53.

Lorsque Merthin ouvrit les yeux en ce jour de printemps de l’année 1348, il eut l’impression d’émerger d’un cauchemar. Il n’en gardait pas un souvenir précis, uniquement une faiblesse craintive. Il se trouvait dans une salle haute de plafond dont les murs blancs et le carrelage rouge étaient découpés en rayures aveuglantes par la lumière qui tombait des persiennes. L’air était doux. Il lui revint lentement qu’il était étendu sur son lit, dans la chambre à coucher de sa maison de Florence, et qu’il sortait d’une éprouvante maladie.

Ce fut cette maladie qui se rappela tout d’abord à sa mémoire – ses démangeaisons au tout début, puis les taches noires ou violacées apparues sur sa poitrine et sur ses bras, enfin le douloureux bubon sous son aisselle. Une forte fièvre l’avait cloué sur sa couche, en sueur et agité, faisant un fouillis de ses draps. Il avait toussé, vomi du sang et cru sa mort venue. Le pire avait été la soif, une soif inextinguible qui l’aurait poussé à se jeter dans l’Arno, la bouche ouverte, s’il en avait eu la force.

Il n’était pas la seule personne atteinte. La peste avait frappé les Italiens par milliers, par dizaines de milliers. Sur ses chantiers, la moitié des ouvriers y avaient succombé et, chez lui, la plupart de ses domestiques. Quasiment tous les malades décédaient dans les cinq jours. D’où ce nom de maria grande donné à cette épidémie, la « grande mort ».

Pour sa part, il y avait survécu, manifestement.

Une pensée le harcelait : celle d’avoir pris une décision capitale durant sa maladie. Mais laquelle ? Il était incapable de se la rappeler. Plus il se concentrait, plus son souvenir le fuyait, et elle finit par disparaître complètement.

Il se redressa et s’assit. La tête lui tournait, ses membres étaient sans force. Il remarqua qu’il portait une chemise de nuit en toile propre et se demanda qui la lui avait passée. Au bout d’un moment, il se leva.

Il vivait dans une maison de quatre étages donnant sur un jardin à l’arrière, dont il avait lui-même conçu les plans et surveillé la construction. Il avait remplacé les traditionnelles avancées en surplomb de la façade par un mur plat orné d’éléments architecturaux tels que des colonnes classiques ou encore des linteaux de fenêtre arrondis. Les voisins avaient donné à sa demeure le nom de palagetto, « petit palais ». Tout cela remontait à sept ans. Depuis, plusieurs marchands de Florence lui avaient passé commande de palagetti. Et c’était ainsi que sa carrière avait pris son envol sur le sol italien.

Florence était une république. N’ayant à sa tête ni prince ni duc, elle était dirigée par les familles des marchands les plus en vue, qui ne cessaient de se chamailler entre eux. S’ils faisaient ou défaisaient la fortune des milliers de tisserands qui peuplaient la ville, ils consacraient aussi leurs richesses à faire bâtir d’immenses demeures, transformant cette cité en un lieu idéal pour tous les jeunes architectes de talent, avides de reconnaissance.

Merthin marcha jusqu’à la porte de sa chambre et appela : « Silvia ! Où es-tu ? »

Après neuf ans de vie en Toscane, l’italien lui venait aux lèvres naturellement et il se trouvait même parfois un accent du terroir.

Il se rappela alors que son épouse était tombée malade aussi, de même que Laura, leur petite fille de trois ans. Il fut saisi d’une crainte terrible. Silvia était-elle vivante ? Et Lolla ? se demanda-t-il, usant du surnom que la petite fille se donnait à elle-même dans sa prononciation enfantine.

La maison était plongée dans le silence. La ville également, remarqua-t-il soudain. Pourtant, c’était le milieu de la matinée, à en juger d’après l’angle selon lequel la lumière entrait dans la pièce. En cette heure du jour, les colporteurs auraient dû crier leurs boniments, les sabots des chevaux cliqueter sur le pavé et les roues en bois des charrettes gronder dans les rues, pour ne rien dire des mille conversations étouffées qui auraient dû parvenir à ses oreilles. Or, de tout ce concert de bruits, il ne percevait pas un son !

