CHAPITRE VI
Avant de commencer cette première conférence intergalactique, les Serves constituant la maîtrise du personnel technique d’Eeyo s’affairèrent suivant les instructions d’Ogounh à raccorder jusqu’au hangar des astronefs les câbles de sortie des antennes des télescopes de l’observatoire pour que le maître-ordinateur puisse recueillir directement et sans intermédiaire toutes les informations concernant l’espace extérieur. Incidemment Théodore prouva que Shô ne s’était pas trompée en le supposant dépourvu de préjugés; Jorge n’avait pas attendu que les branchements soient achevés pour lui annoncer tout de go que l’astéroïde avait changé de galaxie et Théodore s’était borné à hausser d’imaginaires épaules.
— Pourquoi pas?
— Parce que c’est contraire à nos théories!
— Quand une théorie est contraire à une autre et que pourtant elle se confirme expérimentalement, cela signifie que la première était soit incomplète, soit erronée. Or, celle-ci ne peut pas être fausse puisque nous avons déduit une technologie effective. En conséquence et si votre affirmation se vérifie, nous n’aurons plus qu’à y adapter nos équations fondamentales.
Tout étant prêt, les trois envoyés du Kraft et les trois Heewigiens s’installèrent confortablement dans le carré du vaisseau mais, avant de laisser la parole à Ogounh, Ava posa une dernière question à Théodore.
— Maintenant que les données extérieures te sont accessibles, peux-tu fournir une première estimation sur notre position dans le Cosmos?
— Je note d’abord que nous sommes immensément loin de notre dernier point relevé au moment de l’entrée dans le tunnel. Non seulement les configurations stellaires environnantes n’offrent aucun repère cartographié mais, comme je l’avais du reste déjà signalé, je ne capte aucune émission radio dans les bandes hyperspatiales ni même aspatiales. Deuxièmement, la nébuleuse fusiforme qui se dessine à 47° 16' de longitude Ouest et à +22°09 de latitude du primaire local pris comme origine des mesures représente exactement l’image de notre propre galaxie — je distingue d’ailleurs nettement le nuage de Magellan. En complétant cette observation par une triangulation sur trois autres amas identifiables, en particulier M 33, la conclusion est que nous nous trouvons bien dans Andromède et plus précisément dans la périphérie supérieure de la partie médiane d'un bras spiral.
— Hé bien, soupira Jorge, cela clôt toute discussion. L'impossible était vrai. A toi, Ogounh...
— Puisque Théodore lui-même est convaincu, je ne me livrerai pas pour l'instant à une débauche de mathématiques transcendantales. Nous réserverons cela pour plus tard et pour le bénéfice particulier de ton étonnant cerveau bionique. Je me contenterai de résumer très brièvement la direction vers laquelle s'étaient orientés nos travaux concernant la structure de l'hyperespace. Elle diffère essentiellement de la vôtre. Au départ, nous nous heurtions probablement au même problème, vous et nous, celui du « mur de la lumière ». Nous avions réussi à sortir du champ d'attraction de notre planète pour nous lancer dans l'espace, nous avions trouvé des propulseurs capables de nous faire atteindre en peu de temps la vélocité lumineuse à quelques infimes décimales près, nous avions mis au point les champs de gravitation artificielle afin de pouvoir supporter les grandes accélérations et éviter les inconvénients de l'apesanteur, mais cette limitation à une misérable allure de trois cent mille kilomètres/seconde nous barrait la route des étoiles. Nous pouvions peut-être envoyer des explorateurs, mais à quoi bon? Non seulement il leur aurait fallu des années ou même des décades pour effectuer leurs périples, mais vous connaissez les équations relativistes, n’est-ce pas? Des dizaines de générations se seraient succédé sur Heewig avant qu’ils ne reviennent faire leur rapport... Nous nous sommes donc attaqués aux théories des continuums pluridimensionnels et des raccourcis intemporels qu’ils offraient. Et après maints déboires, nous avons finalement trouvé une solution que nous avons crue être la solution. Il était réellement possible d’arracher un corps matériel à un espace défini par la troisième dimension pour le lancer dans la quatrième et l’en faire ressortir mais seulement à condition que sa masse soit suffisante, qu’elle soit en quelque sorte d’un ordre planétaire. Les calculs étaient formels : le chiffre minimum à partir duquel le saut était réalisable représentait deux mille milliards de tonnes. Aucune industrie humaine n’était capable de construire pareil vaisseau, il nous fallait donc en imaginer un qui ait déjà été façonné par la nature et qui soit prêt à recevoir l’équipement nécessaire pour le rendre habitable d’abord et ensuite capable de répondre à notre désir.
