CHAPITRE VIII
Il faut reconnaître que le chef inspecteur ne profita pas de l’occasion pour se venger des ironiques leçons que lui avait assenées Aldren. Car enfin, si ce dernier lui avait reproché de n’avoir pas vu ce qu’il avait vu lui-même, Karyl pouvait maintenant s’étonner à bon droit et tout aussi sarcastiquement que ce fameux cadavre qu’Aldren et Vancia prétendaient avoir découvert ne soit plus là pour servir de preuve à leurs dires. Qui mentait et pourquoi ? Du reste il paraissait plutôt intrigué par ce nouveau problème, et ce ne fut qu’après avoir rampé sous le bateau et tourné à plusieurs reprises autour des ruines dans une vaine recherche de traces susceptibles de jeter une lueur sur le mystère qu’il avoua ne plus rien comprendre. Non moins perplexe, le commissaire s’efforça de résumer la situation sous la seule forme admissible : un ou plusieurs individus non identifiés se promenaient à leur guise dans ces forêts sauvagement vierges et situées aux cinq cents diables de toute habitation et de toute route. Ils avaient assisté au premier atterrissage de la jeune fille et, immédiatement après, s’étaient amusés à mettre le feu à l’abri de pêche. Puis ils avaient attendu patiemment qu’elle revienne en compagnie des deux détectives, profités d’un moment propice pour, primo, sidérer Karyl, l’embarquer dans le rov préalablement programmé pour effectuer un long crochet avant de regagner le terrain. Secundo, planter dans les décombres un cadavre non moins inconnu qu’eux-mêmes. Tertio, revenir un peu plus tard le chercher pour l’emporter ailleurs. Dans leur idée, ces bizarres manœuvres avaient peut-être une raison d’être mais de son point de vue à lui, Nils, c’était probablement démentiel. Même si cet introuvable Max Jensen était dans le coup, ça pourrait à la rigueur expliquer le fait que sa sœur n’ait pas été incluse dans l’hécatombe, mais pour ce qui était du reste, ça ne tenait pas debout. En tout cas la solution, si elle existait, ne se trouvait certainement plus ici, au bord de ce lac perdu dans la solitude du Quaternaire. Tout était à reprendre à partir de zéro…
— Je regagne mon bureau, mon travail m’attend. Je vous ramène, à moins que vous désiriez rentrer à pied. Ensuite vous ferez ce que vous voudrez, c’est votre affaire. Mais ne me dérangez plus aussi longtemps que vous n’aurez pas quelque chose de sensé à m’offrir…
Nils avait parfaitement raison, l’affaire devenait bien trop extravagante pour qu’un bureaucrate de haut grade perde une partie de son temps précieux à la suivre personnellement ; le grand patron de la Protection Civile a pour mission de s’occuper de choses sérieuses, solidement construites et étayées par des preuves matérielles, pas de fariboles, d’incendies sans incendiaires, de cadavres baladeurs, de policiers endormis sans motif visible, d’avions qui volent en zigzag uniquement pour empoisonner un honnête fonctionnaire. Aldren s’abstint de lui faire remarquer que pour une fois où il avait exigé de procéder en personne à une descente de justice, il avait été incapable d’apporter une contribution utile et qu’il valait mieux en effet qu’il s’abstienne de se mêler du travail subalterne des enquêteurs. D’ailleurs, le sien de travail était d’apposer sa signature sur un dossier et, pour le moment, le seul qui se trouvât dans son tiroir était clos : Waldo était mort accidentellement, Max Jensen ne pouvait même pas être porté disparu puisqu’il était libre de ses actes et avait bien le droit d’aller se promener à l’autre bout de la Galaxie si ça lui faisait plaisir. Quant à cette fumeuse histoire de cabane, ça se passait en dehors de la juridiction anésienne, dans la jungle du Quaternaire… L’agent spécial s’inclina poliment, quitta le bureau en compagnie de Vancia et de Karyl.
Ils regagnèrent tous trois le district central, déjeunèrent ensemble en bavardant à bâtons rompus de n’importe quoi sauf de ce qui concernait l’affaire Waldo, puis se séparèrent.
Karyl regagna ses pénates pour réfléchir à son aise sur la carte du secteur des lacs.
— On retourne là-bas ? proposa impulsivement la jeune fille dès que le chef inspecteur les eut quittés.
— Pour quoi faire ? Recommencer à fouiller le sol à la loupe à la recherche de traces de pas que nous n’aurions pas encore remarquées ? Rentrons tranquillement dans ta belle villa et attendons. Karyl ne veut pas en avoir l’air mais il est horriblement vexé et il va se creuser le crâne jusqu’au pharynx pour en faire sortir une idée géniale. Peut-être la même que la tienne, qui sait, mais accompagnée d’un plan rationnel. C’est son boulot, après tout…
Il était possible que la jeune fille n’ait suggéré une nouvelle excursion jusqu’au lointain chalet caché sous la verdure que pour y retrouver la merveilleuse solitude à deux, mais la topographie éclatée d’Anésia était calculée pour donner la même sensation d’isolement à chaque citoyen. Bien sûr, le plus proche voisin n’était qu’à deux kilomètres au lieu de deux cents et il y avait aussi un téléphone raccordé au réseau, toutefois une nouvelle absence sans laisser d’adresse aurait pu être défavorablement interprétée cette fois.
