11

— Capitaine ! Lieutenant ! appela Sennefer.

Il s’approchait à grands pas de Bak et de Neboua à travers l’agitation qui régnait autour des ânes. Les tout premiers s’étaient déjà mis en marche, de même que Nefret et Mesoutou. Paouah, Merymosé et Thaneni, qui tenait en laisse le lévrier.

Sennefer enjamba du crottin, donna une petite claque sur le flanc d’un âne et adressa aux deux officiers un sourire amusé.

— Amonked souhaite que vous l’accompagniez ce matin, lors de son inspection.

Bak ne s’étonnait plus qu’on les accepte au sein de la caravane, mais il fut stupéfié par cette invitation.

— Pourquoi ? s’enquit Neboua, un large sourire aux lèvres. À cause de tous ces dos tournés à son entrée dans la ville ? De l’accueil silencieux ? Ça le tracasse, pas vrai ?

— Disons qu’il désire s’entourer d’hommes de bon sens.

En riant, Sennefer tourna les talons et s’éloigna. Bak et Neboua s’entre-regardèrent, ne sachant que penser. Le noble leur avait-il transmis une sorte de message ? Ou n’était-ce qu’une boutade sans importance ?

 

— Je parierais les rations d’un mois qu’il cherchait à te tuer, dit Neboua à voix basse, afin de ne pas être entendu des membres du groupe, qui allaient devant eux.

— Ses gestes manquaient de conviction, répondit Bak sur le même ton. Tu as vu la blessure. Ce n’est qu’une estafilade.

Neboua, visiblement sceptique, considéra l’épaule gauche de son ami. Celui-ci portait une tunique pour couvrir le bandage, malheureusement l’onguent appliqué par le médecin exhalait une forte odeur de plantes médicinales, que tous ceux qui passaient à proximité risquaient de remarquer.

— Tu as posé beaucoup de questions. L’une a dû toucher juste.

— Si je savais laquelle ! J’ai passé la nuit à tenter de comprendre ce qui, dans mes paroles, a pu inspirer de l’inquiétude à quelqu’un. En vain.

Ils tournèrent dans une ruelle adjacente, à la suite de Sennefer et de Minkheper, qui eux-mêmes avançaient derrière Horhotep. Le conseiller tentait par tous les moyens de s’immiscer entre Amonked et le commandant Ouaser, mais la voie étroite ne permettait pas à trois hommes de marcher de front.

Ils se trouvaient non loin du port, dans le quartier de la ville basse où l’assaillant de Bak s’était enfoncé dans la nuit. Ils avaient vu des greniers remplis de grain pour la garnison, des entrepôts regorgeant de peaux de vache, de blocs de pierre et de bois rares à destination de Kemet, mais aussi de poteries locales, de lin et de vin ordinaire qui seraient exportés vers Kouch. Ils venaient de quitter un bâtiment bien gardé, où l’on conservait des jarres d’huiles aromatiques et des pierres colorées qui, dans quelques mois, rehausseraient la prestance de ceux qui résidaient à la maison royale.

— J’ai peut-être été victime d’un voleur qui voulait me dérober mes armes et mes bijoux, avança Bak. S’il avait su qui je suis, il aurait passé son chemin.

Son ami leva un sourcil narquois.

— Est-ce moi que tu essaies de convaincre, ou bien toi ?

— Neboua ! Je n’ai pas même une vague idée de son identité. Pourquoi l’assassin voudrait-il ma mort ?

— Tout le monde sait, à Ouaouat, que pas une fois le meurtrier que tu cherchais ne t’a échappé. Cela seul suffirait à instiller la peur.

Bak leva les yeux au ciel.

— Je doute qu’un membre du groupe d’Amonked, originaire de Ouaset, ait entendu parler de mes prétendus exploits de chasseur d’homme.

— À Bouhen, notre illustre inspecteur des forteresses a fait allusion à ton succès dans l’affaire du trafic d’ivoire. Et le commandant Thouti se promettait de chanter tes louanges dans la lettre que tu lui as remise en main propre.

Neboua n’eut pas besoin d’énoncer l’évidence : si Amonked connaissait les succès de Bak, les autres membres de l’expédition en savaient autant.

— Vous ne comptez pas sur la chasse pour approvisionner la garnison ? demanda Amonked.

— Mais si. Le fleuve offre une grande abondance d’oiseaux, surtout lorsqu’ils migrent, aux changements de saison. Ceux que tu vois ici sont élevés pour leurs œufs et pour leurs petits.

