Chapitre 19

Le Bourbier de Fort-Rivière

Tandis que le crépuscule faisait place à la nuit, Jonathan et Dooly jetèrent un coup d’œil dehors et constatèrent que le ruisseau, quoique boueux, n’était guère plus haut. Dooly avisa un mûrier dont les vrilles pendaient jusqu’au radeau. Jonathan, Achab et lui profitèrent des tous derniers instants du jour pour cueillir quelques livres de mûres. Un petit sentier escaladait la berge, puis la pente boisée qui la dominait. Le fromager crut discerner l’angle des murs d’une cabane, à cent mètres de là, dans la forêt. Dooly regarda dans cette direction et décréta non seulement qu’il ne voyait rien, mais encore qu’il n’avait pas envie de voir quoi que ce fût.

Ils décidèrent d’utiliser les baies pour confectionner un punch. Jonathan entreprit de les laver pour en ôter les insectes et de les trier pour écarter les vertes. Il ne sert à rien de gâcher un punch par souci d’économie.

Une fois les mûres nettoyées, la vaisselle faite et la cabine aussi bien rangée que possible, les quatre navigateurs n’eurent plus d’autre choix que de lire ou d’entamer une discussion sérieuse – le fameux conseil de guerre. Ils en débattirent pendant un moment, et parvinrent à la conclusion qu’il serait d’autant plus efficace dans une heure ou deux, accompagné d’un bon punch chaud. Le professeur leur fit part d’une observation de la science médicale selon laquelle la lecture serait un appoint à la digestion ; chacun d’entre eux alluma donc sa pipe et se plongea dans un livre – sauf Dooly. Lui ne fumait pas, et au lieu de lire un livre, il s’affala sur la table et se mit en devoir d’en écrire un. Il hésitait encore sur le sujet, ou du moins c’est ce qu’il affirmait, mais il sentait que ce serait de la belle ouvrage. Il déclara souffrir d’inspiration, à l’instar de M. Bufo et de Chapeau Jaune.

Jonathan ouvrit un G.Smithers et prêta un Glub Boomp à Escargot. C’était ahurissant de regarder vers la couchette du grand-père de Dooly pour voir flotter le fourneau et le tuyau d’une pipe et un livre ouvert. Wurzle s’absorba dans un de ces gros Tomes de Limpus. Derechef, la stupéfaction, l’horreur, la sagacité et l’incompréhension se peignirent, un peu au hasard, sur son visage. Dans la cabine, le silence se fit. On n’entendait que le crissement de la plume de Dooly sur sa feuille.

Pendant une demi-heure, chacun s’adonna à sa distraction favorite. Le professeur fut le premier à rompre le silence ; il se leva d’un bond et demanda : « Qu’est-ce que c’était ? »

Jonathan répondait qu’il n’avait rien entendu lorsque son ami leva la main et lui imposa silence. Ils écoutèrent dans le silence le plus absolu pendant une dizaine de secondes, puis ils perçurent, comme venu de très loin, un bruit ténu de pleurs, angoissé, lugubre, qui inquiéta le fromager. Le bruit cessa, reprit, un petit peu plus fort. Plutôt que des gémissements de gobelins, il évoquait la plainte d’une femme qui se lamente sur son enfant perdu ou sur son amour mort.

Jonathan, Escargot et le professeur sortirent. Dooly offrit de monter la garde dans la cabine, en compagnie d’Achab. Dans la nuit muette, les pleurs paraissaient proches, insistants. La forêt alentour n’était que silence, et la pâle lueur du ciel peinait à repousser les ténèbres.

Le fromager se souvint d’avoir aperçu ce qu’il tenait pour le mur d’une cabane dans les bois ; il sauta du pont sur le sentier qui courait à flanc de berge, et fit signe à Wurzle et Escargot de lui emboîter le pas. Ils suivirent le sentier sur la pointe des pieds. Jonathan s’attendait presque à ce qu’un fantôme, un troll ou un ours bondît des fourrés denses. Mais ils n’allèrent pas loin, car ils ne tardèrent pas à voir une clairière à la lisière de laquelle se découpait une fenêtre éclairée. Le toit en pente de la cabane n’était qu’une ombre parmi les arbres, et un panache de fumée s’élevait dans les branchages qui le surplombaient. Les pleurs, qu’on entendait mieux ici qu’à l’orée du bois, semblaient plus angoissés.