Le premier de ces deux inévitables désagréments de la civilisation moderne se manifesta du reste presque aussitôt sous la forme d’une visite de Borgar. Heureusement elle fut très brève : il était simplement venu au hasard en espérant les trouver chez eux et ne voulait que leur demander s’ils étaient bien installés et ne manquaient de rien, sinon il se ferait une joie de leur rendre service. Pour se faire pardonner, il apportait à Vancia un très beau lépidoptère, un Danaus Plexipus qu’il déposa sur le coin de la table avant de repartir discrètement.
Le second, le téléphone, intervint sous la forme d’un bourdonnement feutré qui résonna dans la chambre où les amoureux s’étaient réfugiés. Aldren tendit le bras, enfonça la touche.
— Ici Karyl. Je vous dérange ?
— Par pure coïncidence, non ; nous songions justement à descendre préparer une tasse de thé. Vous avez découvert quelque chose ?
— Rien de positif. Mais peut-être le moyen de provoquer un fait nouveau qui nous donnerait une chance de repartir sur le sentier de la guerre. J’ai repris un par un tous les éléments dont nous disposions et j’arrive à la conclusion que, malgré l’opinion de Nils, c’est là-bas, au bord du lac, que se trouve sinon la solution, du moins la possibilité de raccrocher. Mais avant tout il est indispensable que vous soyez tout à fait franc avec moi. Après mon enlèvement, et quand vous êtes restés seuls pendant vingt-quatre heures, avez-vous réellement passé la nuit blottis frileusement auprès du feu de camp ?
Aldren regarda Vancia, la vit hausser les épaules d’un air fataliste. Évidemment il faudrait bien tôt ou tard dire la vérité…
— Non, mon vieux, l’endroit aurait été bien trop froid et humide pour y faire l’amour après le coucher du soleil. Vous avez deviné juste. En réalité nous avons fait travailler nos petites cervelles : la cabane n’étant qu’un simple abri de pêche, ça ne pouvait pas être la vraie résidence secondaire de Waldo. Comme par surcroît la balise ne se trouvait pas à côté mais au sommet de la colline, nous avons exploré l’autre versant. Nous avons trouvé le véritable chalet, une grande et très confortable habitation en tout point digne d’un célèbre physicien.
— Et vous avez tu l’existence de ce domicile écologique que je cherchais vainement à situer ?
— Liberté individuelle, mon cher, surtout quand il s’agit d’une nuit de noces… Mais vous allez certainement me dire que nous aurions pu au moins nous servir du radiotéléphone pour signaler notre trouvaille ? C’était hélas impossible, le power-block d’alimentation avait été enlevé. Peut-être tout simplement parce qu’il était à plat et qu’il fallait le recharger ? Tout ce que je peux vous dire c’est que nous avons fait un dîner aux chandelles et qu’ensuite nous n’avions plus tellement besoin de lumière…
— Je comprends… De toute façon, ce que vous venez de consentir à me révéler donne toute sa valeur à l’idée qui m’est venue. M’autorisez-vous à venir vous rendre visite tout à l’heure ?
— Dès l’instant où nous sommes prévenus et aurons le temps de reprendre une tenue décente, pourquoi pas ! Vancia préparera trois tasses de thé au lieu de deux…
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Karyl fut accueilli avec cordialité par un couple correctement vêtu ; la liberté individuelle s’arrêtant là où commence celle d’autrui, il en résultait qu’un attentat à la pudeur aurait été illégal, sauf accord préalable des parties en présence. Le thé était servi, les alcools aussi, la cave de Waldo était bien garnie. Cependant le chef inspecteur ne perdit pas son temps en rituelles politesses.
— Voici ce que j’attends de vous, si vous êtes d’accord, bien entendu. L’après-midi n’est pas encore terminé ; le soleil ne se couchera pas avant deux bonnes heures. Dix minutes de ramp pour rejoindre la station centrale du réseau urbain, dix minutes d’air-car jusqu’au parking des rovs, quinze minutes pour refaire encore une fois le trajet jusqu’aux lacs. Trente-cinq minutes au total ; vous avez donc tout le temps de vous préparer et arriver là-bas avant la nuit.
— Ça laisse même celui de cueillir dans les bois quelques poignées de framboises et de les rapporter ici pour le dîner, sourit Aldren. À moins que vous ayez une bonne raison pour nous engager à passer à nouveau la nuit dans la nature ?
