues, monsieur Bachmann ?

— Non. Bien sûr que non...

— Nous vérifierons, monsieur Bachmann. Faites attention. Nous allons interroger les détenues de la maison d’arrêt et même les anciennes détenues.

— Allez-y, répliqua Daniel. Marianne a été la seule...

— Donc, vous reconnaissez avoir couché avec elle, vous reconnaissez même être amoureux d’elle, mais vous niez l’avoir aidée dans son entreprise ?

— C’est ça, monsieur.

Le juge reprit la déclaration en mains.

— Vos aveux sont pourtant circonstanciés. Vous connaissez la marque de l’arme qui a servi à Gréville pour son évasion... Vous mentionnez même où vous vous l’êtes procurée...

— C’est... c’est Werner qui m’a soufflé que c’était un Glock. Je n’en savais rien... Idem pour la cité des Aulnes.

— Prenez garde ! Vous portez là de graves accusations contre un fonctionnaire de police chevronné !

Daniel ferma les yeux. Il attendait que son avocat prenne la relève mais il ne reçut aucun appui.

— Je... Je vous assure que je n’ai rien à me reprocher.

— Si vous coopérez, la justice saura en tenir compte... Où pouvons-nous trouver Gréville ?

— Mais je n’en sais rien ! Et... Et même si je le savais, je ne vous le dirais pas.

— Là, vous vous enfoncez, monsieur Bachmann !

— Monsieur le juge a raison, acquiesça Maître Hendy. Était-il là pour le défendre ou lui mettre la tête sous l’eau ?

— J’ignore où elle se trouve ! Martela Daniel. Je ne vois pas comment je le saurais...

— Deviez-vous la retrouver quelque part, plus tard ? Est-ce vous qui lui avez trouvé une planque ? Un refuge où se cacher après son évasion ?

— Mais non ! protesta Daniel en secouant la tête. Puisque je ne l’ai pas aidée !

— Si vous nous révélez où elle est, vous paierez une addition moins lourde... Parce que, sinon, vous allez payer, croyez-moi ! Vous n’avez pas aidé n’importe qui ! Mais une criminelle particulièrement dangereuse... Une femme coupable de plusieurs meurtres odieux ! En êtes-vous conscient ?

— Elle... Elle n’est pas si mauvaise que vous le pensez, murmura Daniel.

— Taisez-vous ! Conseilla le bavard.

— Mais non, Maître, laissez donc votre client s’exprimer ! Qu’il nous explique comment on peut tomber amoureux d’une... d’une ordure pareille !

Daniel releva les yeux. Gris. Presque mauves.

— Marianne n’est pas une ordure ! Je vous interdis de dire ça !

— Je plains votre épouse ! Être trompée, ce n’est jamais facile... Mais trompée avec ça...

— Arrêtez ! hurla Daniel en se levant. Vous n’avez pas le droit de me parler ainsi !

— Calmez-vous ! Implora Hendy.

— Restez assis ! Je sais que vous avez aidé cette pourriture à s’enfuir et vous allez me dire où elle est ! Ou vous allez le payer très cher ! De toute façon, la police va la retrouver et la remettre en prison, là où se trouve sa place... Ce n’est qu’une question de jours.

— J’espère bien que non, murmura Daniel en retombant sur sa chaise.

L’avocat soupira, consulta sa montre. Le magistrat poursuivit.

— Je vous mets en examen pour complicité d’évasion. Je vous place en détention préventive.

— Je ne mérite pas d’aller en taule pour avoir couché avec une détenue !

— Pas pour ça, Bachmann... Pour complicité d’évasion !

— Mais je ne l’ai pas aidée ! Allez-vous enfin m’écouter ?

— Je vous écouterai lorsque vous serez décidé à me dire la vérité. Vos mensonges ne m’intéressent pas... Donc, je vous place en détention préventive à la maison d’arrêt de S.

— S. ? répéta Daniel avec effroi. Mais... Vous ne pouvez pas faire ça ! Je...

— Au moins, vous ne serez pas dépaysé, monsieur Bachmann ! Ironisa le juge. De quoi avez-vous peur ? Que vos anciens collègues vous reprochent de les avoir trahis ? Vous irez à S., c’est la maison d’arrêt la plus proche... Je ne vais pas vous envoyer à deux cents kilomètres d’ici, non ? Je vous reverrai lundi... Si vous retrouvez la raison et que vous avez des aveux à passer pendant le week-end, signalez-le à un surveillant. Qu’il prévienne Werner... Il prendra votre déposition. Au revoir, monsieur Bachmann. Au revoir, Maître. 