Escargot tira le fromager par la manche de sa veste, et ils regagnèrent le radeau, où ils découvrirent que Dooly les avait enfermés dehors. Il fallut user de persuasion pour le convaincre de rouvrir la porte.

« Selon vous, ce sont là des gobelins ? demanda Wurzle.

— Peut-être, dit Escargot. Impossible de savoir à l’avance quels tours ils sont capables de jouer.

— Je ne crois pas, dit à son tour Jonathan. Il reste peut-être des gens dans le coin. On aurait dit des pleurs de femme.

— Certes, mais dans ce cas, dit Escargot, on devrait la laisser pleurer. Elle n’a aucune envie de nous voir débarquer. Fichons-lui la paix et partons.

— Mais si Jonathan est dans le vrai, répliqua Wurzle, il y a eu des problèmes dans la région. Il y en a peut-être encore. Nous ne pouvons quand même pas nous en désintéresser. »

Dooly – qui, le chien pelotonné sur ses genoux, ouvrait des yeux ronds – avait quant à lui l’air tout à fait disposé à se désintéresser des problèmes locaux.

« C’est décidé, lança le fromager, j’emmène Achab et je jette un coup d’œil par cette fenêtre. » Il regretta aussitôt cette décision, car les pleurs qui reprirent lui rappelèrent l’obscurité qui régnait dehors. Mais il avait son code d’honneur, après tout, et il entendait bien le respecter.

« Il est hors de question que tu y ailles seul, Jonathan, dit le professeur. Dooly et M. Escargot restent à bord. Nous allons toi et moi observer cette clairière. S’il se manigance quelque chose, mieux vaut éviter de laisser le radeau sans protection.

— Bon, dit Escargot. Mais hâtez-vous. Au retour, sifflez trois fois, qu’on sache à qui on a affaire. Si vous tombez dans une embuscade, faites du chahut. On choquera les poêles à frire s’il y a un problème ici.

— Entendu, dit Jonathan. Il ne faut pas plus d’une minute pour rejoindre la clairière. » Ils repartirent dans la nuit, Wurzle et lui, chacun muni d’un gourdin en chêne. Ils sautèrent sur la berge et c’est dans un bruit d’éclaboussures qu’ils gravirent le sentier gorgé d’eau. Le fromager trouva soudain étrange, voire sinistre, de n’entendre ni crapauds, ni criquets. Seuls les pleurs venaient parfois rompre ce silence de tombeau.

Il se rendit compte qu’ils avaient oublié d’emporter une lanterne et faillit repartir en chercher une en courant. Mais le sentier était facile à repérer et la fenêtre éclairée droit devant eux ; il résista donc à son envie et poursuivit son avancée, le professeur sur ses talons.

Le sentier serpentait entre les arbres dont l’épaisse ramure dissimulait le ciel. Alors que Jonathan levait les yeux avant de s’engager sous le couvert, il vit des nuages d’encre bouillonner d’un horizon à l’autre, et une créature ailée qui ressemblait à une grande chauve-souris voler vers le fleuve.

Les deux compagnons s’attendaient à cheminer tout droit vers la cabane, mais la piste tournait à droite. Ils s’arrêtèrent, redoutant une ruse, mais discernèrent une lueur – la fenêtre qu’ils avaient perdue de vue, à l’évidence – dans la même direction. Le bruit des pleurs s’accrut encore. En revanche, la lueur parut reculer à mesure qu’ils progressaient sur le sentier, et finit par s’évanouir.

« Il y a anguille sous roche, dit le professeur. Retournons sur nos pas. Ouvre l’œil, et le bon. »

Jonathan ne trouva rien à y redire. La lueur s’était éteinte, les pleurs avaient cessé, et ils se retrouvaient seuls au tréfonds des bois. Il brandit son gourdin dont le poids le rassura un peu, mais il aurait de beaucoup préféré le renfort d’une douzaine de ces nains armés de haches qu’il trouvait si ridicules quelques jours plus tôt, à Maremme.