Quatre appentis coiffés de toits en feuilles de palmier bordaient les hauts murs en briques crues de la basse-cour. Ils formaient une sorte de portique et prodiguaient de l’ombre à des dizaines d’écuelles en terre cuite, remplies de paille, où nichaient des canards et des oies.

— Ne vaudrait-il pas mieux trouver des nids dans la nature ? remarqua Horhotep avec irritation.

Il frottait la semelle de sa sandale sur le rebord du bassin carré, au centre de la cour, pour en décoller les déjections malodorantes où il avait marché.

— Regardez le nombre d’hommes qu’il vous faut ici ! Ils doivent nettoyer la cour et changer la paille, remplir le bassin, nourrir les oiseaux, leur rogner les ailes et que sais-je encore !

— Moins de la moitié de la population d’Iken porte des armes, expliqua Ouaser avec une patience forcée. À peine le quart des habitants est occupé par le commerce. Que veux-tu que nous fassions des autres ? Qu’on laisse tous ces gens oisifs, sans rien de mieux pour s’occuper, à longueur de journée, que de fomenter une rébellion ?

— Il n’y a qu’à les renvoyer chez eux, dans leur pays.

— Nul ne vient à Iken sans une bonne raison et nul n’y reste sans nécessité, rappela Neboua d’une voix dure. Seuls ceux qui répondent à ces conditions conservent leur laissez-passer.

Une oie brune fonça sur Horhotep, sifflant et battant des ailes. Il s’empressa de rejoindre ses compagnons sous le portique.

— Combien de temps leur faut-il, à ces miséreux, pour conclure le genre d’affaire dont ils s’occupent ?

Neboua dévisagea froidement le conseiller.

— Le plus puissant des rois ne va pas forcément paré de bijoux et de lin fin, lieutenant.

— Certains ont commandé des objets qui sont en cours de fabrication, se hâta d’expliquer Ouaser. D’autres attendent un bateau – le trafic prend souvent du retard – ou une caravane traversant le désert depuis une lointaine oasis, et dont la date d’arrivée est imprévisible. Souvent, ils apportent trop peu de choses à troquer pour assurer longtemps leur subsistance. Surtout lorsqu’ils ont avec eux une nombreuse famille.

— Ils doivent néanmoins se nourrir et trouver un abri où dormir pendant qu’ils sont ici, dit Amonked, hochant la tête d’un air compréhensif. Je te félicite pour ton bon sens, commandant. Tu veilles à ce qu’ils gagnent de quoi subvenir à leurs besoins.

Malgré son dépit, Horhotep se montra assez avisé pour retenir sa langue. Bak fut agréablement surpris par l’approbation sans réserve de l’inspecteur, et il vit que Neboua et Ouaser partageaient son sentiment.

Comme dans chaque entrepôt qu’ils avaient visité. Ouaser leur fournit des chiffres précis – dans ce cas particulier, la quantité de volailles consommées au sein de la garnison et dans la ville basse, le nombre d’œufs pondus et distribués, de bottes de paille répandues chaque semaine.

N’écoutant qu’à moitié, prenant garde à l’endroit où il marchait, Bak s’approcha du bassin où des degrés descendaient dans l’eau afin d’en faciliter l’accès aux nombreux volatiles élevés dans la cour. Quelques canards nagèrent vers lui et entourèrent ses pieds en cancanant, espérant de la nourriture.

Bak observa les membres du groupe d’inspection. Lequel avait bondi sur lui dans la nuit, armé d’une dague ? Si son agresseur se trouvait parmi eux, ce n’était pas la première fois qu’un meurtrier le croyait beaucoup plus avancé dans son enquête qu’il ne l’était en réalité.

Amonked était un coupable fort peu vraisemblable. De taille moyenne, un peu corpulent, il passait sa vie à l’intérieur de bureaux et d’entrepôts. Mais tous les fils de nobles étaient initiés à la lutte et au maniement des armes.

Horhotep avait été jaloux de Baket-Amon, mais l’envie seule semblait un faible motif pour commettre un meurtre. Un officier expérimenté, comme il prétendait l’être, aurait su se glisser derrière lui pour le poignarder. Le plus habile des soldats aurait eu du mal à porter un coup mortel par une nuit si noire, surtout si la victime était emmitouflée au point d’en paraître informe, comme Bak dans son manteau.

Sennefer, qui disait avoir aimé et admiré Baket-Amon, constituait une énigme. Un homme riche et influent pouvait-il venir à Ouaouat par pure curiosité, afin de découvrir ce pays et son peuple ? Accoutumé à chasser et à pêcher, il savait manier les armes avec adresse. Mais s’il éprouvait autant d’amitié pour le prince qu’il l’affirmait, il n’avait eu aucune raison de l’assassiner.

