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Une semaine plus tard…

 

 

Une île de la Seine, la nuit, une cathédrale sans âge en toile de fond, les Parisiens à l’avant-scène…

Emmaline Troie contournait d’un pas agile les cracheurs de feu, pickpockets et chanteurs de rue perdus parmi les tribus de goths en noir qui fourmillaient autour de Notre-Dame. Le monument ressemblait fort au navire ravitailleur de tous les goths du monde, chargé d’alimenter leur mère patrie. Malgré leur nombre, cependant, Emmaline attirait l’attention.

Chaque fois qu’elle passait près d’un homme, il se tournait lentement dans sa direction, les sourcils froncés, conscient de quelque chose sans savoir quoi. Une sorte de mémoire génétique très ancienne devait souffler à tous ces mâles qu’ils contemplaient leur fantasme le plus fou ou leur cauchemar le plus noir.

Emma n’était pourtant ni l’un ni l’autre.

C’était une étudiante – ou, plus exactement, une diplômée de fraîche date de l’université de Tulane –, seule à Paris et affamée. Épuisée par une quête infructueuse – une de plus –, elle se laissa tomber sur un banc rustique, sous un noisetier, les yeux rivés à une serveuse de bar qui préparait un expresso. Si seulement le sang coulait de la même manière ! Si seulement un robinet inépuisable le déversait dans une tasse, chaud et onctueux, Emma n’aurait pas eu l’estomac contracté par la faim à cette seule idée !

Affamée, à Paris. Sans ami. Il n’y avait qu’elle pour avoir une poisse pareille.

Les couples qui erraient sur le gravier de l’allée, main dans la main, accentuaient encore le ridicule de sa solitude. Était-ce juste une impression, ou les amoureux se regardaient-ils d’un air plus adorateur à Paris ? Surtout au printemps. Allez crever, bande de salauds !

Elle soupira. Ce n’était pas de leur faute, si ces salauds allaient crever.

Elle s’était jetée dans la mêlée pour fuir sa chambre d’hôtel, mais aussi parce qu’elle conservait l’espoir de dénicher dans la Ville lumière un nouveau fournisseur de sang. Son précédent dealer s’était fait une place au soleil – littéralement, puisqu’il était parti pour Ibiza… sans se fatiguer à lui expliquer pourquoi il laissait tomber le job. Il avait juste dit qu’avec « le réveil du roi », le « gai Paris » pouvait s’attendre à « un bordel épique ». Quant à ce que cela signifiait…

En tant que vampire, Emma appartenait au Mythos, l’ensemble des créatures qui avaient réussi à convaincre l’humanité qu’elles existaient exclusivement dans son imagination. Mais le Mythos avait beau être dense à Paris, la voyageuse s’était révélée incapable de trouver un autre fournisseur. Chaque fois qu’elle repérait un informateur potentiel, il détalait, terrifié par sa nature vampirique. Sans se douter qu’il avait en réalité affaire à une métisse – et une petite nature, en plus, puisqu’elle n’avait jamais mordu personne de sa vie. Comme ses indomptables tantes le répétaient à qui voulait l’entendre :

— Dès qu’Emma froisse les ailes d’un papillon de nuit, elle pleure toutes les larmes roses de son corps.

Elle qui tenait tant à ce voyage, il ne lui avait servi à rien. La quête entreprise pour obtenir des renseignements sur ses parents disparus – sa mère valkyrie et son père vampire, dont le nom même lui restait inconnu – s’était soldée par un échec. Échec qu’elle couronnerait en téléphonant à ses proches pour les implorer de voler à son secours… parce qu’elle était incapable de se nourrir. Lamentable. Emma soupira. Ça aussi, elle en entendrait encore parler dans soixante-dix ans…

Un fracas retentissant la tira de ses pensées. Elle n’eut même pas le temps de plaindre la serveuse, accusée de casser la vaisselle, qu’une deuxième, puis une troisième vague sonore suivirent en rafale. Emma inclina la tête de côté, intriguée… à l’instant précis où le parasol déployé au-dessus de la table la plus proche décolla jusqu’à cinq mètres de haut, avant d’aller s’abîmer en voletant dans la Seine. Un bateau de plaisance klaxonna, tandis qu’éclatait une bordée de jurons français.

Un colosse apparut dans la faible lumière des flambeaux de l’allée, très occupé à renverser les tables du café, les chevalets des peintres et les étals des bouquinistes, jonchés d’œuvres pornographiques centenaires. Les touristes hurlants s’enfuyaient devant lui. Emma bondit sur ses pieds, saisie, en ramassant son sac à main.