*** 

Marianne s’était tapé une sieste monstre. Enroulée comme une couleuvre au soleil, en plein milieu de son lit. Elle s’éveillait à peine, regarda tendrement son réveil, quinze heures.

Elle s’offrit une douche, ne se lassant pas de ce plaisir pourtant si simple. Une douche ou un bain quand elle en avait envie... Ensuite, elle détendit ses muscles de pierre devant le miroir. Il faudrait pouvoir courir, s’enfuir à toute vitesse. Frapper fort. Mais la douleur la stoppa rapidement. C’était encore trop tôt, blessures encore trop fraîches. Son visage portait toujours les marques des supplices récents. Elle n’était pas au zénith de sa forme mais se sentait prête. La douleur, elle la combattrait, comme toujours. Il lui fallait juste attendre le bon moment...

Justement, quelqu’un frappa à la porte. La Fouine montra son museau. Marianne eut un sourire un peu féroce.

Mais se força à l’adoucir aussitôt.

— Salut Marianne... Comment ça va, aujourd’hui ?

— Bonjour Didier. Ça va mieux, je vous remercie. Et je vous prie de m’excuser pour hier...

— Ce n’était pas de ta faute... Mais tu faisais peine à voir... Il déposa un sachet de pharmacie sur le bureau, le sourire de Marianne s’élargit démesurément.

— Laurent a acheté ça pour toi... Alors, tu te sens mieux ?

— Oui mais... J’ai pris une douche pour me détendre, mais j’ai si mal au dos !

Elle posa ses mains sur ses reins, grimaça de douleur.

— Ça va peut-être m’aider un peu, continua-t-elle en prenant le tube de pommade dans le sachet. C’est pour détendre les muscles. Mais, dans le dos, ça va pas être facile...

Elle s’approcha de lui, avança sa main vers son visage. Il eut un léger recul.

— N’ayez pas peur ! Railla-t-elle. Je veux juste vous enlever un truc sur la joue...

Elle effleura sa pommette, y enleva une poussière imaginaire.

— Vous vous êtes roulé dans l’herbe avec une demoiselle, Didier ?

— Non ! J’ai juste fait un tour dans le jardin...

— Ah ! Je vous trouve très sympa, vous savez... Pas comme Laurent !

— Laurent est une brute, mais il n’est pas méchant. Et puis c’est un flic hors pair...

— Peut-être. Mais vous, vous êtes nettement plus gentil... Vous ne semblez pas me condamner sans cesse.

Il s’assit près du bureau, Marianne fit de même sur le lit défait.

— Je peux te piquer une cigarette ? demanda Didier.

— Allez-y, je vous en prie. Si vous pouviez m’en allumer une... J’ai la flemme de me lever !

Il approcha la chaise du lit. Alluma une première Camel, la lui tendit. Il enflamma la sienne et elle se laissa tomber en arrière, faisant remonter son tee-shirt un peu au-dessus de la ceinture de son jean. Elle devinait le regard du flic qui s’attardait sur chacune de ses courbes. Elle lança son mégot par la fenêtre puis se redressa.

— Putain ! murmura-t-elle. Qu’est-ce que j’ai mal... Didier, pourriez-vous me rendre un grand service ? Ça vous embêterait de me passer de la pommade dans le dos ? Seule, j’vais pas y arriver...

Elle s’allongea sur le ventre.

— Ça vous embête ?

— Non...

— Ça vous prendra pas longtemps. Je peux presque plus bouger, ça me ferait vraiment du bien...

Il s’installa près d’elle, enleva le capuchon du médicament.

— Euh... Il faudrait soulever ton tee-shirt...

— Bien sûr ! Où ai-je la tête !

Elle se remit sur ses fesses, en faisant mine de souffrir à chaque mouvement. Elle ôta son tee-shirt, imaginant les yeux de la Fouine en train de sortir de leurs orbites. Elle se rallongea sur le ventre et ferma les yeux.

Étape numéro une, l’allumer. C’était en bonne voie.

Il lui massa le creux des reins avant de remonter lentement le long de la colonne vertébrale.

— C’est bon ! murmura Marianne d’une voix voluptueuse. Vous êtes doué !

— Tu peux me tutoyer, si tu veux...

Marianne tourna la tête vers lui. Histoire de lui décocher une œillade un peu sensuelle. Elle poussa même un ou deux gémissements qui pouvaient être de plaisir comme de douleur.