Il en allait de même pour le capitaine Minkheper, qui avait très peu connu Baket-Amon. Du moins, selon ses dires. Il était indubitablement capable de tuer un homme. Ceux qui naviguaient sur la Grande Verte devaient être durs et implacables, prêts à livrer bataille aux pirates et à l’emporter sur leurs rivaux.

Quant aux autres venus de Ouaset… Comme Sennefer, le lieutenant Merymosé avait exprimé son admiration envers le prince. Il était à peu près compétent dans l’usage des armes, grâce au sergent Dedou, et jeune et fort de surcroît. Il aurait donc pu attaquer Bak, mais lui non plus n’avait pas de mobile évident pour le meurtre de Baket-Amon.

Thaneni, bien qu’infirme, avait un torse exceptionnellement musclé. Bak était certain qu’il n’aurait jamais tué, s’il s’était agi de son propre intérêt. Toutefois, mû par la ferme conviction d’aider Amonked ou Nefret, il n’aurait pas hésité.

Et que penser de la concubine ? Bak ne croyait pas que toutes les femmes étaient désemparées et fragiles, loin de là ! Connaissant le faible du prince pour le beau sexe, elle aurait aisément pu l’attirer et le poignarder. Caser son grand corps dans le réduit n’aurait pas été une mince affaire, mais cela n’était pas impossible. Surtout si quelqu’un lui prêtait main-forte. Cela valait également pour le jeune Paouah. Il aurait pu réussir à assassiner le prince, mais pas à dissimuler le corps, à moins d’avoir un complice.

« Ce n’était ni Nefret ni Paouah qui m’ont attaqué, j’en suis sûr, pensa Bak. Et mon assaillant n’était pas affligé d’une jambe trop déformée pour pouvoir courir. »

 

Le groupe d’inspection s’éloigna du poulailler et passa aux enclos, qui ressemblaient beaucoup à ceux de Bouhen. Puis il se rendit sur l’immense marché découvert, que Bak connaissait bien grâce à son précédent séjour à Iken.

Amonked et Ouaser en tête, talonnés par Horhotep, ils parcoururent les allées qui séparaient une multitude d’étals, où les marchandises exposées étaient ombragées par des toits de lin, de feuillages ou des nattes de jonc. Dans la foule, des voyageurs venus de loin se mêlaient aux habitants du Ventre de Pierres. Les couleurs vives et les motifs bigarrés de leurs longs vêtements contrastaient avec la blancheur immaculée des pagnes de Kemet. Les colliers en perles minuscules rivalisaient avec d’opulents bijoux incrustés de pierreries. Les langages qui claquaient, chuintaient ou roulaient obligeaient les interprètes à courir d’étal en étal pour faciliter les transactions simples ou compliquées. Des odeurs fugitives planaient, tentantes ou répugnantes : parfums et sueur, encens et denrées pourrissantes, fleurs et excréments.

Ils s’arrêtaient souvent, examinant fruits et légumes, goûtant épices et aromates, scrutant les profondeurs de jarres à large col renfermant des céréales, des fèves ou des pois secs. Ils admirèrent des étoffes, rirent des singes savants, s’exclamèrent devant des jouets articulés, se délectèrent de bœuf braisé et de pain frais, éprouvèrent le tranchant de lances et de dagues. Amonked avait baissé la garde, enchanté par tout ce qu’il voyait. Horhotep, trop imbu de lui-même pour le remarquer, donna libre cours au mépris que lui inspiraient la population exotique, le marché prospère et ses mille merveilles.

 

Alors qu’ils quittaient la place, Horhotep s’immobilisa afin d’inspecter le mur de fortification qui protégeait la ville basse, puis il balaya du regard la foule affairée. Une grimace de dégoût déforma ses traits.

— Dis-moi, commandant, pourquoi avoir consacré tant d’efforts et de temps à rénover le mur extérieur, si tu laisses pénétrer toute la lie humaine venue du désert ?

— C’est le plus grand marché de la frontière… lieutenant, répliqua Ouaser, qui, lassé de ces insolences, prononça son titre avec une emphase dédaigneuse. D’Abou aux confins mystérieux du Sud profond, aucun autre n’attire plus de monde. On y troque des denrées de toutes sortes, chacune précieuse en son genre. Pouvons-nous demander à ceux qui viennent d’exposer leurs biens, si nous ne les protégeons pas de ceux qui prennent sans rien donner en retour ?