— Vous vous êtes donc tournés vers la ceinture d’astéroïdes qui existait autour de votre planète comme autour de beaucoup d’autres, enchaîna Jorge. Ils étaient à la portée de vos nefs de bronze, à quelques dizaines d’heures de navigation et tellement nombreux qu’il vous était facile d’en choisir un dont les dimensions correspondaient à votre postulat. Vous l’avez foré pour y établir un habitat à son échelle.
— Ça s’est passé il y a plus de dix ans, il nous a fallu beaucoup de travail et beaucoup de patience, mais nous tenions à en faire un milieu où nous pourrions continuer à vivre si le voyage que nous voulions entreprendre était sans retour. Cette aventure sans précédent était tellement fantastique, c’était un tel saut dans l’inconnu... La probabilité de nous perdre quelque part dans l’infini était énorme. Nous voulions nous assurer une véritable survie où que nous nous trouvions, même dans Eeyo si nous n’aboutissions nulle part. C’est pourquoi nous sommes d’ailleurs si nombreux. Nous formons une population en soi, un groupement autonome complet.
— Un exode?
— Ç’aurait pu en être un et d’ailleurs... Peu importe pour l’instant puisque tout a bien marché, nous sommes revenus à notre point de départ. Vous pourrez aussi regagner le vôtre, la route est désormais ouverte.
— Puis-je demander quelques éclaircissements au sujet de vos interprétations de la théorie hyperspatiale? intervint Théodore. Comme je l’ai supposé, elle ne contredit nullement la nôtre, vous êtes partis sur l’hypothèse de masse minimum alors que nous nous sommes basés sur celle de l’énergie minimum. Or, masse et énergie sont équivalentes. Je déduis de l’orientation de vos recherches que vous n’avez pas découvert le moyen de capter directement l’énergie cosmique d’expansion?
— C’est exact. Nous ne disposons que de générateurs à fusion bien insuffisants pour faire passer une tête d’épingle dans un autre continuum.
— Votre solution était donc la seule acceptable pour vous. Cependant, puisque nous sommes sur le chapitre de l’énergie, il vous fallait quand même pouvoir en libérer une quantité considérable à un moment donné ou plus exactement à deux : celui de l’immersion et celui de l’émersion. Le déplacement lui-même consomme peu en raison du principe de conservation inertielle à l’échelle de 2.1012 mais les franchissements des interfaces des continuums?
— Les milliers de térawatts exigés étaient disponibles sur place. Toute ceinture d’astéroïdes est le résultat de l’éclatement d’une grande planète. Elle est donc le siège de l’énergie potentielle libérée par ce cataclysme. Même en tenant compte de la dégradation et de la dispersion au cours des âges, il en reste bien assez pour projeter notre caillou un nombre incalculable de fois. A l’autre bout, autour de T IV, il en va de même, naturellement.
— D’accord, je viens de vérifier ces calculs et je vous donne entièrement raison. Seulement vous connaissez les corollaires? En vertu de la proportionnalité interspatiale des masses, le déplacement d’Eeyo ne peut s’effectuer qu’au niveau métagalactique. De même qu’un vaisseau comme l’Erika ne peut évoluer qu’à l’intérieur d’une galaxie parce qu’il ne peut atteindre le seuil d’échappement, de même le vôtre ne peut évoluer qu’entre deux galaxies parce qu’il dépasse ce seuil.
— Nous étions bien arrivés à la même conclusion et cela justifie encore une fois la raison pour laquelle nous avons fait d’Eeyo un monde complet — la probabilité était si faible que nous ressortions dans un univers évolué où nous pourrions établir un contact. Notre chance a été presque invraisemblable... Si nous avions découvert l’autre route, la vôtre, nous aurions cherché fortune dans Ljan’reg — l’amas que vous nommez Andromède — nous l’aurions exploré pas à pas à la poursuite de notre destin, mais il nous fallait faire le grand saut dans l’inconnu.
— Vous n’aviez aucun moyen de déterminer à l’avance le point où vous émergeriez? questionna Wolan.
— Évidemment non. Dans votre passé comme dans le nôtre, les premiers marins qui se lancèrent au-delà de l’horizon à la découverte de nouveaux continents, naviguaient au hasard. C’étaient leurs voyages qui allaient permettre ensuite de dessiner une carte et de construire un système de références avec ses coordonnées. Quand vos premières hypernefs se sont lancées dans le néant d’un autre continuum, savaient-elles où elles aboutiraient?