Vraiment nul pour les massages, cet abruti ! Il va finir par me piquer le dos... Déjà que je souffre le martyre...

— Ça fait du bien ! Tu vas me remettre sur pied en moins de deux. Je vais plus pouvoir m’en passer, fais gaffe !

Il continua de longues minutes. Puis Marianne se retourna avec le tee-shirt pour cacher sa poitrine.

— Merci beaucoup, Didier... Je me sens déjà beaucoup mieux...

— Je vais me laver les mains.

Il partit presque en courant jusqu’à la salle de bains. Marianne se rhabilla. Il revint une minute plus tard. La trouva debout, près de la fenêtre. Elle le fixa droit dans les yeux. S’approcha de lui à la manière d’un félin gracieux.

Étape numéro deux, l’enflammer.

Elle s’arrêta lorsque sa poitrine effleura la sienne.

— Comment tu me trouves, Didier ? J’ai morflé en taule, pas vrai ?

— Je trouve pas, non...

L’incendie se propageait. Elle recula un peu, s’adossa au rebord de la fenêtre. Puisa au fond d’elle les ressources nécessaires. Étape numéro trois, le faire fondre. Juste une larme ou deux.

— Tu pleures ? Qu’est-ce que tu as ?

— Rien... C’est juste que... Il y a si longtemps qu’un homme ne m’a pas dit que j’étais jolie... Si longtemps qu’un homme ne m’a pas prise... dans ses bras.

Il approcha. Ça y est, il est ferré.

— Tu es très jolie, Marianne...

— Tu dis ça pour me consoler, pas vrai ?

— Non... Pas du tout.

— Quatre ans sans mec, c’est long tu sais...

— J’imagine...

Elle plongea son regard dans le sien. Des flammes. Elle versa de nouvelles larmes, posa la tête au creux de son épaule. Passa ses bras autour de lui.

— Serre-moi fort...

Il l’attira contre lui, une main sur sa nuque, l’autre juste sous la taille. Il promenait ses doigts sur son dos. Restait plutôt sage. Elle redressa la tête, posa ses lèvres sur les siennes. Ferma les yeux lorsqu’il l’embrassa. Son froc n’allait pas tarder à exploser.

Étape numéro quatre, se faire désirer.

Elle se dégagea doucement.

— Il ne faut pas, murmura-t-elle. Si Franck nous surprend, il va... Il va me brutaliser...

Didier était pétrifié. Il reprenait ses esprits.

— Il ne saura rien...

— Il débarque dans ma chambre à l’improviste ! Chuchota-t-elle.

— Il est en train de réviser la bagnole avec Laurent.

— Non, fit Marianne en secouant la tête. J’ai trop peur, excuse-moi...

Elle revint se coller contre lui, l’embrassa à nouveau. Attisa le brasier.

— Mais j’ai tellement envie de toi, susurra-t-elle au creux de son oreille, tout en frôlant sa braguette. J’aimerais tellement que tu reviennes à un moment où on risquera moins... Cette nuit, par exemple.

Il l’embrassa dans le cou.

— Je viendrai.

Il quitta la chambre et Marianne s’auto-congratula en silence. Puis elle ouvrit les boîtes de médicaments, broya quatre cachets de chaque spécialité.

C’est ça, la Fouine, reviens vite... Je vais te concocter un rancard que t’es pas près d’oublier !

Elle retourna bien vite sous la douche pour effacer les traces immondes de ses mains sur sa peau. 

*** 

— Qu’est-ce qui t’a pris, Daniel ? demanda Sanchez. Le directeur était descendu pour accueillir ce prévenu peu ordinaire.

— Je n’ai pas aidé Marianne. Mais ils ont su que je couchais avec elle et... ils en ont tiré les conclusions que tu connais.

— Mais... Il paraît que t’as avoué ?

— J’ai craqué... Ils m’ont interrogé pendant plus de douze heures d’affilée. Je n’en pouvais plus alors j’ai dit n’importe quoi... Mais le juge ne veut pas m’écouter.

— Ça va s’arranger, assura Sanchez en lui passant le bras autour de l’épaule.

— Essaie de me trouver un bon avocat, reprit Daniel. Le mien est merdique.

— Je vais voir ce que je peux faire...

— Tu as parlé à Magali ?

— Non... Elle n’est pas venue me voir. Et toi ?

