CHAPITRE XI

 

CAL

 

 

Il va falloir que je fasse ce voyage prochainement. Ces récits m’intriguent. Surtout celui de Ripou qui est un garçon posé. Si lui aussi a entendu parler de cette montagne, il ne doit pas y avoir trop d’affabulation et il faut vérifier cela. En tout cas, ma curiosité ne me lâchera pas et il vaut mieux aller voir. En outre, il est temps que je connaisse un peu mieux Vahu ; c’est le nom que l’on donne ici à cette région.

Je pose une jambe à terre pour balancer un peu le hamac. Que de choses ont changé ici en trois ans !

Cela fait maintenant trois ans que j’ai débarqué sur cette planète et tout a été vite. Après le combat contre les Tocosabs, j’ai mis mon plan en application. Salvokrip et Louro, ainsi que Mez bien sûr, ont été mes premiers alliés. Sospal restait sur une réserve prudente, mais sans hostilité. Je tiens beaucoup à Sospal, elle a une sorte de recul par rapport à la vie, une sérénité et un pouvoir de réflexion qui en font une sorte de « logicienne » des Vahussis. Amusant, non ?

Dès que le bungalow a été terminé, j’ai invité Louro Salvokrip et Sospal, un soir, et leur ai parlé des bateaux. L’une des choses qui m’avait frappé sur cette planète, est le vent régulier qui souffle en permanence. Je me suis dit qu’il y avait là quelque chose à exploiter. C’est ce que j’ai expliqué à mes amis. Dans mon plan visant à solliciter de chaque village une espèce de spécialisation, pour provoquer des échanges, j’avais décidé de garder pour ici le vent. J’ai donc raconté que nos radeaux étaient bien, certes, mais que l’on pouvait faire mieux, comme je l’avais vu pratiquer dans le sud. Et je leur ai parlé de voile ! Il faut reconnaître qu’ils ont été sceptiques, à l’exception de Mez qui m’est toujours acquise, mais à la manière des Vahussis, sans soumission. Ils ont joué le jeu honnêtement. Nous avons entrepris, Louro, Salvokrip – qui est devenu un ami – et moi, de faire tisser une grande voile rectangulaire dans ce fil végétal qui ressemble à de la soie. Un tissage serré. Les hommes ont été très intrigués et ont suivi les préparatifs avec attention. Nous avons mis un mat, sur un radeau lourd et volumineux, étayé de bambous, et nous sommes partis, à la perche, avec quinze hommes à bord. Au large, dégagé de la terre, j’ai hissé la voile. Il y avait un bon vent régulier de 25 à 30 km/h à mon avis, et aussitôt le radeau s’est mis en marche pendant que je le guidai de l’arrière, en laissant traîner la perche dans l’eau.

Les Vahussis s’étaient assis et leurs yeux allaient de la voile gonflée à la surface du lac où ils pouvaient apprécier notre vitesse. Au bout d’un moment, Louro est venu à moi.

— Est-ce tout. Cal ? Ou bien vas-tu encore nous enseigner quelque chose comme le jeu du ballon ?

Peut-être est-ce sa mère, ou son hérédité, en tout cas lui aussi semble toujours me considérer comme un être à part.

— Observe bien, Louro, le vent nous pousse plus vite que nous ne pourrions le faire à la perche, mais il nous est impossible de revenir vers le village. Cela vient du radeau. Dans le sud, sur les bords du grand lac, des hommes avaient construit une embarcation qui pouvait revenir d’où elle venait, malgré le vent. Si tu veux m’aider, nous y arriverons aussi.

— Trois doigts-les-mains d’hommes peuvent monter dessus ? demande-t-il en montrant la quinzaine de passagers sur le radeau.

— Oui, et plus encore si l’on veut.

— Et personne ne pousse les perches ?

— Non, et l’embarcation peut même aller vers les grands fonds où la perche ne sert plus à rien.

Il regarda la voile, le lac, et se retourna vers moi avec un sourire confiant :

— Je t’aiderai. Cal.