— Uniquement que ce serait dans le champ gravitationnel d’un astre, c’était tout ce que la théorie permettait d’affirmer; mais les navigateurs ne pouvaient en effet savoir vers lequel ils seraient attirés. La cartographie quadridimensionnelle avec ses routes précises, ses sécantes, n’a été construite que par déduction d’après les résultats de nombreux parcours expérimentaux, souvent dramatiques. L’histoire du déplacement interstellaire conserve le souvenir du premier vaisseau hyperspatial, le Canopus. Son équipage croyait ne faire que le saut de quatre années-lumière jusqu’à l’étoile la plus proche de la Terre et il s’est retrouvé quinze fois plus loin.
— Nous aussi nous étions des pionniers, mais c’était à l’échelle de la métagalaxie; nous savions seulement que nous émergions dans l’une des vingt-cinq ou trente nébuleuses du Groupe Local mais nous ignorions laquelle. Nous pouvions seulement supposer à titre d’hypothèse que ce serait celle dont la masse était la plus importante après la nôtre, la vôtre par conséquent, et c’est bien ce qui s’est passé. En tout cas cette émergence devait nécessairement se produire dans un nœud d’énergie équivalent à celui qui avait attiré notre immersion, donc dans une ceinture d’astéroïdes. Restait à espérer que cette ceinture appartenait à un système planétaire multiple, ce qui était probable et que l’un des membres de ce système serait propice à la vie, ce qui l’était déjà un peu moins; mais que, du premier coup, nous nous soyons trouvés dans le territoire d’une civilisation supérieure humanoïde, cela dépassait nos espoirs les plus insensés.
— Qu’auriez-vous fait, demanda Ava si le système atteint par Eeyo s’était révélé totalement inhabitable?
— Nous serions revenus à notre point de départ, ce qui était facile puisqu’il suffisait d’inverser les éléments de parcours. Après quoi, nous aurions immédiatement entrepris une seconde tentative en modifiant légèrement l’angle de plongée pour ressortir ailleurs, n’importe où. Et ainsi de suite. Nous aurions inlassablement recommencé jusqu’à établir enfin le contact désiré. Tu réalises maintenant pourquoi nous devions recréer à l’intérieur de notre véhicule un milieu écologique complet. Même si nous réussissions de plus en plus à le diriger à notre gré, l’aventure pouvait durer un temps considérable et n’être finalement achevée que par nos enfants ou nos petits-enfants.
— Vous êtes en quelque sorte un essaim détaché de la ruche mère. Ces insectes sociaux existent aussi dans ton monde, n’est-ce pas? J’ai vu des abeilles butiner les fleurs autour de nos chalets et j’ai mangé leur miel... Est-ce à leur image que vous avez pris votre essor autour de votre reine?
— Le parallèle est juste, la reine est l’âme de l’essaim.
— Mais puisque Rann est ici, qui règne sur Heewig même?
— Ma sœur jumelle Wann’dji, répondit la belle souveraine. Elle gouverne en mon absence et c’est peut-être elle qui a la plus mauvaise part de nous deux. Quant à moi, en dehors de cette loi biosociologique que tu as évoquée, je devais participer en personne à cette expédition. D’abord parce que si elle était préparée depuis longtemps, depuis le temps de ma mère, c’est moi qui l'ai finalement décidée et qui en ai pris la responsabilité, il était donc juste que j’en partage les risques et les dangers. Ensuite parce que c’est à moi qu’il appartient de tout tenter, même l’impossible, pour sauver Heewig.
Elle avait parlé d’une voix grave et presque douloureuse dont l’accent frappa les trois camarades. La jeune Centaurienne se pencha vers elle, lui prit impulsivement la main.
— Sauver Heewig? Que veux-tu dire?
— Il est temps maintenant que toi et tes amis connaissiez la vérité. Oui, notre planète est en train de mourir et notre race sur le point de disparaître. Nous le savions depuis longtemps mais nous ne voulions pas y croire, nous nous refusions à prendre les mesures nécessaires, à appliquer les remèdes indispensables. Nous étions trop imbus de notre supériorité, trop orgueilleux de notre civilisation. Maintenant, c’est trop tard...
— Le déséquilibre des sexes entraînant une chute démographique irréversible?