— Je l’ai appelée... J’ai eu droit qu’à un coup de fil... Mais... Mais ça s’est mal passé.

— Évidemment... Laisse-lui le temps de digérer tout ça. Le directeur s’adressa aux trois surveillants qui attendaient pour l’incarcération de Daniel.

— Bon, je compte sur vous pour lui accorder un traitement de faveur, les gars. OK ?

— Oui, monsieur le directeur.

— On va te placer en isolement, bien sûr. Et ne t’inquiète pas, ça va s’arranger...

Sanchez remonta dans son bureau, les trois gardiens s’occupèrent de leur collègue. Ils lui épargnèrent la fouille à corps, lui remirent son paquetage d’arrivant. Puis le laissèrent patienter dans une grande pièce. Il en profita pour savourer une cigarette.

Retour à la case départ. Bâtiment A de la maison d’arrêt de S. Il portait encore son uniforme de la Pénitentiaire. Tellement sale qu’il ne le supportait plus sur sa peau. Mais il allait prendre une douche et revêtir le survêtement et le tee-shirt gracieusement offerts pour fêter son arrivée en taule.

La porte s’ouvrit, deux matons apparurent. Portier et Mestre. Ils souriaient. 

*** 

Marianne sauta à pieds joints sur la route. La nuit était douce et tiède. Une lune presque pleine au cœur d’un ciel voilé lui permettait de se diriger presque comme en plein jour. Son cœur battait la chamade... Dehors !

Elle se mit à courir le long du mur d’enceinte. S’éloigner du danger. Ne pas rester sur la route, ils risquaient de s’apercevoir de sa fuite et de la poursuivre en voiture. Elle bifurqua sur une piste forestière qui se glissait dans les bois. Ça mènerait bien quelque part. Vers la liberté. Courir, encore. Ne pas s’arrêter. La nuit lui appartenait. L’avenir aussi...

J’ai réussi. Je suis libre. Daniel m’attend quelque part...

Elle avait envie de rire, mais son souffle était court, ses jambes récalcitrantes. Elle s’appuya à un tronc d’arbre noueux. Respire, Marianne. Il va falloir courir longtemps... Jusqu’au petit matin.

Courir. À nouveau. Foulées rapides. L’air humide fatiguait un peu ses poumons. Courir. Jusqu’au bout de ses forces. Sans s’occuper de la douleur, cruelle. Nouvel arrêt, assise sur un rocher. Elle se pencha en avant pour renouer l’un de ses lacets. Mais il cassa net entre ses doigts... Merde ! Mauvais signe.

Allez, Marianne, en route. Le chemin est encore long... Elle allait reprendre sa cavale lorsque deux lumières jaunes trouèrent les feuillages. Le bruit d’un moteur qui approchait. Non ! Impossible. C’est pas eux ! Pas déjà...

Elle quitta la piste pour s’enfoncer dans l’épais sous-bois. Les buissons lui écorchaient le visage. Dans son dos, des claquements de portières, des voix. La terreur dans les entrailles. Non ! Ils n’ont pas pu me voir...

Elle s’embroncha dans une racine, s’étala de tout son long. Elle voulut se remettre à courir mais ses jambes étaient comme paralysées. Elle inhalait des flammes, une douleur atroce remontait de son genou gauche. Cours, Marianne ! Il ne faut pas qu’ils te rattrapent ! Elle réussit quelques foulées, percuta un nouvel obstacle avant de tomber. Se releva encore. Les voix juste derrière... Le faisceau lumineux d’une lampe serpentait dans son sillage. Ils sont là, Marianne ! Ne les laisse pas te reprendre ! La troisième chute lui arracha un cri. Une douleur si brutale qu’elle cessa de respirer. En relevant la tête, elle reçut la lampe dans les pupilles. Trois silhouettes se détachèrent de la nuit. Le visage de Franck se pencha au-dessus d’elle. Il l’empoigna par un bras, la souleva de terre.

— Tu nous as fait courir, Marianne.

Il lui attacha les poignets dans le dos, l’escorta jusqu’à la voiture. L’obligea à monter sur la banquette arrière, juste à côté de lui. Laurent était au volant, Philippe côté passager. Ils continuèrent sur la piste.

— Où on va ? demanda Marianne avec effroi.

Une gifle lui coupa la parole. La voiture s’arrêta enfin, au beau milieu de la forêt. Elle fut contrainte de descendre. Laurent récupéra une pelle dans le coffre. Marianne se débattait violemment mais ils la forcèrent à avancer vers les bois.