Il monta l’escalier. Cet effort l’essouffla. Il ouvrit la porte de la chambre d’enfant. La trouvant déserte, il fut saisi de peur. La sueur perla à son front. Il y avait là le petit lit de Lolla, son coffre à vêtements et sa boîte à jouets, ainsi qu’une petite table et deux chaises minuscules. Un déclic le fit se retourner : l’enfant, assise par terre dans une robe toute propre, jouait avec un petit cheval en bois à jambes articulées. Sous l’effet du soulagement, un cri étranglé s’échappa de sa gorge. La petite fille releva les yeux. « Papa ! » dit-elle sur le ton de la constatation.

Merthin la prit dans ses bras et l’étreignit sur son cœur, s’écriant en anglais : « Tu es vivante ! »

Du bruit lui parvint de la salle voisine et une femme à cheveux gris d’une cinquantaine d’années fit son entrée : Maria, la servante qui s’occupait de Lolla. « Maître ! s’exclama-t-elle.

Vous êtes debout ! Comment vous sentez-vous ?

— Où est votre maîtresse ? »

Le visage de Maria s’affaissa. « La maîtresse n’est plus ! C’est si triste, maître. »

Et Lolla d’ajouter : « Maman est partie. »

Merthin crut recevoir un coup sur la tête. Assommé, il remit l’enfant à Maria et sortit de la pièce d’un pas lent et précautionneux. Il redescendit au piano nobile, l’« étage noble », partie centrale de la demeure où se trouvait une grande salle de réception. Le regard fixe, il en considéra la longue table, les chaises vides, les tapis couvrant le plancher et les tableaux ornant les murs comme s’il visitait ce lieu pour la première fois.

Il alla se planter devant une peinture représentant la Vierge Marie et sa mère. Les artistes italiens surpassaient de loin tous les autres, à commencer par les Anglais. Celui-ci avait donné à sainte Anne le visage de son épouse. Il avait su rendre sa beauté altière, son teint mat sans défaut et ses traits empreints de noblesse. Surtout, il avait perçu la passion sensuelle qui couvait dans le regard réservé de ses yeux noirs.

Comment comprendre que Silvia n’était plus ? Revoyant son corps mince, Merthin se rappela combien il s’était souvent émerveillé de sa beauté et de la perfection de ses seins. Ce corps, qu’il avait connu dans son intimité la plus totale, reposait maintenant quelque part sous terre, se dit-il en se représentant clairement tout ce que cela impliquait. Devant l’image que lui renvoya son esprit, les larmes lui montèrent aux yeux. Il éclata en sanglots.

Où est sa tombe ? s’interrogea-t-il dans son chagrin. Il lui revint qu’on avait cessé de célébrer des funérailles. Les Florentins étaient trop terrifiés à l’idée de sortir de chez eux. On se contentait de traîner les morts dans la rue et de les y abandonner. Voleurs, mendiants et ivrognes s’étaient acquis une nouvelle profession : becchini, « porteurs de cadavres ». Ils réclamaient des sommes exorbitantes pour ramasser les corps et les transporter dans des fosses communes. Dans ces circonstances, savoir ce qu’il était advenu de Silvia était impossible.

Ils avaient été mariés quatre ans. En la regardant peinte sous les traits de la mère de la Vierge, dans cette robe rouge dont sainte Anne était parée traditionnellement, Merthin ressentit la douloureuse nécessité de répondre en toute franchise à une question qui le taraudait : l’avait-il vraiment aimée ? Certes, il l’avait tenue en grande affection, à défaut d’éprouver pour elle une passion dévorante. De caractère indépendant, Silvia avait la langue acérée. Malgré la richesse de son père, il avait été le seul homme de Florence à oser la courtiser. Elle l’avait payé en retour par une dévotion absolue, sans se faire toutefois d’illusions sur l’amour qu’il lui portait. « À quoi penses-tu ? » s’enquérait-elle au début. Et le tressaillement coupable avec lequel il réagissait lui faisait comprendre qu’il était plongé dans ses souvenirs de Kingsbridge. Soucieuse de précision, elle n’avait pas tardé à formuler sa phrase différemment : « À qui penses-tu ? » Et elle avait ajouté, bien qu’il ne lui ait jamais parlé de Caris : « Il s’agit sûrement d’une femme, je le vois à ton expression. » Par la suite, elle s’était mise à évoquer son « Anglaise ». « Tu es en train de te rappeler ton Anglaise », lançait-elle de temps à autre et, chaque fois, elle avait raison. Elle ne semblait pas en prendre ombrage. Merthin lui était fidèle et il adorait Lolla.

