La politique monétaire et le rôle de la banque centrale

 

La transition avec notre conversation précédente est ici toute trouvée : pourquoi ne pas financer l’État tout simplement en créant de la monnaie ? Vous reconnaissiez vous-même que la relance budgétaire, si elle est efficace, peut finalement provoquer une hausse des taux d’intérêt qui freine l’investissement privé. Le seul moyen d’éviter cela n’est-il pas que l’État cesse d’emprunter les capitaux disponibles sur le marché financier, et qu’il fabrique plutôt de la monnaie ? À moins qu’il n’emprunte à sa banque centrale ?
Prenons les problèmes dans l’ordre, et réglons d’abord celui de l’effet d’éviction des investissements privés par les dépenses publiques. Cet effet est inexistant ou négligeable quand l’activité est au plus bas et que la crise est déjà installée depuis un certain temps. Dans ces circonstances, les marchés ne manquent pas de liquidités mais de débouchés : les banquiers peinent à trouver des entreprises qui demandent des crédits pour financer des projets rentables. Cette phase de la crise est celle que Keynes appelait la « trappe à liquidités » : les anticipations sur l’économie et les valeurs boursières sont tellement pessimistes que les agents préfèrent l’accumulation de liquidités à toute forme d’investissement ou de placement financier risqué.

Dès lors, comme sur n’importe quel marché où se sont accumulés des stocks invendus, une reprise de la demande ne fait pas monter les prix, mais chuter les stocks. Quand il y a pléthore de capitaux accumulés et inutilisés, les emprunts de l’État ne privent personne de fonds et, dans un premier temps, les taux d’intérêt ne remontent pas. Mais cette phase a nécessairement une fin. Une fois la reprise amorcée, la demande de crédit des ménages et des entreprises est relancée et les taux finissent par remonter. Cette remontée des taux peut freiner l’investissement privé et, du coup, annuler en partie l’effet de relance recherché.

 

C’est à ce moment-là que se repose ma question : comment éviter cette concurrence entre financement public et privé ? Je crois que la banque centrale peut agir sur les taux d’intérêt.
Notez d’abord que le besoin de financement de l’État finit par reculer avec la reprise de l’activité : la part conjoncturelle de son déficit disparaît et réduit d’autant les sommes à financer par l’emprunt.

Par ailleurs, la demande croissante de crédit ne fait monter les taux d’intérêt que si l’offre de fonds reste inchangée. La banque centrale peut atténuer ou éviter cette hausse des taux en accroissant l’offre de monnaie. On dit alors qu’elle mène une politique monétaire « accommodante » ; elle ne contrarie pas la demande croissante de liquidités, elle suit le mouvement. En évitant la hausse des taux d’intérêt, cette politique vient soutenir et renforcer l’efficacité de la relance budgétaire initiale.

 

Comment la banque centrale intervient-elle exactement ? Elle crée de la monnaie ? Elle fait « tourner la planche à billets » comme on dit ?
Il faut distinguer ici la monnaie au sens strict – celle qui circule entre nous – et la « monnaie banque centrale » – celle qui s’échange uniquement entre banques.

Au sens strict, comme au sens usuel, la monnaie est constituée par l’ensemble des moyens de paiement disponibles immédiatement pour effectuer des règlements. Elle revêt trois formes : les billets (« monnaie fiduciaire »), les pièces (« monnaie divisionnaire ») et les dépôts bancaires transférables par chèque, virement et carte de paiement (« monnaie scripturale »). La somme de ces divers moyens de paiement constitue la masse monétaire au sens strict (baptisée « M1 » dans les statistiques). Cette monnaie – celle que vous utilisez et qui circule dans l’économie – n’est pas créée par la banque centrale, mais par les banques ordinaires.

 

Ah bon ! Même les billets ? Je croyais pourtant que la banque centrale assurait et contrôlait la fabrication et l’émission des billets.
Vous croyez juste. Mais les billets émis par la banque centrale ne sont pas de la monnaie, au sens usuel, tant qu’ils ne sont pas dans le portefeuille des agents économiques. Les billets détenus dans les coffres de votre banque ne sont pas des moyens de paiement en circulation ; ils le deviennent seulement au moment où vous effectuez un retrait de billets.

Comment la banque obtient-elle les billets qui alimentent ses guichets et ses distributeurs ? En effectuant elle-même des retraits sur son compte à la banque centrale, qui est en fait la banque des banques. Le compte d’une banque à la banque centrale est crédité quand une autre banque lui fait un virement pour régler, par exemple, un solde débiteur des chèques émis par leurs clients respectifs ; ou encore quand la banque emprunte des liquidités à la banque centrale. On appelle « monnaie banque centrale » les sommes détenues par les banques sous la forme de billets ou de comptes créditeurs à la banque centrale. On l’appelle aussi « monnaie centrale », ou « base monétaire ». C’est une « monnaie de gros » en somme, qui circule uniquement entre les institutions financières. Elle est créée par la banque centrale lorsque celle-ci prête des liquidités aux banques.

 

Et la « monnaie de détail » est donc celle qui circule entre les commerçants, les ménages, les entreprises, etc. Vous dites que celle-ci est créée par les banques ordinaires. Mais comment, au juste ? Est-ce mon retrait de billets, par exemple, qui met de la monnaie en circulation ?
Non. Vous ne pouvez retirer des billets que si votre compte est créditeur. Si vous retirez 100 euros en billets, votre solde créditeur est réduit d’autant. Votre retrait ne change donc rien à la masse monétaire ; il modifie seulement la forme de monnaie en circulation. Avant de circuler sous sa forme fiduciaire, la monnaie doit donc exister sous forme scripturale. La totalité de la monnaie apparaît d’abord comme une somme écrite sur un compte bancaire.

 

Soit. Mais lorsque je touche mon salaire par virement, c’est mon employeur qui crée ce crédit sur mon compte, pas mon banquier.
Encore non. Votre employeur ne « crée » rien en l’occurrence ; il utilise juste de la monnaie qui existe déjà sur son propre compte. Si tel n’est pas le cas et si vous êtes néanmoins payé, c’est que le banquier a consenti un crédit de trésorerie à votre employeur : il a créé de la monnaie en inscrivant sur un compte une somme qui n’existait pas auparavant, avec pour seule contrepartie un contrat signé par votre patron.

Pour comprendre la création monétaire, il faut se demander quelles actions et quels acteurs peuvent accroître la masse de monnaie en circulation, et non pas observer cette circulation. Eh bien ce sont les banques qui créent de la monnaie supplémentaire en créditant des sommes sur les comptes de leurs clients en échange de diverses contreparties.

Par exemple, un exportateur européen payé en dollars demande à son banquier de convertir ceux-ci en euros. Les dollars ne sont pas de la monnaie au sein de la zone euro. Ils représentent un pouvoir d’achat à l’étranger, une créance sur les États-Unis. Dans l’opération de conversion, la banque récupère cette créance et, en contrepartie, elle inscrit une somme en euros sur le compte de son client. La masse monétaire augmente d’autant. Le même mécanisme peut se produire dans toute opération de crédit. Par exemple, une entreprise a consenti des délais de paiement à des clients contre signature d’un effet de commerce (reconnaissance de dette). Elle demande à sa banque de lui avancer les liquidités correspondantes, moyennant paiement d’un intérêt. Dans cette opération, dite d’« escompte », au moment où la banque crédite le compte de l’entreprise, elle transforme une créance commerciale préexistante en monnaie. La banque peut aussi créer de la monnaie quasiment ex nihilo (à partir de rien), en accordant un découvert ou un crédit de trésorerie à une entreprise ; la contrepartie n’existe pas au préalable, elle est émise par la banque elle-même sous la forme d’un contrat de crédit.