— Je n’aurais pas osé le faire si vous ne m’aviez pas confirmé la présence d’une véritable habitation derrière le promontoire. Je reconnais que je me doutais un peu que vous n’aviez pas fait du camping en plein air ; la faune sauvage compte pas mal de prédateurs dont certains sont de bonne taille. Pour les tenir à distance respectueuse, vous auriez été obligés d’entretenir un grand feu jusqu’à l’aube. Il est difficile de s’occuper sans relâche à ramasser du bois, l’empiler, alimenter le foyer et trouver quand même un moment de répit suffisamment long pour d’intimes rapprochements. D’autre part, moi aussi j’avais été frappé par la vraiment trop restreinte superficie de la cabane dont le hors-bord occupait une bonne moitié de l’espace libre ; ça ne pouvait pas être une résidence pour un homme aussi riche que Waldo, mais seulement une annexe. La vraie maison devait se trouver dans les parages.
— Pourquoi n’avez-vous pas exposé cette conclusion devant Nils ?
— Pourquoi ne l’avez-vous pas fait non plus ? Ne commençons pas à nous chamailler, je vous prie, l’important est que nous tombions maintenant d’accord. Puisque le véritable chalet existe et puisqu’il est évident que Max Jensen doit le connaître, il constitue un élément capital. Refuge ou point de ralliement éventuel, peu importe ; c’est autour de lui que tout tourne actuellement.
— En somme, vous voulez que nous y revenions pour jouer le rôle de la chèvre attachée au piquet afin d’attirer le tigre ?
— N’allons pas si loin ! D’abord il est indéniable que l’on ne vous veut pas de mal, sinon pourquoi serais-je tombé seul dans le piège qui m’était tendu ? Il était tellement facile à mon agresseur d’attendre que vous redescendiez de la colline et vous endormir de la même façon ; il se débarrassait des trois curieux du même coup. Au contraire, non seulement on vous a laissés tranquilles, mais on a pris bien soin que l’opération se passe hors de votre vue. Ensuite vous pouviez conclure, soit que je vous avais abandonnés, soit que j’avais été mis hors circuit contre mon gré ; de toute façon, vous deviez trouver un abri avant que Nils ordonne les recherches le lendemain. Vous n’avez pas manqué de les effectuer – l’emplacement de la balise était un excellent repère – vous avez découvert le chalet comme prévu. N’est-il pas clair que tout cet enchaînement a été monté par Max ? C’était une façon de vous fixer un lieu de rendez-vous commode quand il le jugerait bon. Ne me dites pas que vous n’avez pas eu la même pensée vous aussi, Aldren ?
— Ce n’est pas exclu. Mais pourquoi n’est-il pas venu nous rejoindre le même soir ?
— Il fallait vous laisser le temps d’explorer les environs. Après il faisait nuit et le terrain n’est guère favorable à la promenade. Quant au lendemain matin, c’était trop tard, les rovs de Nils allaient quadriller la région. C’est bien pourquoi je vous demande d’y retourner seuls et à l’insu même du commissaire. Le champ sera libre pour la rencontre que vous devez souhaiter encore plus que moi.
— Vous en avez de bonnes ! protesta vigoureusement Vancia. Supposez que ce ne soit pas Max qui vienne ? Le cadavre de la cabane n’était pas le sien, donc il y a d’autres personnages dans le coin !
— Un complice éventuel et dont il était bon de se débarrasser… Max l’a planté dans les décombres pour nous dérouter et ensuite il a été le jeter dans le lac pour nous intriguer davantage. C’était aussi une façon de vous faire comprendre qu’il avait déblayé le chemin. En tout cas, à l’intérieur du chalet bien fermé, vous ne risquerez pas de surprise désagréable. Max saura se faire reconnaître, et si par invraisemblable ce n’était pas lui… Vous êtes armé, Aldren ?
— Non. Je n’aime pas m’encombrer et ça déforme les poches.
— Voici mon propre pistolet, prenez-le. C’est un thermique. Tant pis pour celui qui se trouvera dans la ligne de mire, ce n’est plus le moment de plaisanter. Si l’intrus n’est pas Max – ou Waldo lui-même, allez savoir… – tirez d’abord, faites les sommations ensuite. Et appelez-moi, j’arriverai à Mach 3.
— Par radio ? Il n’y a pas de courant…
— Suis-je bête, j’allais oublier ! Je vous ai apporté un power-block d’alimentation tout neuf, vous n’aurez qu’à le brancher. Lumière, conditionnement d’air, eau chaude, vous aurez tout le confort aussi bien qu’ici. Je vous ai même préparé un stock de boîtes de conserve ainsi que quelques bouteilles dans le cas où vous devriez attendre deux ou trois jours…
Après quelques hésitations la jeune fille se déclara d’accord. Aldren lui avait gentiment laissé le soin de décider, quitte à faire acte d’autorité si sa réponse avait été négative. L’idée de Karyl était trop intéressante pour ne pas l’adopter…
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À bord du rov de Waldo, le couple se posa sur la plage du bout du monde avant le coucher du soleil ; le minutage du chef inspecteur avait été d’une remarquable précision. Ils reprirent allègrement possession du chalet, raccordèrent les fils du disjoncteur au power-block, vérifièrent le bon fonctionnement de l’installation ainsi que celui du radiotéléphone. Portes et volets étaient munis de solides verrouillages magnétiques ; on pouvait dormir tranquille. Du reste il ne s’agissait pas tellement de dormir. Adam et Ève avaient regagné le Paradis terrestre des premiers âges pour y renouveler l’éternelle séquence du péché originel. Sans être davantage dérangés dans le cours de cette passionnante occupation que la première fois. Personne ne vint frapper à la porte…
Il y eut un orage pendant la nuit : un grandiose feu d’artifice d’éclairs accompagné par la basse continue du tonnerre ponctuée de fracassantes décharges de foudre sur fond de crépitants déluges de pluie et de grêle. Vancia et Aldren ne s’en soucièrent que pour mieux se serrer frileusement l’un contre l’autre tout en se confiant que, écologie ou pas, un chalet bien chaud et bien étanche avait quand même du bon. Faire l’amour sur des touffes de gazon à la froide clarté des étoiles est sans doute très poétique mais quand le baromètre dégringole jusqu’à « Tempête », le désir le plus impérieux se recroqueville lamentablement sous la douche glacée. Même si le déluge ne dure qu’une heure ou deux comme ce fut le cas cette nuit, quand les amants ouvrirent les volets dans la matinée, le soleil brillait de toute sa splendeur dans un ciel redevenu bleu.
