14

— Tu n’aurais pas dû promettre autant. Thouti ne sera pas content, raisonna Imsiba, enfoncé jusqu’aux chevilles dans le sable épais, en scrutant l’île qu’ils venaient de quitter par-delà les eaux tumultueuses.

— Que voulais-tu que je fasse ? répondit Bak. Ne rien donner à ce vieillard ?

— Où trouveras-tu les serviteurs ? Thouti se plaint déjà que tu cherches à usurper ses pouvoirs, alors tu te doutes bien qu’il n’ordonnera pas à l’intendant en chef de satisfaire ta demande.

Imsiba était animé de bonnes intentions, Bak le savait, néanmoins il ne reviendrait pas sur sa décision.

— Cette terre ne peut prospérer que grâce à un dur labeur. Si Ahmosé se casse la jambe ou tombe malade, elle retournera à l’état sauvage en l’espace d’une saison. Lui et la vieille femme mourront de faim.

Fermant son cœur à toute critique, il grimpa au sommet de la longue crête étroite et battue par le vent, dont l’extrémité inférieure formait le replat où Ouensou et Roï s’étaient amarrés. Il aperçut Ahmosé qui regardait dans leur direction au sommet de l’île, trop curieux pour vaquer à ses occupations. Une tache blanche parmi les fourrés, plus bas, pouvait être sa belle-mère les observant aussi.

Le grand Medjai escalada la pente pour le rejoindre.

— Cette vie-là nous paraît bien isolée, mais, en définitive, Ahmosé et Kefia sont de tout proches voisins.

— Proches, certes, et pourtant séparés par un travail de chaque instant. Je doute qu’ils se voient en une semaine entière.

Frappé par une nouvelle idée, Bak rit tout bas et ajouta :

— À moins d’avoir quelque ragot à échanger…

Imsiba ne put s’empêcher de sourire. Comme le vieil Ahmosé le leur avait rappelé, les rumeurs circulaient plus vite le long du fleuve que les messages portés par les émissaires officiels.

En silence, ils cheminaient côte à côte vers le sommet. La surface craquelée recelait des aspérités aiguës à moitié ensevelies sous le sable. Une brise légère portait à leurs oreilles les pépiements de centaines de passereaux massés dans les tamaris, près de la crique. Devant eux, le soleil accroché au bord de l’occident teintait le ciel d’or.

En haut, la pente balayée par le sable se terminait brusquement, à mi-chemin de l’arête nord-sud. De part et d’autre, les dunes révélaient quelques traces d’animaux – des chiens ou des chacals en quête de proies, et d’autres, délicates, d’oiseaux. Aucune empreinte humaine ne marquait la surface.

Imsiba poussa un juron dans sa langue maternelle.

— Pourquoi faut-il toujours que les dieux nous fassent miroiter une promesse qu’ils ne tiennent pas ?

Bak aussi était déçu de voir la piste s’achever si brusquement.

— Prions afin qu’ils n’accordent pas à l’homme sans tête et à Ouensou une journée supplémentaire pour s’enfuir.

— Cette simple idée me révulse.

Les ombres du soir s’allongeaient sur le paysage ondoyant. Une multitude de couleurs, de l’or le plus pâle à l’ambre le plus profond, dessinaient en dégradé des reliefs invisibles sous la lumière impitoyable du jour. L’arête rocheuse qui bornait l’horizon était l’unique barrière naturelle, hormis quelques tertres isolés. Si l’on désirait rester caché en paix pour toute l’éternité, Bak ne pouvait penser à un endroit plus isolé. Mais la raison pour laquelle un homme aurait voulu passer l’éternité sur cette terre misérable, il ne pouvait l’imaginer.

— Nous reviendrons demain et nous irons dans le désert, décida-t-il en contemplant le soleil couchant.

Le Medjai considéra la vaste étendue de sable avec répugnance.

— Mon ami, on emploierait mieux notre temps en soumettant nos suspects un à un aux coups d’un solide gourdin.

— Ai-je besoin de te rappeler que ce sont tous des notables de renom ?

— Chercher un tombeau dans le désert où aucune trace ne subsiste, c’est comme chercher une barque en pleine nuit sur la grande mer verte. Nous risquons de passer tout près, sans même nous en rendre compte.

— Combien de temps s’écoulerait, à ton avis, avant qu’ils ne courent chez le vizir pour se plaindre de sévices injustifiables, et de policiers qui ne valent guère mieux que ceux qu’ils traquent ? Je crains que nous ne passions bien des mois à garder des forçats dans les mines du désert, conclut-il avec un rire dur.

