CHAPITRE XXII

 

Le petit canot était amarré sous l’appontement du quai de Westminster. Holman laissa le conteneur à l’intérieur du bateau ; il n’avait plus la force de le décharger, la base enverrait des hommes en combinaison spéciale pour le faire. Il avait attendu plus d’une heure près de la sortie du tunnel avant de rassembler son énergie et d’entreprendre le trajet du retour. Il avait retraversé le tunnel, empruntant cette fois l’étroite passerelle latérale légèrement en surplomb de la route, qui était réservée aux automobilistes en panne, la glissière lui servant de guide. De l’obscurité en dessous de lui s’élevaient des plaintes, des gémissements affreux : il les avait ignorés. Parvenu de l’autre côté, il avait retrouvé le corps piétiné du garçon apeuré perdu dans la foule, qui ne comprenait pas ce qui arrivait au monde qui l’entourait. Holman revit la petite fille qu’il avait sauvée le premier jour, Lors du tremblement de terre dans ce village. La première victime de la maladie. Il s’était raidi contre son chagrin : sa tâche n’était pas terminée.

Le conteneur se trouvait là où ils l’avaient laissé ; il l’avait remorqué jusqu’au fleuve. Une barque l’avait amené au canot à moteur amarré plus loin. Le démarrage n’avait pas posé de problèmes, et il avait noté avec satisfaction que le réservoir était à moitié plein, ce qui était plus que suffisant. Il avait transporté le conteneur sur le pont et l’avait laissé là, intact et, selon lui tout au moins, inamovible.

Il lui restait à parcourir le trajet sinueux qui menait jusqu’à Westminster. Comme il pilotait le canot au milieu du courant, le soleil avait percé la grisaille plus ou moins épaisse ; ses rayons faisaient danser sur l’eau brune des éclats argentés de lumière. Par l’énorme brèche ouverte dans le brouillard, on voyait les deux rives à la fois. Derrière lui, l’incendie faisait rage, dévorait toujours plus d’espace, montait de plus en plus haut. Le feu durerait plusieurs jours, consumerait des biens et des vies, et surtout le brouillard. Et puis il s’éteindrait, maîtrisé finalement par sa propre férocité.

Le long des rives se pressaient les visages terreux de ceux qui contemplaient l’énormité du désastre, totalement hypnotisés. Le brasier devait se voir à des kilomètres. Holman se prit à souhaiter qu’il exerce sur tout le monde le même effet hypnotique : ainsi, les gens ne penseraient peut-être plus à s’entre-tuer. Il essaya d’éviter les noyés qui flottaient, sans toujours y parvenir : le canot heurta certains corps gonflés qui tournoyèrent mollement dans les remous.

A l’approche de Westminster, le brouillard était plus dense, mais moins que le matin. Le canot amarré, Holman refit le chemin qui menait au parking souterrain. A l’intérieur, on l’avait vu venir sur les écrans de télévision, mais personne ne le reconnut avec ses cheveux roussis, sa face tuméfiée et noircie, ses vêtements sanglants tout déchirés. Ce n’est qu’en le voyant marteler le mur qu’on comprit qui il était : la porte massive s’ouvrit aussitôt.

Il leur raconta tout : la traversée de la ville, la mort de Mason, la fermeture du tunnel, la destruction finale du mycoplasme dans l’explosion de l’usine à gaz. On le bombarda de questions auxquelles il répondit de son mieux, on le congratula, on le félicita ; il leur dit que les remerciements revenaient au professeur Ryker et au capitaine Peters : c’étaient leurs efforts conjugués qui avaient eu raison du mal.

Au comble de la joie, Janet Halstead l’embrassa sur les deux joues avant de l’examiner rapidement. Il n’avait rien de vraiment grave, conclut-elle, mais il fallait s’occuper de ses nombreuses plaies et des brûlures de ses mains ; l’énorme bleu qui lui couvrait toute une joue, récolté sans doute lors de son éjection du véhicule de survie, le ferait souffrir les jours suivants. Il était dans un état proche de l’effondrement, devait impérativement se reposer.

Holman refusa ; il lui restait encore une chose à faire avant que la ville ne soit aspergée de gaz soporifique : aller retrouver Casey.

