Chapitre 46
J’atterris de nouveau dans cette pièce dont la porte donnait sur l’enfer des tueurs en série. Trsiel m’y attendait. Je savais qu’il se serait inquiété et voudrait savoir ce qui s’était passé, mais je n’étais pas encore prête. Je le dépassai en murmurant : « Je l’ai. » Il tenta de me suivre, me dit que j’avais besoin de soins, mais je me précipitai le long du couloir en direction d’une autre pièce. Quand j’ouvris la porte, je vis Kristof, à l’endroit exact où je l’avais laissé.
L’espace d’un instant, je restai plantée sur le pas de la porte, jambes tremblantes, prêtes à céder. Kristof traversa la pièce en deux longues foulées, me souleva et me serra très fort contre lui. Puis il ferma la porte derrière lui, me transporta à travers la pièce et me déposa par terre.
Je restai là, blottie contre lui, frissonnante, incapable de parler. Je regrettais de ne pas avoir pu franchir cette porte en criant d’un air triomphant « J’ai réussi », en oubliant tout ce qui s’était passé. Mais je ne pouvais pas. Et c’était là le seul endroit où je savais que je n’y serais pas obligée, la seule personne qui ne me tiendrait pas en piètre estime parce que je restais assise ici, tremblante, à deux doigts de craquer et de chialer comme un bébé.
Kristof prit ma main gauche et passa le pouce le long de la blessure au creux de ma paume. Ses lèvres remuèrent. Je m’efforçai d’entendre ce qu’il disait, puis reconnus quelques mots grecs et identifiai une incantation curative mineure. Un sortilège de sorcière, l’un des rares qu’il connaisse. Je le lui avais appris quand nous étions ensemble, un petit cadeau pour ses fils, afin d’apaiser les plaies et bosses de l’enfance. Il avait galéré avec ce sort mais insisté pour le perfectionner, et l’avait pratiqué bien plus qu’il l’aurait jamais fait pour un sortilège vraiment puissant.
Quand il en eut fini, il leva les yeux vers moi, penaud.
— J’imagine qu’il te faut quelque chose de plus puissant que ça.
Mes yeux s’embuèrent.
— Non, c’était parfait. Merci.
Je me penchai en avant et appuyai les lèvres contre les siennes, fermant les yeux tandis que la chaleur de sa peau chassait les derniers fragments tenaces de froid subsistant de cet endroit. Je posai les mains sur ses joues et la chaleur en irradia, aussi apaisante que le toucher curatif de Trsiel, peut-être même davantage.
Il plongea les mains dans mes cheveux, m’embrassa, et je sentis le goût de ma propre peur mêlée à la sienne, et compris alors à quel point il s’était inquiété pour moi, à quel point il avait eu peur. Combien de fois, au cours de ma vie, aurais-je donné n’importe quoi pour ça, pour rentrer chez moi après quelque chose d’affreux et y trouver quelqu’un qui m’attendait – y trouver Kris ?
— Je dois finir ça, dis-je en reculant pour regarder Kristof. J’ai mis Savannah en danger et je dois l’en sortir. Mais ensuite, il faudra que ça s’arrête. Rien que ce dernier truc et tout est fini. Je la laisserai partir.
Ses bras se resserrèrent autour de moi et il m’attira vers lui.
— Tu n’es pas obligée de la laisser partir, Eve. Tu dois simplement prendre du recul, partir du principe que tout ira bien pour elle, et t’occuper de toi-même.
— Je sais.
On resta assis là encore quelques minutes. Puis vint le moment de lui apprendre mes découvertes et de réfléchir à ce qu’on pouvait en tirer.
Avant que je commence, Kristof décida qu’il fallait rappeler Trsiel. Celui-ci insista pour me soigner avant qu’on se mette au travail. Mes blessures avaient cessé de me faire souffrir. Mes cheveux repousseraient. Pas la dent manquante. Quant à l’oreille et aux autres plaies, il pouvait les refermer mais me prévint qu’elles laisseraient sans doute des marques, histoire de me rappeler le prix que j’avais failli payer pour arrêter cette nixe.
Tandis que je finissais de leur raconter comment Dachev l’avait capturée, Kristof se mit à faire les cent pas dans la pièce minuscule.
Il secoua la tête.
— J’espérais que lorsque ce Dachev avait capturé la nixe, il avait à la fois préparé et mis en œuvre la capture, mais visiblement, il a simplement profité de circonstances existantes.
