10. Un m’éternel amour
jalons et portraits 10
UN M’ÉTERNEL AMOUR
Nue : étendue sur le divan, les cheveux teints de ce bronze à la mode réputé si bien lui aller, le corps en grande partie protégé par un écran du regard de la caméra du vidéophone, mais nimbée de la lumière bleutée des lampes à bronzer, Sasha Peterson ne paraissait pas ses quarante-quatre ans. Suffisamment bien en chair pour que ses épaules, ses seins aux mamelons incarnats, son ventre souligné d’une toison de la couleur de ses cheveux (ne jamais rien laisser passer ne jamais jamais jamais manquer le dernier truc) restassent d’une ferme élasticité, elle pesait un peu plus qu’elle aurait dû, mais pas assez pour s’en inquiéter.
« Pas exactement convenable », dit-elle. « Bien sûr, Philip a été contrarié, quand je le lui ai dit, mais je ne crois pas qu’on puisse avoir de secrets entre mère et fils. Ce sont les relations les plus intimes qu’on puisse avoir, tu comprends ? Quand j’ai quelque chose sur le cœur, il faut que j’en parle et, bien sûr, j’attends de Philip qu’il fasse la même chose. Un instant, Alice, excuse-moi. Chéri ! »
Philip, habillé des pieds à la tête de ces vêtements désuets qui plaisaient à la jeunesse de la précédente décennie, était assis dans un fauteuil de l’autre côté de la pièce. Il leva la tête. C’était un jeune homme d’une vingtaine d’années, vigoureux et affligé de boutons dont les traitements dermatologiques les plus modernes n’avaient pas eu complètement raison.
« Verse-moi un autre verre, veux-tu ? »
Une main impeccablement onglée de vernis chromé tendit un verre vide, un verre ancien dont le cristal taillé captait et réfractait en lueurs diamantines la lumière des lampes à bronzer.
« Tu permets que je m’en prépare un, aussi ? »
« Non, chéri. Tu en as déjà bu un, et tu n’es pas, comment dirais-je, endurci comme ta vieille maman, tu comprends ? » Et tandis qu’il prenait le verre tendu : « Je veux dire que je ne crois pas qu’à l’avenir nous reverrons Lucy. C’est dommage, parce que d’un certain côté c’était vraiment une gentille fille, et on ne peut pas dire qu’elle ne soit pas intelligente. Mais elle est, disons, pour ne pas être méchante, un peu commune, tu ne trouves pas ? Elle a presque trois ans de plus que Philip, et je trouve que cela fait une différence tellement énorme, à cet âge, tu ne trouves pas ? Enfin, toute proportion gardée, par rapport à Philip qui n’a que vingt ans. Ah, merci des millions de fois, mon chéri ! » Avant de prendre son verre et de le poser, elle caressa d’une main les cheveux de son fils qui se penchait au-dessus d’elle.
« Et pendant que tu es debout, mon sucre, allume-moi une autre Bay Gold, veux-tu ? Et fais bien attention à ne pas avaler la fumée en l’allumant. »
Philip traversa la pièce, ouvrit la boîte à joints, en prit un, l’alluma et aspira la première bouffée d’un air soigneusement dégoûté.
« Il va falloir que je me débrouille toute seule ce soir, oui, il va voir, tu sais, ce gentil garçon, oui, Aaron, qui était dans la même classe que lui quand il était en… Mon Dieu, mais il est temps que tu partes, mon petit four ! »
« Si tu permets. »
« Mon Dieu, mais oui, bien sûr je permets ! Mais rentre le plus tôt possible, veux-tu ? » Elle prit le joint dans ses griffes métalliques. « Dis au revoir à ta vieille maman, et n’oublie pas : mon meilleur souvenir à Aaron. »
Smack-smack.
« Ah, Philip, tu es le petit garçon de ta maman, n’est-ce pas ? À tout à l’heure. Oh, à propos, Alice, c’est pour ça que je t’appelais : il me semble que je me rappelle que tu m’avais dit que tu connaissais quelqu’un au Ministère, et qui avait arrangé les choses quand le petit des Wilkin avait reçu sa feuille de route. Et voilà, ça nous est arrivé, c’était inévitable, et bien que ce soit complètement idiot, je me demande si en fin de compte… »
« Oui, Sasha », dit Philip, en réponse à la question qu’elle avait oubliée depuis longtemps.