13.
Assis devant son ordinateur, Jake notait tout ce qui lui traversait l'esprit au sujet de l'enquête, y compris ce qui s'était passé ce jour-là.
Pendait qu'il dînait rapidement Chez Nick, il avait mis Marty au courant des derniers développements de l'affaire, si toutefois on pouvait parler de développements. Enfin, tout de même, grâce au stupéfiant talent de dessinatrice d'Ashley Montague, ils allaient peut-être réussir à découvrir l'identité de la toute dernière victime. Ce n'était pas rien : ils pourraient enfin partir de quelque chose. Pour l'instant, comme l'avait observé l'agent spécial Franklin, avec son art consommé d'enfoncer des portes ouvertes, ils tournaient un peu en rond.
Jake avait choisi un des portraits et l'avait faxé à tous les journaux du matin. Puis, obéissant à une impulsion, il s'était rendu sur la propriété où, quelques années plus tôt, la secte s'était installée. Le couple de fermiers qui l'avait rachetée n'avait pas vu d'inconvénient à ce qu'il en fasse le tour et Jake avait déambulé à travers les champs soigneusement plantés, avant de s'arrêter devant le canal qui bordait une des extrémités du terrain. Il était resté longtemps à regarder l'eau...
La propriété, avait-il songé, était bien loin de l'endroit où avait été retrouvée la dernière victime. Elle n'était, en revanche, qu'à quelques kilomètres à l'ouest de celui où l'on avait repêché la voiture de Nancy. Cela n'avait rien d'étonnant, du reste. La plupart des propriétés et des fermes du secteur sud-ouest du comté avaient poussé, pratiquement, hors des Everglades. Les canaux et les voies navigables formaient la majeure partie de l'écosystème. Un véritable réseau zigzaguant à travers toute la zone.
La femme du fermier l'avait rejoint, à un moment.
— Nous avons acheté ces terres pour une bouchée de pain, lui avait-elle dit d'un air un peu anxieux. Vous pensez que c'est parce que nous risquons de tomber sur un cadavre, un de ces jours ?
— J'espère bien que non, avait répondu Jake.
Marty, quant à lui, n'avait pas bien compris ce qui l'avait poussé à retourner là-bas. Après tout, la secte n'y officiait plus depuis des années. Mais il n'avait pas vu Peter Bordon ; il n'avait pas entendu ce dernier lui parler de fumée et de jeux de miroirs. Or, Jake était de plus en plus convaincu que la clé du mystère se trouvait quelque part en évidence, et qu'ils ne la voyaient pas.
Il soupira et appela un fichier contenant les noms de toutes les personnes qui, de près ou de loin, avaient été mêlées à l'affaire. Le nom de John Mast lui sauta au visage... Mais John Mast était mort. Un accident d'avion au large d'Haïti, avait dit Marty.
Il soupira de nouveau et coupa son ordinateur. Puis il prit une bière et sortit sur le pont.
Ashley avait remplacé Karen et Jan au chevet de Stuart. Si l'état de ce dernier demeurait stationnaire, il semblait avoir repris quelques couleurs. Elle prit la main du jeune homme entre les siennes et se mit à lui parler de l'étrange entrevue qu'elle avait eue avec l'inconnu qui se disait son ami.
— 11 m'a laissée sur ma faim, conclut-elle. Il venait de me dire avoir découvert des choses que la police ignorait et, d'un seul coup, il a bondi hors de la salle d'attente. Le temps que je réagisse, il avait disparu. Je crois que c'était pour éviter tes parents qui revenaient. Ton père ne l'apprécie pas beaucoup. Hélas, je ne sais rien de lui, pas même son nom.
Elle demeura silencieuse un moment, avant de reprendre :
— J'ai l'impression d'être prise dans une tornade, depuis quelques jours. Ça pleut littéralement de tous les côtés. Toi et cet accident inexplicable, l'offre d'entrer au département légiste, la rencontre avec l'inspecteur Dilessio...
Elle s'interrompit encore et poussa un soupir, avant de lui raconter ce qui s'était passé, la nuit précédente.
— Je me sens vraiment bête, maintenant, ajouta-t-elle. En même temps, ce type me fascine. Je te dis, une idiote. Je sais qu'il n'est absolument pas pour moi. Si j'en crois son attitude aujourd'hui, il me déteste même carrément. Pourtant, il suffit que je pense à lui et me voilà tremblante de la tête aux pieds... Tu te rends compte ?
Elle se tut, immobile, les yeux fixés sur le visage inerte de son ami, étrangement soulagée d'avoir pu se confier ainsi, même si Stuart ne l'entendait pas. Elle n'avait jamais été du genre à parler facilement de ses problèmes ou de ses pensées secrètes — même avec Karen et Jan, elle ne se départait jamais totalement d'une certaine réserve. Finalement, elle jeta un coup d'œil à sa montre.