Le type fonçait droit sur elle. Son imper noir battait au vent. Sa taille et ses mouvements, d’une fluidité surnaturelle, n’étaient peut-être pas totalement humains. Sa longue chevelure ébouriffée lui dissimulait à demi le visage ; une barbe de plusieurs jours ombrait son menton.

— Toi ! gronda-t-il en tendant vers Emma une main tremblante.

Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule – d’abord d’un côté, puis de l’autre – à la recherche du malheureux à qui s’adressait ce toi. Personne. Nom d’un chien. Le fou en avait après elle !

La main ouverte, il lui fit signe de le rejoindre – visiblement persuadé qu’elle allait obtempérer.

— Euh… mais… je… je ne vous connais pas, couina-t-elle en cherchant à reculer et en se cognant aussitôt au banc.

L’inconnu s’approchait, indifférent aux tables qui lui barraient le passage et qu’il projetait de côté comme de vulgaires jouets. Une détermination rageuse brûlait dans ses yeux bleu pâle. Plus la distance qui les séparait s’amenuisait, plus elle percevait la fureur dont il était possédé, une fureur déconcertante pour elle, qui avait toujours fait partie des prédateurs de la nuit, pas des proies – jamais. Et qui n’était au fond qu’une froussarde.

— Viens.

Il cracha le mot, difficilement, en faisant de nouveau signe à Emma de le rejoindre.

Les yeux écarquillés, elle secoua la tête puis bondit en arrière par-dessus le banc, de manière à retomber le dos tourné au cinglé. Elle n’avait plus qu’à prendre ses jambes à son cou. Si affaiblie soit-elle – elle n’avait pas avalé une goutte de sang depuis plus de deux jours –, la terreur lui donna des ailes pour filer sur le quai puis quitter l’île par le pont de l’Archevêché.

Trois rues plus loin… quatre… Emma se permit de lancer un coup d’œil par-dessus son épaule. Personne. Avait-elle semé le fou ? Une musique bruyante jaillit soudain de son sac à main, lui arrachant un cri de peur.

Nom d’un chien ! Qui avait bien pu programmer sur son portable la sonnerie Crazy Frog ? Ses yeux se plissèrent. Regina. L’immortelle la plus immature du monde – une mentalité de gamine dans un corps de sirène.

Les habitantes de la maisonnée n’utilisaient les portables qu’en cas d’extrême urgence : les appels inattendus nuisaient à la traque dans les bas quartiers de La Nouvelle-Orléans, car il suffisait parfois d’une vibration pour faire dresser l’oreille aux créatures inférieures.

Emma ouvrit l’appareil. Quand on parle du loup… Regina la Radieuse en personne était au bout du fil.

— Je suis occupée, lâcha aussitôt Emma, tranchante, en jetant de nouveau un coup d’œil en arrière.

— Laisse tomber. Tu n’as pas le temps de faire tes bagages. Annika t’ordonne de te rendre immédiatement à l’aéroport VIP. Tu es en danger, ma puce !

— Euh…

Clic. Il ne s’agissait pas d’un avertissement, mais d’un fait avéré.

Elle demanderait des détails à ses tantes depuis l’avion… même si elle n’avait pas vraiment besoin d’une bonne raison pour rentrer au manoir. Le seul mot « danger » venait de la persuader d’y retourner ventre à terre, se placer sous la protection des braves qui élimineraient le moindre péril et tiendraient en respect toute inquiétude.

Bon… Par où passer, pour regagner l’aéroport où elle avait atterri ? La pluie se mit à tomber, une bruine tiède qui poussa les amants d’avril à se réfugier sous les auvents en riant, mais qui ne tarda malheureusement pas à se transformer en averse glacée. Emma atteignit une avenue animée, où elle se sentit plus en sécurité en se faufilant à travers la circulation. Les voitures qu’elle esquivait faisaient un usage intensif de leurs essuie-glaces, mais aussi de leur klaxon. Son poursuivant n’était nulle part en vue.

Il faut dire qu’elle était rapide, avec son sac à main pour tout bagage, la bandoulière passée autour du cou. Les kilomètres s’enchaînaient, et le parking à ciel ouvert qui s’étendait juste devant l’aéroport ne tarda pas à lui apparaître… puis les turbulences suscitées par des moteurs en train de chauffer. Les obturateurs avaient déjà été baissés devant les hublots de l’avion. Elle y était presque.

Persuadée d’avoir semé le fou. Parce quelle était effectivement très rapide. Et très douée pour se persuader de choses et d’autres sans disposer de la moindre preuve – elle avait le don de faire comme si.