— Qui vont être sacrément difficiles à reproduire, dis-je. Nous sommes dans la même position que Dachev. Pratiquement impuissants pour ce qui est de tuer qui que ce soit dans le monde des vivants. Mais c’est exactement ce que nous devons faire. (Je lançai un coup d’œil à Trsiel.) Pas tuer Jaime – simplement lui porter un coup fatal et la ressusciter. La question, c’est : comment ?
Trsiel secoua lentement la tête.
— Ça ne résout pas le problème originel. Porter un coup fatal…
— Et ressusciter. Nous allons trouver une situation où elle a de très bonnes chances d’être ressuscitée.
— « De très bonnes chances », ça ne suffit pas, Eve. Vous pouvez tout préparer le plus soigneusement possible, il est totalement impossible de garantir sa survie.
Kristof se retourna vivement vers lui.
— Mais qu’est-ce que vous attendez de nous ?
Trsiel recula, clignant des yeux.
— Je ne…
— Vous ne foutez strictement rien, Trsiel. C’est tout le problème. Eve vient de descendre en enfer pour vous rapporter cette information. Et maintenant, vous lui dites que ça n’a servi à rien.
— Je ne dis pas ça. Simplement que s’il existe une autre méthode…
— Il en existe une, répondis-je. Évidemment. Mais aucune qui nous donne de meilleures chances d’attraper la nixe sans tuer Jaime.
— Vous n’avez pas à me convaincre, Eve, dit Trsiel. J’ai compris. Vraiment. Je ne suis pas en train de vous dire que je ne suis pas d’accord. Mais il reste que Jaime est innocente, et que, par conséquent, l’épée d’un ange ne peut pas porter ce coup fatal.
— Mais Eve n’est pas un ange, dit Kristof.
Trsiel leva les bras au ciel.
— Raison pour laquelle elle ne peut même pas se servir de cette épée pour toucher Jaime. Et si elle ne peut ni la toucher, ni lui lancer de sorts, elle ne peut pas davantage que moi tenter de la tuer.
— Vous avez toujours l’Amulette de Dantalian ? demanda Kristof.
— Celle qui permet de transférer les âmes ? Oui, mais elle ne fonctionne que sur… (Trsiel s’interrompit et me regarda.) Quelqu’un qui possède du sang de démon.
Deux jours plus tôt, j’aurais sauté sur l’occasion. C’était tout ce que j’avais voulu, tout ce dont j’avais rêvé. Mais à présent que j’avais pris la décision de tourner la page, de m’éloigner de Savannah… ?
Je me tournai vers Kris et compris que la question de savoir si je devais courir ce risque ne se posait pas. On ne teste pas sa capacité à nager en restant dans le petit bain. Kristof m’étudia une bonne minute, puis me tira du grand bain… pour me lâcher au cœur d’un océan infesté de requins.
— Il faut qu’elle se transfère dans le corps de Paige, dit-il.
— Oh, attendez, dit Trsiel. Ce n’est pas…
— Il faut que ce soit Paige, poursuivit Kris. Elle est sur place, sur les lieux. Elle peut approcher facilement de la nixe sans éveiller les soupçons. C’est une sorcière, ce qui signifie qu’Eve doit pouvoir utiliser ses propres pouvoirs de lanceuse de sorts à travers elle. Et puis Eve connaît Paige. Assez bien pour réussir temporairement à embobiner Savannah et Lucas. (Le regard de Kris croisa le mien.) Parce que c’est ce qu’elle va devoir faire. Elle ne peut pas leur dire ce qui se passe.
Je déglutis, puis hochai la tête.
— Autrement je triple les chances qu’un de nous fasse tout foirer, et la nixe saura que quelque chose ne tourne pas rond. Donc je ne peux pas… me dévoiler auprès de Savannah.
— Vous allez réussir à faire ça, Eve ? demanda doucement Trsiel.
Je levai le menton et le regardai.
— Si ça peut lui éviter de passer sa vie à croire qu’elle a tué Paige et Lucas ? Absolument.
Il fallut ensuite discuter d’un plan d’action plus détaillé. On laissait pour l’instant de côté la partie consistant à tuer Jaime et à la ressusciter, sachant qu’il valait bien mieux me laisser d’abord comprendre la situation et improviser un plan d’action plutôt que tout prévoir à l’avance sans que je connaisse toutes les variables impliquées.