On a mis le lendemain même le premier bateau en chantier. J’avoue que mes connaissances étaient plutôt restreintes. Néanmoins, il me paraissait important de construire un bateau en planches et non avec des jeunes troncs, comme les radeaux. Les quinze passagers de la veille nous ont servi d’agents de recrutement en racontant ce qui ne se voyait pas du rivage. Si bien que nous nous sommes trouvés une bonne équipe. La moitié des rescapées des Tocosabs avait quitté le village, mais l’autre a décidé de s’installer près de nous. Elles avaient été très impressionnées par notre victoire et considéraient le village comme assez extraordinaire, si bien qu’une dizaine de femmes s’est jointe à nous.

J’ai mis tout le monde aux planches. Il fallait en fabriquer un grand nombre. Cela, c’était une chose que les Vahussis savaient faire depuis longtemps, utilisant des coins introduits dans un arbre au bois à longues fibres, qui cède en tranches. L’après-midi, je suis allé à ma cachette. Il me semblait avoir vu une boîte de documents sur la navigation maritime. Effectivement, je l’ai retrouvée. Il y avait les plans, les modes de construction, etc. sur chaque stade de l’histoire des bateaux. Je me suis mis dans le crâne ce qui concernait une baleinière à deux mâts capable d’emmener une vingtaine de personnes, avec un demi-pontage jusqu’au mât avant. Les voiles étaient de type Marconi, glissant le long de chaque mât dans des sortes d’anneaux. Ce style de bateau était évidemment en avance sur l’époque, mais étant donné qu’il n’y avait personne pour s’en apercevoir… Ça m’amènerait seulement à ajouter la poulie et le gouvernail au nombre des innovations.

Nous avons utilisé le même bois dont je m’étais servi pour les pirogues, et pour l’assemblage, j’ai eu l’idée d’essayer la résine au lieu de chevilles. Une femme venant de l’ouest nous a appris comment la durcir en y ajoutant de l’écorce broyée. Cela donnait au séchage un enduit genre goudron, étanche et solide. En tout cas le collage des planches se recouvrant chacune de 5 centimètres a été un succès. Un longeron a servi de support à une quille. Je pensais que les Vahussis ne comprendraient pas avant un bon bout de temps comment la quille les aiderait à remonter le vent, mais peu importe, l’histoire en attribuerait la découverte au hasard ou à un homme trop tôt disparu !

Il a fallu un mois, avec nos hésitations, les travaux à recommencer, etc., mais la baleinière a été terminée, ses voiles ferlées sur les baumes. J’avais prévu un foc à l’avant et je me demandais si finalement le bateau n’aurait pas trop de toile.

Pour la mise à l’eau, tout le village était là. Nous avons embarqué dès qu’il s’est avéré que la baleinière était bien équilibrée et ne chavirait pas. J’ai fait hisser les voiles et c’est parti.

Avec sa coque effilée, dès que les voiles ont été bordées, la baleinière a pris de la vitesse très vite, s’inclinant légèrement. Je me suis senti merveilleusement bien. Les premiers virements de bord ont été plus hésitants que sur les glisseurs que l’on rencontrait sur Terre avant mon départ, mais les actions du gouvernail et des voiles étaient classiques. À bord, les gars se sont excités au point que j’ai dû gueuler pour qu’ils restent tranquilles. Louro et Salvokrip étaient transfigurés ! On est allé loin au large. Si loin que la côte sud avait disparu. Il y avait de petites vagues de 40 à 50 centimètres qui claquaient ; contre les bordages ; les mâts chantaient dans le vent : un vrai bonheur.

Pour le retour par vent travers, j’ai donné la barre à Louro qui a tout de suite pigé. Moi je m’occupais des voiles dont les écoutes étaient tenues à la main par l’équipage…

Il a fallu emmener à tour de rôle tous les habitants du village, enthousiasmés comme s’il s’agissait de la réussite de leur propre projet. Tant mieux. J’en ai profité pour leur apprendre le rugby qui leur a tout de suite plu. Chaque soir une partie a été organisée.