Aldren utilisa le radiotéléphone pour informer Karyl que tout s’était passé jusqu’alors sans le moindre incident ; il faudrait probablement attendre encore un jour ou deux, pas davantage. Si le contact espéré n’avait pas lieu dans ce délai, l’hypothèse du chef inspecteur serait bonne à mettre au rancart. La communication terminée, il entraîna sa compagne au-dehors pour respirer la vivifiante fraîcheur d’après l’orage. Le rov était toujours là sur la plage ; Aldren en fut soulagé. Selon sa propre expérience, ces engins semblaient avoir de fâcheuses habitudes de s’évaporer tout seuls sans préavis pour réapparaître ailleurs quand et où ça leur plaisait… En tout cas le leur n’avait pas bougé de place, il méritait pour une fois un bon point. Aldren s’en approcha, se pencha dans l’habitacle. Tout paraissait absolument normal : les voyants de contrôle s’allumèrent sans rechigner quand il sollicita la manette du contact général. Personne n’était venu trafiquer l’appareil.
Reprenant pied sur le sol, Aldren s’aperçut que, pendant ce temps, Vancia s’était éloignée vers l’extrémité de la plage. Un simple désir de marcher dans la saine fraîcheur du matin, bien sûr, mais Karyl n’avait-il pas commis exactement la même imprudence lorsqu’il avait quitté le terrain découvert pour aller inspecter de près l’écran opaque des troncs d’arbres ? Saisi d’un obscur pressentiment, il appela sa compagne mais le vent qui soufflait en sens inverse dut empêcher la jeune fille de l’entendre. Il s’élança, se mit à courir pour la rattraper ; il n’était plus qu’à dix mètres d’elle lorsqu’elle se retourna, le regardant venir avec un visage illuminé de joie. Un adorable sourire qui, un dixième de seconde plus tard, se déforma en un effrayant rictus. Les traits de Vancia se crispèrent atrocement, son corps fut littéralement soulevé dans un grand spasme tétanique, retomba inerte sur le sable. Aldren tenta d’accélérer encore sa course pour se porter à son secours mais le second faisceau sidérant le frappa de plein fouet. Il éprouva la fulgurante sensation d’être soudain enseveli par une énorme avalanche noire et silencieuse, un fantastique déferlement de nuit suffocante qui le broyait irrésistiblement, le dissolvait. S’il eut une dernière pensée lucide avant l’anéantissement total, elle exprimait une incontestable vérité : pour un aventurier de sa classe, se faire liquider aussi stupidement qu’un vulgaire Karyl et de la même façon, ce n’était pas seulement impardonnable, c’était un symptôme flagrant de sénilité précoce…
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En tout cas ce triste diagnostic était inscrit dans son cerveau lorsqu’il reprit conscience quelques siècles plus tard. Un réveil excessivement pénible, infiniment plus crucifiant que ne l’avait été l’impact du rayon sidérateur. Tout son corps était douloureux, tous ses nerfs changés en réseaux de flammes dévorantes comme si l’incendie qui les avait calcinés refusait de s’éteindre. Une torture atroce qui ne s’apaisa qu’avec une désespérante lenteur, devint simplement la répugnante impression que des milliers de termites taraudaient sa dépouille du cuir chevelu jusqu’aux orteils. Enfin les voraces bestioles consentirent à cesser de creuser leurs tunnels et à le laisser en paix. Les débris de l’encéphale d’Aldren se reconstituèrent, ses nerfs optiques et ses rétines ressuscitèrent. Il rouvrit les yeux, les referma précipitamment pour les protéger de l’intense éclat solaire, souleva à nouveau les paupières avec une sage lenteur. Tenta ensuite de bouger, y réussit sans trop de mal, se releva. Promena autour de lui un regard d’abord embrumé puis de plus en plus net d’instant en instant.
