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Mercredi 12octobre, Oh30

 

 

Minuit avait sonné depuis une demi-heure lorsque Steven se glissa dans la chambre d'amis qu'occupait Jenna. Il referma doucement la porte derrière lui. Jenna était au lit en train de lire. Elle releva la tête en sursaut, avant de se rendre compte que c'était lui et qu'il n'y avait aucun danger.

— Ne refais jamais ça, murmura-t-elle avant de se détendre. Tu m'as fait une de ces peurs... Alors, toi non plus, tu n’arrives pas à dormir ?

Il s'assit sur le lit.

— Je pensais à toi... J'avais envie de te toucher...

Il lui caressa le bras et ajouta :

— J'avais besoin de te toucher.

— Je me sens bien, dit-elle doucement. Très bien.

— Je sais.

Elle lui prit la main et la porta à ses lèvres.

— Qu'est-ce qui s'est passé, Steven ?

Il ne pouvait pas tout lui confier, ce qui l'aurait pourtant aidé à effacer les visions terrifiantes qui le hantaient. Il se laissa caresser la joue, puisant du réconfort dans le doux contact de la peau de Jenna.

— Je n'avais encore jamais vu une scène de crime aussi atroce, dit-il d'une voix tremblante. Oh, mon Dieu, Jenna...

— Je suis désolée. Pour toi... Pour les parents de cette fille...

— Et pour la prochaine victime...

— Non, tu attraperas le tueur avant !

Il secoua la tête, essayant une fois de plus de rassembler tous les morceaux du puzzle dans sa tête. Mais il n'arrivait pas à réfléchir. Il prit le livre qu'elle lisait et trouva la source de distraction qu'il recherchait.

— Tu lis Les aventures du capitaine Slip ?

Il se mit à rire.

— Mais pourquoi lis-tu ça ?

— Pour essayer de m'endormir. Mais ça ne marche pas.

Elle lui effleura les lèvres du bout des doigts.

— Est-ce qu'il y a quelque chose que je puisse faire pour apaiser tes angoisses, Steven ?

Il déposa un baiser sur sa joue.

— Oui.

— Quoi ?

— Faire l'amour avec moi.

— Tu n'as pas besoin de demander.

Alors il lui prit la tête entre ses mains et la regarda dans les yeux. Ils brillaient de désir. Pour lui.

— Ce soir, je veux faire l'amour lentement et tendrement, comme nous ne l'avons encore jamais fait.

— Steven, je...

— Chut...

Il lui ôta sa chemise de nuit et se colla délicatement contre elle, la couvrant de tout son corps. Il l'embrassa doucement, paresseusement. Comme si ce baiser allait durer toute la nuit Elle se cambra et écarta les cuisses, s'offrant à lui.

— Non, dit-il. Pas aussi vite. Pas ce soir...

Sa langue parcourut le cou de Jenna, évitant le pansement Puis il lui embrassa la gorge, couvrit de baisers un sein puis l'autre, les lécha longuement, s'en délecta autant qu'elle s'en délectait. Au bout de quelques minutes, Jenna se tortillait, se cambrait. Ses tétins humectés par la langue de Steven se dressaient, durcis par le désir.

Il leva la tête et vit qu'elle le fixait amoureusement de ses yeux devenus presque noirs tant ses pupilles étaient dilatées.

— Steven commença-t-elle d'un ton suppliant.

Mais il l'interrompit tout de suite.

— Chhhuttt... Laisse-moi t'aimer, Jenna.

Il entreprit de lui embrasser le ventre, descendant peu à peu plus bas. Parvenu à sa petite culotte, il mordit dans la dentelle et frotta son menton contre son pubis.

— Steven, je t'en supplie..., haleta-t-elle.

Puis elle émit un gémissement sourd, presque imperceptible, lorsqu’il se mit à lécher la chair rose au travers de la dentelle. Elle mouillait déjà abondamment, ce qui augmenta d'autant plus l’excitation de Steven. Mais il se contint et continua de lui embrasser doucement le sexe. Elle gémit un peu plus fort et agrippa la couverture. Il se détacha de quelques centimètres pour pouvoir faire glisser la petite culotte le long de ses jambes interminables.