— En admettant que le marché mérite d’être protégé, ce dont je doute, pourquoi n’as-tu pas réparé les murs de soutènement ? Veux-tu que le cœur de la forteresse s’effondre pendant que tu luttes pour préserver sa peau ?

Bak se pencha vers Neboua et marmonna :

— Ne cesse-t-il donc jamais de s’écouter parler ?

— Nous réparons au fur et à mesure, suivant la nécessité.

La voix tendue de Ouaser trahissait l’effort qu’il s’imposait pour rester courtois. Se détournant, il les conduisit dans un passage entre deux entrepôts.

— Venez, un esquif nous attend au port. Si vous tenez à rejoindre votre caravane avant la tombée de la nuit, nous devons nous rendre immédiatement sur l’île.

— Comment peux-tu dire que le marché ne vaut pas la peine qu’on le protège ? demanda Bak à Horhotep.

— Oui, lieutenant, explique-toi, approuva Amonked. Moi aussi, je m’interroge.

Horhotep répondit avec un sourire vaniteux :

— D’après ce que j’ai vu ici, les produits changent de mains sans que nul ne paie de taxe. Si des marchands respectables passaient la frontière avec les mêmes objets, chaque navire ou caravane verserait une somme substantielle qui revient de droit à notre souveraine.

— Les taxes sont collectées à la porte extérieure, précisa Ouaser. Certes, nos exigences restent modestes. Notre but n’est pas d’enrichir le trésor royal, mais de rappeler à tous ceux qui entrent qu’ils ont une dette de gratitude envers notre reine, car c’est grâce à elle qu’ils peuvent commercer ici.

— Pourquoi se limiter à une somme dérisoire ?

— Des taxes élevées dissuaderaient les gens de venir échanger leurs denrées ici, expliqua Bak. La reine n’y gagnerait rien ; cette ville et ce pays y perdraient beaucoup. Ils feraient leurs affaires ailleurs, probablement sur une île au sud de Semneh. Ils renonceraient à la sécurité que nous leur offrons, mais cela serait pour eux plus rentable, puisqu’ils ne paieraient pas de taxes du tout.

— Dois-je te donner une leçon d’histoire, lieutenant ? intervint Neboua.

Fils de soldat, il avait grandi dans la forteresse de Koubban, à plusieurs jours de voile au nord de Bouhen, et il connaissait les raisons de maintes traditions devenues confuses au fil du temps.

— Le marché d’Iken existe depuis de longues générations, puisqu’il remonte au règne de Khakaourê Senousret[13]. Quand le père de notre souveraine, Aakheperkarê Touthmosis, marcha avec son armée et conquit le Sud profond, il ordonna sa réouverture. Non seulement il favorise l’afflux de produits rares, mais il rapproche les gens mieux qu’aucune expédition commerciale ne le pourrait.

— Pour que le marché reste florissant, il faut garantir sa sécurité, ajouta Bak, gardant à l’esprit la mission d’Amonked. La muraille rénovée décourage les pillards ; l’armée les tient à distance.

— Je dois admettre que cette cité me fascine, dit Amonked. Beaucoup plus que Bouhen ou que tout autre lieu visité jusqu’ici, elle souligne l’importance du commerce pour cette région.

Ouaser marchait d’un pas rapide à travers les rues populeuses, ce qui les empêcha de poursuivre la discussion et laissa à Horhotep le temps de ressasser cette mise au point. Ils avaient emprunté l’une des deux longues jetées de pierre quand il glissa à Amonked :

— Je ne vois aucune raison stratégique pour que l’armée continue d’occuper cette garnison. La population, si odieuse qu’elle soit, ne constitue pas de réel danger, et je suis convaincu que les pillards dont on nous rebat les oreilles ne sont que pure imagination.

— Je ne supporte plus ce crétin pompeux, grommela Neboua. On se retrouve à ton retour de l’île.

Il s’éloigna sans laisser le temps à Bak d’insister pour qu’il reste. Amonked le regarda partir. Après s’être assoupli au point de leur demander de les accompagner, il était sûrement mécontent de son départ, mais, comme d’habitude, il demeura impassible.

 

— Tu appelles ça une forteresse ? Moi, j’ai vu quatre murs qui ne servent à rien ! Aucun homme sensé ne posterait des soldats là-bas, décréta Horhotep, qui, de la jetée, scrutait l’est en direction de l’île d’où ils venaient et qu’une éminence rocheuse dérobait au regard.

Amonked descendit à son tour de l’esquif et se tourna vers Bak, qui attendait à la proue pendant que Ouaser mettait pied à terre.