— Qu’est-ce que vous allez me faire ? hurla-t-elle.

Ils marchèrent longtemps. Ou si peu. Le temps n’avait plus de signification, de toute façon. Ils s’arrêtèrent dans une clairière. Le capitaine commença à creuser la terre. L’horloge de sa vie semblait être cassée. Pourtant, Laurent creusa la tombe rapidement. Il sortit du trou, s’approcha de Marianne, essuya ses mains de fossoyeur sur la figure terrifiée de la prisonnière.

— Je t’aimais pas, de toute façon, rappela-t-il en souriant.

— Je veux pas mourir ! S’il vous plaît !

Franck la traîna jusqu’au trou béant. Elle pleurait, se contorsionnait pour échapper à la mort.

— Je t’avais dit de ne pas me trahir !

Il la bouscula violemment, elle tomba au fond du trou. Sur le dos, les poignets toujours solidement attachés. Une chute terrible.

— Adieu, Marianne, ajouta Franck en s’accroupissant près de la tombe.

— Non ! J’veux pas mourir ! Daniel m’attend !

— Tu auras tout le temps de réfléchir, tu vas t’étouffer lentement.

Trois ombres au-dessus d’elle. Et, dans le ciel, la lune. Puis une première pelletée de terre s’abattit sur sa tête. Elle goûta la saveur immonde dans sa bouche. Elle poussa un hurlement, la terre s’enfonça dans sa gorge. Elle ferma les yeux.

— Allez, Marianne, ouvre les yeux !

— Non !

— Marianne, ouvre les yeux...

Le réveil fut brutal. Elle se redressa d’un bond, dans un horrible cri. Elle toussa, chercha de l’air. Un visage approcha du sien, elle poussa un nouveau hurlement.

— C’est moi, Franck... Tu as fait un cauchemar, Marianne... Calme-toi, c’est fini.

Elle se mit à pleurer. Son souffle était court, saccadé. Il faisait encore jour. Elle se rappela qu’elle s’était allongée sur son lit pour se reposer. Elle contempla Franck avec terreur. La pelle, le trou, la tombe. Lui qui la poussait au fond.

— Je... J’ai rêvé que... tu me tuais... Tu m’emmenais dans la forêt, Laurent creusait une tombe... Et vous m’enterriez vivante ! Tu m’avais attaché les mains dans le dos et... Tu me poussais dans le trou... Et ensuite, la terre m’étouffait lentement...

— Calme-toi... Pourquoi je faisais une chose pareille ?

— Tu disais que je t’avais trahi...

— C’est fini, Marianne... Calme-toi, maintenant... Elle le regarda avec une angoisse démesurée.

— Tu me feras jamais ça, pas vrai ? Tu vas pas m’enterrer vivante ?

— Non, Marianne. Ce n’était qu’un cauchemar.

— Vous allez me tuer quand j’aurais fini ma mission, pas vrai ?

— Non, rappela-t-il en soupirant. Je te rendrai ta liberté, comme promis...

Elle se rallongea sur le côté. Il caressa sa joue.

— Tu peux te reposer encore, c’est pas l’heure du repas.

— Je veux plus dormir... Je crois que... Que j’ai peur de retourner dans ce trou...

Il promit de revenir bientôt et s’éclipsa. Elle ferma les yeux. Encore le goût de la terre dans la bouche. Pourtant, cette nuit, elle sauterait le mur. Et partirait dans la forêt. 

 

La porte claqua lourdement. Daniel se traîna jusqu’à la paillasse. Il s’y affala en gémissant de douleur.

Oui, il avait eu droit à sa douche. Glacée. Ils s’y étaient mis à quatre pour le maîtriser, lui infliger les premières tortures. Cadeau de bienvenue. Dès qu’il avait vu leurs visages à l’accueil, il avait compris ce qui l’attendait. Un traitement de faveur, oui. Il connaissait désormais la douleur que procure la matraque quand elle s’abat sur le dos, le crâne. Les parties les plus sensibles d’un individu.

Il essuya le sang qui coulait de sa bouche, resta un moment immobile.

Ça ne fait que commencer. Portier le lui avait dit. Tu as trahi deux fois. Pour cette salope de Marianne, tu vas payer. Pour ce que tu m’as fait l’autre soir. Pour la mort de Monique que tu n’as même pas eu la décence de respecter. Pour ta femme, tes gosses. Pour avoir aidé cette folle à s’évader. Tu tiendras pas un mois. Je m’y engage.