Un sourire cynique perça sous l’expression maussade d’Imsiba.

— J’y passerais volontiers un an ou deux, si je pouvais voir Ouserhet plier sous les coups de bâton.

— Dame Sitamon t’inspire un attachement sincère, dit Bak, observant son ami intensément.

— Qu’ai-je à offrir à une femme comme elle ? maugréa Imsiba, qui ramassa un caillou pour le jeter au loin de toutes ses forces.

— Peu d’hommes t’égalent en stature, mon frère, à tous les sens du terme.

Avec un rire morne, le Medjai s’épousseta les mains pour les débarrasser du sable, et mit fermement un terme au sujet.

— Si nous devons fouiller cette immensité, autant définir des limites.

Bak lui pressa l’épaule pour lui montrer qu’il comprenait.

— Regarde cette arête, Imsiba, et dis-moi ce que tu vois.

Lentement, l’expression du Medjai s’éclaira et il hocha la tête.

— Je vois un mur de roc, différent de celui qui contient l’ancien cimetière de Bouhen, et en même temps similaire.

— Exactement.

Bak élabora son plan à mesure qu’il parlait.

— On sait où Intef a été assassiné – de l’autre côté de l’arête, à environ une demi-heure de route vers le nord. On sait aussi que l’homme sans tête conduit le bœuf dans le désert, en partant de la baie derrière nous. Je pense qu’on peut sans trop d’erreur commencer nos recherches ici, en prenant pour limite au sud cette arête rocheuse. Nous nous dirigerons vers le nord, dépassant s’il le faut le lieu du crime, et nous irons jusqu’à l’endroit où Intef avait laissé ses ânes.

— Cette tâche sera épuisante, mon frère.

— Mais pas impossible.

— Et si nous ne trouvons rien ?

Bak refusa d’envisager l’échec.

— Je me demande comment Intef a découvert le tombeau. Était-il venu si loin au sud pour chasser ? Avait-il suivi l’homme sans tête ? Par quel concours de circonstances a-t-il trouvé le trésor ?

 

Ahmosé regarda d’abord Bak, puis Imsiba, les rides barrant son front creusées par la perplexité.

— Le chasseur Intef ? Bien sûr que je le connaissais. Il venait à peu près chaque mois. Il s’installait en aval dans un coin d’herbes folles, où ses ânes pouvaient brouter sans déranger personne.

— T’arrivait-il de discuter avec lui ? demanda Bak.

— De temps en temps. Pourquoi ? voulut savoir Ahmosé. Qu’as-tu trouvé dans le désert, pour que tu viennes ici une deuxième fois ?

Mû par la curiosité, le vieux avait dévalé le chemin à leur rencontre. Il s’était accroupi sur la rive, près de sa nacelle, dominant les deux hommes dans leur bateau. Des hirondelles trissaient dans un acacia tout proche. Une cane grise guidait sa progéniture ébouriffée et pépiante à travers les joncs, nageant par à-coups et gobant des insectes.

— Puisque tu nous observais du sommet de l’île, tu sais bien que nous revenons les mains vides ! rétorqua Imsiba d’une voix goguenarde.

Ahmosé releva le menton avec indignation.

— La vie ici est solitaire, sergent, et jamais le travail ne cesse. N’ai-je pas le droit de goûter un peu de repos ?

— Le sergent ne voulait pas t’offenser, dit Bak, contenant un sourire, pour ménager la susceptibilité du vieillard. Tu as parfaitement droit à un peu de répit. T’aurais-je promis de te procurer un serviteur, si je ne t’en croyais pas digne ?

Ahmosé ouvrit et referma la bouche, ce rappel effaçant son ressentiment.

Un souffle d’air frôla la joue de Bak, non la chaude caresse du jour mais le baiser frais de la nuit. Ils ne pouvaient plus s’attarder. Tenter d’atteindre Kor dans le noir sur ces eaux périlleuses eût été téméraire.

— Avais-tu parlé à Intef de l’homme sans tête ? demanda-t-il à Ahmosé.

— Je lui ai recommandé d’éviter la baie, de fermer les yeux et les oreilles si un navire s’y trouvait.

— Et de fermer sa bouche, comme tous ceux qui vivent et peinent sur cette partie du fleuve, dit Imsiba d’un ton impassible, mais toute son attitude exprimait le reproche.

Ahmosé lança au Medjai un regard dédaigneux.

— Nous ne cultivons pas cette terre par bravoure, sergent. Nous restons parce qu’elle était la terre de nos pères, et de leurs pères avant eux. Nous n’avons pas d’autre foyer, pas d’autre moyen de gagner notre pain.