Et elle se retrouva toute nue.

Toute à lui.

Il prit son temps, léchant les lèvres humides de son sexe, y dardant sa langue affamée, suçant son clitoris jusqu'à ce qu’elle se cabre en gémissant de plaisir pour mieux coller son sexe contre sa bouche. Mais il ne voulait pas que cela se termine aussi vite. Alors que les fois précédentes leurs ébats avaient été explosifs et passionnés à l'extrême, ce soir il voulait aller plus loin. Il voulait rendre hommage au corps qu’il vénérait, à la femme qu'il adorait. D'une main douce mais ferme, il lui plaqua les reins contre le matelas et cessa de remuer sa langue pendant quelques instants délicieux avant de se remettre à sucer le petit bouton rose jusqu'à ce qu'elle inspire profondément et que son corps se tende en vibrant de plaisir.

Elle poussa un cri de jouissance qu'elle dut étouffer de la main pour ne pas réveiller toute la maisonnée.

Il embrassa alors plus doucement les replis humides et moelleux de sa chair qui frémissaient encore à la suite de l'orgasme qu'il lui avait prodigué. Puis il s'agenouilla sur le lit pour contempler son visage.

Elle était si belle... Et elle était à lui.

Cette nuit. Et pour toujours.

Les seins de Jenna se soulevaient tandis qu'elle reprenait lentement son souffle, une main encore crispée sur la couverture froissée, l'autre toute molle sur l'oreiller. Elle ouvrit les yeux et Steven y découvrit ce qu'il n'avait pas encore pris le temps de voir. De l'ébahissement. Du désir. Et quelque chose de plus.

Il émit un petit grognement et ôta le pantalon de jogging qui lui tenait lieu de pyjama. Son désir redoubla lorsqu'il la vit le dévorer des yeux.

Au comble de l'émotion, il la vit tendre la main et s'emparer de son sexe érigé.

— Que veux-tu, Steven ? lui demanda-t-elle.

— Je voudrais que tu me regardes dans cinquante ans avec ce regard-là.

Elle le caressa et il sentit tous les muscles de son corps se crisper.

— Et que lis-tu dans mon regard ?

— Que tu ne te lasseras jamais de moi.

La lueur qui brillait dans ses yeux se fit plus vive.

— Je ne me lasserai jamais de toi... Mais je t'en supplie, Steven. Viens, maintenant... J'ai encore envie de toi...

C'était si gentiment demandé... Comment refuser ?

Alors, sans cesser de la regarder dans les yeux, il enfila un préservatif et la pénétra doucement jusqu'à ce qu'ils ne fassent plus qu'un.

Elle frémit de plaisir en crispant un peu plus le poing sur la couverture.

— Steven, murmura-t-elle.

— J'aime tant sentir ta peau contre la mienne. Et j'aimerais que tu sois enceinte de moi...

Elle s'arc-bouta pour mieux se coller contre lui et serra les cuisses comme pour l'empêcher de remuer en elle et le maintenir bien au fond, comme dans un étau voluptueux.

— Moi aussi, dit-elle. J'aimerais porter ton enfant.

A ces mots, Steven ne put se maîtriser plus longtemps.

La douceur et la délicatesse attentionnée dont il s'était promis de faire preuve jusqu'au bout de cette étreinte s'évanouirent aussitôt. Il se sentit comme emporté par un courant irrépressible et se noya dans les flots agités de la passion. Il se mit à jouer des reins avec une frénésie croissante, accélérant le rythme de ses assauts jusqu'à ce que Jenna se remette à gémir et à se convulsionner.

Il sut alors qu'il ne lui était plus possible de taire les mots qui lui brûlaient les lèvres et tandis qu'ils jouissaient ensemble, dans une synchronie parfaite, il gémit :

— Je t'aime...

Il s'écroula sur elle, sentant son cœur s'emballer comme s’il venait de conquérir le plus haut sommet. Son euphorie était indescriptible. Jenna lui caressa le dos, lui embrassa les épaules, le cou, et il éprouva l'irrésistible besoin de redire ces simples mots :

— Je t'aime, je t'aime, je t'aime...