Les jours suivants, six bateaux ont été mis en chantier dont deux baleinières plus longues que la première et, sur mon conseil, quatre bateaux genre cotre, plus petits et avec un seul mât. Parallèlement, j’ai tressé avec les enfants des nasses que nous sommes allés poser avec une des pirogues. En nageant un jour, il m’avait semblé repérer une sorte de crustacé, langouste d’eau douce ou écrevisse énorme. À tout hasard, nous avons mis des poissons morts comme appâts. Les gosses étaient terriblement fiers de participer eux aussi à une innovation. Maintenant ils nageaient pratiquement tous la brasse et le crawl, et faisaient des courses entre eux.

Le lendemain, les nasses étaient pleines de poissons à moitié dévorés… et de bestioles, mi-écrevisses, mi-homards, longues de 40 à 50 centimètres ! Les gosses les appelaient des sousouvs. C’était apparemment un met très recherché. En tout cas, je me suis rendu compte qu’il faudrait fermer davantage l’entrée de certaines nasses pour garder les poissons vivants…

Au bout de deux mois – entre-temps l’hiver était venu – les bateaux ont été terminés. J’avais appris aux six ou sept Vahussis les plus réfléchis, à commander la manœuvre. Quelques-uns étaient devenus barreurs, et d’autres, gabiers, s’occupaient des voiles. Salvokrip et Louro avaient pris en charge les deux grandes baleinières et s’en tiraient fort bien.

J’ai également fait tresser un long filet de pêche, genre de chalut que les cotres tiraient. Les pêches étaient fabuleuses ! Les enfants avaient plus ou moins le monopole des nasses à sousouvs qu’ils allaient mouiller en pirogue. D’autres bateaux ont été mis en chantier sans que je ne sois consulté. Désormais, les Vahussis en savaient assez pour les construire seuls et ils adoraient cela… Les embarcations avaient des dimensions très diverses, mais elles étaient soit du type baleinière à deux mâts, soit cotre.

Au printemps, nous avons vu un petit groupe venant d’un village de la rive nord-ouest du lac, à 3 ou 400 kilomètres ! On connaissait leur village, ici, et ils ont été bien accueillis. Ils avaient entendu parler de notre combat et des bateaux, et voulaient construire une baleinière. Les habitants du village ont beaucoup réfléchi et, à ma surprise, ont décidé de céder une de leurs embarcations aux visiteurs. Voulaient-ils garder ainsi le secret de la fabrication ? Je n’ai pas compris. En tout cas, les visiteurs ont, en échange, proposé des tissus. Effectivement, ils semblaient très en avance dans le domaine du tissage et des teintures. Il a été convenu que deux bateaux ramèneraient les visiteurs chez eux et qu’un seul reviendrait, avec la cargaison de tissus. Il a aussi été décidé à mon instigation de leur montrer la fabrication des arcs. Je ne voulais pas qu’un village ait le monopole de l’armement. Nous leur avons longuement recommandé des arcs exclusivement pour la chasse et pour se défendre, et de n’en céder aucun aux voyageurs se dirigeant vers le pays des Tocosabs où, paraît-il, l’annonce de notre victoire aurait causé des remous.

C’est au début de l’été que j’ai entamé, avec Louro, la réalisation d’un autre projet. Désormais, nos bateaux partaient de plus en plus loin sur le lac, mais sur terre, les voyages étaient toujours aussi lents et longs ; ce pays est tellement vaste !

Dans une planche épaisse, j’ai taillé un cercle, percé au centre, et j’ai assemblé une brouette ! C’était un énorme coup de pouce à l’Évolution, mais il me paraissait nécessaire. Pressentiment peut-être, je ne sais pas, ou simplement l’attitude de Mez ? Elle attendait un enfant de moi et, après l’enthousiasme de la nouvelle je la trouvais un peu indifférente.

La brouette n’a eu un succès de curiosité, sans plus. Les Vahussis n’avaient que rarement l’occasion de transporter des charges et Louro a été un peu déçu, jusqu’à ce que je lui dise que nous allions faire autre chose. Et, cette fois, j’ai entrepris la construction d’un char à voiles ! Je comptais beaucoup là-dessus.