On parla plutôt de tout ce qui pouvait mal tourner et de plans B le cas échéant. Bien que je connaisse la réanimation cardio-pulmonaire – que j’avais apprise quand Savannah était petite – je n’avais jamais eu l’occasion de la pratiquer. Ce n’était pas que je n’aie jamais vu personne qui en aurait eu besoin mais, comment dire, je n’avais jamais été tentée d’inverser le processus. Je pouvais tenter la réanimation sur Jaime, mais je m’assurerais également que Lucas serait assez près pour m’aider. Quant à savoir s’il connaissait la réanimation cardio-pulmonaire, c’était une certitude. Réanimation, premiers secours, méthode de Heimlich – il connaissait tout. Sauver les gens, c’était son boulot.
Le plan était loin d’être complet, mais il fallait le mettre à l’épreuve avant de passer à l’étape suivante.
— Il est possible que ça fonctionne, dit lentement la deuxième Parque.
— Possible ?
— Il y a beaucoup de variables à prendre en compte, Eve, dont le danger qui pèsera ainsi sur la vie de Jaime n’est pas la moindre.
— Nous…
— Vous allez prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter de la mettre en danger. Oui, je le sais bien, et je crois que vous vous en tiendrez à cette intention. Compte tenu du danger que la nixe représente pour le monde des vivants, nous sommes tombées d’accord sur le fait qu’il est inévitable de faire courir un léger risque à Jaime, bien que ça nous répugne. Même si vous ne faites rien et que la nixe attaque Paige et Lucas, la vie de Jaime sera tout de même en danger, à supposer qu’ils ripostent.
— Parfait, donc je peux…
— L’autre point qui nous inquiète, c’est le fait que Trsiel ne soit peut-être pas en mesure de la capturer.
Trsiel s’avança, le regard flamboyant.
— J’en suis parfaitement capable. Je serai là, et j’attendrai, tout le temps qu’elle sera de l’autre côté.
— Je ne doute pas de vos compétences, Trsiel, dit la Parque. Toutefois, réfléchissez aux circonstances. Si la nixe était entrée en Jaime par possession démoniaque, ou à travers le sortilège dont elle s’est servie avec la marquise, alors je n’aurais pas douté un instant que vous puissiez la capturer. Mais la possession nécromantique est différente. La nixe est entrée en Jaime, non pas en tant que démon, mais en tant que fantôme. Lorsque le corps de Jaime mourra, l’Épée du Jugement devrait fonctionner, mais tant que la nixe sera prisonnière entre les mondes… peut-être que non. Aucun ange n’a jamais été envoyé récupérer une âme dans ces conditions.
— Et si je me trouvais du côté des vivants ? demanda Trsiel. Nous pourrions voir si l’amulette fonctionne sur moi. Je pourrais entrer en Lucas Cortez et…
— Vous n’y arriveriez pas, lui dis-je. Pas devant Paige et Savannah. Vous ne les connaissez pas assez bien. (Je me tournai vers la Parque.) Donc, nous n’avons aucune certitude que Trsiel puisse piéger la nixe depuis ce côté-ci. Mais nous pouvons toujours essayer, non ? Dans le pire des cas, nous allons l’effrayer assez pour la chasser de Jaime – et alors, Paige, Lucas et Savannah seront en sécurité et je reprendrai simplement la chasse. Nous ne serons pas plus mal barrés qu’avant qu’elle entre en Jaime.
La Parque hésita, puis hocha lentement la tête.
Ensuite elles nous transportèrent, Trsiel, Kristof et moi, dans le bureau de Paige où celle-ci s’affairait à répondre à des e-mails. Comme elle donnait l’impression d’être là depuis un moment, on se téléporta dans la zone du monde des esprits correspondant à son bureau pour nous dire au revoir.
Trsiel promit de rester à mes côtés quand je serais passée de l’autre côté, prêt à m’aider à mettre fin à tout ça. Puis il me tendit l’amulette et nous laissa seuls, Kristof et moi.
Après le départ de Trsiel, Kris me prit l’amulette des mains et me la passa autour du cou.
— Elle est jolie, dit-il avec un sourire ironique. Ne t’y habitue pas trop.
Je lui répondis par un baiser, plongeant les mains dans ses cheveux, laissant ses fines mèches soyeuses me glisser entre les doigts. Ses bras m’entourèrent assez fort pour me briser les côtes et je m’appuyai contre lui, le plus près possible. Au bout d’une minute, il recula la tête.