 

La banque peut donc créer n’importe quelle quantité de monnaie ?
Non, pas exactement. Il existe des limites naturelles ou réglementaires à ce processus.

Pour commencer, toutes les opérations de crédit ne sont pas financées par une création monétaire. Elles peuvent l’être. Mais elles sont aussi financées par l’épargne et les liquidités déposées dans les banques. Ces dernières jouent un double rôle d’intermédiation et de transformation financière. Elles participent à la collecte des capacités de financement qu’elles mettent ensuite à la disposition des agents qui ont un besoin de financement ; elles transforment une épargne liquide et à court terme en prêts à moyen ou long terme. Il y a donc création monétaire seulement dans la mesure où les banques distribuent du crédit en excédent des liquidités déjà disponibles.

Par ailleurs, cet « excédent de crédit » n’est distribué que s’il est demandé par les agents non financiers. En cas de ralentissement de l’activité économique, les ménages et les entreprises ont moins d’opérations à financer et moins de capacité à s’endetter ; la demande de monnaie recule et cela peut entraîner une baisse de la masse monétaire.

 

Comment ça, une baisse ? Cela signifierait que l’on détruit de la monnaie ?
Bien sûr. De la monnaie est détruite tous les jours, même en pleine expansion de l’économie, car les banques ne font pas que transformer des créances diverses en moyens de paiement, elles procèdent aussi à l’opération inverse : remise de la créance contre un règlement en monnaie.

Ainsi, la monnaie créée par une banque pour convertir les dollars d’un client en euros sera détruite quand elle revendra ces dollars à un autre client : la somme en euros débitée sur le compte de ce second client compensera la somme initialement créditée sur le compte du premier. Prenons un autre exemple. Si j’emprunte 1 000 euros sur six mois à mon banquier, contre signature d’un contrat, la masse monétaire enfle de 1 000 euros. Au bout de six mois, je rembourse mon crédit, mon compte est débité de 1 000 euros, et la masse monétaire recule de 1 000 euros (un peu plus en fait, si l’on tient compte des intérêts également débités).

La masse monétaire ne peut donc augmenter que dans la mesure où le flux des créations l’emporte sur celui des destructions de monnaie – c’est-à-dire en période de croissance économique, quand le volume des nouveaux crédits à l’économie dépasse celui des remboursements.

 

Tant qu’il y a de la demande, donc, les banques peuvent créer de la monnaie sans limites ? Sauf, peut-être, si la banque centrale impose une limite.
Avant toute régulation délibérée, il existe une autre limite à la création monétaire : les retraits en billets. Supposons un pays dans lequel les billets représentent en moyenne 10 % de la circulation monétaire. Dans ce cas, chaque fois qu’une banque crée 100 de monnaie en octroyant des crédits, elle s’attend à ce que ses clients retirent 10 à ses guichets, sous forme de billets. Or la banque est légalement contrainte de délivrer à ses clients autant de billets qu’ils peuvent en demander, dans la limite du solde créditeur de leur compte. Donc, pour 100 de monnaie créée, la banque doit détenir au moins 10 en monnaie banque centrale pour faire face aux retraits de billets. Elle ne pourra pas créer n’importe quelle quantité de monnaie, mais seulement un montant compatible avec le solde créditeur de son compte à la banque centrale. Dans notre exemple, on a un « multiplicateur de crédit » égal à 10 : le volume de crédit possible (100) est égal à 10 fois la réserve de monnaie centrale détenue par la banque (10).

 

Si une banque manque de liquidités sur son compte à la banque centrale, que fait-elle ? Elle n’accorde plus de nouveaux crédits ?
Dans ce cas, elle va plutôt se « refinancer » sur le marché monétaire, c’est-à-dire emprunter de la monnaie centrale auprès des banques qui ont des excédents de liquidités sur leur compte ou auprès de la banque centrale. Précisons que les banques ne peuvent échanger entre elles que la monnaie centrale déjà créée ; seule la banque centrale peut apporter de nouvelles liquidités sur ce marché interbancaire. La capacité des banques à distribuer de nouveaux crédits dépend donc largement de la politique monétaire décidée par la banque centrale.

 

Si une banque ne trouve pas les liquidités dont elle a besoin pour refinancer des crédits déjà distribués, c’est plutôt grave, non ? Car, si j’ai bien suivi, cela veut dire que son compte reste débiteur à la banque centrale et qu’elle ne peut plus, en conséquence, obtenir les billets nécessaires pour répondre à la demande de sa clientèle. Bref, elle court à la faillite. La banque centrale peut-elle décider de mettre des banques en faillite ?
Rien ne le lui interdit, formellement. Mais, en tant que banque des banques, la banque centrale est responsable de la sécurité d’ensemble du système financier. Elle est au sommet de la pyramide bancaire, elle constitue le « prêteur de dernier ressort », le dernier recours possible pour un établissement financier en manque de liquidités.

Cette position confère à la banque centrale un certain pouvoir de régulation du comportement bancaire. La capacité du système bancaire à distribuer du crédit dépend de ses avoirs en monnaie centrale. C’est la logique du multiplicateur de crédit évoquée tout à l’heure : si, par exemple, le taux de retrait en billets est de 10 %, les banques peuvent créer de la monnaie jusqu’à 10 fois le montant de leur réserve de monnaie centrale ; 20 fois, si le taux de retrait n’est que de 5 % ; mais, quelle que soit l’ampleur du multiplicateur, si la réserve est à zéro elles ne peuvent rien créer. Si les banques attendent de disposer de la réserve de monnaie centrale nécessaire pour créer à nouveau de la monnaie, la banque centrale a le contrôle effectif de tout le processus.

Mais une autre logique est plus souvent à l’œuvre, celle du diviseur de crédit : les banques doivent trouver sur le marché monétaire un dixième de la monnaie qu’elles ont déjà créée. En clair, les banques créent de la monnaie autant que nécessaire pour répondre aux demandes des clients fiables ; elles constituent alors la réserve de monnaie centrale nécessaire en empruntant sur le marché monétaire. Dans ce cas, la banque centrale n’intervient qu’après la création monétaire décidée par les banques ; elle ne peut pas annuler cette création ; elle ne peut donc pas non plus refuser systématiquement de la refinancer, car alors ce n’est pas une banque qui risquerait la faillite, mais l’ensemble du système financier. Le prêteur de dernier ressort est donc autant, si ce n’est plus, l’otage du système que son contrôleur. Il n’intervient pas directement, au moment de la création de monnaie. Il peut seulement influencer le comportement des banques, indirectement, en agissant sur les conditions de leur refinancement.