Elle ne dit rien avant qu'il n'ait redressé la tête pour plonger son regard dans le sien.

— Je t'aime aussi, murmura-t-elle alors.

Et Steven comprit, avec la certitude la plus absolue, qu'il trouverait en elle la force de faire face à tous les aléas de l’existence.

 

 

 

Mercredi 12octobre, Oh45

 

Qu'est-ce qu'elle croyait ? Qu'elle allait lui échapper ?

Il était assis dans sa voiture, si furieux que ses mains tremblaient. Il avait failli l'avoir. Il avait été à deux doigts de lui infliger le traitement qu'elle méritait. Mais non. Il avait fallu qu'elle aille écouter le sermon de ce crétin de Thatcher au lycée en début de matinée. Le SBI s'était déployé en force, faisant passer son message auprès de toutes les jeunes filles à cent kilomètres à la ronde. Ils leur avaient donné pour consigne de rester chez elles et de ne faire confiance à personne, pas même à leurs petits amis, jusqu'à ce que le tueur soit capturé.

Comme si Thatcher était sur le point de l'arrêter ! Qu'est-ce qu'il s'imaginait, lui aussi ? Qu'il était le plus malin ? Il devait sans doute être encore en train de vomir son petit déjeuner, le super-héros, après avoir découvert ce qu'il restait de la jolie petite Alev. Elle n'était plus aussi jolie maintenant... Et beaucoup plus petite... En tout cas, beaucoup plus compacte.

Ce fut une telle délectation de la découper en morceaux puis de disposer ses membres sanglants dans la clairière, tout en imaginant le désarroi de Thatcher ! Il aurait donné cher pour voir la mine de ce crétin au moment où il avait découvert le cadavre tronçonné.

Il éprouvait déjà le besoin de remettre ça, impatient de sentir cette euphorie délicieuse et de goûter de nouveau au plaisir du meurtre. Avant, avec l'agent spécial Thatcher, ce n'était qu'un jeu, une fantaisie... Mais à présent, c'était un duel. Il voulait le terrasser. Le châtier.

Il avait connu un revers avec Jenna Marshall, mais il comptait bien guetter la prochaine occasion. Et cette fois, elle n'en réchapperait pas.

Thatcher saurait alors à quels sommets de l'horreur son adversaire était capable de se hisser. Thatcher ne s'en relèverait jamais.

Il était impatient de passer à l'acte et de lui infliger le coup final. Mais il avait des besoins à satisfaire auparavant. Il était affamé. Pas de nourriture cependant... Il se renfrogna et serra les dents en pensant à la réaction de cette nouvelle pom-pom girl au large sourire.

Il avait été à deux doigts de l'avoir. Malheureusement, elle s'était montrée moins stupide que les trois précédentes. Alors qu'au premier appel elle avait semblé très disposée à accepter de le rencontrer discrètement, elle s'était ravisée ensuite, lorsqu'il l'avait rappelée pour lui indiquer le lieu de rendez-vous.

Elle avait refusé.

Non pas, avait-elle dit, parce qu'elle pensait qu'il pouvait être le tueur. Mais parce qu'elle préférait, par les temps qui couraient, être prudente.

 Tu parles.

Elle sait, oui…

Cette petite futée avait compris qui il était vraiment, il en était certain. Il l'avait perçu à son ton. Et il ne fallait surtout pas qu'elle aille faire part de ses soupçons à Thatcher...

Il allait donc falloir déroger à la règle qu'il venait lui-même de se fixer et effectuer une nouvelle visite à domicile.

 

 

 

Mercredi 12 octobre, 8 heures

 

Lorsque Nancy arriva dans la salle de réunion, pâle comme un linge, tenant à la main une feuille de papier imprimée, l’équipe n'attendait plus qu'elle pour commencer.

Steven comprit, avant même d'avoir pris connaissance du message qu'elle lui apportait. Il le lut cependant, et sentit son estomac se nouer douloureusement.

— Il a enlevé une autre adolescente, dit-il.

Le silence se fit autour de la table pendant un long moment.