Au bout d’un moment, Maria lui apporta un potage et du pain. « Quel jour sommes-nous ? voulut-il savoir.

— Mardi.

— Combien de temps suis-je resté au lit ?

— Deux semaines. Vous avez été affreusement malade. »

Il se demanda pourquoi il avait survécu à la maladie alors que l’immense majorité des personnes atteintes y succombaient. Certaines gens, il est vrai, ne l’attrapaient pas, comme s’ils en étaient protégés par quelque chose à l’intérieur d’eux-mêmes. Et ces rares chanceux l’étaient doublement, parce que c’était un mal que l’on ne contractait jamais deux fois.

Son repas le requinqua. Il allait devoir rebâtir sa vie, comprit-il soudain. À cette pensée, il eut le sentiment d’avoir déjà pris une décision allant dans ce sens à un moment dont il avait perdu tout souvenir – en fait, pendant qu’il était alité – mais, là encore, il demeura impuissant à remonter le fil de sa mémoire.

Avant toute autre chose, il devait découvrir qui de sa famille était toujours de ce monde.

Il emporta son couvert à la cuisine. Maria était en train de donner à Lolla du pain trempé dans du lait de chèvre. Il lui demanda : « Savez-vous comment vont les parents de Silvia ? Sont-ils vivants ?

— Je ne sais pas. Je n’ai rien entendu dire à leur sujet. Je ne mets le nez dehors que pour acheter à manger.

— Je ferais bien d’aller aux nouvelles. »

Il s’habilla et descendit au rez-de-chaussée. Le bas de la maison était occupé par un atelier qui donnait à l’arrière sur une cour où il conservait du bois et des pierres. Il n’y avait personne en vue, ni dehors ni dans le hangar.

Il sortit dans la rue. Les bâtiments alentour, certains immenses, étaient en pierre pour la plupart. Aucune demeure de Kingsbridge n’aurait pu rivaliser avec eux. Edmond le Lainier, le marchand le plus riche là-bas, habitait une maison en bois comme ici les pauvres gens.

La rue lui parut sinistre. Il ne l’avait jamais vue aussi vide, même au cœur de la nuit. Il se demanda combien de gens étaient morts : un tiers de la population ? La moitié ? Leurs fantômes, attardés le long des allées ou tapis dans les coins sombres, suivaient-ils d’un œil envieux les faits et gestes des rares Florentins qui avaient eu la chance de survivre ?

Le père de Silvia, Alessandro Christi, avait sa demeure dans la rue voisine. C’était la première personne avec qui Merthin s’était lié d’amitié à Florence, par l’intermédiaire de Buonaventura Caroli. Il était aussi le premier à lui avoir commandé la construction d’un bâtiment, un simple entrepôt, cela avant de devenir son meilleur ami et, par la suite, le grand-père de sa fille.

Fait rare, la porte en bois du palagetto d’Alessandro était fermée à clef. Merthin frappa fortement plusieurs coups d’affilée et attendit un long moment. Ce fut la lingère qui vint lui ouvrir, une servante boulotte et courte sur pattes répondant au nom d’Elizabetta. Elle le dévisagea avec ahurissement du haut de sa petite taille et s’écria : « Vous êtes vivant !

— Bonjour, Betta, répondit-il. Je suis bien aise de vous voir saine et sauve, vous aussi. »

Elle se retourna et cria dans toute la maison : « Le seigneur anglais est là ! »

Il avait répété maintes fois aux domestiques qu’il n’était pas seigneur, mais ils refusaient de le croire. Il fit un pas à l’intérieur. « Comment va Alessandro ? »

Elle secoua la tête et se mit à pleurer.