 

Concrètement, à quels instruments d’intervention la banque centrale a-t-elle recours ?
La banque centrale peut tout d’abord instituer des « réserves obligatoires » : des sommes bloquées sur un compte à la banque centrale, calculées en appliquant un pourcentage (coefficient de réserve) au montant des crédits distribués et/ou des dépôts collectés par une banque. Une hausse ou une baisse du coefficient de réserve rend les banques plus ou moins dépendantes d’un refinancement auprès de la banque centrale ; il a aussi un effet direct d’expansion ou de restriction de la base monétaire, et donc des possibilités de création monétaire. De nos jours, les réserves obligatoires sont peu employées comme instrument de régulation usuel, mais elles peuvent servir occasionnellement pour « stériliser » un afflux soudain de liquidités.

Les banques centrales privilégient l’intervention sur le marché monétaire interbancaire. Il s’agit là de contrôler la quantité de monnaie centrale disponible et/ou les taux d’intérêt. Une banque centrale peut injecter des liquidités en achetant des titres de dette détenus par les banques, et restreindre les liquidités en revendant des titres1. Elle peut aussi effectuer des prêts de liquidités à court terme, contre des titres qui sont seulement « pris en pension » par la banque centrale pendant la durée du prêt. Elle doit enfin fixer les taux d’intérêt auxquels elle apporte ses concours pour diverses échéances. On parle ici de « taux directeurs », car le coût des emprunts auprès de la banque centrale détermine ensuite les taux pratiqués par les banques auprès de leur clientèle.

 

Comment s’établit le lien entre ces instruments d’action et les objectifs poursuivis ?
Mettons d’abord de côté pour plus tard une curiosité européenne : la BCE voit l’ensemble de son action subordonné à un seul objectif prioritaire de faible inflation. La plupart des banques centrales ont pour mission de concourir à la réalisation de tous les objectifs standards de la politique macroéconomique : plein-emploi, croissance, stabilité des prix, équilibre des paiements extérieurs. Pour œuvrer à la réalisation de ses objectifs finaux, la politique monétaire doit atteindre des objectifs intermédiaires : volume du crédit, niveau de la demande de biens de consommation, niveau de l’investissement… Et, pour atteindre ces cibles intermédiaires, tous les instruments que j’ai présentés tendent à réguler le coût et la disponibilité des crédits à la consommation, à la trésorerie des entreprises ou à l’investissement.

Si la priorité du moment est la lutte contre l’inflation, la banque centrale durcit les conditions de refinancement des banques (taux plus élevés, réduction des montants prêtés, hausse des coefficients de réserves obligatoires) dans le but de freiner la demande finale de consommation et d’investissement. Si la priorité est la lutte contre la récession et le chômage, la banque centrale doit au contraire prêter plus et moins cher aux banques.

 

La question est ici de savoir si cela marche toujours comme prévu. Mais, avant cela, je reviens sur ma question initiale. J’ai bien compris que la création monétaire n’est pas sans limites pour les banques ordinaires. Mais elle l’est bien, en revanche, pour la banque centrale, à qui cela ne coûte rien de créer sa propre monnaie et de prêter n’importe quelle quantité qu’elle juge nécessaire. Alors on se demande bien pourquoi l’État doit emprunter de l’argent sur des marchés financiers et payer des taux d’intérêt plus ou moins élevés ! Qu’est-ce qui interdit à l’État de financer ses déficits directement auprès de la banque centrale ?
Rien, à part l’État lui-même ! Ce sont en effet les lois des États qui définissent les opérations financières autorisées et les marges de manœuvre de la banque centrale.

En dehors de la zone euro, la plupart des banques centrales ont le droit de prêter des liquidités à l’État. C’était encore le cas dans de nombreux pays de la zone euro avant le traité de Maastricht (1992) qui a interdit la participation de la Banque centrale européenne (BCE) au financement des déficits publics.

 

Je sais bien cela. En réalité, mon interrogation concerne plutôt les raisons strictement économiques susceptibles de justifier l’usage, la limitation ou l’interdiction de ce mode de financement.
Prenons un cas d’école : celui d’un pays comme la France, qui payait presque 50 milliards d’euros d’intérêts sur sa dette publique au début des années 2010, soit 13 % des dépenses totales de l’État. Admettons que ce pays remplace ses emprunts aux conditions du marché financier par des prêts de sa banque centrale à taux zéro. Il économise alors 50 milliards, c’est-à-dire un peu plus que le budget de l’Éducation nationale ! 50 milliards qui peuvent être affectés soit à des investissements, soit au remboursement anticipé de dettes anciennes, soit encore à des baisses d’impôts. Voilà autant de bonnes raisons économiques de faire appel à la banque centrale. La seule différence notable entre cette méthode et le recours au marché financier est que les 50 milliards à la charge des contribuables servent un intérêt public au lieu d’accroître le revenu des banques.

 

On entend pourtant parler d’une autre différence. Le financement du déficit par la création monétaire serait inflationniste. N’est-ce pas une bonne raison pour préférer l’emprunt sur le marché financier ?
Un argument théorique plaide en faveur de cette « bonne raison ». En empruntant sur le marché financier, dit-on, l’État est financé par des liquidités déjà en circulation, autrement dit par l’épargne. En empruntant à la banque centrale, il est financé par des liquidités nouvelles, ce qui accroît la masse monétaire en circulation. L’État met plus de monnaie en circulation, mais puisque, par définition, il ne produit pas de biens marchands, il ne met pas plus de marchandises à la disposition des marchés. Le financement monétaire du déficit entraîne donc un excès de demande qui se solde uniquement par la hausse des prix.

 

C’est l’argument des monétaristes, non ?
C’est plus précisément une vieille théorie réactivée et actualisée par les monétaristes, à savoir : la « théorie quantitative de la monnaie ». Celle-ci énonce que toute variation de la quantité de monnaie en circulation finit par produire une variation proportionnelle du niveau général des prix. Autrement dit, plus de monnaie implique toujours et seulement plus d’inflation. Cela doit vous rappeler quelque chose, non ? « La monnaie n’est qu’un voile », écrivait déjà Jean-Baptiste Say (1803), elle ne change rien dans l’économie réelle, elle est « neutre » et n’affecte que le niveau des prix. La plupart des économistes classiques ont adopté la théorie quantitative et ont cessé de s’intéresser aux effets réels de la monnaie. Dans leur modèle de l’équilibre général, les néoclassiques ont fait de cette même théorie une pièce maîtresse mise en équation par Irving Fisher en 19112.

Bref, la thèse quantitativiste a ses lettres de noblesse… mais elle est fausse. En fait, un accroissement de la masse monétaire n’entraîne pas forcément ni uniquement de l’inflation. L’effet prévu par la théorie quantitative suppose que deux conditions au moins soient satisfaites. Il faut tout d’abord que l’afflux de monnaie disponible pour être dépensée ne puisse pas rencontrer un afflux équivalent de produits ; on est donc au plein-emploi des capacités de production et il est impossible de satisfaire une demande supplémentaire. De plus, il faut que les agents économiques cherchent à dépenser aussitôt et intégralement tout supplément de liquidité disponible, et exercent dès lors une pression immédiate sur la demande de biens.

Or, dans la réalité, les agents peuvent aussi ralentir la « vitesse de circulation de la monnaie3 », c’est-à-dire garder plus longtemps les nouvelles liquidités en réserve au lieu d’acheter des biens. Cela peut notamment se produire quand les anticipations sur l’activité et/ou le marché du travail sont pessimistes. Alors la monnaie est disponible pour dépenser plus, le crédit est abondant et les taux d’intérêt peu élevés, mais cela ne suffit pas à stimuler vraiment la dépense. Et si la demande est éventuellement stimulée, cela ne fait pas monter les prix, tant que le pays reste encore loin du plein-emploi. En effet, dans une économie déprimée et concurrentielle, les entreprises répondent à toute commande nouvelle sans augmenter les prix.

