CHAPITRE XIV

Le voyage vers Telos aurait dû se passer sans histoires. Yoda avait trouvé un pilote qui convoyait une cargaison de droïdes pour les emmener. Dès le départ, la tension était palpable entre Xanatos et lui. Stieg Wa était jeune, arrogant et trop confiant. Il se débrouillait seul depuis sa prime enfance et avait prospéré en menant une vie d’aventurier. Il avait raillé Xanatos à propos de l’existence de reclus qu’il avait menée au Temple, ajoutant qu’il ne connaissait rien à la vraie vie.

Yoda avait peut-être prédit ce conflit de personnalités. Ou peut-être était-ce une autre épreuve. Qui-Gon avait enjoint à Xanatos de garder son sang-froid, de ne pas répondre aux railleries du pilote. L’apprenti lui avait souri et lui avait affirmé qu’il suivrait son conseil.

Il était extrêmement dangereux de traverser le système de Landor, car il grouillait de pirates. Stieg Wa était sûr de pouvoir leur échapper, comme il l’avait fait d’innombrable fois. Mais lorsque trois vaisseaux pirates encerclèrent le sien et lui ordonnèrent de se rendre, il découvrit que le bouclier de protection de son appareil était en panne.

Pourtant il refusa de se rendre. Avec une éblouissante démonstration de pilotage, il réussit à échapper aux tirs. Après avoir semé les assaillants, il annonça à ses passagers que le bouclier de protection avait été saboté et accusa Xanatos. Bien sûr, celui-ci jura qu’il était innocent, et Qui-Gon le crut. Pourquoi prendre un tel risque ? Pourquoi aurait-il livré aux pirates un vaisseau sur lequel il se trouvait ?

Stieg Wa était à l’extérieur, sur la coque, en train de réparer le bouclier, lorsque les pirates réapparurent. Il essuya une décharge de blaster et fut capturé.

Xanatos conduisit Qui-Gon à la capsule de secours. Il avait déjà programmé les coordonnées de Telos. Lorsque Qui-Gon lui demanda pourquoi il avait pris tant de précautions, il se contenta de sourire.

– Je me ménage toujours une porte de sortie.

Le jour n’était pas encore levé lorsque Qui-Gon pénétra dans la Zone d’Enrichissement. Le Meerien chargé de la réception s’empressa de le rejoindre.

– Je m’appelle RonTha. Je suis heureux de vous accueillir…

– Où est Si Treemba ? coupa le Chevalier en marchant à grandes enjambées vers le bâtiment principal.

RonTha dut courir pour rester à sa hauteur.

– Il… Il est sous le dôme. Il vous attend. Mais il faut respecter le protocole. Vous devez vous présenter au…

– Conduisez-moi à lui, ordonna Qui-Gon.

– Mais le protocole…

Le regard du Jedi se posa sur RonTha. Il n’eut pas à employer la Force. Le Meerien sentit son irritation et capitula aussitôt.

– Suivez-moi.

Un bruissement dans les épis trahit la présence de Si Treemba. En voyant Qui-Gon, il sortit de sa cachette.

– Depuis qu’Obi-Wan a été enlevé, nous avons établi des tours de garde, dit-il. Personne n’est entré, ni sorti.

Qui Gon regarda l’Arconien avec compassion. Il avait l’air à bout. C’était un miracle qu’il puisse encore tenir sur ses pattes.

– Nous n’aurions pas dû nous endormir ! soupira-t-il. Obi-Wan nous avait demandé de prendre le premier quart. Nous aurions dû rester éveillés…

– Ce n’est pas le moment de ressasser le passé, dit Qui-Gon gentiment. Pensons plutôt au présent. Qu’as-tu vu ?

– Pas grand-chose. Un groupe d’hommes portant l’uniforme d’Offworld ont emmené Obi-Wan. Nous les avons suivis, mais nous les avons perdus dans le dôme.

Si Treemba baissa la tête.

Qui-Gon fit de son mieux pour cacher sa déception. L’Arconien se sentait assez coupable comme ça. Mais comment pouvait-il espérer retrouver Obi-Wan avec si peu d’informations ?

Soudain, Qui-Gon remarqua que RonTha semblait bien nerveux. Le Meerien était couvert de sueur et semblait prêt à s’enfuir à toutes jambes. Il se tourna vers lui.