— Si je ne me trompe pas, lieutenant, elle s’est révélée fort utile quand le roi Amon-Psaro est venu à Iken voici quelques mois. N’as-tu pas évité, à l’époque, un incident qui aurait pu avoir de très graves répercussions ?

— Si, inspecteur.

Neboua avait dit vrai : Thouti ne s’était pas privé de chanter leurs louanges. Mais en si grand détail ? Ou bien Amonked, avant son départ de la capitale, avait-il consulté tous les rapports adressés à Ouaset par le vice-roi ? Une tâche fastidieuse, mais nécessaire s’il souhaitait prendre une décision judicieuse, dont dépendait le sort de milliers d’hommes et de femmes. Aurait-il été à ce point consciencieux, si sa seule intention était d’exaucer les désirs de sa reine ?

— Ces rapides sont redoutables, dit Minkheper, sautant sur le quai avec aisance. Est-ce le début de ceux que nous voyions hier, du poste de garde ?

— Oui, pour autant que je sache. Je n’ai jamais eu l’occasion de voyager plus loin vers le sud.

— Même sur des eaux en crue, je n’aimerais pas guider un navire à travers ces rochers.

Quand Sennefer les eut rejoints, tous trois remontèrent le quai derrière Amonked et son conseiller. En ce début d’après-midi, une forte brise s’était levée et le soleil filtrait à travers une brume poussiéreuse venue du désert. Une légère odeur d’agneau braisé leur parvint, et Bak se sentit l’estomac creux.

Neboua les attendait, appuyé contre un piquet d’amarrage.

— Comment le fort a-t-il résisté ? leur demanda-t-il avec bonne humeur. Est-il envahi par les ronces et les tamaris ?

— Il faudrait le débroussailler, admit Bak, néanmoins Ouaser pourrait encore y accueillir un roi.

Neboua désigna Horhotep du menton et baissa la voix :

— Qu’est-ce que ce porc a trouvé à en dire ?

Un mouvement, dans l’ombre profonde de l’entrepôt le plus proche, attira l’attention de Bak. Il distingua un arc, puis une flèche prenant son essor.

— Attention !

Le projectile manqua Amonked d’une coudée. Bak courut vers l’entrepôt, Neboua à son côté. Une pluie de flèches tomba autour d’eux. « Trop nombreuses pour un seul archer, pensa Bak. Décochées à l’aveuglette, par des mains inexpérimentées – ou rendues malhabiles par la hâte et le désespoir. »

Trois hommes jaillirent de l’ombre et détalèrent comme des lièvres vers la ruelle voisine. Bak et Neboua les poursuivirent. Ils tournèrent à droite, puis à gauche. Une autre rue les entraîna dans la ville basse. Les gens s’écartaient vivement sur leur passage, les chiens jappaient, un petit enfant se mit à pleurer quand l’un des archers, dans sa course, donna un coup de pied dans sa balle qui roula au loin. Bak craignait que les trois hommes ne se séparent et ne disparaissent dans le dédale de ruelles, mais son inquiétude se révéla injustifiée. Pris de panique, ils restèrent ensemble et, après un dernier tournant, se retrouvèrent dans une impasse.

Bak et Neboua les découvrirent, pris au piège, au pied de l’escarpement. Haletants, affolés, honteux de leur pitoyable échec, ils lâchèrent leur arc et leur carquois, puis levèrent les mains en signe de reddition.

— Bien ! dit Neboua. Qui êtes-vous et, par Amon, que pensiez-vous faire ?

Chacun implora en silence les autres de parler, d’imaginer une fable qui les ferait paraître aussi innocents que l’agneau nouveau-né.

— Je suis le lieutenant Bak, chef de la police medjai de Bouhen. Je veux savoir comment vous vous appelez et comment vous gagnez votre pain.

Ils déclinèrent bien vite leur nom et leur métier. L’un était armurier, le deuxième boucher pour la garnison, le troisième fabriquait les lourdes sandales de cuir destinées aux soldats. Des hommes dont la vie dépendait d’une présence militaire dans la forteresse. Bak jeta un coup d’œil à Neboua, qui d’un hochement de tête montra qu’il comprenait la raison de leur geste insensé.

En entendant un bruit derrière eux, Bak tourna la tête. Il eut peine à en croire ses yeux. Amonked et Sennefer arrivaient au croisement, trop loin pour être vus des trois archers. L’inspecteur était rouge et essoufflé, mais son beau-frère paraissait à peine se ressentir de l’effort.

— Qui vouliez-vous tuer ? interrogea Neboua. Vu votre maladresse, il était difficile de s’en rendre compte.