En conclusion, le financement monétaire du déficit, comme n’importe quelle injection de monnaie dans l’économie, n’est pas en soi inflationniste. Mais il peut aussi le devenir.

 

Je me doute bien que vous allez préciser dans quelles circonstances le concours financier de la banque centrale à l’État devient inflationniste. Mais pensez aussi à expliquer dans quelle mesure cela devrait nous inquiéter. Je me demande en fait ce qu’il faut entendre par « risque » inflationniste. Que risque-t-on au juste ? Un peu plus d’inflation, cela n’est pas forcément dramatique.
Cela peut même être bénéfique… tant que c’est « un peu plus » d’inflation. Une inflation stable et modérée (jusqu’à 4 à 5 % par an) est compatible avec la croissance, le plein-emploi et même une forte progression du pouvoir d’achat des salariés. Les grands pays industriels en ont fait l’expérience du début des années 1950 au début des années 1970.

Pour autant, tout le monde ne gagne pas à l’inflation. Tout patrimoine (ou tout revenu) dont la valeur nominale est fixe ou progresse moins vite que les prix, subit l’« érosion monétaire » : sa valeur réelle est rognée mois après mois. Par ailleurs, l’inflation est favorable aux emprunteurs et dommageable aux prêteurs : les premiers remboursent aux seconds un montant fixe dont la valeur réelle décroît au fil du temps. Maintenue sur une longue période, la hausse des prix entraîne ainsi l’« euthanasie des rentiers » que Keynes appelait de ses vœux, c’est-à-dire la ruine de ceux qui vivent d’un revenu fixe tiré d’un placement financier. Keynes considérait en effet qu’un taux élevé de rémunération de l’épargne entravait l’investissement productif risqué et détournait une part excessive du revenu national vers des rentiers dont la propension à consommer était plus faible que celle des salariés.

De fait, durant les Trente Glorieuses (1945-1973), l’inflation a fortement abaissé le coût réel du crédit, offrant ainsi à des dizaines de millions de ménages européens l’opportunité d’acquérir leur logement avec un crédit gratuit. Voire mieux que gratuit, car il arrivait même que les taux d’intérêt réels soient négatifs.

 

Un taux d’intérêt négatif, on n’a jamais vu ça ! Cela signifierait que les prêteurs reçoivent une rémunération négative, c’est-à-dire moins que rien. Cela ne veut pas dire grand-chose concrètement, à moins que les prêteurs se mettent à payer les emprunteurs pour leur vendre du crédit !
Vous raisonnez juste. On ne voit jamais de taux négatifs parce que seul le taux nominal est visible. Si vous prêtez 1 000 euros sur cinq ans à 3 % l’an, la somme que vous touchez chaque année reste positive et identique (30 euros) même si le taux d’inflation est de 6 %. La première année, vous touchez vos 3 % et votre patrimoine passe de 1 000 à 1 030 ; il est multiplié par 1,03. La deuxième année votre patrimoine de 1 030 est à nouveau multiplié par 1,03 et s’élève donc à 1 060,9. Vous répétez ce calcul jusqu’à la fin de la cinquième année et vous trouverez un patrimoine final de 1 159,3. Vous avez gagné 159,3. (Soit dit en passant, nous venons d’apprendre la méthode de calcul des « intérêts composés »).

Nous avons jusqu’ici raisonné en valeur nominale. Mais, sachant que l’inflation érode la valeur réelle de notre argent, recalculons notre affaire en termes de pouvoir d’achat. À la fin de la première année votre patrimoine de 1 000 euros a perdu 6 % de son pouvoir d’achat, soit 60 euros. Il vaut donc en termes réels seulement 940 ; il a été multiplié par 0,94 et le sera à nouveau chaque année. En répétant cinq fois l’opération vous trouverez que, au bout de cinq ans, votre patrimoine réel ne vaut plus que 733,9. Vous avez touché 159,3 d’intérêts, mais perdu 266,1 sur la valeur réelle de votre patrimoine. Bilan de l’opération : vous avez perdu 106,8 euros.

De son côté, l’emprunteur a bénéficié de 1 000 euros de pouvoir d’achat au début de la première année et vous a remboursé pendant cinq ans une valeur réelle totale de 733,9. Soit un gain brut de 266,1 euros. Si on défalque les 159,3 euros d’intérêts qu’il vous a versés, son gain net est de 106,8. L’emprunteur a empoché exactement la somme que vous avez perdue. En acceptant de prêter à un taux inférieur à celui de l’inflation, vous avez de fait payé l’emprunteur, vous l’avez enrichi en vous appauvrissant. Voilà concrètement la signification d’un taux d’intérêt réel négatif… En l’occurrence, si cela vous intéresse, le taux d’intérêt réel annuel de notre exemple est égal à - 2,83 %. Croyez-moi sur parole, sauf si vous tenez vraiment à une leçon de mathématiques financières.

 

Non merci. Revenons plutôt à votre bilan sur les effets de l’inflation stable et modérée. Bilan globalement positif, me semble-t-il ?
Oui. Au total, à moyen et long terme, une inflation stable et modérée exerce un effet plutôt positif sur l’activité et l’emploi, à quoi s’ajoute une redistribution du revenu plutôt à l’avantage du travail et au désavantage du capital. Telle est l’expérience des grands pays industriels durant les Trente Glorieuses, de l’après-guerre au début des années 1970 – avant les « chocs pétroliers » qui provoquent une forte accélération de l’inflation.

À l’opposé, depuis les années 1990, la course des Européens à la désinflation a souvent coïncidé avec une croissance plus faible, un sous-emploi chronique et une envolée des inégalités au détriment des travailleurs les plus pauvres et au profit des détenteurs du capital.

 

Il peut donc y avoir une « bonne inflation ». Parlez-moi de la « mauvaise » à présent. À partir de quel moment l’inflation cesse-t-elle d’être bénéfique ou du moins inoffensive ?
Au moment où elle s’engage dans un processus d’accélération continue. Si tout le monde se met à anticiper une inflation plus forte pour l’année à venir, tous ceux qui en ont la capacité s’efforcent d’obtenir une hausse préventive de leurs revenus nominaux pour se protéger contre une érosion monétaire annoncée. Si une bonne partie des salariés revendiquent et obtiennent des hausses de salaires nominaux et si les employeurs se protègent eux-mêmes en répercutant ces hausses sur les prix de vente, l’économie entre dans une spirale inflationniste auto-entretenue. Les anticipations sont ici autoréalisatrices : la peur de l’inflation provoque l’inflation ; la réalisation de cette peur conforte les anticipations et justifie de nouvelles hausses des salaires et des prix.