D’un coup d’œil, Bak ordonna au Medjai de se taire.

— Intef a-t-il écouté tes conseils de prudence ?

— Je ne l’ai jamais vu sur la crique en même temps que l’homme sans tête, mais je l’ai aperçu, une fois, au lendemain d’une nuit de chargement. Il avait dû entendre un vaisseau venir puis repartir, et des voix dans la nuit, remarqua Ahmosé en chassant une mouche. Il a sûrement décidé de voir ce qu’il en restait. J’ai grimpé dans ma barque et j’ai ramé jusqu’à la baie, où je l’ai mis en garde une seconde fois.

— A-t-il suivi l’homme sans tête dans le désert ?

— C’était un chasseur, répliqua Ahmosé en reniflant. Un tel homme aurait-il suivi une piste, quand ses propres traces pouvaient être suivies ?

Bak sourit. Ce vieillard à l’horizon si limité ne manquait pas de sagacité.

— L’as-tu déjà vu loin dans le désert ? Peut-être menait-il ses ânes le long de l’arête qui sépare cette vallée de l’immense désert de l’ouest ?

— Il arrivait toujours du désert, dit Ahmosé en plissant les yeux. L’arête, tu dis ?

— Je sais que tu as beaucoup à faire et que tes moments d’oisiveté sont rares, dit Bak en souriant, mais s’il s’était trouvé que tu avais besoin de repos, et si, par le plus grand des hasards, ton regard s’était posé sur le désert occidental, se pourrait-il que tu aies vu Intef explorer l’arête avec plus de soin que tu n’aurais cru nécessaire ?

Ahmosé cligna des yeux le temps d’assimiler cette tournure subtile, puis éclata de rire en se tapant sur la cuisse.

— Tu as la langue bien pendue, lieutenant ! Une façon de parler que j’apprécie véritablement.

Imsiba baissa la tête comme s’il priait. Bak accorda à l’homme un sourire fugitif, mais attendit en silence.

Ahmosé se contenait avec difficulté.

— La fois où j’ai parlé avec Intef. dans la crique, il a continué vers le nord. Il suivait le fleuve jusqu’à Kor, pour livrer le gibier chargé sur ses ânes. Quelque temps plus tard – un mois, peut-être plus – il est revenu. Je l’ai vu près du fleuve, un soir, et le lendemain sur l’arête. Il prenait son temps, et je me suis dit qu’il cherchait une piste, se souvint le vieil homme, sa bonne humeur disparue. Je suis bien vite rentré chez moi, je me suis agenouillé devant l’autel. Et alors j’ai prié qu’il ne soit pas en train de traquer l’homme sans tête.

 

— J’ai envoyé deux navires dans le Ventre de Pierres et deux patrouilles le long des berges, expliqua Neboua, passant ses doigts dans ses cheveux indisciplinés et fixant sans le voir le port de Kor. Tous sont rentrés bredouilles. Si Ouensou est là-dedans, il se cache dans un coin difficile à trouver, et nul n’est prêt à vendre la mèche.

— Les gens ont peur, soupira Bak, la lassitude s’insinuant dans sa voix. Peur de l’autorité que toi et moi représentons. De Ouensou – ce en quoi ils ont raison. Pas du capitaine Roï, car ils savent désormais qu’il s’est noyé durant la tempête. Mais, surtout, ils redoutent l’homme sans tête.

Neboua s’adossa contre un piquet d’amarrage.

— Tu as vu par toi-même combien ils sont vulnérables. Peux-tu les blâmer de trembler pour leur vie ?

— Absolument pas.

Les deux hommes remâchèrent en silence les infimes succès et les énormes échecs de cette journée. Rê s’enfonçait sur l’horizon lointain tel un globe rouge orangé, aplati contre la porte du monde souterrain. Il n’y avait pas un souffle d’air.

Mis à part un passant sifflotant un air joyeux, le port était silencieux. Nombre de petits bateaux étaient partis. Les plus gros demeuraient, la place manquant à Bouhen où la flotte du vizir était attendue. Avec les cinq grandes nefs de guerre et les vaisseaux déjà présents, le port serait bonde. À quoi bon faire le trajet de Kor à Bouhen, s’il fallait ensuite rebrousser chemin ?

— Pourras-tu envoyer des soldats en amont, afin de tenir la promesse que j’ai faite à Kefia et au vieil Ahmosé ? demanda Bak.

— Pour combien de temps ?