« Et votre maîtresse ?

— Ils sont morts tous les deux. »

Un escalier menait à l’étage noble. Merthin le grimpa lentement, étonné de se découvrir aussi faible. Entré dans la pièce principale, il s’assit pour reprendre son souffle. Alessandro était riche, les lieux abondaient en tentures et tapis, en tableaux et ornements, en livres incrustés de pierres précieuses.

« Qui d’autre est encore vivant, ici ? » demanda-t-il.

— Uniquement Lena et ses enfants. »

Lena était une esclave asiatique. Elle avait eu d’Alessandro deux enfants encore en bas âge, un garçon et une fille, qu’il avait toujours traités à égalité avec ses descendants légitimes, Gianni et Silvia. Cette dernière avait d’ailleurs confié à Merthin, non sans dépit, que son père s’occupait bien plus d’eux qu’il ne s’était intéressé à son frère ou à elle. La situation, sans être rare à Florence, était toutefois peu fréquente et considérée parmi les gens appartenant à la haute société comme plus excentrique que scandaleuse.

« Et le signor Gianni ? s’enquit Merthin.

— Mort, de même que sa femme. Leur bébé est ici avec moi.

— Mon Dieu !

— Et chez vous, seigneur ? interrogea Betta d’une voix hésitante.

— Mon épouse est morte.

— J’en suis désolée pour vous.

— Mais Lolla est vivante.

— Grâces soient rendues à Dieu !

— Maria prend soin d’elle.

— Maria est une femme de cœur. Voulez-vous une boisson fraîche ? »

Il hocha la tête, elle s’éclipsa. Les enfants de Lena entrèrent et se plantèrent devant lui, les yeux écarquillés. Le garçon de sept ans ressemblait à Alessandro, mis à part ses pupilles noires ; la jolie petite fille de quatre ans avait les yeux bridés de sa mère. Lena entra à leur suite, portant un plateau sur lequel étaient posés un gobelet d’argent rempli de vin rouge de Toscane et une coupelle d’olives et d’amandes. Elle avait le teint doré et de hautes pommettes. Dans la fraîcheur de ses vingt-cinq ans, elle était belle.

Elle dit : « Vous allez vous installer ici, seigneur ?

— Je ne pense pas, répondit Merthin, étonné. Pourquoi ?

— Cette maison est à vous, maintenant... Tout ce qui s’y trouve vous appartient », précisa-t-elle en désignant de la main les richesses de la famille Christi.

Merthin se rendit compte brusquement qu’elle disait vrai. Seul adulte encore de ce monde apparenté à Alessandro Christi, il devenait de facto son héritier et le tuteur de ses trois enfants.

« Tout », répéta Lena en le regardant droit dans les yeux. Merthin croisa son regard. Il y lut sans erreur qu’elle s’offrait à lui.

Il réfléchit. Ce palais splendide était le cadre de vie de Lena et de ses enfants. Ils y étaient accoutumés. Ces lieux étaient également familiers à Lolla ainsi qu’au bébé de Gianni. Oui, tous les enfants de la famille seraient heureux d’habiter ici. Quant à lui, il se trouvait désormais à la tête d’une fortune qui lui permettrait de vivre jusqu’à son dernier jour sans travailler. Lena était une femme intelligente et d’expérience et Merthin imaginait sans mal les plaisirs qu’il aurait à partager son intimité.

L’esclave lisait dans ses pensées. Elle saisit sa main et la pressa contre sa poitrine. Ses seins lui parurent chauds et moelleux sous la laine légère de sa robe.

Mais tel n’était pas l’avenir que Merthin souhaitait pour lui-même. Il écarta sa main et la baisa. « Sois sans crainte, dit-il. Je pourvoirai à tes besoins et à ceux de tes enfants.

— Merci, seigneur. »

Elle semblait déçue. L’expression qui passa dans son regard fit comprendre à Merthin que sa proposition ne lui avait pas été dictée par un simple souci pratique, mais par l’espoir sincère de le voir devenir autre chose que son nouveau maître. En cela, justement, résidait le problème, car Merthin ne pouvait envisager de posséder une femme. Cette seule idée lui répugnait.