Un plancher, deux roues taillées dans le bois à l’avant, et une autre articulée en gouvernail à l’arrière, un mât et une grand-voile. L’engin était simple, rustique mais solide. Cette fois le succès a été prodigieux : un moyen de locomotion terrestre ! La dimension de la voile et la relative légèreté de l’ensemble faisaient que nous atteignions facilement 45 km/h…

Ce fut un été fébrile. Le village fourmillait véritablement. Chaque homme voulait son char à voile. J’ai perfectionné le modèle et nous en avons fabriqué de toutes les tailles, depuis les bi ou triplaces, jusqu’aux machines emmenant une dizaine de passagers. Moralement, les Vahussis ont été bouleversés. Dans un très lointain passé, la race avait été presque nomade et les voyages jouissaient ici d’un prestige certain. Or ils allaient pouvoir recommencer à rayonner. Déjà les bateaux leur en avaient donné la possibilité mais, n’ayant pas de tradition de navigateurs, le déclic ne s’était pas vraiment fait. Avec les chars, ce fut autre chose ! Louro préparait une expédition vers le sud-ouest, aux confins connus pour abriter des villages Vahussis. Quant à Salvokrip, il s’était définitivement donné à la navigation.

Au milieu de l’été, nous eûmes une tempête terrible, pas une de ces petites pluies nocturnes bienfaisantes, non, une vraie tempête, impressionnante de bruit et de puissance. Trois bateaux furent ainsi perdus et un équipage qui rentrait fut sauvé de justesse. C’est ce qui m’a amené à proposer la construction d’un bateau plus important. Je songeais depuis quelque temps à un brick. Un vrai bâtiment, cette fois, avec plusieurs voiles sur chaque mât, entièrement ponté, évidemment, et avec des cabines à l’avant et à l’arrière de chaque côté des cales, sous le pont principal. J’ai fait un petit mélange des dimensions de plusieurs vaisseaux terriens, de manière à aboutir à un bateau de 37 mètres, un monument à l’échelle du village, très renforcé, aux châteaux à l’avant et à l’arrière pour résister à la mer. Car je pensais inciter Salvokrip à naviguer en mer. De toute façon, même très robuste, le brick n’en résisterait que mieux aux tempêtes du lac. L’idée a plu à Salvokrip qui en a commencé la construction avec les « marins ». Je dus partager donc mon temps entre les chars et le brick. Pour l’installation intérieure du brick, j’avais prévu des couchettes superposées sur un matelas de lanières entrecroisées, dans des cabines de quatre, et des hamacs tressés, dans l’entrepont, pour les passagers éventuels.

Le village était devenu un chantier et je ne reconnaissais plus l’indolence de mon arrivée. Après des générations d’immobilisme, la race s’enthousiasmait à nouveau. Et les villages les plus proches en sentaient le contrecoup, nous envoyant fréquemment des visiteurs qui repartaient avec quantité de récits à conter. Pour moi, ce fut une époque grisante. Je m’apercevais qu’il n’y aurait plus de retour en arrière ; quoi qu’il se produise, cet acquis resterait aux hommes de cette planète. Pourtant, il m’arrivait de m’asseoir et de regretter la douceur d’autrefois. Même sachant que j’avais raison d’apporter tout cela et que la douceur de vivre, la lenteur, reviendraient lorsque l’enthousiasme serait calmé, quand ces nouveautés seraient entrées dans les mœurs, je ne pouvais m’empêcher de regretter de vivre trop peu longtemps pour connaître à nouveau le charme lent des Vahussis, dans un ou deux siècles. Car je ne me faisais guère d’illusions, il n’y aurait que peu de changement pendant ce laps de temps. D’après mes conversations avec les voyageurs, on connaissait l’existence du grand lac, à l’est, l’océan, mais à l’ouest, rien. Manifestement, même ce continent n’était pas encore connu par ses habitants. C’est d’ailleurs pourquoi je parlais souvent avec Salvokrip d’une expédition vers l’océan, à l’est.