Bak eut un rire sans joie.

— Je me suis juré de mettre fin à ce cauchemar avant l’arrivée du vizir. Cela me laisse un jour, deux tout au plus.

— Aujourd’hui, j’ai ployé les genoux devant tous les autels de Kor, confia Neboua avec un sourire résigné. J’ai comme l’idée que je ferais mieux de recommencer.

 

Bak s’éveilla longtemps avant le point du jour. Il resta couché sur sa natte à écouter le souffle léger d’Hori dans la pièce voisine, et les gémissements occasionnels du gros chien affectueux que l’adolescent avait fait entrer dans leur vie alors qu’il n’était qu’un chiot. Les draps emmêlés de Bak embaumaient, souvenirs de la jolie jeune femme qui était venue à lui dans la nuit, envoyée par Noferi pour qu’il lui soit redevable. La vieille, dont la curiosité ne connaissait pas de bornes, tenait à s’assurer qu’il lui relaterait tout : sa quête du meurtrier de Mahou et d’Intef, et, ce qui revêtait sans doute plus d’intérêt à ses yeux, l’histoire de l’ancien tombeau regorgeant de trésors.

Calme et immobile, il passa en revue sa liste de suspects. Lequel des cinq avait le plus de chances d’être l’homme qu’il cherchait ? Ramosé et Nebamon lui semblaient des coupables beaucoup moins probables qu’Hapouseneb, Ouserhet ou Kaï, mais la certitude lui échappait encore. Il avait cependant une idée sur la manière dont il pourrait rendre un visage à l’homme sans tête.

Dès que la haute fenêtre étroite laissa passer suffisamment de lumière pour qu’on y voie, il se leva et se vêtit, tira Hori de son sommeil et lui donna ses ordres. Laissant le jeune garçon abasourdi, il sortit précipitamment et descendit la rue jusqu’aux baraquements medjai, où il trouverait Imsiba. Il pria afin que le jour soit assez long pour tout ce qu’il espérait accomplir.

 

— Et voilà, chef !

Hori posa quatre leviers, deux maillets, une hache, plusieurs coins et des burins, ainsi qu’une demi-douzaine de rouleaux sur le sol, dans le bureau de Bak. Ses yeux sombres étaient tout animés, sa voix vibrait de fierté.

— Comme tu l’as recommandé, j’ai également demandé à voir les traîneaux, et je suis ressorti les mains vides, en prétendant que ton bateau est trop petit pour les roues et les traverses. J’ai ajouté que je devais d’abord évaluer l’importance de la charge que tu auras à transporter.

— Tu t’es entretenu avec Ouserhet lui-même ? s’enquit Bak.

— Pas au début, mais il était présent et n’a pas fait mystère de son intérêt.

Bak sourit avec satisfaction à Imsiba, assis sur un tabouret près de la porte.

— Quelle a été sa réaction ?

— J’y ai porté une extrême attention, comme tu me l’avais signalé.

Soudain sérieux, Hori adopta l’attitude du policier qu’il aspirait à être, et exposa les faits à son supérieur.

— Si Ouserhet est l’homme sans tête, il ne s’est trahi en rien. Il a posé nombre de questions, mais pas plus que le scribe qui allait de panier en panier pour rassembler les outils que je réclamais. De mon côté, je me suis montré peu disert, me bornant à indiquer que tu avais navigué vers le sud hier et projetais d’y retourner aujourd’hui. Il se pouvait que ces outils soient destinés à Neboua, ou que tu veuilles les utiliser pour quelque besogne dont je n’avais pas connaissance.

— Je ne peux imaginer une réponse plus intrigante, approuva Bak avec un large sourire, en s’asseyant sur le cercueil. Bon travail, Hori ! Tu as planté une graine ; voyons maintenant si elle va germer.

Savourant cette louange, l’adolescent éprouva quelque peine à conserver la gravité qu’il croyait de mise.

— À présent, je m’en vais voir le capitaine Ramosé.

— N’oublie pas, il nous faut une corde assez solide pour supporter le poids d’un homme, et en même temps pas trop épaisse afin qu’on puisse aisément la manier.

Hori hocha la tête et partit rapidement. Le corps de garde était silencieux. Les hommes, dans l’entrée, oubliaient les osselets le temps d’avaler leur repas du matin. Des soldats passaient devant la porte de la rue dans un cliquetis d’armes, leurs sandales résonnant sur le pavé tandis qu’ils se hâtaient de prendre leur service.

Bak, sur son sarcophage, posa la tête et les épaules contre le mur et dit à Imsiba :

— J’espère qu’on ne joue pas à ce petit jeu pour rien.