— Bon, je vais laisser la place à ta maman...
Elle déposa un baiser sur le front de Stuart, lui serra la main et se leva pour aller retrouver Karen et Jan dans la salle d'attente. Lucy et Nathan Fresia les remercièrent encore avec effusion d'avoir eu la gentillesse de venir et Ashley promit de repasser le lendemain soir.
— Tu ne leur as rien dit, au sujet du type qui t'a suivie dans le parking, l'autre soir ? demanda Karen, comme les trois amies s'engouffraient dans l'ascenseur.
— Pourquoi leur donner une autre raison de se faire du souci ? répondit Ashley. Ils en ont bien assez comme ça.
— Moi, je vous préviens : au premier pyjama de bloc que je vois, je hurle à la mort ! déclara Jan d'un air farouche.
Les trois amies pouffèrent, mais elles n'en jetèrent pas moins des regards de tous côtés, lorsqu'elles débouchèrent sur le parking, et c'est d'un pas plus que pressé qu'elles rejoignirent la voiture d'Ashley. Une fois à l'intérieur, elles eurent un même soupir et éclatèrent d'un rire nerveux.
— Si on allait boire un verre ? proposa Jan. J'ai besoin d'un petit remontant, après toutes ces émotions.
— C'est une bonne idée, ça, renchérit Karen. Allons chez Nick. Nous prendrons un taxi pour rentrer, Ashley.
— D'accord, fit celle-ci.
En arrivant au restaurant, elles eurent la surprise de tomber sur Len Green, venu dîner sur le pouce. Il était attablé à l'extérieur.
— C'est plus sympa que de se retrouver seul chez soi. La nourriture est bonne et je me suis dit qu'avec un peu de chance, je te verrais, Ashley, et que tu pourrais me raconter ton après- midi avec Murray. Alors, qu'est-ce que je vous offre ?
— Une bonne bière bien fraîche, déclara Jan en se laissant tomber sur une chaise.
Len sourit.
— Karen ?
— Je veux bien une bière, aussi, repartit celle-ci, rosissant légèrement.
— Ashley ?
— Va pour une bière. Je vais faire le service et en profiter pour dire à Nick que je suis rentrée.
Elle disparut dans le restaurant et Len, Jan et Karen bavardèrent agréablement jusqu'à son retour.
— Alors, que te voulait Murray ? s'enquit Len, dès qu'elle fut assise.
— Que j'essaie de faire le portrait de la jeune femme dont le corps a été découvert, le week-end dernier, expliqua Ashley. Son visage est terriblement décomposé et ils ne connaissent pas son identité. Ils vont publier son portrait dans les journaux du matin, dans l'espoir que quelqu'un la reconnaîtra.
— Première mission : à la morgue, commenta Jan.
— Arrête un peu d'être aussi négative, intervint Karen. C'est une chance inouïe pour elle.
— Karen a raison, intervint Len. C'est une opportunité rare. Ce genre de poste ne se libère pas souvent.
— Je sais bien, répondit Jan avec bonne humeur. Mais il faut bien que quelqu'un la taquine un peu, non ?
Ashley écoutait l'échange distraitement. Elle venait de voir Jake Dilessio qui se dirigeait vers eux et s'était figée, son verre de bière à la main.
Le remarquant, Karen se retourna.
— C'est le type que tu as dessiné, l'autre soir, à Orlando ! s'exclama-t-elle.
Len tourna la tête à son tour et arqua les sourcils.
— Jake Dilessio ? C'est un flic.
— Tu le connais ? fit Ashley.
— De réputation, surtout, répondit Len, juste comme Dilessio arrivait à leur hauteur.
Il s'arrêta devant la table.
— Bonsoir, dit-il à la cantonade en accompagnant ses paroles d'un petit signe de tête, avant de fixer son regard sur Ashley. Je ne veux pas vous déranger, mais j'aimerais vous parler, quand vous aurez un moment, bien sûr.
Ashley hocha la tête, le cœur dans la gorge.
— Euh, oui. Nous venons d'arriver, mais...
— Rien ne presse. Je serai sur mon bateau. Encore pardon pour l'interruption.
L'inspecteur repartit par où il était venu. Les quatre jeunes gens le suivirent des yeux et ce fut Len, finalement, qui rompit le silence qui s'était abattu sur la table.
— Qu'est-ce qu'il te veut ? demanda-t-il, avec une pointe d'agressivité dans la voix.
— Je ne sais pas, répondit Ashley, affectant de son mieux F indifférence. C'est pour lui que j'ai fait tous ces dessins, cet après-midi. Peut-être veut-il que je refasse quelque chose.
— Et il te poursuit jusqu'ici en dehors des heures de boulot ? s'écria Len.