Au terme d’un processus d’accélération non contrôlé de l’inflation, il y a toujours la même catastrophe : l’« hyperinflation », c’est-à-dire une situation d’accélération auto-entretenue et exponentielle de l’inflation jusqu’à des taux à trois, voire quatre chiffres. Dans les pires expériences du phénomène, comme celle de l’Allemagne en 1923, les prix finissent par augmenter d’un jour à l’autre, voire d’heure en heure. Même quand elle n’atteint pas ce degré extrême, l’hyperinflation est une tragédie économique et sociale. La monnaie n’ayant plus aucune valeur réelle, elle n’assure plus sa fonction fondamentale d’intermédiaire reconnu pour les échanges. Le troc et des devises étrangères se substituent à la monnaie nationale ; le commerce et l’activité s’effondrent, une partie de la population est ruinée…

 

Très bien, on a compris ce qui est acceptable et ce qu’il faut éviter à tout prix, sans jeu de mots. Cette mise au point permet de mieux formuler ma question sur les concours directs de la banque centrale au budget de l’État. Existe-t-il un risque qu’un tel mode de financement débouche sur une inflation accélérée, voire une hyperinflation ?
L’impact du financement monétaire des déficits dépend de la manière de dépenser l’argent public et des circonstances. Si l’État finance les salaires des fonctionnaires en fabriquant de la monnaie dans une économie en croissance, il court tout droit vers l’hyperinflation. C’est arrivé ! Vous trouverez dans l’histoire de nombreux épisodes d’hyperinflation nourrie par l’impuissance des gouvernements à lever l’impôt et par la folle propension à combler l’insuffisance des recettes fiscales par la création monétaire. Mais c’est là un excès aisément identifiable et évitable. On ne peut donc pas, comme d’aucuns n’hésitent pas à le faire, instrumentaliser la mémoire des catastrophes monétaires pour discréditer tout recours au financement monétaire des déficits publics.

Si la création monétaire au profit de l’État finance des investissements qui stimulent l’activité à long terme, ou encore des dépenses qui soutiennent la demande à un secteur marchand en pleine crise de débouchés, alors l’offre réelle de biens est accrue en même temps que les liquidités injectées dans l’économie. Dans ces conditions, l’injection de monnaie n’entraîne pas un excès de demande susceptible de provoquer une flambée des prix. C’est plutôt la production et l’emploi qui progressent.

Dans une situation où le risque d’accélération de l’inflation n’existe pas, en raison notamment du sous-emploi et de la forte pression de la concurrence internationale, le recours au financement monétaire renforce l’efficacité du déficit budgétaire. Il facilite l’accès des entreprises au crédit ; il évite toute pression à la hausse sur les taux d’intérêt – hausse qui pourrait mettre en difficulté la trésorerie des petites entreprises, et qui pourrait bloquer certains projets d’investissement. Alors il se peut que, précisément parce que cette combinaison de deux politiques (monétaire et budgétaire) est efficace, la reprise soit assez forte pour se traduire à la fois par moins de chômage et un peu plus d’inflation. Mais est-ce là une mauvaise ou bien une bonne nouvelle ? Vous savez ce que j’en pense.

 

Les monétaristes ont donc tout faux sur ce sujet ?
Non, pas tout ! Leur argument reste pertinent dans une économie en croissance et proche du plein-emploi. Ils n’ont pas tort non plus de voir dans l’inflation un phénomène monétaire, si l’on entend par là qu’elle suppose une expansion de la circulation monétaire. Il s’agit là quasiment d’une tautologie. L’inflation mesure en effet la hausse du prix moyen de tous les biens ; par définition, une telle hausse signifie qu’en moyenne on utilise un plus grand nombre d’unités monétaires par bien échangé ; il ne peut donc pas y avoir d’inflation sans accroissement de la circulation monétaire4.

L’expansion de la quantité de monnaie est donc une condition permissive de l’inflation ; mais cela n’implique en rien qu’elle en soit la cause véritable. L’inflation peut être déclenchée par une pression de la demande non anticipée et excessive par rapport aux capacités de production. Elle apparaît aussi à la suite d’un choc sur les coûts de production, telle l’envolée des prix du pétrole dans les années 1970. L’intensité de ces deux sources d’inflation (par la demande ou par les coûts) dépend aussi de caractéristiques structurelles de l’économie : degré de concurrence entre les entreprises, ouverture à la compétition internationale, capacité des partenaires sociaux à s’entendre sur le partage de la valeur ajoutée – au lieu de se lancer dans la spirale des hausses de salaires fictives compensées par des hausses de prix, etc.

 

Donc, voilà ce que je retiens. Les monétaristes ont tort de nier les effets positifs de la monnaie sur l’économie réelle et de négliger les causes fondamentales de l’inflation, hormis la création délibérément excessive de monnaie. Mais ils ont raison de souligner la nature monétaire de l’inflation. Du coup, ne peut-on pas considérer qu’il suffit de limiter l’expansion de la masse monétaire pour éviter l’inflation ? Après tout, peu importent les causes originelles des pressions inflationnistes ; si l’inflation ne peut pas se développer concrètement sans création monétaire, le gouvernement n’a pas forcément besoin de s’attaquer aux sources de l’inflation, il peut se contenter de bloquer l’expansion de la masse monétaire.
Ce que vous dites là est précisément l’argument des monétaristes. Celui-ci n’est fondé que dans le seul cas où le gouvernement ne trouve aucun intérêt à régler pour de bon les dysfonctionnements de la société ou de l’économie et ne s’intéresse qu’à la réduction de l’inflation, quelles qu’en soient les conséquences sur l’activité et l’emploi.

À l’appui de la thèse monétariste, on évoque souvent l’expérience menée par les pays anglo-saxons au début des années 1980. En effet, après les chocs pétroliers et la grande inflation des années 1970, les États-Unis et le Royaume-Uni ont adopté des politiques de rigueur monétaire drastique (en 1979-1981) qui ont engendré une hausse brutale et considérable des taux d’intérêt et, semble-t-il, cassé la spirale inflationniste.

En vue d’évaluer précisément cette stratégie, considérons d’abord la nature du problème macroéconomique posé par des chocs pétroliers. Il s’agit d’une hausse soudaine et considérable du prix des hydrocarbures, lesquels constituent une source d’énergie essentielle pour les grands pays industriels5. Il s’ensuit une crise conjoncturelle qui ne provient pas d’un choc sur la demande globale, mais d’un choc sur l’offre : les coûts de production des entreprises explosent, et le maintien d’une production rentable devient impossible sans hausse des prix ou sans baisse des salaires. Les entreprises qui ne peuvent pratiquer ni l’une ni l’autre réduisent leur production et licencient du personnel. Certaines parviennent à baisser les salaires, mais cela déprime la demande et nourrit la récession. Celles qui ne sont pas trop exposées à la concurrence internationale ne se privent pas de relever leurs prix. Résultat global : le pays subit à la fois la récession, la montée du chômage et l’accélération de l’inflation, une situation que l’on nommera alors « stagflation ».

 

Les pays concernés peuvent aussi s’adapter en réduisant leur consommation de pétrole. Autant que je me souviens, les chocs pétroliers ont de fait conduit à engager de vastes programmes pour économiser l’énergie.
Cette adaptation, certes nécessaire, ne produit ses effets qu’à moyen ou long terme. En effet, il est impossible de bouleverser en quelques mois, ni même en quelques années, un mode de production fondé sur l’usage intensif d’un pétrole à bon marché. Par conséquent, à court terme, le pays est contraint de payer la facture ; le choc pétrolier est un prélèvement brutal sur le pouvoir d’achat global de la nation, et toute la question est de savoir qui va payer.