Il but son vin à petites gorgées. Ses forces revenaient un peu. Si la perspective d’une vie facile dans le luxe et l’assouvissement sensuel ne l’attirait pas, qu’attendait-il donc de l’avenir ? Que lui restait-il, hormis Lolla ? Certes, il y avait son travail. Actuellement, trois bâtiments se construisaient en ville selon ses plans. Il n’allait pas renoncer à un métier qu’il aimait. Il n’avait pas survécu à la grande mort pour couler ses jours dans l’oisiveté. Il se rappela ses ambitions d’antan : construire l’édifice le plus haut d’Angleterre. Il allait reprendre son travail là où il l’avait interrompu. Pour oublier son chagrin, il allait se jeter corps et âme dans ses projets de construction.

Il se leva pour partir. Lena se pendit à son cou. « Merci, dit-elle. Merci d’avoir promis de prendre soin de mes enfants. »

Il lui tapota le dos. « Ce sont aussi ceux d’Alessandro. Quand ils seront grands, ils seront riches », répliqua-t-il, car, à Florence, les enfants d’esclaves n’étaient pas nécessairement esclaves eux-mêmes.

Il détacha gentiment ses bras et descendit l’escalier.

Dehors, toutes les maisons de Florence avaient portes et persiennes closes. Çà et là, une forme enveloppée dans un linceul gisait sur un seuil. De rares silhouettes erraient dans les rues, de pauvres gens pour la plupart. Une telle désolation ne laissait pas d’être déconcertante. Florence était la plus grande cité du monde chrétien, une métropole commerciale. Des milliers d’aunes de lainage y étaient tissées chaque jour ; des sommes énormes y changeaient de main quotidiennement sur la foi d’une lettre expédiée d’Anvers ou sur la simple promesse verbale d’un prince. La vue de ces rues muettes et désertes était aussi incongrue que celle d’un cheval affalé au sol, incapable de se relever. Elle forçait l’homme à admettre qu’une puissance colossale pouvait être réduite à néant du jour au lendemain.

Au cours de ses déambulations, Merthin ne croisa personne de sa connaissance. Ses amis restaient probablement terrés chez eux, du moins ceux qui étaient toujours vivants. Il se rendit tout d’abord sur une place de la vieille ville romaine, non loin de chez les Christi, sur laquelle il construisait une fontaine à la demande de la municipalité. Cette fontaine promettait d’être stupéfiante à plus d’un titre. Par sa beauté, d’abord, car il avait engagé le meilleur tailleur de pierre de la ville pour en sculpter la pièce maîtresse et lui avait ouvert son atelier, mais également par son mode d’alimentation, car il avait lui-même mis au point un système de recyclage grâce auquel presque toute l’eau pourrait être réutilisée, ce qui serait extrêmement précieux pendant les longs étés torrides.

Hélas, il n’avait pas atteint la place qu’il put se convaincre que le chantier était arrêté. Pas un seul ouvrier n’y travaillait. Les canalisations souterraines avaient été installées et les tranchées remblayées avant sa maladie, de même le premier niveau du socle en maçonnerie destiné à recevoir le plan d’eau avait été posé. Mais les pierres qui jonchaient le terrain çà et là indiquaient que rien d’autre n’avait été accompli depuis des jours. Une petite pyramide de ciment abandonnée sur une planche en bois s’était solidifiée au point de devenir incassable. Il s’en éleva seulement un nuage de poussière quand il y donna un coup de pied. Des outils traînaient un peu partout. Un miracle qu’ils n’aient pas été dérobés !

Face à ce spectacle, Merthin resta pétrifié. Ses maçons n’étaient quand même pas tous décédés ! Avaient-ils suspendu le travail dans l’attente de nouvelles sur son état de santé ?

Pour prestigieux que soit ce projet, ce n’était jamais que le plus petit des trois sur lesquels il travaillait actuellement. Merthin reprit donc son chemin pour aller visiter le second, au nord de la ville. En cours de route, l’inquiétude le saisit. Personne n’était en mesure de lui fournir d’informations globales sur la situation. Qu’était devenu le gouvernement, par exemple ? L’épidémie allait-elle empirant ou régressant ? Que se passait-il dans le reste de l’Italie ?