L’expression du Medjai lui renvoya une égale mesure d’affection et de scepticisme.

— C’est gaspiller une grande partie de la journée, qui serait mieux employée, à mon avis, dans le désert au sud de Kor.

— Ah ? s’étonna Bak, une lueur espiègle au fond des yeux. Ne t’ai-je pas entendu dire hier que ces recherches dans le désert seraient une besogne harassante et sans espoir ?

Mais Imsiba considérait, les sourcils froncés, le tas d’objets laissés par le scribe.

— Certes, tu voulais qu’Hori impressionne Ouserhet, mais fallait-il vraiment qu’il apporte tant d’outils de l’entrepôt ?

— Si nous trouvons le tombeau, ceux-ci pourraient se révéler utiles.

— Nous trouverons une entrée à ciel ouvert, quelques marches, une ou deux salles et voilà tout.

— J’ai passé ma jeunesse à Ouaset, lui rappela Bak. Là-bas, les tombeaux sont profonds, les chambres funéraires peu faciles d’accès. Imagine que celui d’Intef soit de ce genre, une demeure d’éternité préparée par un homme qui se languissait de la lointaine Kemet ?

— Combien avons-nous vu de tombeaux ces derniers jours, mon ami ? Tous, jusqu’au dernier, étaient creusés à flanc de coteau, et aucun ne recelait de chambre secrète dans ses entrailles.

— J’arrive à un mauvais moment ?

Sur le seuil, Sitamon ouvrait de grands yeux timides, et paraissait sur le point de prendre la fuite.

— Es-tu trop occupé pour… ?

— Pas du tout !

Imsiba bondit sur ses pieds, se précipita pour la faire entrer et lui offrit son tabouret.

Bak se leva afin de les laisser seuls, et pourtant il hésitait à partir. Il ne pouvait imaginer ce qui la poussait à venir au corps de garde à cette heure matinale. À moins que ce ne fût pour un motif autre que son amitié avec Imsiba. La mort de Mahou, peut-être ?

D’un signe, elle leur demanda de ne pas se mettre en peine pour elle.

— Je ne peux rester. J’ai laissé mon fils chez le commandant, où il joue avec les enfants de Tiya, et je dois ensuite aller au marché.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? s’inquiéta Imsiba avec sollicitude.

— Rien, je…

Elle jeta à Bak un regard qui le suppliait de partir et adressa à Imsiba un pauvre sourire.

— Je n’aurais jamais dû venir…

Bak passa à côté d’elle et sortit, accordant au couple le loisir de parler. Il rejoignit les hommes de garde dans l’entrée, prit un petit pain croustillant dans un panier et le coupa en deux. Les dattes qu’il renfermait étaient succulentes, la mie ferme et sucrée. Tandis qu’il le dégustait, il écouta sans vergogne Imsiba et Sitamon ; sa curiosité était exacerbée par son inquiétude pour son ami.

— Tu vas me dire ce qu’il y a, insista Imsiba.

— Rien. C’est seulement que… Eh bien, j’ai pensé…

Elle hésita, se tordant les mains. Imsiba les prit entre les siennes pour l’apaiser et lui sourit.

— Quoi ? Qu’as-tu pensé ?

— Ouserhet m’a demandé de l’épouser, lâcha-t-elle. Je… Je ne lui ai pas donné de réponse. J’ai pensé attendre un peu, jusqu’à… Oh ! Je n’aurais pas dû venir !

Elle libéra ses mains d’un sursaut et sortit dans la rue en courant, si aveuglée par l’émotion qu’elle se cogna contre un soldat qui s’apprêtait à entrer, le faisant tourner sur lui-même.

 

— Puisque je te dis qu’elle t’aime ! Crois-tu qu’elle serait venue si tôt, dans le cas contraire ?

Imsiba était affalé sur le banc du fond, les bras croisés sur sa poitrine, le visage de marbre.

— C’est un être bon et généreux. Elle a senti que j’étais épris d’elle et a préféré m’apprendre elle-même la nouvelle, avant que je l’entende de quelqu’un d’autre.

Bak se retenait à grand-peine de secouer son ami. Il détestait le voir si malheureux, si peu tenace.

— Elle veut que tu agisses, que tu t’imposes, que tu t’affirmes en tant que prétendant.

— Je suis simple sergent dans la police medjai, mon ami. Je ne possède que le pagne et les armes que je porte. Depuis la mort de Mahou, elle est propriétaire d’une grande barge de commerce. C’est une femme riche, qui a un rang à tenir.