Ils avaient peut-être fait sept ou huit pas en sens inverse que le sentier bifurquait. Ils ignoraient quelle branche prendre et, très étrangement, n’avaient rien remarqué de la sorte un instant plus tôt. De fait, aucune des deux pistes ne ressemblait à celle dont ils gardaient le souvenir – deux tunnels sombres et lugubres qui s’enfonçaient dans la forêt, voilà l’impression qu’ils en retirèrent. Non sans hésiter, ils empruntèrent la sente qui leur semblait mener vers le ruisseau.

Mais elle s’interrompait soudainement, trente mètres plus loin. Ils durent, une fois encore, revenir sur leurs pas. Et c’est ce qu’ils avaient entrepris lorsqu’ils aperçurent, sur leur droite, la fenêtre de la cabane où vacillait l’éclat d’une bougie. Les pleurs reprirent derechef, plus forts que jamais, et de nouveau ponctués par le gémissement las d’une personne en deuil.

Ils s’arrêtèrent pour tendre l’oreille, mais pas une feuille ne bruissait durant les intervalles qui séparaient les sanglots. Dans un accès de folie, Jonathan songea se ruer à la débandade à travers bois, pour créer le chahut qu’Escargot avait conseillé. Mais, à la réflexion, il se ravisa. Le professeur affichait un air déterminé, comme s’il voulait donner une leçon à quelqu’un. Le fromager assura donc sa prise sur le manche de sa massue, carra la tête dans les épaules et se faufila entre les arbres pour gagner la cabane.

Ils étaient à trois pas de la fenêtre lorsqu’un glapissement – un véritable cri d’orfraie – retentit, accompagné d’un bruissement d’ailes. Jonathan sentit un oiseau, ou peut-être une chauve-souris, frôler le sommet de sa casquette ; il balança son gourdin, en vain. La nuit retrouva son mutisme. Ils s’aplatirent contre le mur et, centimètre par centimètre, se dirigèrent vers la source de la clarté, tandis que les pleurs et les gémissements reprenaient. Une main sur leur massue, l’autre sur l’appui de la fenêtre, ils se dressèrent afin de scruter l’intérieur de la cabane.

Il ne comportait qu’une grande pièce, presque dépourvue de mobilier, si poussiéreuse et si envahie de toiles d’araignée qu’on voyait bien que nul n’y habitait depuis longtemps. Face à la cheminée, prostrée dans un fauteuil à bascule, se tenait ce qui semblait être une femme vêtue d’une longue robe noire à capuche ; elle pleurait, secouant la tête, le visage enfoui dans ses mains. Les braises qui luisaient devant elle projetaient son ombre vacillante sur le mur opposé.

La silhouette cessa de se balancer pour se tourner vers la fenêtre. La capuche tomba en arrière, la robe s’ouvrit, et là, au milieu de la cabane, ils virent un squelette qui les regardait de ses orbites vides et gémissait en claquant des dents. Il se leva lentement de son fauteuil, comme accablé par le poids des ans, leur fit signe d’un doigt osseux et avança de deux pas vers la fenêtre avant de s’immobiliser et de partir d’un rire féroce.

Au bruit terrible qu’émettait la créature, Jonathan brandit son gourdin et, d’instinct, brisa la vitre. La lumière s’éteignit et le feu mourut. Des pieds raclèrent le sol, une plainte s’éleva, craintive.

Wurzle et le fromager prirent leurs jambes à leur cou sans plus de cérémonie.