Il supplia Janet de lui administrer un remontant, quelque chose qui évacuerait sa fatigue. Le devinant déterminé à partir de toute façon, elle céda, non sans l’avertir qu’elle ignorait combien de temps agirait la drogue vu son état d’épuisement. Assez longtemps pour lui permettre de retrouver Casey, lui jura-t-il, et ensuite il serait trop heureux de dormir tout son saoul pendant qu’on plongerait la ville dans le sommeil. On tenta de joindre son appartement par téléphone, en vain, ce qui réveilla son angoisse et augmenta sa résolution. En définitive, toute communication était devenue impossible dans Londres. Le seul lien avec le monde extérieur était les transmetteurs radio de la base.

On promit à Holman que la vaporisation de gaz somnifère interviendrait en premier lieu dans le sud-ouest et le nord-est de la ville ; le périmètre où il habitait ne serait traité qu’ensuite. Pour lui faciliter la tâche, on lui donna une voiture militaire à toute épreuve, mais il n’aurait personne pour l’accompagner ; à leur regret, ils ne pouvaient prendre ce risque, le brouillard étant encore assez virulent pour pénétrer les vêtements de protection. Mais ils enverraient des volontaires récupérer le conteneur, ce qui était un risque légitime.

Après que Janet Halstead lui eut nettoyé rapidement le visage et la paume des mains, il emprunta à quelqu’un un blouson de cuir qu’il enfila sur son revolver toujours dans son étui, et quitta l’abri souterrain. Le médicament commençait à redonner quelque énergie à son organisme épuisé.

 

Arrivé au quatrième étage, il sentit la fatigue s’insinuer de nouveau dans ses jambes : l’effet de la drogue faiblissait déjà. Le trajet de retour y était aussi pour quelque chose, car dans la ville l’horreur était toujours présente. Il espérait à moitié que par quelque miracle, elle aurait disparu avec la destruction du noyau, mais il dut déchanter en voyant le cortège de souffrances que ce dernier laissait derrière lui. S’il rencontra encore bien des individus en situation atroce ou macabre, il constata que la tendance générale dans la population était maintenant aux larges rassemblements en marche. En marche vers le fleuve... La tragédie de Bournemouth risquait apparemment de se reproduire si le gaz n’entrait pas en action. Par l’émetteur radio dont était équipée sa voiture, Holman avait informé la base de ce phénomène. On décida là-bas que le gaz serait largué en premier lieu le long des deux rives du fleuve. On s’occuperait ensuite du reste de la ville. Holman avait contourné les groupes chaque fois que c’était possible, mais il était parfois contraint de rouler au milieu de la foule, très lentement. Par bonheur elle ne lui prêtait aucune attention ; les esprits étaient maintenant occupés d’une seule pensée, celle de se détruire.

Comme il grimpait ses escaliers, il entendit au loin la ronde des avions descendant en piqué pour lâcher leur cargaison qui devait sauver toutes ces vies et aussi, espérait-on, beaucoup d’esprits de la folie. Sur d’autres secteurs de la ville où le brouillard semblait très bas, on utilisait des hélicoptères dont les pilotes portaient des masques à oxygène pour le cas où le gaz lâché par les avions dériverait vers eux.

Lorsqu’il atteignit enfin son palier, il vit avec soulagement que la porte de son appartement était toujours hermétiquement close. Il frappa à grands coups de son poing en appelant Casey, sans remarquer la silhouette assise sur les marches conduisant au toit, dans l’ombre où elle avait attendu patiemment la plus grande partie de la journée.

La voix étouffée de Casey derrière la porte :

— C’est toi, John ?

Malgré tout, malgré la douleur de son visage, un sourire illumina les traits de l’intéressé.

— Oui chérie, c’est moi. Tout va s’arranger. Ouvre !

Un meuble repoussé, le gros verrou qu’on tire, le loquet de la serrure qui cliquette... et le visage de Casey dans l’interstice laissé par la chaîne de sûreté, avec ses traces de larmes séchées et ses yeux qui brûlaient d’autres larmes prêtes à jaillir.

— Oh ! John, cria-t-elle, je ne savais pas ce qui se passait pour toi, j’étais tellement angoissée à l’idée que tu...

Elle s’escrima à ouvrir la chaîne de sûreté.

— Quelqu’un a essayé tout le temps d’entrer, John, et je...

Il l’attira à lui, l’enveloppa de ses bras, couvrit son visage de baisers et l’entraîna dans l’entrée après avoir repoussé la porte du pied. Serrée contre lui, elle pleurait de soulagement, de bonheur. Mais elle s’écarta pour le contempler, et ses yeux se remplirent d’angoisse.