– Et vous, RonTha ? Avez-vous vu quelque chose ?

– Moi ? Mais je n’ai pas le droit d’entrer sous le dôme de nuit, protesta-t-il. C’est contraire au protocole.

– Vous n’avez pas répondu à ma question.

– Je tente de suivre les règles.

– Et vous ne les enfreignez jamais ? insista Qui-Gon. N’importe qui peut succomber à la tentation.

– Ces fruits sont si délicieux, murmura RonTha. Rien qu’un avant d’aller dormir…

– Dites-nous tout, ordonna Qui-Gon avec fermeté.

RonTha avala sa salive.

– J’étais dans le verger lorsque je les ai vus. Un groupe d’ouvriers qui portaient quelque chose.

Et à leur tête, il y avait un homme revêtu d’une cape noire…

Qui-Gon hocha la tête, l’encourageant à continuer.

– Tout d’abord, je suis resté caché. Puis j’ai vu que leur fardeau n’était autre qu’Obi-Wan. Il était sous ma responsabilité, alors je les ai suivis jusqu’à l’embarcadère.

Qui-Gon fronça les sourcils :

– Ils sont partis par la mer ?

– Deux d’entre eux, acquiesça-t-il. Ils ont emporté Obi-Wan.

Où pouvaient-ils être allés ? La mer était bien vaste, et on n’y trouvait ni îles, ni récifs.

– Ont-ils dit quelque chose ?

– Rien d’important, répondit RonTha. Je me souviens juste d’un détail curieux. L’un d’entre eux a dit à Obi-Wan qu’il le reverrait dans cinq ans, s’il réussissait à survivre jusque-là. Bien sûr, il n’a pas répondu. Il était toujours inconscient.

– Cinq ans ? répéta Qui-Gon.

– Les mines off-shore ! s’exclama Si Treemba.

Bien sûr, se dit Qui-Gon. Y avait-il meilleure cachette qu’une plate-forme au beau milieu de la mer ?

– Trouvez-moi un bateau du Corps Agricole, ordonna-t-il.

– Mais c’est contraire au proto…

Le regard glacial du Jedi arrêta net le Meerien.

– Bien. Je m’en charge immédiatement.

Qui-Gon poussa au maximum les moteurs de l’hydrocraft. Il fonçait à quelques centimètres seulement de la surface de l’immense mer grise. RonTha avait pu lui donner les coordonnées précises de la plate-forme minière, et il les avait programmées dans l’ordinateur de bord.

Tout d’abord, il n’y eut qu’une tache sombre sur l’horizon monotone. Au fur et à mesure que Qui-Gon se rapprochait, des tours et des bâtiments émergèrent peu à peu pour former une vraie ville dominant les flots.

Il tira ses jumelles et les braqua sur la plateforme. Il l’étudia attentivement et soudain, il remarqua une agitation. Un groupe d’hommes bousculaient quelque chose…

Ses doigts se crispèrent sur les jumelles. C’était Obi-Wan ! Des gardes munis de matraques le poussaient vers le bord. Ils allaient le jeter à la mer !

Qui-Gon voulut augmenter les gaz, mais il était déjà à fond. Il comprit à son grand désespoir qu’il était trop loin. Il n’avait plus qu’une chance : qu’Obi-Wan survive à sa chute et qu’il puisse le récupérer au passage.

Il fila sur la mer plane, de plus en plus près. Obi-Wan était tout au bord de la plate-forme. Le cœur de Qui-Gon se serra. Il ne pouvait pas le perdre de cette façon ! Sinon, il ne se le pardonnerait jamais.

Alors qu’il filait pour sauver le garçon, un mouvement attira son attention. Il provenait d’un des niveaux les plus bas de la plate-forme. Quelqu’un attachait un ruban en carbone aux piliers qui soutenaient le plateau. Sous les yeux de Qui-Gon, deux longs bras flexibles s’écartèrent, tendant ce qui ressemblait à un filet improvisé.

Les gardes basculèrent Obi-Wan par-dessus bord. Qui-Gon vit toute l’opération dans ses jumelles. Le garçon avait l’air grave, mais pas effrayé. Déterminé à se battre jusqu’au bout, mais prêt à accepter la mort si elle survenait.

Comme un Jedi.

Puis Obi-Wan remarqua le filet installé en dessous. Même à cette distance, Qui-Gon put percevoir les vagues dans la Force qu’il généra alors. Il se concentra pour renvoyer ce faisceau et pousser le garçon vers le filet.