Chaque chose en son temps, se dit-il.

Ce second projet était une commande de Giulielmo Caroli, le frère aîné de Buonaventura. Ce serait un véritable palazzo de plusieurs étages, pourvu d’une double entrée se déployant autour d’un escalier monumental, plus large que bien des ruelles de la ville. Le rez-de-chaussée sortait déjà de terre. Près du sol, les murs, légèrement inclinés, créaient une impression de forteresse que venaient alléger d’élégantes fenêtres à double section dont l’ogive était coiffée d’un trèfle. Par tout son aspect, cette façade proclamerait qu’une famille puissante et raffinée vivait entre ces murs. Et c’était exactement le sentiment que les Caroli souhaitaient susciter.

Pas un seul des cinq maçons censés s’y affairer ne travaillait sur l’échafaudage érigé en vue de bâtir le second étage ! Seule présence sur le chantier, le vieux gardien dans sa cahute en bois tout au bout du terrain. Merthin le découvrit faisant griller un poulet, accroupi devant un âtre bricolé à partir de coûteuses plaques de marbre. L’imbécile !

« Où est tout le monde ? » lui lança Merthin sèchement.

Le gardien bondit sur ses pieds. « Le signor Caroli est mort et son fils, Agostino, n’a pas voulu payer les travailleurs. Alors, ils sont partis. Enfin, ceux qui n’étaient pas déjà décédés. »

Si les Caroli, l’une des familles les plus fortunées de Florence, en venaient à reconsidérer la construction de ce palais, la crise était sérieuse !

« Je t’ai bien compris ? Agostino est vivant ?

— Oui, maître, je l’ai vu ce matin. »

Moins avisé que son père ou son oncle Buonaventura, le jeune Agostino compensait son manque d’intelligence par un conservatisme et une prudence extrêmes. Assurément, tant qu’il ne se serait pas convaincu que tout danger financier était bel et bien écarté, le chantier serait suspendu.

Oui, la situation était grave. Néanmoins, elle ne devrait pas avoir d’incidence sur son troisième projet, le plus grand de tous, tenta-t-il de se rassurer. La commande en effet émanait d’un ordre monastique qui jouissait de toutes les faveurs des marchands de Florence. Elle concernait la construction d’une église sur la rive sud de l’Arno.

Pour s’y rendre, Merthin emprunta le pont construit deux ans plus tôt par le peintre Taddeo Gaddi, désigné pour l’occasion bâtisseur en chef, et sous l’égide duquel il avait conçu certaines parties de l’ouvrage, notamment des piles qui devaient résister à un courant accru en période de fonte des neiges. Ce travail lui avait demandé une grande réflexion. Tout en traversant le pont, il constata que toutes les échoppes d’orfèvres étaient fermées. Ce n’était pas de bon augure.

L’église Sant’Anna dei Frari était à ce jour son projet le plus ambitieux. L’ordre étant riche, le bâtiment aurait les dimensions d’une cathédrale, mais il ne ressemblerait en rien à celle de Kingsbridge. En Italie, les cathédrales étaient de style gothique, et celle de Milan était l’une des plus vastes. Les Italiens n’appréciaient pas les arcs-boutants ni les larges fenêtres prisées en France ou en Angleterre. À leurs yeux, c’étaient des manies d’étrangers. Pour eux qui recherchaient avant tout l’ombre et la fraîcheur, la passion pour la lumière des peuples du nord-ouest de l’Europe était une perversion. Le style qui parlait à leurs cœurs était celui, classique, de la Rome antique, dont ils pouvaient voir maints exemples dans les ruines tout autour de leurs villes. Ils aimaient les pignons et les arches rondes et n’avaient que mépris pour les sculptures extérieures, leur préférant le jeu de pierres et de marbres de différentes couleurs.