— John, qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?

Il sourit avec lassitude.

— C’est une longue histoire. D’abord, si tu veux, buvons quelque chose et puis allons au lit. Je te raconterai tout, et ensuite, nous allons nous accorder une très grande et glorieuse nuit de sommeil !

Elle lui rendit son sourire, inquiète et heureuse à la fois. Et ses traits brusquement se figèrent sous l’effet de la peur. Par-dessus l’épaule de son amant, elle venait de voir ce qui avait empêché la porte de se refermer. Etonné de son expression, Holman se retourna, et retint sa respiration.

Barrow se tenait sur le seuil, un rire étrange aux lèvres.

 

Holman fit face à l’inspecteur en se plaçant entre Casey et lui.

— Bonjour, Barrow, prononça-t-il avec précaution.

Aucune réponse, pas un mouvement.

Casey lui effleura l’épaule, et chuchota d’une voix pressante :

— Ce doit être lui, John. Quelqu’un a essayé d’entrer toute la journée en tapant sur la porte et en tentant de la forcer. J’appelais, on ne répondait pas. Le martèlement cessait puis reprenait au bout d’une heure. Il a dû rester là tout ce temps.

— Que voulez-vous, Barrow ? demanda Holman, sans obtenir davantage de réponse que cet inquiétant ricanement.

L’inspecteur, il le remarqua, était tiré à quatre épingles : costume brun foncé bien coupé, chemise blanche impeccable, belle cravate. Seuls son regard lointain et son singulier sourire révélaient son état mental. Holman tressaillit ; Barrow avait soudain porté la main à sa poche, et sorti un objet qu’il put identifier lorsqu’il le déroula : un fil métallique très fin monté sur des poignées de bois à chaque extrémité.

— Va dans la chambre, Casey, et ferme la porte, dit-il à voix basse sans quitter des yeux l’inspecteur.

— Non John, je ne te quitte pas.

— Fais ce que je te dis, bon Dieu, ordonna-t-il sur le même ton entre ses dents serrées.

Il la sentit s’éloigner, entendit la porte de la chambre se fermer.

— Que voulez-vous, Barrow ? tenta-t-il encore une fois.

Alors qu’il ne s’y attendait plus, Barrow répondit :

— Toi. Toi, espèce d’ordure.

Il tenait les poignées de son arme à hauteur de poitrine, fil tendu. Holman comprit de quelle façon il comptait s’en servir : comme d’un garrot. Enroulé autour du cou de sa victime, il sectionnerait la trachée artère et la veine jugulaire, et la tuerait en quelques secondes.

Barrow avança d’un pas.

Après toutes les épreuves de la journée, Holman ne perdit pas de temps à essayer de lui faire entendre raison. Barrow étant déjà trop près pour qu’il cherche à atteindre son revolver, il attaqua le premier.

Il bondit sur l’inspecteur, visant bas à cause du fil de fer, et les deux hommes roulèrent sur le seuil avant de s’empoigner sur le palier. Holman était sur son adversaire, mais ne tarda pas à se sentir soulevé et rejeté sur le côté, avec une force prodigieuse. Comme il tentait de prendre appui sur un genou, Holman comprit qu’il aurait peu de chances contre le policier, et d’autant moins qu’il était lui-même très affaibli.

Casey alors surgit sur le seuil, et poussa un cri perçant en voyant l’arme prête à s’abattre. Le policier debout, dont la gorge émettait un affreux gloussement, tourna la tête à ce cri.

Cela donna à Holman la fraction de seconde qui lui manquait pour s’appuyer sur son genou et se lancer de nouveau en avant. Sa tête vint heurter l’inspecteur au diaphragme, lui coupant le souffle et l’envoyant rouler plus loin. Holman se trouva couché en travers des jambes de son adversaire ; il reçut un coup de genou sous le menton qui l’étendit contre le mur, à demi assommé. Il voulut se relever en se soutenant au mur... Trop tard. Le fil de fer coupant glissa sur son cou, et il n’eut que le temps de lever le bras pour l’empêcher de se fermer complètement. Barrow avait croisé les deux poignées, et s’agenouillait face à lui en les tirant en sens contraire de toutes ses forces.