Imaginons qu’un consensus social soit possible quant au partage de la facture. Syndicats et patrons sont d’accord sur un certain partage de la valeur ajoutée, disons par exemple 70 % pour le travail et 30 % pour le capital. Dans ce cas, des négociations peuvent déboucher sur une réduction conjointe et temporaire des salaires et des marges des entreprises. Chaque partie assume une part du fardeau équivalente à sa part dans la valeur ajoutée, en sorte que la répartition du revenu reste inchangée. Une fois que la facture est payée et que la reprise de l’activité est amorcée, les salaires et les marges peuvent reprendre leur progression selon la même règle de partage à 70/30.

En revanche, dans le cas d’une lutte pour le partage du revenu, le pays s’engage dans la course-poursuite infernale des salaires et des prix qui accélère l’hyperinflation. Le gouvernement doit alors intervenir et se trouve devant un dilemme. S’il donne la priorité à la lutte contre le chômage et la récession, il opte pour une politique keynésienne de relance de la demande. Mais, dans un tel contexte, celle-ci ne peut que relancer l’inflation. Même dans le cas où cette stratégie permet de contenir la montée du chômage, à l’arrivée ce sont les salariés qui payent la quasi-totalité de la facture par la baisse de leur pouvoir d’achat. C’est donc là seulement une façon moins brutale de leur faire avaler la pilule amère par petits bouts chaque année.

 

Si, du moins, cela permet d’éviter l’explosion du chômage, l’inflation est peut-être le moindre mal.
Peut-être, mais si l’inflation reste très élevée et nourrit des anticipations inflationnistes, le risque est grand d’une accélération continue de l’inflation. Il faudra bien, à un moment ou à un autre, stopper ce processus.

Par ailleurs, la stabilisation du chômage est compromise si les principaux partenaires commerciaux du pays adoptent une stratégie inverse d’austérité pour contenir en priorité l’inflation. Dans ce cas, la relance de la demande risque de profiter largement aux importations en provenance des pays où l’inflation est plus faible et où les entreprises s’efforcent de compenser la restriction de leur demande intérieure par la conquête de marchés extérieurs.

C’est la situation dans laquelle se trouve le gouvernement français en 1981-1982 : il s’efforce de relancer l’économie par la demande, au moment où les autres grands pays industriels mènent des politiques de freinage de la demande. La France connaît alors une explosion de son déficit commercial, des vagues de spéculation contre le franc, des dévaluations à répétition qui aggravent le déficit extérieur6

En résumé, et sans surprise puisqu’il s’agit ici de contrer un choc sur l’offre, la seule relance de la demande est pour le moins problématique. Celle-ci devrait au minimum être accompagnée par un blocage général des prix, par des mesures protectionnistes sur les importations, et donc par la rupture des traités commerciaux. Toutes mesures qui ne sont pas sans effets pervers et que, dans le cas français qui nous occupe, le gouvernement n’est de toute façon pas disposé à mettre en œuvre. Ce dernier, sans surprise et dès 1983, aligne donc sa politique sur la logique de rigueur de ses partenaires commerciaux.

 

Mais la politique de rigueur donnant la priorité au recul de l’inflation est-elle plus efficace ?
Pour briser l’inflation, oui évidemment ! Mais pas pour sortir de la crise. L’expérience des pays anglo-saxons est ici riche d’enseignements.

La manière choisie par les Américains (sous l’administration Reagan) et par les Anglais (sous l’administration Thatcher) consiste dans un premier temps (1979-1981) à casser brutalement la possibilité d’augmenter les prix et les salaires en fermant net le robinet du crédit. C’est l’application du principe monétariste : s’il n’y a pas davantage de monnaie en circulation, les entreprises ne trouveront pas la trésorerie nécessaire pour relever les salaires : elles devront donc assumer l’affrontement avec les syndicats et résister aux revendications de ces derniers. Elles ne pourront pas davantage continuer longtemps à augmenter leur prix puisque leurs clients (les ménages ou les autres entreprises) voient aussi leur pouvoir d’achat amputé et leur accès au crédit limité. Le pays est en quelque sorte forcé à la modération des prix et des salaires. Et, de fait, l’inflation recule assez vite.

L’histoire racontée par les monétaristes s’arrête là. Mais elle est incomplète. Car le recul de l’inflation n’est pas l’effet miraculeux d’une monnaie « neutre », sans effets réels, et dont la rareté suffirait à stopper l’inflation sans dommages pour l’économie réelle. L’inflation est ralentie au prix d’une récession majeure de l’économie et d’une forte poussée du taux de chômage. C’est donc, en réalité, le freinage de la demande, la chute de la production et le recul de l’emploi qui stoppent l’inflation. On brise bien le processus d’accélération de l’inflation, mais en aggravant la récession et le chômage. Alors, comment les pays concernés retrouvent-ils le chemin de la croissance ? Grâce à des baisses d’impôt sur le revenu et des déficits publics records, tout simplement. C’est-à-dire par une politique budgétaire keynésienne, inavouée bien sûr, puisqu’elle est contraire à la logique de l’offre officiellement revendiquée par les gouvernements Reagan et Thatcher. Inavouée, mais néanmoins strictement keynésienne.

 

Au fond, cette histoire montre qu’il est peut-être judicieux de combiner une politique monétaire plus rigoureuse et une politique budgétaire soutenant la demande par la dépense publique ou les baisses d’impôt.
Il faudrait ajouter à votre combinaison une politique des revenus qui vise à établir et maintenir un accord juste et stable sur le partage du revenu. Car n’oubliez pas qu’à la suite d’une catastrophe quelconque amputant la richesse du pays, il faut bien que la facture soit payée. L’idéal est d’amener le pays vers un contrat social qui permette de répartir cette inévitable ponction de la manière la plus juste possible.

Si cela ne se produit pas spontanément par un accord entre les partenaires sociaux, le gouvernement n’est pas forcé de choisir entre deux extrêmes : une austérité brutale qui enrichit les prêteurs d’argent et casse l’inflation grâce au chômage, ou bien une relance inflationniste qui feint d’éviter l’inévitable coût de l’ajustement en le laissant seulement à la charge des gouvernements suivants. La voie médiane consiste à planifier le paiement équitable de la facture en l’étalant raisonnablement dans le temps.

D’un strict point de vue économique, il est parfaitement sensé de répartir la charge d’un choc exceptionnel sur plusieurs années. Une politique monétaire plus rigoureuse mais pas trop, c’est-à-dire qui vise une décrue progressive de l’inflation, est un premier moyen d’étaler la charge dans le temps. De son côté, la politique budgétaire peut tolérer des déficits publics momentanément plus élevés, et soutenir la demande. Des emprunts publics à long terme constituent alors une autre façon de répartir la charge dans le temps. Si la politique est ainsi en mesure d’ouvrir une perspective qui atténue le fardeau à supporter chaque année par les entreprises et leurs salariés, elle crée des conditions plus favorables à la conclusion d’accords modérant la hausse des salaires et des prix en contrepartie du maintien de l’emploi.

C’est là une voie étroite dont la réussite n’est pas assurée. Encore une fois, il n’y a pas de solution miracle face à une catastrophe dont il faut de toute façon payer le prix. Le choix entre les options ouvertes n’est pas une simple question de technique économique. C’est un choix politique. Et l’option finalement retenue sera celle qu’impose l’état des rapports de force politiques.