— Non. Notre nombre était devenu certes très restreint mais il s’était stabilisé et cela pouvait durer encore très longtemps. Jusqu’au moment où nous aurions trouvé le moyen de modifier efficacement la formule chromosomique de nos cellules reproductrices ou bien d’arriver à une véritable parthénogenèse et donc à un nouvel accroissement de population dans un système social qui n’aurait pas été tellement différent de celui que nous connaissons actuellement. En fait, c’est notre science, notre technologie dont nous sommes si fières qui nous tue. C’est nous qui avons construit de notre propre cerveau et de nos propres mains l’art de notre destruction. La pollution! Notre industrie, nos machines, nos engins ont empoisonné notre milieu, souillé l’eau, brûlé le sol, décimé la vie animale, rendu toxique notre atmosphère. Le taux de radioactivité ambiante atteint le seuil mortel et pour finir, les réacteurs de nos avions stratosphériques ont réussi à neutraliser en partie la couche d’ozone en haute altitude. Les rayons ultra-violets pleuvent sur nous. Pour abréger l’histoire de la dernière décade, sachez qu’il n’y a plus qu’une dizaine de milliers d’habitantes sur notre planète, toutes concentrées dans une seule ville édifiée sous un globe protecteur qui la préserve du rayonnement mortel. L’atmosphère y est conditionnée, l’eau régénérée, la nourriture assurée par des cultures hydroponiques et des protéines de synthèse. Tout le reste est pratiquement un désert. Le dernier lambeau de la race heewigienne sous un dôme de cristal pareil à la ruche dont Ava parlait tout à l’heure mais les abeilles ne peuvent plus s’envoler. Elles sont en cage et un être, même humain, ne peut exister longtemps dans une cage. Je veux les libérer.
— C’est donc la raison de ton voyage? fit Jorge. Découvrir une planète intacte et y transporter ton peuple pour qu’il y retrouve des conditions normales?
— Oui. Un monde neuf où nous pourrons nous implanter et tout recommencer en évitant les erreurs qui nous ont conduites à notre perte. La première idée était de trouver une planète vierge, toutefois nous ne nous dissimulons pas les extrêmes difficultés auxquelles nous nous heurterions; ce serait vraiment une régression totale, il nous faudrait repartir de zéro; lutter contre les dangers de toute sorte, défricher, et nous sommes si peu nombreuses... Seules et sans aide, au milieu d’une nature étrangère et hostile, nous risquerions de succomber avant d’avoir pu dominer notre nouveau milieu et nous n’aurions fait qu’ajouter un échec à un autre échec. Cependant, lorsque j’ai réalisé que nous avions émergé au sein d’une race analogue à la nôtre, possédant une civilisation très avancée et qui par surcroît était capable de se déplacer d’étoile en étoile et possédait donc la clef d’une véritable expansion, j’ai imaginé qu’elle pouvait nous aider. Nous vous avons d’abord étudiés pendant quelque temps puis vous connaissez la suite. Shô a intégré votre langage pour faire plus complètement connaissance avec vos mœurs. C’est elle qui, raisonnant à partir de votre système économique dans lequel le principe des échanges production-consommation semble jouer le principal rôle, a proposé que le premier contact soit établi avec vous sur le plan commercial. Nous avons cherché ce que nous pouvions vous offrir qui représente pour vous une valeur suffisante pour vous intéresser. Ce n’était pas facile, car vous avez déjà tant de choses... Mais votre T IV est un tel carrefour entre l’industrie et la prospection que nous avons pu constater entre autres que vous ne connaissiez pas encore la métallurgie de l’osmium alors que chez nous c’est une technique déjà ancienne parce que cet élément est abondant dans notre sous-sol. Ce que vous appelez nos nefs de bronze, c’est un alliage à haute teneur d’osmium; nous pourrions espérer l’occasion de rendre les coques de vos vaisseaux réellement indestructibles.
— Qui a façonné l’oiseau? interrompit Ava.
— Shô. Elle a de très grandes qualités artistiques, n’est-ce pas? Mais c’est Ogounh qui l’a coulé, il connaît tous les secrets des métaux et tu peux être sûre qu’il les dévoilera sans restriction si le Trust que vous représentez tous les trois accepte le contrat.
— Et quel serait notre apport dans ce contrat?