Il se trouvait toujours sur la plage, à l’endroit même où il était tombé. Quand cela ? Quarante-huit heures auparavant, comme Karyl ? Certainement pas. Les traces de ses pas profondément imprimées dans le sable étaient encore toutes fraîches et humides alors qu’il aurait suffi de moins de deux heures pour qu’elles se dessèchent et s’effacent d’elles-mêmes. D’ailleurs le soleil était encore presque à la même place que lorsque Vancia et lui étaient sortis du chalet. Pourtant c’était bien le faisceau d’un sidérateur qui les avait abattus tous les deux… Vancia ! Il se retourna d’un bloc vers l’endroit où il l’avait vue tomber, serra les dents. Le corps de la jeune fille n’était plus là…
Le choc fit sur Aldren l’effet d’un catalyseur, ranimant complètement ses facultés encore à demi engourdies. Tout s’enchaînait brutalement dans son cerveau. L’image de la chèvre attachée au piquet lui revint ; Karyl avait espéré que, au fond de cette lointaine solitude, Max se déciderait à sortir de son trou pour rejoindre sans risque sa sœur bien-aimée. L’idée était séduisante, malheureusement ce n’était pas lui qui était venu ; c’était, une fois encore, un autre. Un salaud qui, lui, n’était pas guidé par des motifs de sentimentalité fraternelle. Un tueur… Oh, bien entendu, il n’avait sûrement pas abattu la jeune fille pour le compte ! Il était au contraire plus que probable qu’il avait réglé son sidérateur sur intensité minima ; juste ce qu’il fallait pour l’endormir deux ou trois heures, le temps de la transporter ailleurs dans un repaire bien caché. Là, il la réveillerait et il pourrait la questionner tout à son aise. Il y a tant de façons de persuader quelqu’un – une femme surtout – de parler… Car il était hors de doute qu’elle savait quelque chose d’important concernant Max et/ou Waldo ; il y avait trop de trous dans ses confidences, trop d’ombres dans son passé. Ce n’était pas par hasard qu’elle s’était souvenue de l’existence du chalet du lac, elle le connaissait très bien, aussi bien que la villa d’Anésia où elle était entrée tout droit dans la chambre qui avait été certainement celle de Max. Et l’histoire du premier vol du rov ? Enlèvement téléguidé ou pilotage volontaire ?… Maintenant l’autre, le scélérat, allait lui extorquer la vérité. Le tourmenteur n’aurait même pas besoin de se presser, car il était bien tranquille, personne ne viendrait au secours de sa victime. Surtout pas Aldren, puisqu’il l’avait tué !
Les indicibles souffrances de son réveil étaient pour l’agent spécial une preuve irréfutable confirmée par le fait qu’il avait été frappé presque deux secondes après Vancia. Le temps de déplacer le curseur de l’arme jusqu’au secteur rouge : celui où le faisceau devient mortel et tue quasi instantanément par blocage irréversible du centre cardio-respiratoire…
Le piège était remarquablement conçu : non seulement la liquidation d’Aldren éliminait tout risque de poursuite immédiate mais supprimait définitivement le seul témoin de l’enlèvement de la jeune fille. Lorsque Karyl, faute de nouvelles, se déciderait à intervenir sur place et trouverait le cadavre de son partenaire, il accuserait à nouveau Vancia ; elle aurait agi d’accord avec Max pour couper définitivement la piste avant de disparaître avec lui. Sans oublier que, de toute façon, le meurtre d’un étranger n’avait pas grande importance aux yeux des lois anésiennes. Du beau travail en vérité… Presque un crime parfait à un tout petit détail près.
Le meurtrier, quel qu’il fût, ne pouvait en aucun cas savoir qu’Aldren était membre d’un groupe très spécial et excessivement secret dont l’existence n’était connue que de quelques très hauts personnages du gouvernement fédéral. L’équipe des « trouble shooters ». Des spécialistes de l’action directe auxquels on confiait la mission de résoudre les problèmes vraiment délicats et où les représentants officiels de la loi ne peuvent intervenir soit pour des raisons politiques, soit par risque de fuites, soit pour tout autre motif du même ordre. Le « trouble shooter » possède en effet sur le policier classique l’avantage de n’avoir de comptes à rendre à personne ; il peut employer tous les moyens qu’il jugera bon pour atteindre son but, même – et surtout – ceux que la loi réprouve. On lui demande seulement de réussir. S’il échoue, la consigne est de ne pas se faire prendre vivant. Un autre lui succédera sous une autre couverture…
Toutefois, ces agents plus que spéciaux sont réellement et à plus d’un titre des êtres à part. Sélection rigoureuse, formation et entraînement très poussés ne sont que routine indispensable. Mais avant de les lâcher dans la nature, on les a dotés d’un certain nombre de facultés hors-série, tout ce que la chirurgie bionique la plus avancée et la plus audacieuse pouvait leur donner. Greffes d’implants neuroglandulaires faisaient d’eux non de véritables surhommes, mais des prototypes nettement perfectionnés par rapport au classique homo sapiens. Sous trois aspects entre autres : l’accélération des réflexes, l’accroissement des réserves énergétiques et du tonus vital, l’ultra-développement des réactions d’autodéfense de l’organisme.