Un grognement féroce s’éleva derrière elle. Ses yeux s’écarquillèrent, mais elle s’élança sur l’herbe sans se retourner. Des griffes s’enfoncèrent dans sa cheville, une poussée la fit tomber dans la boue puis rouler sur le dos. Une main lui couvrit la bouche, mais elle était de toute manière entraînée à ne pas crier.

— Il ne faut jamais s’enfuir devant nous. (La voix de son poursuivant n’était pas humaine.) Personne n’est capable de nous échapper. Et nous, on aime ça.

C’était une voix de bête sauvage, gutturale, éraillée, mais aussi dotée d’un accent… écossais, peut-être ?

Emma considéra l’inconnu par en dessous, malgré la pluie, tandis qu’il l’examinait de ses grands yeux dorés… qui passèrent la seconde d’après à un bleu surnaturel. Non, ce n’était pas un être humain.

Il avait des traits réguliers et virils, méplats ciselés, mâchoire et menton puissants. Impressionnée par sa beauté, elle se demanda s’il ne s’agissait pas d’un ange déchu. Après tout, c’était possible. Quelqu’un comme elle ne pouvait écarter aucune hypothèse !

La main qui lui avait écrasé la bouche l’attrapa par le menton. Les sourcils froncés, son agresseur examina ses lèvres… ses crocs presque indiscernables.

— Non, haleta-t-il. Je n’y crois pas ! (Il lui fit tourner brutalement la tête de côté et d’autre en promenant le nez dans son cou pour la flairer, puis poussa un grognement de rage.) Nom de Dieu !

Lorsque ses yeux virèrent au bleu une fois de plus, Emma laissa échapper un cri de terreur. Il lui sembla que sa respiration s’arrêtait.

— Tu sais glisser ? demanda-t-il d’une voix rauque, hésitante, comme s’il avait du mal à parler. Allez, réponds !

Elle secoua la tête, déconcertée. « Glisser » était le terme consacré pour évoquer la capacité de téléportation grâce à laquelle les vampires apparaissaient et disparaissaient où bon leur semblait. Il a compris que je suis une vampire ! songea-t-elle.

— Tu sais, oui ou non ?

— N… non. (Elle n’avait jamais eu ni la force ni l’habileté nécessaires.) Je vous en prie. (La pluie lui fit battre des paupières, le regard implorant.) Je ne suis pas celle qu’il vous faut.

— Je pensais que je saurais. Mais je vais vérifier, puisque tu insistes.

Il leva la main… pour la toucher ? la frapper ? Elle se débattit en montrant les dents et en feulant désespérément.

Une paume calleuse se glissa sous sa nuque, alors que l’inconnu lui serrait les poignets l’un contre l’autre puis se penchait vers son cou. Son corps tout entier eut un sursaut quand une langue lui toucha la peau. La bouche du colosse paraissait brûlante, par contraste avec l’air froid et humide. Emma frissonna au point que ses muscles se nouèrent. Il gémit sans cesser de l’embrasser.

— Arrêtez, je vous en prie… balbutia-t-elle, les poignets comprimés dans un véritable étau, paralysée par la pluie glacée qui lui coulait sur les cuisses.

Le dernier mot s’acheva dans un gémissement qui tira le fou d’une sorte de transe. Il fronça les sourcils lorsque son regard croisa celui d’Emma, mais ne lui lâcha pas les mains.

Ses griffes descendirent sur le corsage mouillé, coupant aussi du même mouvement le soutien-gorge vaporeux, puis en écartèrent lentement les deux pans. Elle eut beau se débattre, son agresseur était si fort que cela ne servit strictement à rien. Il l’examina d’un regard avide, pendant que la pluie battante picotait ses seins nus. Des frissons incontrôlables la secouaient.

L’homme souffrait tellement qu’elle en avait la nausée. Il était capable de tout, la violer ou lui ouvrir le ventre d’un coup de griffes…

Mais il se contenta de déchirer sa propre chemise, puis de lui poser ses énormes mains dans le dos pour l’attirer contre sa poitrine. Quand leurs peaux entrèrent en contact, il émit un gémissement. Emma eut la nette impression qu’un courant électrique la traversait. La foudre déchira le ciel.

Le type lui marmonna des mots étrangers à l’oreille de sa voix grondante. Des mots… tendres, apparemment. Il avait perdu la tête, c’était net. Elle se laissa complètement aller, les bras ballants, pendant que le malade, tremblant, promenait dans son cou, sur son visage et jusque sur ses paupières des lèvres brûlantes malgré l’averse torrentielle. À genoux, cramponné à elle… qui gisait là, immobile, l’esprit vide, les yeux fixés sur les éclairs ardents.