Avec cette église, Merthin comptait surprendre les plus blasés des Florentins. Le plan qu’il avait conçu consistait en une enfilade de cubes surmontés d’un dôme – cinq pour la nef, deux pour chaque bras du transept. Ces dômes, dont il avait entendu parler en Angleterre, n’existaient pas à Florence. C’était à Sienne qu’il en avait vu pour la première fois, en visitant la cathédrale. La claire-voie présenterait une rangée d’ouvertures rondes appelées « oculi ». Les piliers, au lieu d’être placés en ligne et de se tendre ensemble vers le ciel en signe d’espérance, formeraient des cercles complets, recréant ainsi l’impression d’autosuffisance terrienne propre à l’esprit commerçant des habitants de cette ville.

Si l’absence de maçons sur les échafaudages ne surprit pas Merthin, il en éprouva néanmoins un grand dépit. Pas un ouvrier ne transportait de pierres ; pas une femme ne remuait le mortier à l’aide de sa pelle géante : ce chantier était aussi silencieux que les deux précédents. Malgré tout, Merthin ne douta pas un seul instant de pouvoir lui redonner vie. Les ordres religieux menaient une existence nullement comparable à celle des simples particuliers.

Ayant inspecté le site, il pénétra dans l’abbaye. Le silence y régnait également. Certes, c’était le propre des monastères que d’être silencieux, mais ce silence-là recelait quelque chose d’angoissant. Il passa du vestibule au tour. Habituellement, un frère s’y tenait, partageant son temps entre l’accueil des visiteurs et l’étude des Saintes Écritures. Aujourd’hui, la salle était vide. Saisi d’un pressentiment sinistre, Merthin franchit la porte de la clôture et déboucha dans le cloître carré. Désert, lui aussi. « Bonjour ! lança-t-il. Il y a quelqu’un ? » Sa voix rebondit sur les arcades en pierre.

Il parcourut l’abbaye d’un bout à l’autre sans y découvrir un seul moine. Dans la cuisine, il tomba sur trois hommes attablés devant du jambon et du vin. Au premier regard, leurs vêtements coûteux les affiliaient à la classe des marchands, mais leurs cheveux emmêlés, leurs barbes mal taillées et leurs mains crasseuses lui donnèrent vite à comprendre qu’il s’agissait d’indigents ayant fait main basse sur les tenues de notables décédés. À la vue de Merthin, ils prirent un air à la fois coupable et provocant.

« Où sont les saints frères ? s’enquit Merthin.

— Tous morts.

— Tous ?

— Jusqu’au dernier. Z’ont soigné les malades, vous comprenez ? Z’ont attrapé la maladie. »

L’homme était ivre assurément, mais il disait sans doute la vérité. Il avait trop bien pris ses aises dans cette cuisine, à manger la nourriture des moines et à boire leur vin avec ses compagnons, pour craindre une quelconque réprimande.

Merthin retourna sur le chantier. Les murs du chœur et des transepts étaient déjà montés et les oculi de la claire-voie apparaissaient clairement. Il s’assit sur un tas de pierres au beau milieu de la croisée du transept et regarda son œuvre. De combien de temps ce projet serait-il retardé ? Et qui paierait les travaux s’il ne restait plus un seul moine vivant ? Pour autant qu’il le sache, ce monastère n’appartenait pas à une congrégation. L’évêque ferait donc valoir ses droits, le pape aussi. S’ensuivraient des complications juridiques qui ne se résoudraient pas avant des années.

Brusquement, Merthin se découvrit sans rien à faire, du moins pour le moment, lui qui avait justement décidé ce matin même de noyer son chagrin dans le travail. Depuis le jour où il s’était lancé à réparer le toit de l’église Saint-Marc à Kingsbridge, dix ans plus tôt, c’était la première fois qu’il était confronté à pareille situation. Sans projet à réaliser, il se sentait perdu. La panique se faufilait en lui.

Il s’était réveillé ce matin face à sa vie en ruine. Se retrouver subitement à la tête d’une immense fortune avait intensifié encore le cauchemar qu’il traversait. Hormis sa petite fille, il ne lui restait plus rien de son ancienne existence. Il ne savait même pas où aller.