Ce troisième facteur de progrès biochimique est le meilleur atout dans la vie périlleuse d’un « trouble shooter » ; sans aller jusqu’à le rendre véritablement invulnérable, il multiplie considérablement ses chances de survie. S’il est blessé, l’hémorragie est automatiquement stoppée, les tissus lésés se referment d’eux-mêmes, la cicatrisation s’effectue très vite. Si on verse un poison dans son verre, les implants fabriquent aussitôt l’antidote correspondant, qu’il s’agisse d’une substance ou d’un gaz toxiques, d’une toxine bactérienne ou d’un venin. Lors de toute agression de l’organisme, les processus de neutralisation, d’élimination et/ou de régénération fonctionnent avec une impeccable précision, même dans le cas d’une atteinte directe des cellules nerveuses. Une sidération, par exemple…
C’était là le « détail » que le gars d’en face ne pouvait connaître. Sur Aldren, la dose courante, celle qui endort pour quarante-huit heures, n’aurait entraîné qu’une minute d’étourdissement au grand maximum. Un plongeon dans l’inconscience durant un bon quart d’heure et suivi par un très pénible réveil prouvait sans conteste la volonté de tuer. De se débarrasser définitivement du gêneur et, ça, c’était bien raté. Il ne restait plus pour Aldren qu’à voler au secours de Vancia.
La première impulsion de l’agent spécial fut de bondir vers le rov ; il la repoussa aussitôt : tout le territoire des lacs était recouvert par une forêt épaisse dont les ramures cachaient totalement le sol. Aucune visibilité possible. Pour la même raison, il était inutile d’alerter Karyl, le chef inspecteur ne pourrait rien faire de plus. Dans l’immédiat le mieux était de retrouver les traces de l’agresseur et de les suivre ; l’orage de la nuit avait dû suffisamment détremper le sol pour qu’elles soient visibles, même sous les arbres. Si la piste ramenait vers la cabane détruite et sa prairie, cela signifierait que le ravisseur disposait d’un véhicule aérien et que lui et sa victime étaient désormais hors d’atteinte. Mais l’intuition d’Aldren lui disait que ce n’était pas le cas, ne serait-ce que parce que la séquence s’était déroulée tout à l’autre bout de la plage et qu’il n’y avait sur celle-ci aucune autre empreinte que celles de la jeune fille et d’Aldren.
Il retrouva sans difficulté le lieu de l’embuscade à la lisière des arbres, derrière un buisson ; exactement d’ailleurs comme lors de la disparition de Karyl. Avec la différence cependant que cette fois des marques visibles de pas s’enfonçaient tout droit dans les fourrés, se faufilant entre les troncs et les fougères vers l’intérieur de la masse végétale. Comme il se devait, la piste était double : l’homme était venu par là et il en était reparti de même. Toutefois les secondes empreintes ne recouvraient pas seulement en partie les premières, elles étaient aussi plus profondes : le poids du corps de Vancia s’ajoutait à celui de son porteur. À son tour, il emprunta le même itinéraire ; la végétation était si drue et si serrée qu’il ne pouvait progresser qu’avec difficulté. Il se consolait en songeant que l’autre, encombré par son fardeau, avait dû avancer encore plus lentement. Ce rebutant parcours dura près d’une vingtaine de minutes pour une distance de cinq cents mètres au grand maximum ; Aldren commençait à s’inquiéter. L’adversaire n’allait quand même pas marcher pendant des heures dans ces conditions ! Évidemment il se croyait sûr de ne pas être poursuivi mais, même s’il était d’une force herculéenne, il devait commencer à être à bout de souffle. Il avait certainement dû partir d’un point précis et qui ne devait plus être très loin…
À trois minutes seulement… D’un seul coup, les arbres s’espacèrent quelque peu, un rayon de soleil filtra, Aldren déboucha dans une clairière. Toute petite, un simple affleurement rocheux d’une dizaine de mètres sur lequel les arbres n’avaient pu prendre racine ; la forêt reprenait ses droits une dizaine de mètres plus loin. En tout cas, aucun rov n’avait pu atterrir là, les branches qui surplombaient de tous côtés laissaient entre elles trop peu de place, même pour des manœuvres verticales, leurs extrémités auraient été hachées au passage et elles étaient intactes. Par contre sur le plan horizontal, il y avait comme une légère trouée sur la gauche et, juste en dessous, une nouvelle éclaircie. Le lit d’un ruisseau assez large encombré de cailloux, un torrent qui devait le plus souvent être à sec car, malgré l’averse diluvienne de la nuit, l’eau boueuse qui coulait entre ses bords n’était qu’une mince nappe de moins de vingt centimètres. Même pas suffisante pour avoir effacé la double trace parallèle des chenilles.