Une énorme main l’attrapa par le crâne pour l’obliger à tourner la tête vers lui.

Des émotions aussi violentes que contradictoires jouaient sur les traits virils, tandis que l’homme la regardait comme personne ne l’avait jamais regardée. Avec cette… avidité. Elle ne savait plus que penser. Allait-il lui faire du mal ou la libérer ?

Une larme coula sur la joue d’Emma, serpent de chaleur parmi les gouttes de pluie.

L’avidité disparut.

— Tu pleures du sang ? rugit l’inconnu, visiblement révolté.

Il se détourna de ce spectacle, qu’il trouvait sans doute insupportable, puis chercha à tâtons les pans du corsage déchiré pour le refermer.

— Emmène-moi chez toi, vampire.

— Je… je ne vis pas ici, répondit Emma d’une voix étranglée, assommée par ce qui venait de se passer et par l’idée qu’il connaissait sa nature.

— Alors emmène-moi où tu loges, ordonna-t-il en posant les yeux sur elle après s’être relevé.

— Non.

La réponse l’étonna elle-même.

Son agresseur en parut également surpris.

— Tu ne veux pas que j’arrête, c’est ça ? Bon. Je vais te prendre ici, dans l’herbe, à quatre pattes… (Il la souleva sans difficulté pour l’agenouiller.)… jusque bien après l’aube.

La résignation d’Emma dut transparaître, d’une manière ou d’une autre, car il la remit sur ses pieds puis lui donna une petite poussée pour l’encourager à se mettre en route.

— Qui loge avec toi ?

Mon mari, eut-elle envie de rétorquer. Un grand rugbyman qui va te botter le cul. Mais il lui était impossible de mentir, malgré les circonstances. D’ailleurs, jamais elle n’aurait eu le courage de se montrer aussi provocatrice.

— Personne. Je suis toute seule.

— Ton compagnon te laisse voyager sans escorte ? s’enquit-il, dominant le bruit de l’averse.

Sa voix redevenait humaine. Comme Emma ne répondait pas, il ajouta, l’air mauvais :

— C’est un idiot. Tant pis pour lui.

Lorsqu’elle trébucha dans un nid-de-poule, il l’aida à reprendre son équilibre, puis s’en voulut visiblement de s’être porté à son secours. Mais, quelques secondes plus tard, quand il s’aperçut qu’il l’avait entraînée sur la trajectoire d’une voiture, il l’en écarta d’une poussée, à l’instant même où il se jetait en arrière au bruit du klaxon. Le coup de griffes qu’il assena au passage plia la carrosserie en accordéon comme du fer-blanc. Le véhicule s’arrêta après un long dérapage, auquel le bloc moteur mit un point final en s’écrasant sur l’asphalte dans un choc sourd. Le conducteur ouvrit sa portière, bondit à l’extérieur et s’enfuit à toutes jambes.

Emma était tombée par terre. Bouche bée, sous le choc, elle joua frénétiquement des pieds et des mains pour reculer. On aurait dit que son ravisseur ne savait pas ce qu’était une voiture.

Il la rejoignit aussitôt, dressé au-dessus d’elle.

— J’aimerais bien que tu essaies de nouveau de m’échapper. (Sa voix éraillée était aussi basse que menaçante.) C’est encore loin ? ajouta-t-il en rattrapant brusquement par la main afin de la remettre sur ses pieds.

Dun doigt sans force, elle lui montra le Crillon de la place de la Concorde.

Il lui jeta un regard de haine sans mélange.

— Les tiens ont toujours eu de l’argent. (Le ton était mordant.) Rien n’a changé.

Il savait qu’Emma était une vampire, oui, mais savait-il qui étaient ses tantes ? Sans doute… car sinon, Regina n’aurait jamais pu la prévenir du danger. D’ailleurs, il était au courant de la richesse de leur maisonnée.

Quelques minutes plus tard, ils passèrent devant le portier de l’hôtel puis s’avancèrent dans le hall luxueux, où tous les regards se fixèrent sur eux. Enfin… au moins, la lumière était tamisée. Emma referma sa veste trempée sur son corsage déchiré, la tête basse, heureuse de s’être fait des tresses qui lui couvraient les oreilles.