Le fil entrait à la base de son cou, comprimait son bras, heureusement protégé par la manche de cuir, auquel il devait de n’être pas étranglé encore, même s’il n’en était pas très loin. Sa main pressée contre son oreille, le poignet maintenu par le fil, essayait de résister à l’énorme pression qu’exerçait Barrow, essayait désespérément, mais ses efforts étaient inutiles, car ses forces le quittaient. Sa vision semblait s’obscurcir, la douleur insoutenable provoquait dans sa tête des élancements de chaleur blanche. Il commença à perdre conscience.

Alors, par quel miracle ? la pression se relâcha légèrement. Le monde cessa d’être noir tandis qu’il luttait pour revenir des profondeurs de l’inconscience. Il lui sembla s’écouler une éternité avant qu’il puisse fixer son regard, et quand il y parvint, il vit que Casey avait empoigné Barrow aux cheveux et lui tirait la tête en arrière, visage sillonné de larmes, corps tremblant sous l’effort. Contraint d’abandonner une poignée pour se libérer, le policier saisit le bras de la jeune femme et voulut lui faire lâcher prise, mais elle se cramponna farouchement, et tira tant et tant qu’il perdit l’équilibre.

Il se releva avec un rugissement de bête sauvage. Oubliant Holman pour le moment, il assena à Casey un formidable revers de la main qui la projeta sur le mur d’en face, les lèvres en sang. Elle y resta appuyée debout, sanglotante, la main sur la joue qui avait reçu le coup. Il revint la gifler, ils étaient face à face, regards affrontés. Il se mit à la détailler ; il respirait fort, et ses yeux, l’espace de quelques secondes, furent totalement dénués d’expression. Puis il recommença à ricaner, saisit le col de sa blouse légère et la déchira d’un seul geste. A la vue de ses seins petits il marqua une pause, son sourire s’élargit, son regard se fit plus cruel.

Il fut alors agrippé à l’épaule, retourné rudement ; l’air hébété, il fixa Holman sans comprendre et sa fureur n’eut pas le temps d’apparaître qu’il reçut un poing en pleine figure. Projeté contre la jeune femme, il trouva aussitôt la réplique ; on lui avait appris à se servir de ses pieds comme d’une arme, il en décocha un coup douloureux à Holman dans la cuisse. Lançant ensuite son poing, il n’atteignit Holman qu’obliquement au front, mais assez puissamment pour l’envoyer tournoyer dans le hall. Il allait poursuivre quand Casey, courageusement, voulut le retenir de son bras passé en crochet autour de son cou. D’une virevolte, il la repoussa contre le mur, l’écrasa de son corps, arracha sa blouse. Sa main s’affaira à lui pétrir les seins tandis que l’autre cherchait le chemin de ses cuisses ; elle sentit sa bouche humide se coller à sa joue, s’efforça en vain de crier : la terreur paralysait ses cordes vocales.

Holman revint à la charge en titubant ; il fallait en finir au plus vite, sinon Barrow les tuerait tous les deux. Devant les intentions du policier, la colère lui donna le regain d’énergie qui lui manquait pour lancer une nouvelle attaque. Ses doigts encerclèrent le crâne de son adversaire, trouvèrent ses yeux, fouillèrent les orbites en tirant brutalement en arrière.

Barrow s’écarta de Casey avec un hurlement, se démena tant et plus pour échapper à l’étreinte impitoyable de Holman, et ne trouva d’autre moyen que d’aller l’écraser sous lui contre le mur opposé. Son adversaire lâcha prise, mais le policier s’aperçut que ses prunelles blessées ne voyaient plus. Holman évita facilement les coups qu’il lâchait à l’aveuglette, et en profita pour lui assener dans l’estomac un crochet qui le plia en deux, puis un coup violent à la face. Barrow recula en vacillant dans le couloir.

Le temps que son adversaire revienne à l’assaut, l’inspecteur s’était redressé en secouant la tête. La vue lui revenait. Un sourire commençait à retrousser ses lèvres quand Holman le chargea, cherchant à l’assommer d’un coup d’épaule. Barrow esquiva en partie l’attaque, mais pas complètement ; il fut déséquilibré, et les deux hommes tombèrent de nouveau sur le sol. Ils se redressèrent sur les genoux d’un même mouvement qui les mit face à face, et ce fut Barrow qui réagit le premier. Du tranchant de la main, il frappa violemment Holman au cou, sur le côté, comme s’il voulait le sectionner. Sans le col de son blouson de cuir, Holman aurait été gravement atteint. Pour l’heure il s’abattit face contre terre, l’épaule gauche et une partie du bras engourdis de douleur.