— Voici à peine une semaine, c’était une veuve seule avec son enfant, qui cherchait refuge dans le foyer de son frère.

Imsiba refusait d’entendre raison.

— Ouserhet a beaucoup à offrir, alors que je n’ai rien. Il sait lire et écrire, il s’y connaît en navires, en commerce. Il discerne le profit possible et crée l’occasion de profits supplémentaires. Moi, je ne serais pas capable d’écrire mon nom si tu ne me l’avais enseigné. Je ne sais rien faire hormis mon métier, et je n’en apprécierais aucun autre.

— Chef !

Sur le seuil, Hori les regardait tour à tour, intrigué par leur véhémence. Il portait sur son épaule un lourd rouleau de corde. Bak arracha ses pensées aux souffrances d’Imsiba et un sourire se forma sur ses lèvres.

— Mission réussie, d’après ce que je vois ! Qu’a dit Ramosé ?

— Il m’a laissé parler puis il m’a tendu la corde sans discuter… Son esprit était ailleurs, expliqua le scribe avec contrariété. Je ne suis pas sûr qu’il ait tout écouté.

— C’est impossible, déclara Imsiba. Il a sûrement appris que les hommes de Neboua recherchent Ouensou. N’était-il pas heureux d’être bientôt débarrassé de celui qu’il craint ?

— Oh ! Ça, oui, confirma Hori.

Il se dirigea vers le sarcophage, se pencha en laissant la corde glisser de son épaule, et le rouleau se posa doucement autour de la saillie formée par les pieds.

— Toutefois, ajouta le jeune scribe, le commandant Thouti venait de le quitter, et le capitaine était trop exalté par sa visite pour songer au Kouchite.

Bak considéra les pieds en bois qui dépassaient de la corde. Ce cercueil devenait un objet beaucoup trop familier. Il devrait disparaître au plus tôt.

— Viens-en au fait, Hori. Tu as encore trois suspects à voir.

— Le commandant a rendu visite au capitaine dans le but exprès de l’inviter à son banquet, expliqua Hori, les joues en feu. Il désire le féliciter en public pour les services qu’il a rendus en renflouant l’épave et en convoyant les marchandises. Le capitaine Ramosé ne pense plus qu’à la tenue qu’il arborera quand il se tiendra parmi certains des plus hauts personnages de Kemet.

Bak haussa un sourcil ironique.

— Lui qui, il y a à peine deux jours, n’avait que mépris pour ceux qui assisteraient à ce banquet !

Hori, encore mortifié, se permit toutefois un léger sourire.

— Je lui ai parlé de votre voyage dans le Sud, sans détail précis mais en multipliant les allusions, comme avec Ouserhet. Il m’a pratiquement fourré la corde dans les bras et a exhumé une perruque fripée d’un coffret, pour me demander si je la trouvais trop démodée.

Il lança un coup d’œil à Imsiba comme s’il cherchait un allié, puis s’adressa de nouveau à Bak :

— Il ne plaisantait pas, ne cherchait pas à me donner le change. Je pense qu’il est aussi innocent que toi et moi, chef.

— Je suis d’accord, approuva Bak, qui se leva et se mit à faire les cent pas dans la pièce. Néanmoins, si nous nous trompons et s’il n’est pas l’homme qu’il paraît être, tes allusions devraient le pousser à l’action. Va, maintenant, dit-il en posant la main sur l’épaule du jeune garçon. Trouve Hapouseneb et Nebamon, l’un après l’autre. D’après Neboua, tous deux ont beaucoup d’ânes contraints à l’inactivité dans les enclos de Kor.

— Bien, chef.

Le scribe partit aussitôt et Bak se tourna vers le grand Medjai. Après toute une journée à remonter le fleuve, le bandage qui protégeait son bras était d’une propreté douteuse. Le moment n’aurait pu être mieux choisi pour une baignade.

— Allez, Imsiba, on va nager ! Tu as grand besoin de retrouver le moral.

 

De longues brasses puissantes entraînèrent Bak vers l’amont du fleuve et loin d’Imsiba, qui flottait à la surface, accroché à un rocher à demi submergé pour ne pas être emporté par le courant. Leurs deux pagnes s’agitaient telles des ailes blanches sur les branches d’un des tamaris, au pied de l’éperon vertigineux qui séparait les esplanades du trafic fluvial. En temps normal, ils auraient été nager plus loin, dans une anse qui avait leur préférence, mais Hori revenant régulièrement faire son rapport, c’était plus commode ainsi.