Tôt ou tard, des hommes se lanceraient sur l’océan et j’avais envie que ce soit mon copain Vahussi qui découvre d’autres terres. Je parlais donc de l’archipel. Les îles étaient les plus proches, même s’il y avait quelque chose comme 4 000 kilomètres pour y parvenir. Doucement, j’y revenais dans la conversation, parlant des récits imaginaires que j’avais entendus, de la longueur du trajet, de la navigation de nuit. Si le petit satellite, que l’on appelle ici Chagar, ne procure pratiquement pas de clarté, en revanche l’atmosphère très pure de la planète permet d’observer le ciel et les étoiles. Quelques-unes sont vraiment très distinctes et il est possible de se diriger en fonction de leur position. J’en avais repéré huit, caractéristiques, qui marquent les points cardinaux et les demi-angles droits : nord-ouest, nord-est, etc. C’est vraiment étonnant et largement suffisant pour estimer une direction. Bref, Salvokrip commençait à avoir envie de connaître ces îles.

De son côté, Sospal, assez réservée au début de cette activité intense, m’avait finalement donné son accord.

Et puis l’enfant est arrivé au printemps de cette année. Un petit garçon aux cheveux d’un blond cendré, plus foncés que ceux des Vahussis. J’en ai été infiniment heureux. Mez avait retrouvé sa tendresse pour moi.

C’est à cette époque qu’un voyageur est arrivé. Il en venait chaque mois, maintenant. Le village était connu à plusieurs centaines de kilomètres à la ronde. Le gars venait du sud. Un soir il m’a parlé d’une montagne-où-il-ne-faut-pas-aller. Les Vahussis n’ont aucune religion, au sens habituel du terme, car en fait ils appliquent naturellement quelques lois simples sur le Bien et le Mal. Finalement, les religions terrestres n’avaient d’autre but que d’inciter à faire le Bien sous la menace de la punition ! Ils n’ont pas de superstitions non plus et cette espèce de légende, cet interdit était anormal. Mais le gars ne savait absolument pas pourquoi il ne fallait pas aller sur cette montagne ! Cela m’a intrigué quelques jours puis j’ai pensé à autre chose. Là-dessus, Ripou est revenu d’un voyage dans l’ouest, de 600 kilomètres en char. Il avait été l’un des premiers à utiliser le char pour une expédition. L’engin lui avait valu un succès prodigieux à chaque village visité. Il était le premier à pouvoir aller si loin et sans fatigue, très vite malgré les détours pour contourner forêts et obstacles naturels. Et à l’abri des fauves ! Dans un village très lointain, il a entendu parler lui aussi de la montagne-où-il-ne-faut-pas-aller. Et cette fois j’ai pris la décision d’aller voir ça.

Depuis quelques mois, je suis très occupé à apprendre à écrire et à compter aux Vahussis. Ma première élève a été Tsoura qui, elle, m’avait appris sa langue. Des voyageurs nous ont apporté une sorte de parchemin grossier fabriqué dans le nord-est, loin du lac paraît-il, et couvert de signes cabalistiques. J’ai sauté sur l’occasion. Après Tsoura, j’ai eu plusieurs élèves dont la moitié d’enfants. Aujourd’hui elle est capable d’écrire et, depuis que je lui ai demandé de continuer l’enseignement à ma place, elle y apporte beaucoup plus de soin et de volonté. C’est à Salvokrip que j’ai appris à compter, par le biais de la construction des bateaux. Tout naturellement, j’ai tracé des plans sur le sable, puis je lui ai appris les dix signes et les rudiments du calcul, addition et soustraction. Il n’a pas besoin d’en connaître davantage maintenant. Au dos d’un parchemin, avec une plume taillée et de la teinture en guise d’encre, j’ai tracé les plans du brick. Salvokrip en a aussitôt compris l’importance et ce fut gagné.

Tiens, voilà Mez qui sort du bungalow pour aller se baigner avec notre bébé. Elle s’arrête et fait demi-tour.

— Cal, tu penses toujours à ce voyage ?

Je lui en ai parlé l’autre jour, et je hoche la tête. Elle a l’air soucieuse.

— L’enfant est encore petit, tu sais ?

— Mais… il n’est pas question d’emmener l’enfant, Mez, j’irai seul.

Son visage s’éclaire.

— Alors, je n’irai pas non plus ?

— Non, bien sûr, il vaut mieux que je parte seul.

Elle rit et court vers l’eau avant de se retourner.

— Quand pars-tu ?

— Dans trois jours, je crie.

Pourquoi ai-je dit cela ? Eh bien ! ça y est, je me suis décidé !