 

Il faudrait logiquement que nous examinions maintenant l’efficacité de la politique monétaire dans un autre cas de figure : celui du sous-emploi causé par une insuffisance de la demande. Mais, auparavant, il me reste une question à propos du recours à la banque centrale pour financer la dette publique.
Face à l’état de surendettement de plusieurs États de la zone euro (au début des années 2010), certains mouvements politiques ont suggéré non seulement que la BCE prête directement à ces États, mais qu’en outre elle rachète une partie de la dette excessive sans en exiger le remboursement ultérieur.
La réaction ordinaire des économistes à cette proposition, du moins la réaction de ceux que l’on entend le plus souvent à la télévision – tout comme la réaction unanime des gouvernements – consiste à traiter de fous ceux qui l’émettent. Selon eux, créer ainsi des centaines de milliards de monnaie supplémentaire que l’on injecterait d’un seul coup dans l’économie européenne ne pourrait que relancer l’inflation.
Vos explications sur le financement monétaire des déficits ne m’éclairent pas vraiment sur ce débat précis, car jusqu’ici vous n’avez évoqué que les prêts de la banque centrale. Or, il est en l’occurrence question de donner de l’argent aux États sans exiger de remboursement. Ce n’est évidemment pas la même chose.
C’est en effet très différent. Comme vous le savez à présent, la monnaie éventuellement créée par une banque au moment de l’ouverture d’un crédit est détruite quand ce crédit est remboursé. Il en va de même pour un crédit accordé par la banque centrale à l’État. La monnaie créée devra être remboursée avec les recettes fiscales futures de l’État. Et les choses sont fort bien ainsi. Car les biens publics ne sont pas gratuits. Ils nécessitent du travail, des investissements, et l’usage de biens privés qui doivent eux-mêmes être produits. Il faut bien que le prix de ces biens publics soit payé par les usagers, citoyens et organisations privées. C’est à cela que sert l’impôt.

Le déficit et la dette étalent le paiement de ce prix dans le temps, mais ils ne peuvent pas le supprimer. Si vous faites comme si cela était possible et remplacez l’impôt par une création monétaire jamais remboursée, alors là vous engendrez une expansion continue de la masse monétaire et de la demande, sans contrepartie en termes de biens offerts. Un tel mode de financement mène tout droit à l’hyperinflation.

 

Donc le rachat pur et simple de la dette publique par la banque centrale est bien une folie à éviter absolument.
À éviter absolument comme mode de fonctionnement ordinaire. Mais pas comme « remède de cheval » exceptionnel face à une crise insoluble des finances publiques. Dans une situation de surendettement insurmontable à brève ou moyenne échéance, la monétisation de la dette excessive peut se révéler nécessaire. La banque centrale rachète les titres de dette publique détenus par les banques, et elle les met à la poubelle. C’est une manière d’annuler de fait une partie de la dette tout en remboursant les créanciers.

Or, quels que soient les effets pervers d’une annulation de la dette, c’est la seule solution raisonnable et efficace lorsqu’il devient évident qu’un État ne pourra jamais rembourser. Mener une politique de rigueur en vue de restaurer l’équilibre budgétaire est une ânerie économique, et une folie politique qui enfonce le pays dans la crise et aggrave la situation des finances publiques au lieu de l’améliorer.

L’annulation de la dette peut consister à négocier ou à imposer aux créanciers l’abandon de tout ou partie de leurs créances. Cette façon de procéder est particulièrement légitime quand une partie de la dette excessive est illégitime. C’est notamment le cas en ce qui concerne le surendettement public provoqué par la crise de la finance privée américaine (en 2008), par les mouvements de spéculation contre les titres de la dette grecque, par la folle spéculation immobilière des banques espagnoles… Une large part du gonflement des déficits et des dettes publics au début des années 2010 vient de la récession engendrée par la crise de la finance privée, et non pas d’un excès soudain de dépenses publiques. Une autre part vient des cadeaux fiscaux massifs consentis aux détenteurs des capitaux et des plus hauts revenus. Il n’est pas sain économiquement et il est moralement inacceptable que la totalité du fardeau soit supporté par les États, c’est-à-dire in fine par les peuples, et non pas partagé avec ceux qui en sont les principaux responsables.

Mais toutes les dettes ne sont pas illégitimes, et toutes ne peuvent pas être purement et simplement annulées. Alors, il est une autre façon de détruire les dettes excessives d’un État impuissant à les rembourser : la monétisation, c’est-à-dire l’effacement de la dette par la banque centrale, qui paye les créanciers à la place de l’État.

 

Mais là, pour le coup, avec tout cet argent qui afflue d’un coup dans la société, le risque inflationniste est maximal.
Ce cadeau concédé à l’État provoque en effet un surplus soudain de liquidités pour les créanciers, qui chercheront dès lors à les employer autrement. S’ils se précipitent tous au supermarché du coin pour dépenser d’un coup des centaines de milliards tandis qu’il n’y a pas un produit supplémentaire dans les rayons, alors là, bien sûr, c’est l’inflation galopante !

Mais ce n’est pas ce qui se produit en réalité. Une bonne partie de la dette rachetée par la banque centrale est détenue par des banques. Dans cette opération, ne l’oubliez pas, seule de la monnaie centrale est créée : la banque centrale porte le montant remboursé au crédit du compte des banques. La masse monétaire en circulation n’augmente pas. Les banques disposent de liquidités excédentaires sur leur compte à la banque centrale, mais elles ne font pas des courses au supermarché. En revanche, elles peuvent distribuer beaucoup plus de crédits aux entreprises et aux ménages. C’est par ce biais que se réalisera une création monétaire susceptible de nourrir l’inflation.

Or nous parlons ici d’une situation bien particulière : celle de pays qui ne peuvent plus rembourser l’intégralité de leur dette dans un contexte d’économie fortement déprimée. Les banquiers ont alors du mal à trouver des clients solvables pour distribuer de nouveaux crédits. S’ils trouvent des clients, l’expansion du crédit relance la demande de consommation ou d’investissement. La reprise de la demande peut alors faire remonter les prix dans quelques secteurs miraculeusement épargnés par la crise, mais pas dans tous ceux qui disposent de larges capacités de production inutilisées et sont peut-être, de surcroît, exposés à une vive compétition internationale. Dans le pire des cas, on aura un peu plus d’inflation et beaucoup plus de croissance et d’emplois.

Et pour finir, nous disposons d’une preuve évidente que l’inflation n’est pas un motif sérieux pour renoncer au concours financier de la banque centrale. Durant les années qui ont suivi le déclenchement de la crise financière de 2008, les banques centrales ont injecté des liquidités dans l’économie comme jamais auparavant7. Et jamais elles n’ont autant financé de dette publique. Tout cela, sans déclencher la moindre reprise de l’inflation. Figurez-vous qu’au milieu des années 2010, en Europe, les économistes ne débattent pas du risque d’inflation mais du risque de déflation, c’est-à-dire d’une baisse du niveau général des prix !

 

Le financement monétaire de la dette publique ne concerne pas tous les États. Dans certains pays, comme les États-Unis par exemple, la banque centrale a le droit d’acheter directement de la dette publique. Dans les pays de la zone euro, ce n’est pas le cas, vous l’avez rappelé vous-même.
Certes, la BCE a l’interdiction formelle des concours directs au financement des déficits publics, mais sa politique monétaire permet en réalité des concours indirects, via les banques. Il suffit pour cela que la BCE accepte de prendre en pension des titres de la dette publique détenus par les banques, en contrepartie de ses prêts sur le marché monétaire. Et cela, elle l’a fait massivement, certes pas assez vite, et seulement après avoir soutenu la stratégie imbécile de la cure d’austérité générale. Mais elle a fini par le faire.