— J’espère que ce n’est pas un baiser d’adieu, dit-il.
— Tu sais bien que non. Je vais revenir, et ensuite, ce sera pour de bon. Les deux pieds plantés de ce côté-ci, enfin.
On s’embrassa de nouveau. Quand on en eut fini, il glissa les mains jusqu’à mes joues et tint mon visage assez près du sien pour qu’on puisse s’embrasser.
— Trsiel ne sera pas le seul à rester à tes côtés, dit-il. Je ne pourrai rien faire. Mais je serai là. Je serai toujours là.
— Je sais. (Je serrai sa main, puis touchai l’amulette.) Testons ce gadget.
Il existe bien des manières d’activer une amulette. La plupart nécessitent une incantation qui est généralement, détail bien pratique, inscrite sur l’objet lui-même comme dans ce cas précis. J’avais beau parler couramment l’hébreu, je compris à la première tentative que le sort n’allait pas fonctionner. Mais je ne m’y attendais pas. Avec chaque nouveau sortilège, il faut plusieurs essais pour trouver l’essence et la cadence. Au quatrième essai, je compris que je le maîtrisais. Pourtant, Paige s’activait toujours, les doigts voletant sur son clavier.
— Il faut peut-être que je m’approche, dis-je en allant me placer derrière elle.
— Ce n’est que ton quatrième essai. D’accord, si c’était moi, on passerait la journée ici, mais même toi, tu as peut-être besoin de plusieurs…
Kristof se tut.
— Plusieurs quoi ? demandai-je.
Ma voix avait acquis une tessiture grave de contralto, ainsi qu’un accent que j’avais perdu dix ans plus tôt. Devant moi se trouvait un e-mail à moitié rédigé.
— Oh la vache, marmonnai-je.
Lorsque je parlai, il y avait quelque chose d’étrange dans ma voix, une vibration au niveau de la poitrine. Il me fallut une seconde pour comprendre de quoi il s’agissait, et je ne pus alors réprimer un rire. Je respirais. Je regardai mes mains qui reposaient toujours sur le clavier, attendant que je leur commande. Je vis des doigts ornés de bagues d’argent et une alliance d’or blanc. Chacun de mes ongles était court et verni, évoquant un quart de lune, favorisant la pratique avant tout.
Une voiture démarra dans l’allée. Je sursautai et faillis basculer lorsque mes genoux accrochèrent le tissu d’une jupe. Je baissai les yeux. Une robe trapèze décontractée, joliment taillée dans du coton souple et ô combien féminine. J’éclatai de rire. Pour le troisième anniversaire de Paige, je lui avais offert une adorable petite salopette en jean… pour la voir afficher une expression horrifiée absolument impayable. Après la fête, j’avais retiré la salopette de la pile de cadeaux soigneusement empilés et je l’avais rapportée à la boutique pour l’échanger contre un manteau de laine rouge avec un col en fausse fourrure et un manchon assorti, ce qui m’avait valu un câlin chaleureux et un sourire que je n’avais jamais oublié.
Je me précipitai vers la fenêtre et baissai les yeux juste à temps pour voir la voiture de Paige se garer dans l’allée. Je ne distinguais pas le chauffeur – sans doute Lucas – mais quand le passager regarda de nouveau vers la maison, mon cœur bondit – et pour la première fois depuis trois ans, je le sentis bondir.
— Salut, ma puce, murmurai-je.
J’appuyai le bout des doigts contre la vitre fraîche. Savannah leva les yeux, l’attention retenue par le mouvement de la silhouette qui se tenait à la fenêtre. Elle regarda par la vitre en plissant les yeux, puis sourit avec un signe de la main.
— Enfin seuls, dit une voix derrière moi.
Des bras m’entourèrent la taille et me soulevèrent. Je me tortillai, préparant mon crochet du droit, puis vis mon agresseur.
— Lucas, dis-je. Qu’est-ce… heu… (Je me tortillai pour échapper à son étreinte et reculai d’un pas.) Je croyais que tu étais… Ravie de te voir.
Il haussa un sourcil.
— Moi aussi, je suis ravi de te voir.
— Désolée, dis-je avec un petit rire. Tu m’as prise par surprise. Je réfléchissais.
Il s’appuya contre le classeur.
— À quel sujet ?
— Oh, des trucs. Du boulot. Des trucs chiants.