Devant témoins, le fou relâcha l’étau de fer dans lequel il lui avait emprisonné le coude. Elle ne chercherait pas à obtenir de l’aide, il s’en doutait. On ne crie pas, on n’attire pas l’attention des humains… Au bout du compte, ils s’avéraient toujours plus dangereux que les milliers de créatures du Mythos.

Lorsque l’inconnu lui posa un bras lourd sur les épaules, à la manière d’un amant, Emma leva les yeux vers lui de sous une mèche de cheveux mouillée. Il avait beau déployer ses larges épaules, à croire qu’il était le maître des lieux, il examinait ce qui l’entourait comme s’il n’avait jamais rien vu de pareil. D’ailleurs, ses muscles se contractèrent quand le téléphone de la réception sonna… et, maintenant qu’elle y pensait, il s’était aussi raidi en s’engageant dans la porte à tambour. Ensuite, ce fut au tour de l’ascenseur de le déconcerter – il hésita à y entrer… même s’il le cacha plutôt bien. Sa taille et l’énergie qu’il dégageait firent paraître la cabine minuscule, alors qu’elle était en réalité spacieuse.

Ils ne passèrent que quelques secondes dans le corridor, le temps de gagner la chambre, mais ce court trajet parut à Emma le plus long de sa vie. Elle le consacra à échafauder puis écarter l’un après l’autre des plans d’évasion divers et variés. Devant sa porte, elle hésita, cherchant sans se presser la carte magnétique qui se trouvait au fond de la flaque d’eau accumulée dans son sac à main.

— La clé, dit son compagnon.

Elle la lui tendit en expirant profondément. Il fronça les sourcils. Elle se prépara à entendre sa voix rauque répéter « La clé », mais il examina la poignée de porte, puis rendit la carte à Emma en lâchant :

— Toi.

D’une main tremblante, elle glissa le passe dans la fente. Le bourdonnement puis le cliquetis qui suivirent lui firent l’effet d’un glas.

Dans la chambre, il entreprit aussitôt d’en explorer le moindre centimètre carré, comme pour vérifier qu’elle l’occupait bien seule. Il regarda sous le lit couvert de brocart, puis ouvrit brutalement les lourds rideaux de soie, dévoilant une des plus belles vues de Paris. Ses mouvements rappelaient ceux d’un fauve par l’agressivité qui s’en dégageait, mais il boitait. Une de ses jambes était manifestement moins forte que l’autre.

Lorsqu’il regagna la petite entrée, les yeux d’Emma s’écarquillèrent. Elle battit en retraite, mais il s’approcha d’elle en l’examinant, en la jaugeant… posant pour finir les yeux sur ses lèvres.

— Je t’attends depuis longtemps.

Il s’obstinait à se conduire comme s’ils se connaissaient, alors que jamais elle n’aurait oublié un homme pareil !

— J’ai besoin de toi, continua-t-il. Peu importe ta nature. Il n’est pas question que j’attende une minute de plus.

À cette stupéfiante déclaration, elle sentit son corps se détendre inexplicablement. Ses griffes s’incurvèrent, prêtes à attirer le cinglé contre elle, tandis que ses crocs se rétractaient en prévision d’un baiser. Elle promena frénétiquement les ongles sur la tapisserie, dans son dos, tout en tapotant de la langue sa canine gauche. Ses défenses restèrent inertes, alors que ce type la terrifiait. Pourquoi son corps n’avait-il pas aussi peur qu’elle ?

Il posa les mains de chaque côté de sa tête, sur le mur, puis se pencha sans hâte pour lui caresser les lèvres de son souffle. Un gémissement rauque échappa au colosse à ce simple effleurement, qu’il accentua en frôlant de la langue la bouche de sa captive. Elle se figea, car elle ne savait absolument pas quoi faire.

— Embrasse-moi, sorcière, gronda-t-il tout contre elle, le temps que je décide si je vais t’épargner ou non.

Elle lâcha un petit cri involontaire, puis tourna la tête sous la sienne. Il se figea complètement, comme pour lui laisser faire tout le travail, ce qui l’incita à bouger de nouveau, afin de le gratifier cette fois d’un baiser timide.

— Embrasse-moi aussi passionnément que tu veux vivre, ordonna-t-il.

Elle obéit – non qu’elle ait tellement envie de vivre, mais parce qu’elle était persuadée que, sinon, il lui infligerait une mort à la fois lente et douloureuse. Je ne veux plus souffrir. Plus jamais.