— Mais comment est-ce possible ? s'emporta Sandra. Après les rassemblements d'élèves ? Après les consignes de prudence qu'on leur a données ? Merde ! A quoi est-ce qu'elle pensait, cette idiote, en acceptant un rendez-vous après la tombée de la nuit ?

— Elle n'a pas accepté de rendez-vous, Sandra. Elle n'est pas sortie de chez elle. Pas volontairement, du moins.

Neil Davies se leva brusquement et vint vers Steven en tendant la main. Ce dernier lui remit le papier et se tourna vers les autres.

— Elle a été enlevée dans son lit, annonça-t-il. Elle était tranquillement couchée dans sa chambre.

— Il a franchi un nouveau stade, murmura Liz, effarée. Il faut absolument lui mettre la main dessus. Comment s'appelle cette fille ?

Davies posa le rapport sur la table et répondit :

— Kelly Templeton, du lycée Roosevelt.

— C'est le lycée de Rudy, fit remarquer Harry.

Il n'avait pas l'air de s'être remis de l'épreuve de la veille.

— Putain, il faut en finir avec ce salopard ! s'écria-t-il, au bord des larmes.

Steven se leva ; tous ses muscles étaient tendus à l'extrême.

— C'est bien mon avis, Harry. Kent, je veux que vous filiez chez les Templeton avec le plus possible de techniciens de la police scientifique. Il a forcément laissé un indice là-bas... Et cet indice, il faut le trouver, même si on doit démonter chaque lame de parquet et examiner chaque fibre de la moquette ! Liz, est-ce qu'on peut interpeller Rudy, maintenant ?

Liz hocha lentement la tête.

— Oui, mais il faut interroger d'autres élèves en même temps, dit-elle. A ce stade de la procédure, nous n'avons pas le droit de l'interroger séparément, ni d'avoir l'air d'en faire notre suspect...

— Elle était pom-pom girl, dit Sandra. Elle doit connaître tous les élèves.

— Et peut-être même Brad, fit observer Nancy.

Au nom de son fils, Steven sentit son cœur se serrer. Même si Brad semblait aller beaucoup mieux depuis quelques jours, il ne savait toujours pas ce qui avait causé sa crise.

— Brad est intelligent, dit-il. Interrogez-le aussi. Il pourra peut-être nous aider à mettre le doigt sur quelque chose qui nous a échappé.

Il se sentit subitement des fourmis dans les jambes, tandis qu'un plan naissait dans son esprit.

— Vous avez raison, Sandra, reprit-il. Kelly connaissait sans doute un grand nombre d'élèves. Nous allons tous les interroger. Nous allons nous rendre sur place et nous allons poser quelques questions à tous les lycéens susceptibles de l'avoir connue. Nancy, appelez le principal pour convenir d'un moment où l'on puisse tous les rassembler pour les interroger par groupes de dix à huis clos.

Il se tourna vers Liz et ajouta :

— Je suppose qu'on ne pourra pas filmer ces entretiens...

— Sans le consentement de leurs parents ? Vous supposez bien, répondit Liz.

Steven secoua la tête.

— Maudite Déclaration des droits !

Liz esquissa un sourire, sachant qu'il ne pensait pas ce qu’il disait.

— Sandra, vous ferez en sorte que les jeunes ne manquent pas de boissons fraîches.

Sandra haussa les sourcils.

— Et j'aurai des pourboires ? demanda-t-elle avec ironie.

Steven sourit.

— Non, l'intendance du lycée se chargera de l'approvisionnement. Je ne vous demande pas de faire la serveuse, mais de ramasser les gobelets vides... Vous étiquetterez chaque gobelet au nom de l'élève qui aura bu dedans. Je tiens beaucoup à ce que Rudy et ses copains boivent. Et je veux que vous vous assuriez qu'ils ne conservent pas leurs gobelets par-devers eux.

Sandra sourit.

— Pigé, dit-elle. Comme ça, on pourra prélever leur ADN à leur insu.

— Il faudra traiter tous les gobelets, objecta Liz.

Steven haussa les épaules.