Il s’allongea sur le côté, face au mur, replia ses jambes pour ne pas toucher le pied du lit trop petit.

Résister. Mais pourquoi ? Pour qui ? Marianne s’était évaporée dans la nature. Sa femme refusait de lui parler. Ses enfants devaient le maudire. Ses collègues le méprisaient plus que n’importe quel autre détenu. Détenus qui devaient se réjouir d’avance d’avoir un maton en cage. À la première occasion, ils lui régleraient son compte. Portier s’arrangerait peut-être pour le jeter en pâture aux prisonniers... Il se souvînt de ce qui arrivait aux surveillants qui avaient eu le malheur de tomber entre les griffes des détenus. Gardiens égorgés, émasculés, le ventre ouvert en deux. Battus à mort. Les gars qui finissent en taule ne sont pas des tendres. Les barreaux les transforment en fauves sanguinaires.

Daniel ferma les yeux. Chercha pourquoi il était là. À quel moment il avait commis l’irréparable. Le visage de sa douce Marianne lui apparut. Il n’arrivait même pas à lui en vouloir. À regretter ces nuits où il avait connu quelque chose qui vaut bien une vie. Il allait mourir entre ces murs. Pour elle. Si, par miracle, il s’en sortait, sa vie était de toute façon brisée. Plus de boulot, plus de famille. Plus d’amis.

Plus de Marianne. Plus rien.

Il pressa ses mains contre ses côtes meurtries. Remonta la couverture sur ses épaules. Sombra, enfin. Après quarante-huit heures sans fermer Un sommeil peuplé de dangers.

 

Les yeux bien ouverts, Marianne regardait les secondes clignoter sur le réveil. Tout était paré. La poudre à ronflements attendait sagement le pigeon sur le bureau ; elle avait enfilé une simple chemise sur ses sous-vêtements, pour être sexy. Elle était prête à bondir dans la nuit, descendre à pas de loup, récupérer les clefs de la bagnole pour qu’ils ne puissent la prendre en chasse. Grimper à l’arbre, passer le mur. Partir dans le sens opposé à celui de son rêve. Et courir. Faire du stop, peut-être. Avec le risque d’être reconnue.

Une heure du matin. Silence dans la maison...

Mais qu’est-ce qu’il fout ce crétin ? Il s’est pas endormi au moins ? Y va pas se déballonner quand même ?

Comme pour répondre à son angoisse, des pas firent grincer le parquet derrière la porte. Son cœur se serra... La clef, la porte. Une ombre. Elle se redressa sur le lit. Didier s’installa tout près. Elle approcha son visage du sien... Tu dois le faire, Marianne.

Les yeux noirs de la Fouine brillaient dans la pénombre. M’attira contre lui, l’embrassa goulûment. Soudaine envie de vomir.

— Tu pourrais m’apporter à boire ? Je rêve d’un truc frais...

— OK, chuchota-t-il. Je reviens. Sois discret !

— T’inquiète, ils dorment tous comme des masses...

Il repartît sans fermer la porte. Elle hésita. Descendre maintenant et le maîtriser dans la cuisine ? Ça risquait de faire du bruit. Mieux valait s’en tenir au plan A. Elle s’assit sur le bureau, alluma une Cama Un TGV lui souhaita bonne chance.

Il paraissait dire je t’attends, Marianne... La Fouine réapparut, avec une bière et un coca.

— Merci, t’es un amour...

Ils ouvrirent chacun leur boîte, Marianne étancha sa soif. Puis il l’embrassa à nouveau. Pressé d’arriver à destination. D’une main experte, elle introduisit la drogue dans la canette de bière tandis qu’il déposait mille baisers dans son cou. Pourvu qu’il ait encore soif !

Debout, il écarta un peu ses jambes pour venir se coller contre elle. Elle l’enlaça... Et si je le frappais maintenant ? Non, Marianne. Le plan A. Pas d’improvisation... Elle déboutonna la chemise du flic, caressa sa peau. Elle se souvenait de celle de Daniel. Ça la blessa. Elle effleura sa braguette, il était fin prêt. Elle saisit la cannette de bière, se rafraîchit le visage avec, la lui plaça devant la bouche, l’aida à boire quelques gorgées... Elle touchait au but. Mais il fallait attendre encore un peu. La chemise de Marianne glissa jusqu’à ses poignets, Didier l’allongea sur le bureau. Fit descendre ses lèvres sur son ventre. Remonta vers sa bouche.