— Il est simple ou du moins je souhaite ardemment que vous le trouviez tel. Nous admettre dans votre Expansion et nous aider à notre première installation. Ici, avec les trois nefs spatiales dont nous disposons, plus encore la vôtre si vous le voulez bien, nous évacuerons nos compatriotes de la Cité et nous les transporterons dans Eeyo; la place est suffisante pour les contenir toutes avec certes un peu d’inconfort mais ce ne sera que pour un temps limité. Puis l’astéroïde refera le voyage vers votre galaxie pour se retrouver dans la ceinture de T IV. Vous désignerez vous-mêmes la planète qui pourra nous accueillir dans votre secteur mais naturellement sans que cela cause le moindre désagrément à votre propre organisation stellaire. Nous serions simplement considérées comme une colonie de plus dans votre Fédération. Pour finir, vous mettriez à notre disposition deux ou trois grands cargos, juste pendant le temps nécessaire pour nous y déposer toutes ainsi qu’un minimum de matériel destiné à compléter le nôtre pour notre première installation. Nous nous y trouverons peut-être dans des conditions difficiles mais nous serons sûres d’en sortir, parce que nous saurons que nous ne serons plus seules dans le Cosmos. Nous pourrons produire, commercer avec vous...
— Ce n’est que cela? fit Jorge. Nous ne pouvons répondre de ce qu’en pensera Sandra, notre patronne sur le plan du Kraft, puisque nous ne pouvons nous mettre en liaison avec elle au travers de l’océan intergalactique, mais nous, personnellement, nous acceptons de grand cœur et cela suffit, car après tout, il s’agit d’un sauvetage et la loi universelle condamnerait quiconque se refuserait à porter secours à une race en péril. Embarquons votre peuple et partons. Si notre P.D.G. renâclait, il ne manque pas d’autres trusts dans les Planètes Unies et, au besoin, nous alerterions l’opinion publique et nous agirions directement sur le Gouvernement fédéral. Tout ira bien, je vous le jure, Heewig sera sauvée.
— Tu ne peux savoir le soulagement que tes paroles me causent, cher Jorge! Je veux tout de suite apporter la bonne nouvelle dans la Cité. Nos communications radio sont déficientes à cette distance, accepterais-tu de nous emmener tout de suite sur Heewig? Ta nef est beaucoup plus rapide que les nôtres qui sont du reste inactivées pour le moment et qui exigeront deux jours pour être remises en état de naviguer. Vous recevrez un magnifique accueil...
***
Il allait de soi que les compagnons ne demandaient qu’à satisfaire leur hôtesse, ils étaient en outre poussés par l’intense désir de faire enfin connaissance avec un but si longtemps mystérieux. Sans attendre davantage, l’Erika retraversa le triple sas du grand tunnel, émergea à la surface de l’astéroïde et mit le cap vers l’orbite intérieure sous l’accélération maximum. Le trajet ne demanda que quatre heures au cours desquelles la conversation fut peu animée et coupée de longs silences. Tous, à différent titre, étaient impatients d’arriver. Bientôt la planète grandit dans les écrans et suivant les indications topographiques fournies par Ogounh, Théodore corrigea la parabole d’approche pour atteindre directement le site de la ville. Le vaisseau aborda l'atmosphère, quelques minutes s’écoulèrent puis, soudain, la voix du maître-ordinateur s'éleva.
— Vous signaliez bien une dégradation avancée de la couche d’ozone?
— Oui.
— L’information me paraît inexacte. Je viens de la traverser et mes analyseurs ont enregistré une teneur normale en O2.
— Ce n’est pas possible ! s’exclama le Heewigien. Le chiffre était tombé aux trois dixièmes de sa valeur!
— Je ne fais que constater...
Le sol approchait rapidement et ce fut alors au tour de Rann de pousser un cri d’étonnement.
— Cette couleur!... On dirait que toute la plaine est recouverte de végétation alors que c’est un désert ! C’est bien chez nous, pourtant, je reconnais le profil des montagnes...
L’ultime plongée verticale s’effectua, le vaisseau freinant seulement sur les derniers cinquante mètres pour venir effleurer délicatement le sol et s’immobiliser. Tous les écrans de vision extérieure étaient activés et, devant eux, les six passagers se tenaient figés, muets, paralysés de stupeur. Le grand dôme de la Cité était bien là, à trois cents mètres dans leur axe mais ce n’était plus un dôme. C’était une structure effondrée, écroulée en une masse informe, un vaste enchevêtrement de débris de cristal et de poutrelles rongées de rouille. Une ruine dévastée sous laquelle ne s’abritait certainement plus la moindre trace de vie...