Lorsqu’elle joua de la langue, de même que lui un peu plus tôt, il gémit et reprit les rênes. Sa grande main enveloppa la nuque et la tête d’Emma, de manière à la tenir telle une proie. Quand leurs salives se mêlèrent, elle s’aperçut avec un choc que ce n’était pas… désagréable. Combien de fois avait-elle rêvé de son premier baiser, tout en sachant qu’elle n’y goûterait jamais ? Sauf qu’elle y goûtait, ici et maintenant.

Elle ne savait même pas comment s’appelait ce type…

Alors qu’elle se remettait à trembler, il cessa de l’embrasser et s’écarta un peu.

— Tu as froid.

Elle était glacée. Ça lui arrivait, quand elle manquait de sang. Se faire plaquer dans la boue et tremper jusqu’aux os n’arrangeait pas les choses. Toutefois, elle avait bien peur de ne pas trembler à cause de cela.

— Ou… oui.

Il l’examina des pieds à la tête, visiblement dégoûté.

— Tu es sale. Tu as de la boue partout.

— Mais c’est vous qui…

Elle s’interrompit sous son regard meurtrier.

Il trouva la salle de bains, où il l’entraîna puis examina ce qui l’entourait avec attention.

— Lave-toi.

— Et mon int… intimité ? croassa-t-elle.

— Tu n’en as plus.

Sans chercher à dissimuler son amusement, il appuya l’épaule au mur et croisa ses bras musclés. En attendant que le spectacle commence, sans doute.

— Bon, déshabille-toi. Montre-moi ce qui m’appartient.

Ce qui lui appartenait ? Sidérée, Emma allait protester une fois de plus, mais il releva la tête d’un mouvement brusque, visiblement aux aguets, puis quitta la salle de bains à toute allure. Elle claqua aussitôt la porte, s’enferma à double tour – ridicule – et mit la douche en route.

Avant de se laisser tomber sur le sol, la tête entre les mains. Parviendrait-elle à échapper à ce cinglé ? Le Crillon se targuait de posséder des cloisons de trente centimètres d’épaisseur. Un groupe de rock avait occupé la suite voisine à un moment, sans que filtre le moindre bruit. Il était hors de question qu’Emma appelle à l’aide – on n’appelait jamais les humains à l’aide –, mais elle se demanda sérieusement si elle ne pourrait pas se frayer un passage à travers le mur de la salle de bains.

Insonorisation parfaite. Dixième étage. La chambre luxueuse qui lui était apparue comme un refuge, où échapper au soleil et aux fouineurs, se révélait être une prison dorée. Une créature quelconque – Freyja seule savait de quoi il s’agissait – s’était emparée d’Emma.

Comment pourrait-elle s’enfuir, alors qu’elle n’avait rien à attendre de quiconque ?

 

 

Un grincement imperceptible, une odeur de viande… Lachlain boitilla jusqu’à la porte du couloir, où il tomba sur un vieil homme poussant un chariot à roulettes. L’employé laissa échapper un cri de frayeur à son apparition, puis le regarda sans mot dire s’emparer des deux assiettes disposées sur la desserte.

Le Lycae referma la porte d’un coup de pied. Souleva les cloches et dévora les steaks. Puis creusa d’un coup de poing un trou dans le mur lorsqu’un souvenir brutal s’imposa à lui.

Assis au bord d’un lit bizarre, en un lieu et une époque bizarres, il fit jouer ses doigts ensanglantés. Il était fatigué et il avait mal à la jambe, à cause de la poursuite. Remontant le pantalon volé, il examina son membre en cours de régénération, à la chair maigre et ratatinée.

Chasser la mutilation de son esprit lui était difficile, malgré sa volonté, car il n’y avait pas grand-chose d’autre dans son passé récent pour la remplacer. À part le feu, où il se consumait encore et toujours jusqu’à la mort. Cent cinquante ans durant, il le savait maintenant…

Il frissonna, en nage, secoué de haut-le-cœur, mais réussit à éviter de vomir la viande dont il avait tellement besoin. En revanche, il lacéra de ses griffes la table de nuit posée près du lit pour se retenir de détruire tout ce qui l’entourait.

Depuis son évasion, qui remontait à une semaine, il parvenait à se débrouiller parce qu’il se concentrait sur sa guérison et la quête de son âme sœur. On aurait presque pu croire qu’il s’adaptait. Jusqu’à ce que sa fureur se réveille. Il s’était introduit dans un manoir pour voler des vêtements… puis avait réduit en miettes tout ce qui s’y trouvait. Tout ce qu’il ne reconnaissait pas, ne comprenait pas : réduit en miettes.