Tel avait donc été le moyen d’approche du ravisseur. Un véhicule tout-terrain à la bonne vieille mode, probablement un petit tracteur forestier à roues articulées actionnant des chenilles à la façon des tanks ou des bulldozers de l’époque héroïque. L’engin passe-partout par excellence, incapable sans doute de se frayer un passage entre les troncs serrés de la forêt, mais le lit d’un torrent presque sans eau devenait pour lui une route carrossable. Pour Aldren également ; il se lança au pas de course vers l’amont sans se soucier des gerbes qui rejaillissaient sous ses bottes en le trempant des pieds à la tête. Non plus de la distance à parcourir, ses implants énergétiques étaient là, greffés à l’intérieur de son corps ; il pourrait courir sans pause pendant vingt-quatre heures s’il le fallait…
Aldren n’eut pas à effectuer un tel exploit, soixante minutes suffirent. Une douzaine de kilomètres au bout desquels il s’arrêta ; le paysage venait de changer. Devant lui un défilé se dessinait, le ruisseau sortait d’une coupure ouverte par l’érosion dans un ressaut du terrain. La hauteur des parois rocheuses latérales était minime : une dizaine de mètres tout au plus et la gorge ne semblait pas se resserrer en largeur. Le passage demeurait praticable. Un instant il fut tenté de continuer par le même chemin, mais son instinct l’avertissait que maintenant le but était tout près. D’autre part les bords supérieurs du défilé se découpaient nettement sur le fond du ciel ; les lisières de la grande forêt s’écartaient de part et d’autre. Grimper jusque-là et suivre l’une de ces crêtes était beaucoup plus tentant ; il se fraya un passage jusqu’à celle de droite, effectua un rétablissement, reprit sa course le long de la corniche aérienne. Quelques moments plus tard il stoppait une seconde fois. Il avait atteint le bout de la piste…
Il se trouvait maintenant devant une grande plate-forme dénudée qui se prolongeait assez loin en s’élargissant : un long replat d’argile rouge couverte d’herbe serrée et de petits buissons. Mais ce détail du paysage n’était que secondaire, ce qui comptait c’était ce qui se trouvait en dessous. Le défilé allait en s’évasant vers l’amont, le ruisseau n’occupait plus qu’une faible moitié du fond, le reste était un banc de gravier à sec s’étendant jusqu’au pied de la barre rocheuse d’en face. Par ailleurs celle-ci, au lieu d’être verticale, dessinait un surplomb prononcé ; sa base était de trois ou quatre mètres en retrait par rapport au sommet.
Le lieu était vraiment bien choisi : tout ce qui se trouvait sous ce toit de roche échappait aux vues aériennes… En l’espèce, le petit tracteur chenillé aux tôles peintes de taches brunes, jaunes ou vertes suivant les règles classiques du camouflage. À côté et à même le sol, Vancia était étendue de tout son long. Près d’elle, un homme accroupi semblait attendre patiemment son réveil. Un homme qui, même dans cette position, avait tout l’air d’un solide gaillard ; sa taille devait dépasser les deux mètres et l’impressionnante largeur de ses épaules laissait penser que le reste était taillé en proportion. La jeune fille n’avait pas dû peser bien lourd pour lui pendant la traversée de la forêt… Toutefois, ce qu’Aldren remarqua en premier lieu fut la couleur des cheveux du malandrin. Noir de jais, comme la touffe retrouvée dans la cabane du lac. Ou bien comme ceux de Borgar ; d’ailleurs la peau du visage était tout aussi basanée, un ton plus foncé peut-être mais très comparable…
Tout en détaillant ainsi la massive silhouette du brigand, Aldren se souvint brusquement du thermique confié par Karyl. Poussé par le désir de rattraper au plus vite le ravisseur de Vancia, il avait complètement oublié son existence et l’avait laissé dans le chalet. Mais ce n’était plus le moment de se désoler, il fallait passer à l’action tout de suite.
Il ramena son regard sur la falaise qui s’ouvrait à ses pieds, repéra un petit entablement deux mètres plus bas, un autre sur la gauche formant un minuscule palier à mi-hauteur, un bec en saillie pouvant à la rigueur servir d’étape intermédiaire pour le reste de la descente. Sauta, rebondit, se raccrocha de justesse, réussit à se rétablir au moment même où le caillou se détachait de la paroi sous le choc. Il s’en fallut de très peu qu’il manquât le troisième point d’appui. Il tenta de l’agripper au passage de ses mains désespérément tendues mais ses doigts ne purent se refermer complètement sur la prise, glissèrent… Pourtant la fraction de seconde pendant laquelle ils avaient tenu avait suffi pour freiner quelque peu la chute et remettre le varappeur en position verticale ; au bout des quatre derniers mètres de la paroi, il atterrit presque correctement dans la pierraille, boula pour amortir le reste de la vitesse acquise, se releva passablement meurtri par les cailloux, mais intact.
La vertigineuse dégringolade n’avait pas duré plus de trois secondes mais l’adversaire semblait avoir lui aussi des réflexes rapides. Il était déjà debout et courait à la rencontre d’Aldren. Sans perdre de temps à se demander comment le mort avait pu ressusciter et réapparaissait ainsi devant lui mais bien décidé à en finir une bonne fois pour toutes. Le « trouble shooter » réussit tout juste à sauter le ruisseau jusqu’à la grève avant la rencontre, le télescopage plutôt : l’antagoniste devait bien peser cent dix kilos et tout en muscles. En tout cas, il ne brandissait pas son sidérateur ; il préférait visiblement s’offrir le plaisir de broyer son adversaire à mains nues.