Est-ce qu’il en a bu assez ? Tu vas t’écrouler, oui ou merde ? Il n’avait absorbé le mélange que depuis une minute mais il lui semblait qu’il baladait ses mains en terrain privé depuis des heures.

Non, Marianne. Ne le frappe pas. Ne fais pas tout foirer. Sois patiente.

Soudain, la porte s’ouvrit. La lumière les surprit en flagrant délit. Marianne crut que son cœur allait défaillir. Ils se redressèrent à la va-vite, se retrouvèrent face au visage tombal de Franck.

— Je dérange, peut-être ?

La Fouine le dévisageait bêtement. Marianne remit sa chemise, sauta sur ses pieds. Encore un cauchemar... Didier s’approcha de son patron, appuyé sur le chambranle de la porte, les bras croisés.

— Écoute, Franck, t’as pas à te mêler de ça...

— Ah oui ? J’aimerais savoir un truc, Didier... Tu crois qu’elle te tuera avant ou après que tu l’aies sautée ?

— Je vais pas le tuer ! Riposta Marianne.

— Toi, la ferme ! ordonna Franck d’un air mauvais.

— Ne t’énerve pas ! Elle en avait envie, moi aussi... Je ne vois pas ce qu’il y a de mal !

— Dégage ! On en parlera demain. Et t’as pas intérêt à ce que je te retrouve ici... C’est clair ?

Didier lui adressa un regard méchant mais s’exécuta. Franck referma la porte puis s’avança. Marianne recula d’instinct. Pourtant, reculer, c’était avouer son crime avec préméditation.

— Désolé d’avoir ruiné tes projets, Marianne...

Elle s’arrêta quand ses omoplates touchèrent le mur. Elle avait encore sa chance. Après tout, elle avait mis KO des types bien plus forts que lui. Son esprit s’emballa. Je peux peut-être repartir à zéro avec lui. La bière empoisonnée trônait encore sur le bureau, il aurait peut-être soif. Pour le moment ses yeux verts étincelaient de colère et d’amertume. Mais elle pouvait produire un autre effet sur lui.

— Alors, raconte-moi comment tu comptais procéder, Marianne ! exigea-t-il avec un sourire funeste. Tu lui aurais brisé la nuque, peut-être...

— Pourquoi vous dites ça ? J’avais pas envie d’être seule, c’est tout...

Le sourire du flic s’élargit, laissant apparaître une jolie dentition carnassière.

— Et bien sûr, pour cela tu as choisi Didier... Tu sais, je ne suis pas une nana, mais il me semble que de nous quatre, ce n’est pas forcément lui le plus attirant...

— Il a été sympa avec moi... C’est pas le physique qui compte !

— Alors comme ça, tout d’un coup, tu as eu très envie de lui, c’est bien ça ? Au point de lui filer rancard dans ta chambre en pleine nuit... Parce que je connais un peu Didier. Il ne serait jamais venu ici au milieu de la nuit si tu ne l’y avais pas attiré...

— Vous allez me faire chier longtemps ? J’ai commis un crime, c’est ça ? J’suis majeure, non ?

Il remarqua quelque chose par terre, près du lit. La rallonge électrique. Il se l’appropria.

— C’est avec ça que tu comptais l’attacher, je présume...

— Mais arrêtez, putain ! souffla Marianne en essayant de paraître excédée. Pas ma faute si vous êtes complètement parano !

Il fondit sur elle en un mouvement rapide, s’empara d’elle avant de l’écraser face au mur.

— Aïe ! Lâchez-moi ! Qu’est-ce qui vous prend ? !

— Chut, tu vas réveiller tout le monde !

Elle tenta de lui échapper. Mais il lui avait bloqué les bras dans le dos et lui ligota les poignets avec le fil électrique. Elle essaya de se dégager, il la décolla du sol. Elle donnait des coups de pieds hargneux dans le vide. Subitement, elle se contracta. Il venait d’aventurer une main entre ses jambes.

— Mais qu’est-ce que vous faites ? Gémit-elle avec fureur. Arrêtez ! Ne me touchez pas !

— Je veux juste vérifier un truc, Marianne...

Elle se remit à gigoter, en vain.

— Tu vas te faire mal... Cesse de bouger. Bizarre, mais... Je ne sens rien... Si tu avais vraiment eu envie de l’autre idiot, je devrais le sentir... Mais peut-être que si j’insiste, ça va venir...