Le sentier, chose curieuse, semblait revenu à la normale. Jonathan sentit presque des doigts osseux se refermer sur son épaule, il entendit un rire atroce, entrecoupé de terribles pleurs et d’affreuses lamentations, juste derrière lui. Devant, retentit alors un fracas de casseroles et de poêles qu’on entrechoquait à l’envi, mêlé à des cris et aux aboiements d’Achab. Le radeau, ses deux amarres dénouées, avait dérivé vers le fleuve avant de s’immobiliser dans l’embouchure du ruisseau, retenu par son ancre. Lorsque les deux compagnons dévalèrent d’un pas lourd le sentier en frôlant les vrilles des mûriers, ils virent donc leur embarcation, toute illuminée, pivoter vers la berge, à quelques mètres de son mouillage initial. À bord, la confusion régnait : des gobelins braillaient, Achab bondissait de-ci de-là, Dooly courait partout en tapant l’une contre l’autre une poêle à frire et une saucière non sans frapper une tête au passage avec l’une ou l’autre, selon l’inspiration du moment. Dans ce chaos, on remarquait parfois une créature qui, soulevée en l’air comme par miracle, puis secouée d’importance, décrivait ensuite un grand arc pour plonger dans l’Oriel et rejoindre une procession de gobelins qui s’en allaient, crachotant, au fil du courant.

Jonathan longea tant bien que mal la berge escarpée, non sans enfoncer à plusieurs reprises jusqu’au mollet dans l’eau boueuse, et put prendre appui sur les racines enchevêtrées des arbres qui poussaient là, ce qui lui permit de gagner le radeau sans trop de difficulté, sinon à pied sec. À son grand émoi, il constata que la clarté qui illuminait la scène provenait d’un foyer d’incendie. Une lanterne arrachée à son crochet avait répandu son huile sur le pont, et un cercle de flammes qui s’élargissait entourait les débris du verre de lampe.

Des gobelins – deux douzaines, plus qu’il n’aurait cru en trouver là – défilèrent près de lui en hululant et en caquetant. Il prit le temps d’en pousser deux à l’eau. L’un nagea vers ses compagnons déjà naufragés, mais l’autre, un énorme spécimen d’une laideur repoussante qui glapissait, babillait et roulait des yeux dans une étrange frénésie, tenta de remonter à bord sans que le fromager y prît garde. Ce dernier, qui combattait déjà le feu à l’aide de son paletot, reçut l’aide du professeur Wurzle, qui l’imita. Le gobelin revanchard se hissa suffisamment pour saisir la cheville de Jonathan entre ses griffes, qui mordirent la chair. Le fromager perdit l’équilibre, laissa choir le vêtement dans le feu et tomba à la renverse contre la paroi de la cabine.

Tandis que Jonathan et son agresseur roulaient l’un sur l’autre, le professeur empoigna la manche du manteau et tira à lui une véritable boule de flammes. Avec un cri de surprise, il se détourna pour la jeter dans l’Oriel et se retrouva face à une créature détrempée qui se précipitait sur lui en battant des bras. Confronté à ce fléau, Wurzle se départit de ses scrupules de savant et coiffa le gobelin du paletot en feu. Le monstre, qui ne s’avouait pas vaincu pour autant, continua d’exprimer sa rage à grands gestes. Mais Dooly, qui arrivait sans bruit, lui assena un tel coup de poêle à frire sur la nuque qu’il le catapulta dans le fleuve avec les lambeaux embrasés du manteau de Jonathan.

Le fromager se remit debout péniblement, frotta la bosse qui éclosait sur son occiput et s’émerveilla de ce que son dos et ses jambes, battus comme plâtre durant la bagarre, parussent fonctionner. Le calme revenait. Achab donnait l’impression de jouer à chat – un comble ! – avec deux ou trois créatures dont l’une avait d’une main empoigné le mât et tournait autour en riant et en hurlant, le bras tendu, les deux pieds décollés du sol. Une autre créature que la lumière vacillante du feu dotait de deux têtes fila sur toute la longueur du pont et, emportée par son élan, poursuivit sa course au-dessus de l’eau tel un athlète de triple saut, avant de plonger dans une gerbe d’éclaboussures et de disparaître sous la surface opaque. Au même moment, un de ses congénères rencontra, la tête la première, un mystérieux gourdin en lévitation, vacilla, décolla du radeau, propulsé par un pied invisible mais sans nul doute botté, et le rejoignit dans l’Oriel. Wurzle et Jonathan parvinrent à vaincre l’incendie, qui s’éteignait déjà faute de carburant.