Il n’avait pas remarqué l’arrivée des deux hommes et affichait la même sévérité que Bak, cependant une pointe d’amusement suspecte perçait dans sa voix.

— Nous ne voulions tuer personne, gémit le boucher. Nous espérions seulement faire peur à l’inspecteur.

— Que deviendrons-nous s’il arrache l’armée d’Iken ? pleurnicha le savetier. Nos épouses ont leur famille ici. Nos enfants ne connaissent que cette ville, ce pays de Ouaouat.

— De quoi vivrai-je, si les troupes s’en vont ? s’inquiéta leur compagnon. Les marchands n’ont que faire de mes armes !

En son for intérieur, Bak les bénit tous les trois. Par ces quelques mots pleins d’émotion, ils avaient dit sans le savoir ce qu’Amonked avait le plus besoin d’entendre. Neboua les considéra avec dureté.

— Qu’allons-nous faire d’eux, lieutenant ?

— On pourrait les livrer à Horhotep, déclara Bak d’un ton grave, comme si c’était la pire conséquence possible de leur acte. Le lieutenant Horhotep, conseiller de l’inspecteur, est froid et impitoyable ; il insistera pour vous envoyer dans les mines du désert.

— Non ! protestèrent-ils en chœur, horrifiés.

— Que deviendraient nos familles ? cria le savetier.

— Ma femme ! Comment nourrirait-elle les enfants ? se lamenta l’armurier.

Neboua, les sourcils froncés, feignait de réfléchir.

— Je préférerais les remettre au commandant Ouaser. Ces gens sont d’ici. Le problème lui incombe.

— Laissez-les partir, dit Amonked, qui arrivait à côté d’eux et n’avait pas encore tout à fait repris son souffle. Je crois que cette tentative de meurtre leur a fait aussi peur qu’à moi. Ils ne commettront jamais plus de telles imprudences.

Bak ne savait ce qui le surprenait le plus : que l’inspecteur soit parvenu à les suivre ou qu’il ait rendu un jugement aussi clément.

— Es-tu certain que c’est ce que tu désires, inspecteur ?

— Relâchez-les.

Personne ne s’était encore jeté à genoux devant Bak, face contre terre. Il fut touché et embarrassé par cette démonstration de gratitude. Amonked, quant à lui, y parut insensible.

 

Neboua imposa une cadence rapide à la patrouille que Ouaser leur avait assignée pour les escorter vers le sud, jusqu’à la caravane. Les dix lanciers, qui surveillaient régulièrement le désert, étaient des jeunes gens coriaces, aux muscles durs et à la peau brunie par le soleil. Les gardes de la capitale, la coiffure nette, l’apparence impeccable, maintenaient la même allure non sans effort. Bak supposa qu’Amonked se sentait plus vulnérable, après cet attentat manqué, et jugea le moment bien choisi pour le sonder. Il l’attira à l’écart de la colonne, assez près pour rester en sécurité, assez loin pour que nul ne les entende.

Ils suivaient une piste en hauteur qui, plus tard dans la journée, leur permettrait de couper par le désert afin d’éviter une courbe du terrain difficile et accidentée. À l’est, des îles de toutes tailles brisaient la surface scintillante des eaux. Les rives verdoyantes étaient parfois interrompues par l’embouchure de cours d’eau taris, couvert de limon noir fertile ou de sable. En dépit des obstacles, jamais le fleuve n’avait montré un cours plus harmonieux depuis qu’ils avaient quitté Kor.

Amonked scruta les alentours, les traits assombris par l’inquiétude.

— Crois-tu qu’il soit bien sage de marcher loin de la patrouille ?

Depuis leur départ d’Iken, il n’y avait personne sur la rive pour les regarder passer. Les arbres étaient assez denses pour abriter une armée, mais cette surveillance sans fin n’était-elle pas censée être remarquée et troubler par sa persistance ?

— Inspecteur, je désire parler de Nefret et de Baket-Amon. Si tu ne vois pas d’objection à ce que les autres nous entendent, nous pouvons les rejoindre.

— Notre mésaventure à Iken m’a rendu trop prudent, décida Amonked. Si quelqu’un essayait de nous attaquer maintenant, nous le repérerions à temps.

Bak se retenait de tourner la tête vers le fleuve, mais la tentation était grande. L’absence des villageois l’intriguait. Qu’est-ce qui les avait dissuadés de venir ? Certainement pas la bonté d’Amonked envers les trois archers improvisés. Ce devait être un événement d’une bien plus grande portée.