Pour Aldren c’était une chance ; la rapidité foudroyante de ses réflexes ainsi que la surpuissance musculaire dont il disposait grâce à ses ressources bioniques compenseraient largement la différence de poids. En conséquence, la meilleure tactique consistait à ne pas tenter de bloquer de front l’impact du taureau, mais s’effacer de quelques décimètres au dernier dixième de seconde, pivoter pour rebondir juste derrière l’assaillant et ricocher sur lui à la hauteur des reins. Donner au bolide une impulsion supplémentaire qui s’ajouterait à son élan au lieu de s’y opposer le déséquilibrerait d’autant plus qu’il ne rencontrerait que le vide devant lui. Il basculerait en avant, s’effondrerait, Aldren terminerait sa propre parabole en atterrissant à pieds joints au niveau des vertèbres cervicales du salopard. Pour un « trouble shooter » quasi cybernétique aux prises avec un furieux, ce genre de retournement de la situation était la meilleure méthode ; elle réussissait à chaque coup en mettant un point final à la bagarre avant qu’elle n’eût vraiment commencé. Sauf cette fois-là…
Selon les lois physiques des corps en mouvement l’agresseur aurait dû être incapable de freiner et refaire face avant que la contre-offensive s’abatte sur lui et pourtant il exécuta la volte avec une fulgurante rapidité. C’était humainement impossible, cependant il avait à peine dérapé sur les cailloux ; il s’était vertigineusement retourné d’un bloc et c’était lui qui, maintenant, repartait en sens inverse avec la puissance aveugle d’un bélier.
Stupéfait par cette incroyable réaction, l’agent spécial ne put tenter une deuxième esquive. Un coup de poing assené avec une violence de marteau-pilon l’atteignit à l’épaule et aurait presque suffi à l’envoyer au sol s’il avait été mieux ajusté. Il riposta instantanément par un direct au plexus solaire qui normalement aurait dû être efficace, mais il aurait aussi bien pu s’écorcher les jointures sur un mur de béton. Le challenger ne broncha même pas. Aldren réussit malgré tout à parer un autre coup, un uppercut destiné à lui disloquer la mâchoire mais déjà le géant l’écrasait sous sa masse, le plaquait à terre. Le bloquant entre ses genoux, le ravisseur de Vancia tendit ses mains grandes ouvertes vers le cou d’Aldren qui, par un effort désespéré, réussit à dégager ses bras, à saisir les poignets menaçants pour les repousser en appelant à son aide toute la surpuissance de ses implants énergétiques déversant leurs kilowatts dans ses fibres musculaires. Mais autant aurait valu tenter de repousser les pistons d’une locomotive. Déjà les pouces larges et durs effleuraient ses carotides. En un dernier sursaut, il tourna la tête sur la gauche, aperçut la jeune fille. Elle s’était relevée en ramassant quelque chose, tendait le bras vers les combattants.
Ce ne fut qu’une image fugace qu’il enregistra sans avoir le temps de la vraiment percevoir, il réalisa seulement que l’étau qui se refermait sur lui s’était subitement desserré ; le corps de son adversaire s’alourdissait par contre, devenait une masse inerte, immobile. Aldren le repoussa pour se dégager, se releva à demi hébété, considéra silencieusement la forme inanimée étendue à ses pieds. Il respira profondément, remplissant ses poumons de cet air qui avait bien failli leur manquer pour toujours. Puis il se pencha à nouveau, examina pendant un court instant le crâne de l’homme. Un petit cercle roussâtre au milieu des cheveux noirs avait attiré son attention. Ça ressemblait à une brûlure… Au-dessous, la peau était carbonisée sur quelques millimètres autour d’un minuscule trou noirâtre perforant l’os. Aldren se redressa à temps pour refermer ses bras sur la blonde jeune fille qui venait de se précipiter sur lui.
— Que j’ai eu peur, mon chéri ! Je commençais à peine à reprendre conscience quand je t’ai vu tomber du sommet de la falaise ! Et cette espèce de brute qui fonçait sur toi ! Il allait te tuer !
— Tu as donc voulu me sauver, mon amour ?
— J’ai vu par terre près de moi son pistolet sidérateur ; il avait dû le poser pendant qu’il s’efforçait de me ranimer. Je l’ai pris et j’ai tiré. Je risquais de t’endormir en même temps que lui, mais ce n’était pas grave. Je l’aurais achevé en lui brisant le crâne avec le premier caillou venu et j’aurais attendu que tu reviennes à toi…
— Bien raisonné pour une petite fille qui vient tout juste de rouvrir les yeux et qui se retrouve dans un endroit totalement différent de celui où elle s’est endormie… Fais voir ce pistolet.
Elle le tenait encore dans sa main, le lui tendit. Il ne fit qu’y jeter un coup d’œil avant de le fourrer dans sa poche. Le curseur de l’arme était au zéro et le levier de sécurité était bloqué. De toute façon les effets d’une arme neurolytique ne sont vraiment pas du tout comparables à ceux d’un thermolaser…