— Arrêtez, merde ! Implora-t-elle d’une voix brisée.

Il enleva enfin sa main puis la poussa vers l’avant. Elle percuta le mur violemment, retomba en arrière. Se ratatina sur le parquet. Il alluma tranquillement une cigarette.

— Tu savais pourtant que je ne dors pas, Marianne... C’est toi-même qui l’as dit.

Il fouilla les tiroirs, dénicha rapidement les boîtes de médicaments.

— Eh bien ! Tu as déjà pris tout ça ? Tu vas t’intoxiquer... Elle le dévisageait avec rage, prostrée dans l’angle de la pièce. Il brandit la canette de bière.

— Si je bois ça, je vais mettre combien de temps à m’écrouler ? Il lui saisit la gorge. Elle lui décocha un coup de pied qu’il évita de justesse.

— J’ai bien envie de te forcer à boire cette merde, juste pour voir l’effet... Je ne suis pas aussi con que tu as l’air de le penser ! J’ai un pote médecin, je l’ai appelé tout à l’heure. Les deux médocs ensemble donnent un cocktail détonant... Je croyais que tu voulais t’en servir pour toi, pour remplacer la drogue. Maïs maintenant, je comprends mieux ! Je comprends tout...

Elle s’était murée dans le silence, les lèvres soudées sur son échec.

— Tu veux vraiment que ça finisse mal entre nous ? Que ton cauchemar devienne réalité ? Il était peut-être prémonitoire, qui sait...

Il effleura sa joue, elle tourna la tête jusqu’à se meurtrir la nuque. Il la ramena face à lui, brutalement.

— Qu’est-ce que tu lui as raconté au pauvre Didier pour le faire craquer ? J’imagine la scène ! Ça fait des années qu’un homme ne m’a pas touchée... C’est bien ça, non ? Et puis tu t’es collée contre lui... Il a fondu comme neige au soleil, n’est-ce pas Marianne ? Mais si tu es vraiment en manque, je peux arranger ça !

Elle tenta de mordre sa main, rata encore son attaque. Il se mit à rire. Recula un peu.

— Ne me touche pas ! Menaça-t-elle.

— Et qui va m’en empêcher ? Toi ?

— Essaye et je te tue !

— Mais je ne suis pas Didier, Marianne ! Je suis bien plus méchant que lui. Il ne faut pas me donner des idées pareilles, tu sais...

Il la souleva, la jeta sur le lit. Elle atterrit sur le ventre, il s’allongea sur elle. Imparable. Elle suffoquait sous son poids, incapable de bouger. Elle se mit à hurler. Il la bâillonna d’une main, lui parla doucement, juste dans le creux de l’oreille.

— Qu’est-ce qui se passe, Marianne ? T’as plus envie ? Pourtant, ça fait si longtemps qu’un homme ne t’a pas touchée !

Elle sentait qu’il ne bluffait pas. Qu’il avait suffisamment de cartes dans le pantalon pour rafler la mise. Lui infliger la pire vengeance, commettre l’irréparable. L’humilier, la blesser à mort.

— T’avais raison ce matin ; je suis parfois violent. J’y peux rien, tu sais, je me contrôle pas toujours...

Il enleva sa main, elle reprit une grande bouffée d’oxygène.

— Arrêtez ! Gémit-elle.

— Y a tellement de choses que j’ai envie de faire avec toi... Par où vais-je commencer ?

Elle se mit à pleurer, s’étouffant de peur.

— Tu comprends, je veux être sûr que tu n’essaieras plus de me trahir... Que tu auras trop peur pour recommencer...

— Faites pas ça ! Je recommencerai pas !

Il cessa enfin son jeu cruel, se releva puis libéra ses poignets. Elle se laissa glisser jusqu’à ce que ses genoux touchent le parquet, eut encore quelques sanglots terrifiés.

— On aura une petite discussion demain, toi et moi...

Il quitta la chambre avec la bière et les médicaments. Marianne rossa violemment le matelas. Mordit les draps pour taire sa rage. Elle venait de tout rater. De se dévoiler, perdant ainsi sa dernière chance.

— Je vais te tuer ! Je vais te tuer, enfoiré... 

 

Le commissaire poussa la porte de la chambre de Didier. Il le trouva endormi. À même le parquet. Il n’avait pas eu la force d’atteindre son lit.

— Tu vois, espèce de crétin, tu n’aurais même pas eu le temps d’en profiter...

Meurtres pour rédemption
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