— Je sais que tu t’étais querellé avec Baket-Amon, commença-t-il.

— Oui, Thaneni me l’a rapporté, répondit Amonked avec un petit sourire triste. C’était naïf de ma part de croire que tu ne le découvrirais pas, mais je n’aime pas perdre mon sang-froid ni admettre devant un inconnu que j’ai été déraisonnable.

— La séduction de Baket-Amon était devenue légendaire, or ta concubine est ravissante et extrêmement désirable. Tu te rends bien compte que cela suffit pour que de fortes présomptions pèsent contre toi.

— Nous nous sommes disputés à cause de Nefret, il est vrai. Mais tuerais-je pour elle ? Jamais !

— Parlons de cette dispute.

— Je t’assure que les mots prononcés sous le coup de la colère furent vite pardonnés et oubliés. De mon côté, à coup sûr. Également par Baket-Amon, si je suis l’excellent juge des caractères que Maakarê Hatchepsout voit en moi.

« Mentionnerait-il sa cousine afin de m’intimider ? » se demanda Bak.

— Tu décuples mes soupçons en taisant ce qui s’est réellement passé.

— Je n’ai nul désir de m’étendre là-dessus, répliqua l’inspecteur, irrité.

— Veux-tu que la mort du prince demeure irrésolue ? Que l’idée de ta culpabilité s’insinue tel un poison dans tous les cœurs ?

Amonked regarda fixement dans le vide, les mâchoires crispées, puis il céda :

— Oui, Baket-Amon désirait Nefret. Je ne sais avec certitude combien de fois il vint chez moi à Ouaset – ni elle ni mon épouse ne me l’ont dit –, mais il finit par les importuner et, ensemble, elles me parlèrent de ses visites. Je doute qu’il ait réellement été épris de Nefret. D’après mon épouse, elle se montrait distante alors que toutes les autres étaient folles de lui. C’était un défi auquel il ne pouvait résister.

— À ma connaissance, il ne poursuivait jamais une femme sans y être encouragé.

— Mon épouse m’a assuré que c’était pourtant le cas. Et ses paroles sont toujours dignes de foi.

Amonked regarda durement Bak, comme pour voir s’il oserait mettre en doute cette dernière affirmation.

— Je conseillai donc au prince de partir et de l’oublier.

— Il accepta, je suppose.

— Il proposa de l’acheter. Comme une vulgaire servante, entrée dans ma maison et dans ma couche pour rembourser les dettes de son père. Je refusai sans mâcher mes mots. Une dispute s’ensuivit. Peu habitué à ce qu’on s’oppose à ses caprices, il… il me traita de vieillard égoïste, dit-il avec indignation, en redressant le menton.

« “Vieillard” et “égoïste”, pensa Bak. Des termes blessants qu’aucun homme n’aime répéter lorsqu’ils s’appliquent à lui. »

— Pas vraiment la réponse mesurée que l’on attendrait d’un ambassadeur royal, convint-il.

— Certes pas.

— Cela te mit en fureur, j’imagine, et à juste titre.

— Je lui ordonnai de sortir de chez moi. Il refusa de partir sans entendre de la bouche de Nefret qu’elle ne voulait pas de lui. Je finis par menacer d’en référer à Maakarê Hatchepsout, et il partit fâché.

— Pour ne plus revenir ?

— Jamais plus.

Amonked regarda Bak dans les yeux et ajouta non sans amertume :

— Pourquoi tuerais-je un homme, quand il me suffit de prononcer le nom de ma cousine pour que mon désir le plus infime soit un ordre ?

C’était une facette de sa personnalité que Bak n’avait jamais imaginée, et cet aveu accrut son estime pour l’inspecteur. Il aurait aimé lui répondre, mais il ne trouva rien d’approprié. Aussi continuèrent-ils à marcher sans mot dire, et ce silence, tendu au début, devint bien vite étrangement agréable.

 

En fin d’après-midi, ils firent halte dans un poste de garde situé sur un tertre rocheux. Pendant qu’Amonked s’entretenait avec le sergent chargé de la surveillance, Bak scruta le sud, où la caravane poursuivait sa lente progression à travers les dunes balayées par le sable ; elle laissait derrière elle le fleuve et la colère de ceux qui résidaient sur ses berges.

Un soldat de faction désigna, à l’ouest, une demi-douzaine de silhouettes pareilles à des fourmis.

— Au début, j’ai cru que c’étaient des nomades qui se dirigeaient vers le fleuve pour y prendre de l’eau, mais ils ont suivi une route parallèle à celle de la caravane. Maintenant qu’ils ont le soleil dans le dos et sont donc moins faciles à distinguer, ils se rapprochent d’elle.