Obi-Wan contrôla sa chute et tomba droit dedans. Aussitôt, deux bras interminables le saisirent.

Qui-Gon avait alors presque atteint la plateforme. Il entendit les cris de rage des gardes, qui venaient de prendre conscience de ce qui s’était passé. Ils tournèrent les talons et se précipitèrent vers l’ascenseur menant aux étages inférieurs.

Une fois à hauteur de la plate-forme, Qui-Gon jeta une corde autour des piliers et arrima son engin à la structure. Puis il en lança une autre qui s’accrocha au niveau bas de la plate-forme, à l’endroit même où Obi-Wan avait disparu. Il tira dessus pour vérifier qu’elle était solidement attachée, et entama son ascension.

Obi-Wan courait le long du couloir en compagnie de la créature aux bras démesurés. Soudain, il s’arrêta net, comme si Qui-Gon l’avait appelé, alors qu’il n’en était rien. Il se retourna juste au moment où Qui-Gon enjambait la rambarde.

– J’espérais que vous viendriez, dit-il.

– J’ai bien failli arriver trop tard, soupira Qui-Gon. Allons-y.

– Je vous présente Guerra, dit Obi-Wan en désignant son sauveteur.

– Qu’il vienne avec nous, fit le Jedi d’une voix pressante. Les gardes seront bientôt là. Ils ont tout vu.

Guerra posa les doigts sur son collier.

– Je ne peux quitter la plate-forme, Obawan. Et toi non plus.

Le garçon se tourna vers Qui-Gon.

– C’est un électrocollier. Si nous nous éloignons de la plate-forme, il explosera.

Qui-Gon acquiesça. Il concentra la Force pour envoyer un faisceau d’énergie neutre sur le transmetteur.

Au bout d’un instant, Obi-Wan toucha le collier.

– Il a cessé de bourdonner.

– Une fois sur le continent, nous trouverons bien un moyen de le retirer, dit Qui-Gon.

– C’est de là que part le signal, expliqua Guerra. L’émetteur se trouve dans le bureau de la sécurité, au port de Bandomeer.

Qui-Gon concentra la Force sur le collier du Phindien, mais il ne put aller jusqu’au bout. Derrière lui, la porte de l’ascenseur s’ouvrit. Un tir de blaster frôla son oreille. Il dégaina le sabrolaser d’Obi-Wan et le lui jeta.

– Tu vas en avoir besoin, je crois.

Les deux sabres s’allumèrent en même temps et les Jedi se retournèrent d’un même mouvement pour faire face aux gardes. Les quatre Imbats hésitèrent. Ils n’avaient jamais vu d’arme comme celles-ci. Mais l’évasion d’Obi-Wan les avait énervés. Ils passèrent à l’attaque.

Qui-Gon bondit sur la rambarde, fit un saut périlleux et atterrit derrière eux. Obi-Wan partit à son tour à l’assaut. Ils formaient un duo gracieux, forçant les gardes à reculer vers l’ascenseur tout en parant sans mal les décharges de blaster.

– Obawan ! hurla Guerra. Les renforts arrivent !

À l’autre bout de la plate-forme, quinze gardes jaillirent de la cage d’escalier en tirant dans tous les sens.

– C’est le moment de filer, lança Qui-Gon.

Un rayon toucha Guerra, qui s’effondra en hurlant. Il leva les yeux vers Obi-Wan.

– Allez-y. Je vais les retenir.

Son ami lui donna un blaster.

– Non, vas-y, toi. Monte l’escalier et cache-toi. Dans une heure, ton collier sera désactivé pour de bon. Fais-moi confiance.

Guerra eut un faible sourire.

– Je… n’ai confiance… en personne, murmura-t-il.

Tandis qu’Obi-Wan le couvrait, Guerra réussit à monter péniblement l’escalier. Il se retourna pour dire :

– Pas vrai, Obawan ! J’ai confiance en toi.

Obi-Wan bondit par-dessus les gardes, se réceptionna sur la rambarde et saisit la corde. Il se laissa glisser le long du filin pour atterrir à bord de l’hydrocraft.

Qui-Gon suivit le même chemin. Il mit les gaz à fond et ils se dirigèrent vers le large, poursuivis par les tirs de blaster.