Alors en effet, formellement, la BCE respecte la lettre des traités européens, si ce n’est l’esprit. Elle ne crée pas de monnaie directement pour financer l’État, mais elle crée de la monnaie centrale pour refinancer les banques qui souscrivent les obligations émises par l’État.

 

Si cela revient au même, il serait plus simple d’éviter ce détour par les banques.
Cela ne revient pas au même pour tout le monde ! Quand une banque emprunte à 0,5 % à la BCE et prête à 3,5 % à un État, elle fait trois points de profit qui s’évanouiraient si l’on supprimait le « détour ». Durant la crise des finances publiques dans la zone euro, l’écart entre le coût quasi nul des liquidités pour les banques et les intérêts payés par les États est allé bien au-delà de 3 %.

Mais je ne suis pas en train de vous dire que l’interdiction des concours directs de la BCE a été instituée en Europe dans le seul but de soutenir les profits des banques. C’est là seulement une conséquence discutable de son institution. La véritable raison d’être de cette interdiction est ailleurs. Entre le milieu des années 1970 et la fin des années 1980, les gouvernements se sont largement convertis à l’idée qu’il fallait placer la gestion des finances publiques, entre autres, sous la surveillance et la pression des marchés financiers.

 

Comment un marché peut-il « surveiller » un gouvernement ?
C’est très simple. Les investisseurs (banques et fonds d’investissement) et les agences de notation évaluent et classent les différents placements possibles en fonction du risque de défaut de paiement de l’emprunteur. Il s’ensuit que les capitaux vont plus volontiers vers les pays dont la gestion inspire le plus confiance aux investisseurs. Ces pays-là payent donc les taux les plus faibles pour leurs emprunts publics ; les autres payent une surprime croissante en fonction du risque anticipé. Pour être bien noté et éviter une hausse des taux pénalisante, un gouvernement a donc intérêt à se conformer aux normes de bonne gestion, qui constituent la croyance en vigueur sur le marché financier.

Je vous expliquerai plus tard pourquoi les gouvernements ont tendance à instaurer cette surveillance des marchés financiers, et aussi pourquoi cela n’a pas fonctionné comme ils l’espéraient.

Pour le sujet qui nous occupait ici, on peut tirer quelques conclusions simples. Tous les pays ont recours au financement monétaire de la dette publique, quelles que soient leurs législations formelles sur la question. Certains, comme les États-Unis, y ont recours plus vite, car c’est légal et parce que, de toute façon, en temps de crise, les gouvernements aussi bien républicains que démocrates finissent toujours par administrer le même remède : des politiques keynésiennes de soutien à l’économie nationale qui font feu de tout bois et font fi de toute glose idéologique. D’autres, comme les pays de la zone euro, y ont recours plus tard, à reculons et parfois tout autant. Et, dans les deux cas, la preuve est faite que le financement monétaire des déficits est compatible avec la stabilité des prix.

 

Nous voilà à peu près au clair quant au rôle de la politique monétaire dans le financement des biens publics ou la lutte contre l’inflation. Il me reste à vous demander si elle peut aussi servir à lutter contre le chômage et la récession, de la même façon que la politique budgétaire.
Elle peut aussi servir à cela, mais pas de la même façon. La politique budgétaire agit principalement en stimulant la consommation des ménages via l’accroissement de leur revenu disponible. Elle stimule aussi directement la production à travers les commandes publiques passées aux entreprises.

La politique monétaire, quant à elle, tente plutôt de soutenir l’investissement et d’alléger les charges financières des entreprises en abaissant les taux d’intérêt. Son impact sur l’activité est moins immédiat et plus problématique que la relance budgétaire. Cela en raison de l’effet asymétrique des taux d’intérêt, que nous avons déjà décrit. Dans une situation de faible croissance, et a fortiori de récession, une hausse des taux d’intérêt suffit à décourager certains investissements dont le taux de rentabilité escompté passe alors en dessous du taux d’intérêt. En revanche, une baisse des taux ne suffit pas à relancer les investissements, tant que les anticipations des entrepreneurs sont pessimistes : on ne décide pas d’investir seulement parce que les fonds sont disponibles et bon marché, mais d’abord parce que l’on anticipe des commandes futures.

Cette limite inhérente à la politique monétaire ne dispense pas d’employer celle-ci en complément de la politique budgétaire. Dans une économie déprimée, il vaut mieux de toute façon que les entreprises bénéficient des taux d’intérêt les plus bas possibles.

 

Mais si les taux d’intérêt baissent fortement, les détenteurs de capitaux ne vont-ils pas fuir systématiquement vers des pays où leurs capitaux seront mieux rémunérés ? Autrement dit, l’injection de crédit dans l’économie ne sera-t-elle pas annulée par une sortie équivalente des capitaux ?
Cela peut se produire, mais à deux conditions. Primo, ce qui va de soi, il faut que la circulation internationale des capitaux soit parfaitement libre. Il en va ainsi de nos jours, depuis la déréglementation financière générale engagée dans les années 1980. Secundo, il faut que le taux de change entre la monnaie nationale et celle des pays de destination des capitaux soit fixe. Et là, bien sûr, vous ne me suivez plus, car nous n’avons encore jamais parlé des taux de change. L’efficacité de la politique monétaire dépend de la politique de change, et réciproquement. Pour avancer, nous devrons donc consacrer notre prochaine discussion aux mécanismes monétaires internationaux.

1.

On désigne souvent ces opérations d’achats ou de ventes fermes de titres par leur nom anglo-saxon : open market.

2.

La vitesse de circulation de la monnaie (V) indique la valeur moyenne des transactions financées par une unité monétaire au cours d’une période donnée. On la calcule en divisant la valeur des transactions par le nombre d’unités monétaires en circulation, autrement dit la masse monétaire (M). La valeur des transactions est égale au niveau moyen des prix (P) multiplié par le volume des transactions (T). Donc, par définition, V = (P × T)/M. Si V = 2,67 euros, par exemple, cela veut dire qu’en moyenne au cours de la période concernée, un euro en circulation a servi à financer 2,67 euros d’échanges. L’équation d’Irving Fisher (1911) est simplement la définition de V écrite autrement : M × V = P × T. Cette simple définition comptable devient une théorie quand on fait l’hypothèse que V est invariable et que T est déjà au niveau maximal du plein-emploi. Avec V et T constants, toute variation de M implique une variation proportionnelle de P.

3.

Voir note précédente.

4.

Pour être tout à fait rigoureux, il faut préciser qu’en théorie une quantité inchangée de monnaie peut financer une plus grande valeur d’échanges si sa vitesse de circulation augmente. Cf. note p. 171.

5.

Pour donner un ordre de grandeur, les prix du pétrole sont multipliés par quatre en 1973-1974, puis à nouveau par deux en 1979.

6.

Nous reviendrons plus loin sur ce point, après avoir expliqué les mécanismes de formation des taux de change.

7.

En seulement deux mois (décembre 2011 et janvier 2012), la seule Banque centrale européenne a injecté 1 000 milliards d’euros dans le système bancaire.