Ayant dépassé l’éperon, Bak roula sur le dos et se laissa porter au fil de l’eau. Il aurait voulu de tout son cœur aider Imsiba, mais il ne pouvait rien, sinon le pousser à ravaler sa fierté et à déclarer son amour à Sitamon.

Il tourna ses pensées vers Hori et le plan qu’il avait conçu durant ses longues heures d’insomnie. Perdait-il son temps, comme l’affirmait Imsiba ? Ou l’un des suspects tomberait-il dans le panneau, courrait-il au tombeau secret dans l’espoir de récupérer ce qu’il pouvait avant que Bak ne le découvre ? Le tombeau contiendrait-il une défense d’éléphant brute ? Ou le trafic d’ivoire était-il sans rapport avec Ouensou, Roï et l’homme sans tête ? Bak pensait le contraire. Il éprouvait la conviction que Ouensou avait caché la défense sur le navire de Mahou.

L’eau pénétra dans sa bouche, le ramenant à la réalité. Il tourna la tête vers la forteresse, où il vit Hori accourir sur l’esplanade inférieure. Il nagea jusqu’aux arbres et se hissa sur le revêtement de pierre qui étayait la berge. Les eaux encore hautes recouvraient une grande partie du mur de soutènement. Imsiba abandonna son ancre improvisée et nagea vers lui. Les feuilles chuchotaient sous la brise nonchalante. Un moineau sautillait de branche en branche, piaillant à l’adresse d’un chien noir et blanc qui reniflait la rive à la recherche de rats.

— J’ai vu Hapouseneb et Nebamon ! annonça Hori.

Il s’arrêta au bout de l’esplanade, tout près de l’éperon, et s’accorda un moment pour reprendre son souffle.

— Désolé, chef, mais ils étaient ensemble. Je n’ai trouvé aucun moyen d’en entraîner un à l’écart, puis de m’occuper de l’autre, aussi je leur ai servi ma petite histoire à tous deux en même temps.

Bak commença à s’habiller.

— Tu as agi au mieux. Comment cela s’est-il passé ?

— L’un et l’autre se sont déclarés ravis de prêter leurs ânes si tu en as besoin. Nebamon a posé d’innombrables questions, la plupart vagues et tortueuses. Tout d’abord, je ne comprenais pas où il voulait en venir.

Le garçon fronça le nez, montrant son aversion poulies louvoiements aussi maladroits qu’inutiles.

— Au bout de quelques instants, j’ai discerné qu’il essayait d’apprendre si tu suivais la piste de l’homme sans tête, sans toutefois montrer à Hapouseneb qu’il croyait à son existence.

— C’est Nebamon qui nous a mis sur cette piste, fit observer Imsiba. L’aurait-il fait s’il était coupable ?

— Je ne l’ai jamais placé en haut de ma liste, convint Bak. Il n’est pas du genre à courir des risques, et ne dispose pas des fonds nécessaires pour se procurer une telle quantité de marchandises. En ce moment même, il semble au bord de la faillite.

Bak se pencha pour secouer ses cheveux humides, projetant des gouttelettes d’eau autour de lui.

— Les gens désespérés trouvent souvent un courage étranger à leur nature, cependant je vois mal Nebamon réagir ainsi.

— Qu’as-tu tiré d’Hapouseneb ? demanda Imsiba à Hori.

— Il a très vite compris que Nebamon dissimulait quelque chose. Dès lors, il n’a presque rien dit, mais s’est contenté d’observer et d’écouter. Il fallait voir Nebamon ! se rappela le jeune garçon en souriant. Tellement mal à l’aise sous le regard scrutateur d’Hapouseneb, insinuant, tortueux, protestant qu’il ne croyait pas à l’homme sans tête…

— J’ai toujours apprécié Hapouseneb, dit Imsiba. Il est déterminé, certes, mais pas impitoyable.

Bak leur exposa le raisonnement qu’il avait élaboré dans la nuit.

— Ses navires transportent des articles précieux d’un bout à l’autre du Ventre de Pierres, de même que les grandes caravanes dont il se sert pour éviter les rapides. Il se plaint des taxes, mais retire d’excellents bénéfices. Il possède le sang-froid et les moyens financiers indispensables à un trafic de cette envergure. Reste une question, que je me suis déjà posée : aurait-il utilisé le navire d’un autre pour transporter de la contrebande quand il contrôlait bien mieux la situation sur l’un de ses propres vaisseaux ?

— Ça me paraît improbable, répondit Imsiba.

— Je ferais mieux d’aller voir le lieutenant Kaï. dit Hori.