Mon Dieu, que j’étais petite. De toutes les choses auxquelles j’aurais dû penser en cet instant, celle-ci se classait tout en bas de la liste, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Lucas n’était pas plus grand que moi – que la véritable moi – mais il était sacrément plus grand que Paige, qui dépassait à peine le mètre cinquante. La sensation de devoir lever les yeux pour regarder quelqu’un me déboussolait tellement que mon cerveau s’y accrochait et refusait de lâcher prise. Et pendant que ces pensées me traversaient, Lucas me regardait avec une expression qui m’apprenait que je devais faire quelque chose – quelque chose de typique de Paige – et vite.
Je m’approchai de lui, souris et lui pris la main, puis m’appuyai contre le classeur à côté de lui, mon flanc touchant le sien.
— Donc…, lui dis-je… sans trouver quoi que ce soit à y ajouter.
— Au sujet de ce cadeau.
— Le cadeau ?
Il me sourit.
— Celui que tu essaies désespérément de me faire croire que tu as oublié.
— Ah… ce cadeau. Celui de… ton voyage.
Il hocha la tête et je me félicitai mentalement. Lucas rapportait toujours à Paige des cadeaux de ses voyages.
— Alors qu’est-ce que c’est ? lui demandai-je.
Nouveau haussement de sourcil, qui me demandait clairement « Tu as vraiment besoin de poser la question ? », et je compris que j’étais en train de perdre du terrain.
— Bon, voyons. (Je souris et reculai, laissant retomber sa main.) Qu’est-ce que ça peut bien être ? Un manteau de fourrure ? Noooon. Une Lamborghini ? Noooon.
Il secoua la tête, mais sans sourire. D’accord, je n’allais pas m’en sortir en blaguant. Il fallait que je réfléchisse – qu’est-ce que Lucas pouvait apporter comme cadeau à Paige ?
— De la magie ! m’exclamai-je. Tu m’as apporté, hum, un sort ou un livre de sorts. C’est ça ?
Il fronça les sourcils. Je sus que j’avais bien répondu, mais que le ton de ma réponse était à côté de la plaque. Je lui repris la main et lui souris.
— Allez, Cortez, dis-je. Arrête de faire l’andouille et dis-moi ce que tu m’as apporté. C’est un sort ? Un nouveau ? Qu’est-ce qu’il fait ?
Il éclata de rire et je soupirai mentalement de soulagement. Seule Paige appelait Lucas par son nom de famille, et son enthousiasme pour les nouveaux sorts n’avait d’égal que le mien.
— Je t’ai dit hier que je choisissais l’option numéro douze, mais je t’ai menti.
— Ah… bon ?
L’option numéro douze ? De quoi pouvait-il bien s’agir, et quel rapport avec un nouveau sort ?
Ses lèvres s’étirèrent sur un sourire qui éclaira son regard et le rendit presque séduisant.
— Oui, je te présente mes excuses pour avoir joué les cachottiers, mais je souhaitais cacher mes intentions véritables jusqu’au moment où il nous serait possible de les mettre à exécution sans crainte d’interruption.
— En anglais, Cortez.
Son sourire s’élargit.
— Je voulais attendre que nous soyons seuls. La vérité, c’est que j’ai trouvé une option à moi. (Voyant mon expression perplexe, il éclata de rire.) Oui, je sais, mes précédents efforts en la matière n’étaient pas très convaincants, et je reconnais que je ne possède pas ta créativité en la matière, mais je crois être en mesure de me racheter cette fois-ci. (Ses yeux pétillaient de malice.) Cette fois, j’ai eu de l’aide. Celle du Cinsel Büyücülük.
— Le Cinsel Büyücülük ? Ce n’est pas un grimoire de magie sex… (Je lâchai sa main et reculai.) Et merde, Lucas. Je suis désolée. J’adorerais, mais… (Je désignai l’écran de l’ordinateur.) Ma boîte de réception déborde. Et si on remettait à plus tard ?
Il hocha lentement la tête.
— Je comprends.
Je souris.
— Merci. Tu es un amour. (Je me retournai vers l’ordinateur.) Et si je m’occupais de deux ou trois de ces trucs, et qu’ensuite je nous faisais du thé et…
Une main surgit vers ma gorge, enfonçant assez fort les doigts pour me tirer un hoquet de surprise.
— Si vous bougez, je vous broie la trachée, murmura Lucas derrière moi, d’une voix basse et sur le ton de la conversation. Vous avez deux minutes pour me dire tout ce que je veux savoir, à commencer par : Où est ma femme ?