— Ce n'est pas un problème. Diane est revenue de vacances, fraîche et dispose. Je crois qu'elle pourra s'en charger, n'est-ce pas, Kent ?

Kent hocha la tête.

— Absolument.

— De toute façon, l'ordre de priorité des analyses est laissé à notre choix, tant qu'on analyse en définitive tous les échantillons. Si je ne me trompe...

Liz approuva la procédure d'un air amusé.

Steven se tourna ensuite vers Harry et lui demanda prudemment :

— Est-ce que vous vous sentez capable d'inspecter une nouvelle scène de crime avec Kent ?

— Après ce que j'ai vu hier, je me sens capable de tout affronter, répondit Harry d'un ton lugubre. Que peut-il y avoir de pire ? Que pourrait-il encore inventer comme horreur ?

Steven repensa à ce qu'il avait vu la veille.

— Je préfère ne pas le savoir, dit-il. Et il ne faut pas lui laisser l'occasion de nous le montrer.

 

 

 

Mercredi 12 octobre, 8 h 50

 

Jenna était en train d'aligner sur le tableau noir les termes d'une longue formule de chimie lorsque Lucas fit irruption dans sa salle.

— Docteur Marshall, pouvez-vous m'accorder un instant ? lui demanda-t-il formellement, compte tenu de la présence des élèves.

Heureuse de le revoir après les événements tumultueux du week-end, Jenna lui fit un grand sourire — qui s'évanouit aussitôt qu'elle vit sa mine défaite. Il paraissait à la fois accablé et terrifié.

Essuyant ses doigts salis par la craie, elle pensa tout de suite à Casey. Elle trouva quand même la force de dire d'un ton léger à ses élèves :

— Relisez le chapitre VI. J'ai l'impression que vous n'en avez pas bien saisi toutes les finesses...

Elle traversa la salle parmi des murmures de protestation, le ventre noué d'angoisse.

Lucas la suivit dans le couloir et referma la porte derrière eux.

— C'est à propos de Casey ? demanda-t-elle aussitôt.

Lucas secoua la tête.

— Non. Une autre jeune fille a été enlevée...

Jenna sentit son cœur chavirer. Une jeune fille de seize ans... Pom-pom girl... Et une place vide dans sa salle, au premier rang... Elle sentit le couloir vaciller autour d'elle et dut s'adosser au mur pour ne pas tomber.

— Kelly ? murmura-t-elle.

Lucas déglutit avant de répondre :

— Oui.

Elle se souvint du regard de Steven lorsqu'il était rentré chez lui la veille, les yeux pleins d'une horreur indicible, causée par les atrocités du monstre. Or ce monstre venait d’enleverune nouvelle victime.

Kelly est entre ses mains, se dit-elle, horrifiée.

Elle sentit la nausée lui monter à la gorge et dut combattre une forte envie de vomir.

— Quand ça ? eut-elle la force de demander.

— La nuit dernière. La police veut interroger tous nos élèves pour recueillir leurs témoignages. Par groupes de dix. J’ai réservé la salle de réunion à cet effet. Comme Kelly est dans ta classe, je voudrais que tes élèves passent en premier.

Jenna se décolla en tremblant du mur.

— Par qui veux-tu commencer ? Nous n'aurons pas le temps de les faire tous passer d'ici à la fin de l'heure...

Lucas se tourna en pleine lumière, et Jenna constata combien ses traits étaient tendus.

— Choisis-en dix pour commencer, dit-il. Nous interrogerons les autres plus tard dans la journée.

Il se passa une main dans les cheveux et ajouta :

— C'est incroyable... Tu crois que Thatcher est sur une piste ?

Jenna secoua la tête.

— Je ne sais pas. Je vais t'envoyer le premier groupe de dix.

Elle décida d'envoyer les premiers dans l'ordre alphabétique de leurs noms de famille. Puis elle se blinda et retourna dans la salle pour leur annoncer la terrible nouvelle.

 

 

 

Mercredi 12 octobre, 15 h 30

 

Steven, Sandra, Liz et Nancy avaient interrogé plus d'une centaine de lycéens. La plupart d'entre eux étaient sous le choc au moment de l'entretien, se refusant à admettre qu'une de leurs condisciples était la proie du tueur en série.