Cette nuit même, il ne pensait pas clairement, affaibli par sa jambe en cours de régénération. N’empêche qu’il était tombé à genoux quand il avait enfin repéré l’odeur de sa promise, pour la seconde fois.

Mais voilà qu’au lieu de l’âme sœur à laquelle il s’attendait, il avait découvert une vampire. Une frêle petite vampire. Alors qu’il n’avait pas entendu parler de femelles de cette espèce depuis des siècles. Sans doute les mâles, ces sournois, les cloîtraient-ils, puisque la Horde ne les avait visiblement pas tuées jusqu’à la dernière, comme le racontait le Livre du Mythos.

Quant à lui, l’instinct lui affirmait toujours que cette pâle créature éthérée était… son âme sœur.

L’instinct exigeait de lui qu’il la touche, qu’il la fasse sienne. Il avait attendu si longtemps…

Il se prit la tête à deux mains pour résister à l’envie de détruire tout ce qui l’entourait, une fois de plus – pour forcer la bête à rentrer dans sa cage. Comment le destin pouvait-il se jouer de lui, encore et toujours ? Il cherchait sa promise depuis plus de mille ans…

Et il l’avait trouvée, sous une forme qui lui inspirait une haine si virulente qu’il n’arrivait pas à la maîtriser.

Une vampire. La manière dont elle se nourrissait le dégoûtait. La faiblesse dont elle faisait preuve le dégoûtait. Elle était si pâle, si petite, si mince qu’elle se briserait sans doute à la première étreinte un peu énergique.

Il avait attendu un millénaire ce parasite dépourvu d’énergie.

Le grincement des roulettes lui parvint de nouveau, nettement plus rapide devant la porte de la chambre, mais il se sentait rassasié pour la première fois depuis le début de ses épreuves. S’il continuait à se nourrir comme cette nuit, son corps ne porterait bientôt plus trace des tortures qu’il avait endurées. Son esprit, en revanche…

Il se trouvait en compagnie de la vampire depuis une heure. Une heure durant laquelle il n’avait eu à combattre la bête que deux fois. Il avait donc fait d’immenses progrès, car son existence tout entière se réduisait auparavant à une morne indifférence, ponctuée de crises de rage. On disait que l’âme sœur d’un Lycae était capable de l’apaiser en toute circonstance… Si cette créature était bel et bien la sienne, le poste était indéniablement fait pour elle.

Mais ce n’était pas possible. Il délirait. Cette idée le réconforta. Son ultime regret, avant que ses bourreaux ne le soumettent au brasier, avait été de ne pas avoir rencontré sa promise. Peut-être, maintenant, son esprit malade lui jouait-il des tours. Oui, bien sûr. Il s’était toujours représenté son âme sœur comme une rouquine plantureuse, à demi louve, capable de répondre à sa concupiscence et de jouir autant que lui de la férocité la plus pure – rien à voir avec cette petite vampire effarouchée. Son esprit battait la campagne. Bien sûr.

Lachlain s’approcha en boitillant de la salle de bains. La porte était fermée à clé. Il secoua la tête, brisa la poignée sans la moindre difficulté puis pénétra dans la pièce, emplie d’une vapeur si épaisse qu’elle lui dissimula presque sa captive, recroquevillée contre le mur d’en face. Il la souleva par les bras, puis fronça les sourcils en la découvrant toujours aussi sale et mouillée.

— Tu ne t’es pas lavée ? (Les yeux rivés au sol, elle n’eut aucune réaction.) Pourquoi ?

Cette fois, un haussement d’épaules malheureux répondit à la question.

Il regarda la cascade qui dégringolait dans la cellule de verre, dont il ouvrit la porte pour tendre la main sous l’eau. Tiens… cette nouveauté-là pouvait lui être utile, à lui aussi. Autant se déshabiller.

À la vue de sa verge, la vampire ouvrit de grands yeux en plaquant une main sur sa bouche, à croire qu’elle n’avait jamais vu un sexe d’homme. Il la laissa satisfaire sa curiosité et s’appuya même au mur, les bras croisés, pendant qu’elle l’examinait.

La fascination dont il était l’objet provoqua durcissement et déploiement – son corps ne doutait visiblement pas que cette femelle fût sienne –, tant et si bien qu’elle finit par baisser les yeux avec une petite exclamation étouffée. Son attention se porta alors sur la jambe abîmée de Lachlain, qui l’inquiéta encore davantage. Cette fois, une certaine gêne s’empara de lui. Il se plaça sous le jet pour échapper à ce regard scrutateur.