À l’expression sombre d’Imsiba, Bak comprit que leurs pensées suivaient un chemin similaire. Kaï était un archer capable, alors qu’on ignorait si Ouserhet savait seulement tirer. En revanche, les deux hommes savaient lire et écrire, mais l’officier avait-il les compétences suffisantes pour forger un faux manifeste crédible ?

— Rends-toi d’abord au Bureau des scribes, Hori. Entretiens-toi avec les fonctionnaires qui ont vu les rapports de Kaï. Apprends d’eux s’il est habile calligraphe.

— Oui, chef ! s’exclama le jeune scribe, qui pivota sur ses talons et partit sans perdre de temps.

 

Hori courait sur l’esplanade, chargé d’un panier qui battait contre sa jambe gauche à chaque pas. Imsiba et Bak se hâtèrent de le rejoindre, à mi-chemin entre l’éperon et la porte sud.

L’adolescent leur tendit le panier, qui contenait une demi-douzaine de masses, des haches de guerre et des lance-pierres.

— Le lieutenant Kaï était heureux de prêter ces amies, chef, mais quand je lui ai appris que tu partais pour le désert, il a dit que tu aurais intérêt à emprunter quelques bons archers.

Bak prit le garçon par les épaules pour le raccompagner sur le chemin d’où il était venu.

— Comment Kaï s’entend-il à manier le calame ?

— Son écriture est épouvantable ! indiqua Hori, moqueur, mais, voyant l’air sérieux de Bak, il se reprit aussitôt. Conformément à tes ordres, je suis d’abord passé au Bureau des scribes. Là, j’ai regardé des rapports qu’il a soumis au commandant Thouti. Il en a rendu deux presque illisibles. Selon le scribe en chef, le commandant a refusé d’en prendre connaissance et maintenant le lieutenant passe chez un scribe chaque matin pour lui dicter son rapport.

— Donc, l’homme sans tête est Ouserhet, conclut Imsiba d’une voix sombre.

Hori fronça les sourcils, peu convaincu.

— Je sais qu’il supervise les entrepôts, mais même cette haute position ne lui donnerait pas accès à l’armement. Le scribe de l’arsenal le conserve avec trop de vigilance.

Bak réfléchit, tentant de se rappeler des actes apparemment anodins désormais susceptibles de confirmer ces soupçons.

— Je l’ai souvent vu sur le quai, devant des barges de transport chargées de ravitaillement pour la garnison, ce qui incluait également des armes. Étant le premier à monter à bord, il a pu se servir dans les paquets destinés à l’armurerie, puis modifier les inventaires. Ensuite, il aura glissé les armes parmi les objets destinés aux entrepôts sans que personne ne s’en aperçoive. Le point dont tout dépend, c’est son habileté à manier l’arc.

— Il me reste à trouver quelqu’un qui l’a vu tirer, conclut Hori.

Imsiba se crispa et réprima un cri.

— Je dois immédiatement aller chez Sitamon !

— Non, répliqua Bak en le retenant par le bras. Elle pourrait commettre une indiscrétion sans le vouloir, or nous ne devons pas en prendre le risque.

— S’il ose toucher à un seul de ses cheveux… menaça le Medjai entre ses dents.

Psouro franchit la porte de la forteresse à toute allure. Il les aperçut et courut sur l’esplanade pour les rejoindre.

— Chef, Ouserhet a disparu ! Il est entré dans l’enceinte sacrée de l’Horus de Bouhen et, peu après, il est sorti par la porte du pylône. On ne l’a plus revu depuis.

— Il a mordu ! jubila Bak, voyant que son plan portait des fruits. Hori, va chercher le petit Meri, et toi, Psouro, charge notre barque d’amies et de vivres, sans oublier la corde et les outils que tu trouveras dans mon bureau. Puis reste près du bateau. Tu pars pour le Sud avec nous.

— Et maintenant, puis-je aller chez Sitamon ? demanda Imsiba.

— Non. Tu vas te rendre chez le médecin. Ta blessure nécessite un nouveau cataplasme et un bandage propre. Calme-toi, Imsiba, recommanda-t-il gaiement, posant sa main sur l’épaule du Medjai. Je dois rendre mon rapport à Thouti, et j’en profiterai pour parler à Tiya. Je suis sûre qu’elle sera heureuse d’héberger Sitamon et son fils, le temps que nous mettions Ouserhet sous les verrous.

Le visage de Maât
titlepage.xhtml
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Haney,Lauren-[Bak-02]Le visage de Maat(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html