À un moment ou à un autre, il faudrait bien qu’il reprenne le chemin de chez lui, forcément, mais il ne pourrait pas passer ses journées entières à jouer avec une enfant de trois ans et à bavarder avec sa gouvernante. Il demeura où il était, assis sur un disque en pierre destiné à fabriquer une colonne, les yeux fixés sur ce qui aurait dû bientôt être une nef.

Le soleil avait entamé sa course descendante. Sa maladie commença à lui revenir en mémoire. Il avait été certain de mourir. Pourquoi y aurait-il survécu quand si peu de gens en réchappaient ? Dans ses instants de lucidité, il avait passé en revue l’histoire de sa vie comme si elle était déjà achevée. Ses réflexions l’avaient conduit à prendre conscience d’une chose capitale. Il en était certain, quand bien même ce souvenir persistait à le fuir. Peu à peu, dans la paix de ce sanctuaire inachevé, il lui revint à l’esprit que c’était la certitude d’avoir commis une erreur colossale au cours de sa vie. Laquelle ? Sa dispute avec Elfric ? Sa relation avec Griselda ? Son rejet d’Élisabeth Leclerc ?... Non, ces faits-là avaient été la source de multiples ennuis, assurément, mais aucun d’eux ne pouvait être considéré comme la grande erreur de sa vie.

Une chose seulement l’avait maintenu en vie tandis qu’il était allongé en sueur sur sa couche à tousser sans relâche et à souffrir de la soif en appelant la mort de ses vœux, un désir fou qui lui apparaissait maintenant en toute clarté : revoir Caris !

Oui, c’était elle sa raison de vivre !

En revoyant son visage dans son délire, il avait pleuré toutes les larmes de son corps à l’idée de mourir à Florence, à des milliers de lieues de là où elle était.

Oui, l’erreur de sa vie avait été de s’éloigner de Caris.

Lorsque la vérité s’imposa à lui avec une évidence aveuglante, une sorte d’allégresse s’empara de Merthin. Ce bonheur subit ne rimait à rien, tout bien considéré, puisque Caris était entrée au couvent sans juger bon de s’expliquer avec lui. Mais son âme refusait de se soumettre aux lois de la raison et s’obstinait à lui dire qu’il devrait être là où Caris se trouvait. Il se demanda ce qu’elle faisait à cette seconde précise, pendant qu’il était assis dans cette église à moitié construite, dans une ville presque totalement détruite par la peste.

La dernière chose qu’il avait entendue à son propos était qu’elle avait prononcé ses vœux perpétuels devant l’évêque. Engagement irrévocable, disait-on. De la part de Caris qui ne supportait pas qu’on lui dicte des règles, cette décision était pour le moins surprenante. Mais il était vrai aussi qu’elle n’était pas femme à changer d’avis, une fois sa décision prise. Celle-ci, sans aucun doute, démontrait la fermeté de son engagement.

Qu’importe ! Il voulait la revoir. Ne pas le faire serait commettre pour la deuxième fois la grande erreur de sa vie.

D’autant qu’il était libre, désormais. Plus aucun lien ne le rattachait à Florence : son épouse était morte, de même que tous ses parents par alliance, hormis trois neveux. La seule famille qu’il lui restait encore dans cette ville se résumait à sa fille. Il pouvait l’emmener avec lui. Lolla était très jeune, elle ne regretterait pas ce qu’elle abandonnait derrière elle.

C’était là une décision capitale, se dit-il. Pour la mettre en œuvre, il lui faudrait d’abord régler les questions concernant l’héritage d’Alessandro et l’avenir de ses enfants. Agostino Caroli l’y aiderait. Après cela, il devrait changer sa fortune en or et la transférer en Angleterre. Là aussi, les Caroli lui viendraient en aide, si toutefois leur réseau international fonctionnait toujours. Le plus difficile serait le voyage lui-même : de Florence à Kingsbridge il y avait plusieurs milliers de lieues. Cela équivalait à parcourir une grande partie de l’Europe sans avoir la moindre idée de l’accueil que lui réserverait Caris à l’arrivée.

À l’évidence, cette décision nécessitait une réflexion longue et attentive.

Il la prit sur-le-champ.

Il rentrerait en Angleterre.

Un Monde Sans Fin
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