Il demeura effondré sur le sol, haletant, exténué ; il entendit le ricanement forcené de Barrow qui se relevait.

L’inspecteur principal s’accordait le plaisir sadique de contempler son adversaire abattu. Plus loin, recroquevillée sur ses genoux contre le mur, le chemisier en lambeaux, Casey pleurait. Elle savait qu’elle ne pouvait rien tenter de plus pour aider Holman, ce dément était trop fort pour elle. Barrow éleva le pied avec lequel il comptait écraser la nuque de son ennemi.

Leurs regards alors se croisèrent ; les yeux fous de l’un luisaient de jubilation victorieuse, ceux de l’autre reflétaient la défaite. Mais l’inspecteur Barrow mit à savourer son triomphe un peu plus de temps qu’il n’aurait dû ; dans le regard de son adversaire, une lueur d’espoir venait de remplacer le sentiment de l’échec.

Leur lutte acharnée les avait conduits à travers le hall, et Barrow se trouvait dos à l’escalier. Holman étendit brusquement la main droite et saisit le pied de Barrow qui supportait tout le poids de son corps. Il empoigna la cheville, tira d’un coup sec en y mettant ses dernières forces. L’inspecteur tomba à la renverse dans l’escalier de pierre, rebondit de marche en marche jusqu’au palier du dessous où il fut précipité contre le mur.

Incapable de bouger, Holman laissa sa tête retomber sur le sol et resta là, à bout de souffle, épuisé. Il entendait Casey sangloter, mais ne trouvait pas la force d’aller vers elle. Elle l’appela, et entreprit de se traîner jusqu’à lui.

Il resta allongé, immobile, en proie à des pensées qui l’assaillaient sans qu’il puisse en fixer aucune, comme cela se passe en cas de trop grande fatigue. Avec tout ce qu’il avait vécu ces derniers jours, ce n’était guère étonnant : il avait dû s’adapter à tant d’éléments extraordinaires, accepter de rencontrer la mort, non seulement celle d’individus, mais la mort massive, multiple. Il avait dû accepter de tuer.

Il entendit un grattement venant de l’escalier ; le raclement d’un objet qu’on traînait. Levant les yeux, il vit que Casey avait entendu aussi, et qu’elle s’était figée contre le mur, les yeux pleins de terreur fixés sur lui. Il tourna la tête vers le bruit qui continuait, s’affirmait même ; et à présent s’y ajoutait celui d’une respiration. Pétrifié, redoutant ce qui allait survenir, et toujours incapable de mouvement, Holman fixa ses yeux sur l’espace vide en haut de l’escalier. Une main apparut sur la dernière marche, les jointures blanchies par l’effort d’agripper, de hisser. Holman la contemplait, fasciné. Et soudain, à moins d’un mètre, la face mauvaise, le rictus de Barrow ! Le sang qui coulait de son nez à gros bouillons et son arcade sourcilière éclatée donnaient à son visage un aspect encore plus effrayant, son corps fracturé tremblait de fatigue, mais il riait en regardant Holman, il riait avec ce gloussement râpeux venu du fond de la gorge, bouche béante fendue jusqu’aux oreilles sur une affreuse grimace. Il se hissa sur la dernière marche. Il voulait atteindre Holman.

Holman se souleva lentement, prit le revolver dans son étui, releva le cran de sûreté avec le pouce. Puis il mit le canon dans la bouche béante de Barrow, et pressa la détente.

 

Il s’agenouilla près de Casey, l’attira à lui, la berça dans ses bras. Là-haut, on entendait le vrombissement des avions. Ils avaient atteint son secteur.

— Le pire est passé, chérie. Nous ne serons plus jamais les mêmes, mais nous nous aiderons l’un l’autre. Je t’aime tant, Casey.

Il la mit debout, elle pleura contre lui.

— Quand tout sera fini, quand ils auront fait tout leur possible pour soulager ceux qui souffrent, la population saura découvrir la cause de ce qui s’est passé. Je vais agir en ce sens, et d’autres avec moi j’en suis sûr. Mais pour l’instant, Casey, allons dormir. Allons nous coucher et dormir, dormir très longtemps.

Elle réussit à lui sourire et ils rentrèrent ; il appuyait sur elle son corps douloureux.

Il ferma la porte derrière eux.

 

Fog
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