Ses yeux se fermèrent de plaisir tandis que l’eau ruisselait sur son corps, sans pour autant noyer son érection. La vampire se raidit, il en eut conscience, prête à s’enfuir. S’il avait eu davantage de forces, il aurait adoré qu’elle essaie… Ses paupières se rouvrirent.

— C’est la porte qui t’intéresse, à ce que je vois. Je te rattraperai avant même que tu quittes cette pièce-ci.

Elle le considéra de nouveau et étouffa un petit cri.

— Déshabille-toi.

— N… non !

— Tu préfères venir tout habillée ?

— Si c’est ça ou me retrouver nue en votre compagnie, oui !

Il se sentait à présent détendu, voire magnanime. Sans doute l’effet de l’eau chaude et de la nourriture.

— Bon, je te propose un marché. Tu me fais une faveur, je t’en fais une aussi.

Elle le regarda de sous une boucle qui avait échappé à ses tresses soignées.

— Comment ça ?

Il se pencha en avant, hors du jet d’eau.

— Moi, je veux que tu viennes ici, toute nue. Tu n’as qu’à me demander autre chose en échange.

— Vous ne pouvez rien me donner qui ait autant de valeur, murmura-t-elle.

— Tu vas rester en ma compagnie indéfiniment. Jusqu’à ce que je décide de te libérer. Tu ne veux pas contacter tes… amis ? (Il avait littéralement craché le mot.) Je ne doute pas que tu sois précieuse à leurs yeux, vu la rareté de tes semblables.

En fait, empêcher la créature de rejoindre ses semblables ne constituerait que les prémices de la vengeance de Lachlain. L’idée qu’elle s’accouple – à de multiples reprises – avec un Lycae les révolterait autant que les membres du clan. Elle mordilla d’un petit croc sa lèvre inférieure, ce qui le remit en colère.

— Je ne suis pas obligé de t’accorder quoi que ce soit ! Je pourrais parfaitement te jeter sous l’eau puis dans le lit.

— M… mais ça n’arrivera pas, si je viens maintenant ?

— Ça n’arrivera pas si tu viens de ton plein gré.

— Que… Qu’est-ce que vous ferez ?

— Je veux poser les mains sur toi. Te découvrir. Et sentir tes mains sur moi.

— Vous me ferez du mal ? demanda-t-elle, si bas qu’il l’entendit à peine.

— Je te toucherai, je ne te ferai pas de mal.

Les délicats sourcils blonds se rejoignirent sous l’effet de la réflexion. Enfin, la vampire se pencha maladroitement – on aurait dit qu’elle souffrait – pour ouvrir ses bottes, puis elle se redressa, saisit les pans de sa veste et de son corsage en charpie, mais s’avéra incapable d’aller plus loin. Elle tremblait de tout son corps, ses yeux bleus écarquillés… alors qu’elle était résignée, Lachlain le sentait. Mais il comprit aussi, en un éclair de perspicacité, que les raisons de cette résignation lui échappaient. Malgré les yeux incroyablement expressifs de sa prisonnière, il ne parvenait pas à y lire.

Lorsqu’il s’approcha d’elle, elle se débarrassa de sa veste et de son corsage mouillés, puis de la lingerie qu’ils recouvraient, avant de poser vivement un bras mince sur ses seins. Pudique ? Les vampires se vautraient pourtant dans des orgies de sang – il en avait été témoin.

— Je vous en prie. Je… je ne sais pas pour qui vous me prenez, mais…

— À mon avis… (Il coupa sa jupe d’un coup de griffe et la jeta par terre en un clin d’œil.)… je devrais au moins savoir comment tu t’appelles avant de te toucher.

Elle n’en trembla que davantage, si possible, le bras crispé sur la poitrine.

Il la dévorait des yeux. Une peau d’albâtre sans défaut, dont seule une curieuse culotte miniature dissimulait une portion sous un V de soie noire. Le devant, en dentelle transparente, mettait en valeur les boucles blondes de l’entrejambe. Lorsque Lachlain évoqua l’avant-goût fugace de cette peau qu’il avait eu sous la pluie battante et la foudre surnaturelle, son sexe se mit à palpiter à la perspective de ce qui allait suivre. Tout autre que lui l’aurait trouvée exquise. Les vampires, les humains… Ils auraient été prêts à tout pour elle.

Le corps tremblant était trop petit, mais les yeux… immenses, aussi bleus que le ciel diurne qu’elle ne verrait jamais.

— Je… je m’appelle Emmaline.

— Emmaline, gronda-t-il.

Son bras se tendit lentement. Un coup de griffe adroit déchira la soie noire.

Morsure Secrète
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