Lucas Bondioli avait dirigé la manœuvre : il s'était chargé de les amener dix par dix dans la salle de réunion, s'occupant aussi de gérer la liste des élèves interrogés et de ceux qu’il restait à entendre. Il avait assisté à chaque entretien, ce qui avait plutôt mis à l'aise les lycéens intimidés par les policiers, et arrangé Steven, car il connaissait chacun des lycéens et était capable, éventuellement, de percevoir à leur mine ou à leur comportement quelque chose d'inhabituel.

Les membres de l'équipe de football américain avaient été parmi les premiers à être interrogés, mais aucun d'entre eux n'avait laissé paraître quoi que ce soit. Les enquêteurs avaient cependant eu le plaisir de voir les amis de Rudy sur la défensive, ne serait-ce que parce qu'ils étaient toujours soupçonnés d'avoir trempé dans la tentative d'assassinat de Jenna, même si Rudy lui-même avait été innocenté grâce à son alibi.

Vers la fin de la matinée, Steven avait laissé Sandra diriger les opérations et avait pris une pause.

Il s'était d'abord rendu dans la salle de classe de Jenna où elle l'avait pris dans ses bras sans dire un mot et sans tenir compte des regards ébahis de ses élèves. Je t'aime, lui avait-il murmuré.

Il avait l'impression qu'il ne lui avait pas dit ces mots depuis une éternité, alors qu'il l'avait réveillée juste avant l'aube pour faire l'amour avec elle. Encore une fois, avait-il pensé dans l'obscurité en l'étreignant. Encore une fois avant de replonger dans l'horreur. Elle s'était offerte en silence et en s'agrippant à lui jusqu'à ce qu'il trouve le courage de s'arracher à ses bras et de sortir du lit pour prendre le chemin des locaux du SBI où l'attendait un nouveau rebondissement terrifiant

Après sa brève visite à Jenna, il s'était rendu chez les Templeton, où Harry, Kent et Davies passaient littéralement au peigne fin chaque centimètre carré de la moquette et du parquet. Ils avaient trouvé quelques cheveux, arrachés à la racine. Kent percevait désormais avec trop d'accablement et d’épouvante la personnalité implacable du tueur pour s’exciter sur cette trouvaille, pourtant si précieuse. Il ne sautait plus de joie comme il l'avait fait en découvrant un seul cheveu sans follicule dans la clairière de Bud Clary une douzaine de jours auparavant.

Ils avaient également découvert des résidus de poudre blanche sur l'oreiller de Kelly ainsi que sur la moquette, au pied du lit. Ils les avaient ensachés. De la kétamine, au dire de Kent. Ce qui signifiait que le tueur ne se contentait pas d’injecter cette drogue à ses victimes mais qu'il les forçait à en inhaler, ce qui avait pour effet de les priver de toute réaction en moins de dix secondes.

Ils avaient également trouvé un peu de sciure de bois sur la moquette. Cette découverte-là avait, en revanche, vraiment emballé Kent. Il l'avait ensachée avec mille précautions. C’était le premier indice qui pouvait mener à l'endroit où Rudy séquestrait ses proies.

Ils avaient aussi mis la main sur le téléphone portable de Kelly. Elle avait reçu un appel de cinq minutes juste avant minuit, mais l'identité de son correspondant n'était pas indiquée. Ce qui avait étonné Steven. Pour un garçon qui n’était pas fichu d'obtenir la moyenne en chimie, Rudy Lutz semblait singulièrement malin.

Ils étaient aussi tombés sur une empreinte de pas, moulée dans la terre molle, sous la fenêtre de la chambre de Kelly. Steven bénit alors Mme Templeton qui s'occupait avec tant de soin de sa pelouse et de ses parterres de fleurs : son arroseur automatique se déclenchait à 23 heures tous les soirs, au moment où l'absorption de l'eau par le sol était optimale. La terre s'était donc trouvée assez molle pour mouler la semelle.