Bak mit sa main en visière pour les observer.

— Ils ne préparent rien de bon, c’est certain, mais qu’espèrent-ils gagner ? Nos archers viendraient à bout d’un si petit groupe en un rien de temps.

 

Les membres de l’expédition rejoignirent la caravane alors que le soleil sombrait vers l’occident. Les soldats de Ouaser se hâtèrent de repartir vers le fleuve, tandis que les compagnons d’Amonked remontaient la file des ânes. En tête du convoi, on déchargeait les bêtes et l’on installait le campement sur cette étendue désertique, bordée, loin à l’ouest, par un groupe de buttes de sable. Au milieu de l’effervescence générale, Sechou lançait des ordres avec compétence et autorité. Bak et Neboua quittèrent les autres et se dirigèrent vers lui.

Pendant qu’ils évoquaient la marche du lendemain, Rê se posa sur l’horizon avant de pénétrer dans le monde souterrain. Le roquet jaune auquel on avait attaché le sac de sandales attendait, couché au milieu des piles de ravitaillement, de pouvoir s’emparer d’un peu de nourriture. Il leva la tête, huma l’air, se redressa, puis il monta la pente douce et s’immobilisa pour renifler à nouveau. Soudain, il se mit à hurler, les poils hérissés. D’autres chiens surgirent de partout et filèrent en aboyant de toutes leurs forces. Neboua et Bak échangèrent un regard. Était-ce une gazelle ? Ou les nomades qu’ils avaient aperçus depuis le poste de garde ?

Ils s’apprêtaient à aller se rendre compte lorsqu’une demi-douzaine d’hommes apparut au sommet d’une dune. À contre-jour, on les distinguait mal, hormis leurs longues lances et leurs boucliers. Avant de plonger sous l’horizon, le soleil illumina le ciel d’un ultime éclat. Un instant, les silhouettes furent parfaitement visibles. Six pillards, l’un détaché des autres. Un homme vêtu d’un pagne rouge, une plume écarlate plantée dans les cheveux.

— Hor-pen-Dechret ! cracha Neboua.

— Le chien ! Il est revenu, marmonna Sechou d’un ton haineux.

— Voilà pourquoi nous n’avons vu personne le long du fleuve, remarqua Bak.

— Ce n’est pas étonnant, dit Neboua, qui fixait le groupe d’un air mauvais. Il pillait les hameaux et les maisons isolées le long de la rive ouest ; il emportait les bêtes et les récoltes pour ses gens, laissant les cultivateurs dans la misère. Puis il s’enhardit : il attaqua les caravanes et ramassa dix fois plus de butin en une seule prise. Pourtant il continua à s’approprier leurs biens.

— Il vient nous observer, évaluer les risques et les profits, dit Sechou d’un ton morne. Ce que je redoutais est arrivé. Cette riche caravane attire les pillards comme le miel les abeilles.

— Pour chaque homme que nous voyons, il y en a huit ou dix qui campent, hors de vue, dans le désert, affirma Neboua, sombre lui aussi.

— Il a sûrement entendu parler de la mission d’Amonked, objecta Bak. Ne serait-il pas plus sage de sa part d’attendre que l’année quitte le Ventre de Pierres ?

— Tu ne le connais pas, grogna Neboua. Il est mû par la cupidité, non par le bon sens. S’il juge que cette caravane vaut la peine qu’il l’attaque – et sois sûr qu’il parviendra à cette conclusion –, il pensera aux profits d’aujourd’hui, pas à ceux de demain.

Bak se sentait gagné par leur inquiétude.

— Et les habitants ? Seront-ils de notre côté, si nous sommes attaqués ? Il est leur ennemi autant que le nôtre.

— Et ils le craignent autant qu’ils se méfient d’Amonked. Pour eux, un mal n’est pas pire que l’autre.

Bak lâcha un juron. C’était la plus longue étape, trois jours à travers le désert jusqu’à Askout. Neboua et lui, les deux sergents et vingt archers pouvaient facilement repousser une cinquantaine de pillards. Mais des attaques surprises contre la caravane en marche, ou par un groupe important, seraient impossibles à contrer. À moins que…

— Va chercher le lieutenant Merymosé et le sergent Dedou. Ces cinquante gardes doivent être entraînés immédiatement pour combattre à nos côtés.

Sous l'oeil d'Horus
titlepage.xhtml
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Haney,Lauren-[Bak-04]Sous l'oeil d'Horus(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html