Du regard, tous deux inspectèrent l’embarcation, espérant presque trouver un autre gobelin à livrer au fleuve, mais, à leur grande surprise, n’en virent qu’un, celui qui virevoltait autour du mât comme un imbécile heureux. Jonathan dévisagea son compagnon et secoua la tête. « Ils ont l’esprit aussi contrefait que le corps, non ? » demanda-t-il. Le professeur en convint. Tout le monde resta à regarder l’acrobate qui, enfin, ralentit, lâcha le mât et tituba sur le pont en décrivant des cercles de plus en plus étroits, jusqu’à s’affaler et ne plus bouger.

Ils le laissèrent se reposer un instant, puis il releva la tête et cilla, surpris de constater que tous ses pareils avaient fui. La créature, désespérée, déguenillée, échevelée, attrista Jonathan au point qu’il perdit toute envie de lui tordre le nez ou de lui taper sur la tête. Elle voulut caqueter comme tout bon gobelin qui se respecte, mais elle ne réussit qu’à se couvrir de ridicule.

« Qu’est-ce que tu as à dire pour ta défense ? » s’enquit le fromager.

Mais le gobelin se borna à le toiser d’un air stupide et à émettre un son qui n’aurait pas déparé le bec d’un canard. Et c’est en pure perte que Dooly se lança dans une imitation de ce palmipède.

« Ils ne parlent pas, dit Escargot. Tout ce qu’ils savent, c’est glouglouter. Ils ne se comprennent même pas l’un l’autre, pour autant que je puisse en juger. Beaucoup trop stupides, ces maudits imbéciles.

— Qu’est-ce qu’on va faire de lui ? demanda Jonathan. Le garder prisonnier ?

— Que nenni, répliqua Escargot. Tu en as déjà vu manger un ? C’est à vomir. Pour seul repas, les poissons et les ordures qu’ils pèchent dans le fleuve. Ils jettent les arêtes partout, ou ils s’en servent pour se peigner. Pas un pour racheter l’autre.

— On le passe à la planche ! clama Dooly. Il avancera à la pointe d’un coutelas !

— Oui ! s’écria Escargot qui dissimulait son invisibilité au gobelin en se tenant derrière lui. Je dois m’entraîner. On n’a pas tous les jours des volontaires, et les pirates s’attendent à ce qu’on pratique cet art. Il y a des méthodes reconnues.

— J’imagine, soupira le professeur. Mais pourquoi ne pas plutôt s’entraîner un autre jour ? Je voudrais bien examiner la cheville de Jonathan, celle sur laquelle il boîte. Et puis je crois que nous devrions lever l’ancre et pédaler jusqu’au milieu du fleuve. Rester ainsi près de la rive me paraît dangereux.

— Exact, dit Escargot. De toute façon, la planche manque et le pont n’est qu’à trente centimètres au-dessus de l’eau. Ce ne serait pas drôle. » Escargot saisit le gobelin par le fond du pantalon et le col de sa chemise, et le balança en prenant son élan. Il allait lâcher prise quand Jonathan lui cria d’attendre. Escargot posa par terre le gobelin qui glougloutait de terreur et Jonathan le retourna. Dans son dos, passé à la corde dont elle se servait comme ceinture, la créature avait un sac en cuir. Le fromager défît le cordon, ouvrit le sac et répandit le contenu à même le pont. Une cascade de billes qui étincelaient à la lueur des lanternes en sortit – dix, puis vingt, cinquante, cent billes, et le flot ne tarissait pas. Jonathan referma le sac, Dooly détala à la poursuite des billes. Sans dire un mot, le fromager saisit le gobelin et le jeta dans le fleuve. Il aurait aimé avoir une brique avec laquelle le bombarder, mais cela ne changerait rien.

« Je n’avais pas vu ce sac, dit Escargot qui se rapprocha pour mieux l’étudier sous toutes les coutures. La conception paraît elfique.

— Il appartenait à l’écuyer », dit Jonathan.

Et il s’assit par terre, terrassé.