Ce qui leur permit d'estimer que l'enlèvement avait eu lieu entre minuit et 3 heures, heure après laquelle la terre serait redevenue trop dure pour qu'une empreinte s'y imprime.

Steven s'était entretenu un instant avec les parents de Kelly, si abasourdis par le chagrin et l'horreur qu'ils avaient été dans l'incapacité de lui fournir d'autres informations que celles qu'il connaissait déjà.

Il était ensuite revenu au lycée, pour aider ses collègues à terminer les entretiens.

Le dernier groupe de dix élèves sortait maintenant de la salle de réunion. Rien de tangible n'était apparu lors de cet interrogatoire marathon.

Steven se leva et s'étira.

— Passionnant ! fit-il amèrement.

Sandra le fusilla du regard.

— Je veux que ces heures me soient payées au double !

Steven esquissa un sourire.

— Vous êtes fonctionnaire de police, ma chère. Vous êtes payée à l'heure, pas à la pénibilité. Et puis, vous qui avez des enfants adolescents, vous devriez avoir l'habitude...

— Moi, par contre, je ne suis vraiment plus dans le coup, dit Liz. Je n'arrive pas à comprendre comment des mères permettent à leurs filles de sortir habillées comme ça. Je n'avais jamais vu défiler autant de ventres à l'air depuis la dernière fois que j'ai zappé par erreur sur MTV. Il y a de quoi rameuter tous les délinquants sexuels de la région...

Sandra secoua la tête, sans s'arrêter de fouiller dans la poubelle pour récupérer les gobelets que les adolescents avaient jetés. Chaque élève au sein d'un groupe de dix avait un gobelet d'une couleur distincte, et elle avait noté les noms correspondant aux couleurs au fil des interrogatoires.

— Il n'y a malheureusement pas besoin de ventres nus. de minijupes et de décolletés pour attirer les délinquants sexuels, Liz, fit-elle observer. Vous devriez le savoir.

Liz lui passait les sachets étiquetés un à un. Elles avaient pris le coup de main après y avoir consacré toute leur journée.

— C'est vrai. Mais je n'aime pas voir ces jeunes filles s'exhiber de la sorte...

— Et dire qu'il faudra revenir demain ! dit Steven avec une fausse jovialité.

Il fit semblant de tressaillir lorsque les trois femmes lui lancèrent des regards menaçants.

— Bon, en tout cas, on a interrogé l'équipe de foot, l'équipe de basket et l'équipe de football américain...

— Pas tout à fait, lança Bondioli qui entra dans la pièce en tenant une liste à la main. Il vous reste encore vingt sportifs à interroger, sans compter les cent élèves de seconde.

— On va en avoir pour la semaine ! objecta Sandra.

— Il faut tous les interroger, lui rappela Liz. C'est la règle.

— En fait, vous avez déjà un suspect, n'est-ce pas ? demanda Lucas Bondioli d'un ton soupçonneux.

Il s'assit, l'air accablé.

— Et c'est l'un de nos élèves, ajouta-t-il comme pour lui-même. Oh, mon Dieu...

— Personne n'a dit ça, Lucas, répliqua Steven.

— Dites-moi de qui il s'agit...

Steven se demanda si Lucas l'avait vu serrer les poings lorsque Liz avait gaffé.

— Vous savez bien que je n'aurais pas le droit de vous le dire, même si c'était vrai, dit-il en s'asseyant à côté de lui. Vous voulez qu'on arrête le tueur ?

Bondioli hocha la tête d'un air affligé.

— Il a tué trois filles. Et maintenant, il a enlevé Kelly... J'ai une fille de son âge. Je n'ose imaginer...

— Vous n'êtes pas le seul...

Steven lui prit la liste des mains. Il parcourut les noms des élèves dont les patronymes étaient cochés, puis passa aux autres noms et fronça subitement les sourcils.

— Qu'y a-t-il ?

— Je remarque juste que Lutz a un frère qui n'apparaît pas sur la liste des élèves soupçonnés d'avoir commis les actes de vandalisme dans la salle de Jenna.

Bondioli se cala dans son fauteuil et ferma les yeux. Ses traits tirés trahissaient sa lassitude et son épuisement.

— Josh ne fréquente pas les amis de son frère, dit-il. Il a des problèmes de scolarité et bénéficie d'un suivi spécial.

Steven se demanda pourquoi Neil Davies ne lui avait jamais parlé de ce frère.

— Quels sont ses problèmes de scolarité ?

— Josh a des troubles cognitifs. Son QI est de 85, c'est tout dire. Pour rester au niveau des élèves de son âge, il doit être assisté et suivre des cours spéciaux, adaptés à son état mental.

— Alors pourquoi suit-il les cours de chimie élémentaire de Jenna ?

— Josh est venu me voir pour me supplier de lui permettre de suivre des cours « normaux ». Il voulait tenter le coup. Je crois qu'il voulait montrer à son père qu'il était aussi capable de réussir que Rudy. Etant donné la propension qu'a Rudy à rater ses examens et à ne rien faire en cours, je crois que Josh n'aura pas de mal à y arriver. J'ai ses notes pour ce demi-trimestre, sauf en littérature et en chimie. Il a eu 10 dans presque toutes les matières, sauf en maths où il a récolté un 5. Il a Casey en littérature et Jenna en chimie, mais aucune des deux n'a pu encore rendre ses notes.

— Je suppose qu'elles avaient trop à faire ailleurs, murmura Steven.

Il se demanda si soutirer des informations à un gamin atteint de troubles cognitifs était aussi répréhensible que cela, et s'aperçut qu'il s'en fichait royalement. Il comptait bien l'interroger en personne et user de tous ses talents de flic pour en tirer le maximum.

— J'aimerais beaucoup m'entretenir avec lui demain. Il connaissait forcément Kelly, puisqu'il était en chimie avec elle...

— Il la connaît,en effet, lâcha Lucas Bondioli sèchement. Vous la tenez déjà pour morte ?

Steven soupira.

— Excusez-moi... Ma langue a fourché et j'en suis navré. C'est la fatigue, je suppose.

— Oui, je suis crevé moi aussi, dit Lucas en se levant pour prendre congé. Vous voyez Jenna, ce soir ?

— Oui.

Et tous les soirs, jusqu'à ce quelle ne coure plus aucun danger.

Le regard de Lucas s'adoucit.

— Tant mieux, dit-il. Elle a besoin que l'on veille sur elle.

— C'est bien mon intention ! répliqua Steven, parfaitement conscient des regards que lui jetaient ses trois collègues.

Bondioli lui sourit.

— Voilà une bonne nouvelle ! J'espère seulement qu'elle vous laissera faire...

Steven fronça les sourcils.

— Elle a intérêt !

— Elle n'y manquera pas, dit Jenna sur le pas de la porte. Je me sens en sécurité, avec tous ces gens qui veulent me protéger...

Elle sourit à Steven, et il sentit son cœur se serrer dans sa poitrine.

— Tu peux rentrer chez toi, Lucas. Je suis entre de bonnes mains.

— Et je parie que Steven l'est aussi, ricana Nancy.

— Et Helen n'en sera pas fâchée, ajouta Liz. Elle va peut-être pouvoir s'occuper sérieusement de me trouver un fiancé, maintenant... Oh ! je ne suis pas difficile... Un grand brun, beau garçon. Riche, si possible...

— Et qui embrasse bien, acheva Sandra. Et qui sache aussi se servir de ce qu'il a dans le caleçon.

Le ricanement de Nancy se transforma en un franc éclat de rire.

— Est-ce que Steven a tous ces talents, Jenna ? demanda-t-elle.

Jenna pinça les lèvres d'un air choqué, mais dans ses yeux améthyste flottait une lueur qui trahissait plutôt son amusement.

— Je ne suis pas une balance, répondit-elle.

Liz la prit par le bras et la conduisit hors de la salle.

— Vous allez pourtant tout nous dire. Nous avons une technique d'interrogatoire très efficace !

Sandra prit son sac à main en jetant un regard en coin à Steven.

— Mais oui, précisa-t-elle à l'intention de Jenna. Et cette technique s'appelle une margarita bien tassée au bar d'à côté.

Elles étaient jeunes et belles
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