— En tout cas, il est encore plus séduisant en vrai que sur papier, s'extasia Jan.
Karen fit la moue.
— Si on aime le genre beau ténébreux tourmenté. Ce n'est pas du tout mon type. Il a l'air affreusement crispé. Tu le vois s'amuser comme un petit fou, toi ? Je préfère les hommes un peu plus décontractés, conclut-elle en offrant un joli sourire à Len Green.
Ashley détourna habilement la conversation et ils passèrent encore un moment à papoter, jusqu'à ce que Karen et Jan donnent le signal du départ.
— Ashley, tu as le numéro de la compagnie de taxis la plus proche ? demanda la première.
— Oui, bien sûr, dit celle-ci, prête à se lever.
— Un taxi ? Pour quoi faire ? Je peux vous reconduire chez vous, voyons, offrit Len.
— Vous êtes sûr ? fit Karen.
— Absolument. Laissez-moi régler l'addition et nous pourrons lever l'ancre.
Lucy Fresia se réveilla en sursaut, sans savoir ce qui l'avait réveillée. Elle fureta autour d'elle, dans la chambre sombre, et ne vit rien.
Elle secoua la tête, souriant intérieurement. Le manque de sommeil et la tension de ces derniers jours commençaient à lui porter sur les nerfs...
Elle s'abandonna de nouveau contre le dossier de son fauteuil. Stuart était allongé sur le lit, exactement dans la même position. Le silence régnait dans la pièce.
Lucy sursauta de nouveau.
Le silence ! Pourquoi ne percevait-elle plus le ronron du respirateur ? Elle courut au chevet de Stuart. Son visage bleuissait...
Elle leva les yeux vers les moniteurs. Les écrans étaient noirs.
Stuart ne respirait pas. Son cœur ne battait pas.
Mort...
Non!
Elle se rua vers la porte, l'ouvrit à la volée et hurla à l'aide. L'infirmière de Stuart accourut dans l'instant et, comprenant la situation en un clin d'œil, cria en direction du poste des infirmières pour qu'on appelle un code. Plusieurs membres du personnel hospitalier arrivèrent bientôt et Lucy se mit à crier, crier, sans plus pouvoir s'arrêter.
Elle s'écroula sur le sol, le corps secoué par les sanglots, criant toujours.
Non ! Non ! Non !
Quelqu'un lui enfonça une seringue hypodermique dans le bras.
Len Green commença par déposer Jan chez elle. Quand Karen et lui furent seuls dans la voiture, la conversation prit rapidement un tour un peu plus personnel et, bien trop vite, ils arrivèrent devant la maison de la jeune femme.
— C'est ici, dit-elle.
Len bifurqua dans l'allée.
— C'est drôlement mignon, commenta-t-il en jetant un coup d'œil par le pare-brise. Vous vivez seule ?
— Oui. Ce n'est pas un manoir, loin s'en faut, mais il m'appartient. Enfin, la banque et moi en sommes propriétaires, précisa-t-elle avec un petit rire.
— C'est super.
— Merci. Vous voulez visiter ?
— Il n'est pas trop tard ?
— Mais non, pas du tout. Je peux faire du thé ou du café. J'ai de la bière aussi. Mais vous ne voudrez sûrement pas boire une autre bière, si vous devez conduire, n'est-ce pas ?
— On peut commencer par une bière et conclure par un café...
— En effet.
Karen lui montra fièrement sa maison, qui était petite, mais bien distribuée et joliment décorée.
— Il y a plusieurs demeures des années vingt, dans le quartier. A l'époque, nous aurions été au milieu de nulle part, perdus dans les marécages... Enfin, les Everglades ne sont pas vraiment des marécages, puisque l'eau bouge tout le temps.
Il eut un rire.
— Je comprends ce que vous voulez dire.
— Bon, je vais nous chercher cette bière et brancher la cafetière pour tout à l'heure.
Elle revint très vite avec deux bouteilles, alluma la stéréo et ils prirent place sur le canapé ancien, dans le living-room, devisant de tout et de rien, de leur travail, de leurs loisirs. Au bout d'un moment, Karen vit que Len regardait sa bouteille vide.
— Je vous en offrirais bien une autre, mais les flics sont féroces avec les automobilistes en état d'ivresse, dans notre Etat, fit-elle.
— Oui, je l'ai entendu dire, fit Len en souriant.
— Ce canapé peut se transformer en lit, cela dit, ajouta la jeune femme.
Len la considéra un instant. Elle était tout près de lui, ses longues jambes repliées sous elle... Il lui toucha doucement le menton.
— Je ne suis pas sûr de pouvoir rester sagement sur le canapé...
Karen avala un peu d'air, avant de chuchoter :
— Je ne suis pas sûre d'avoir envie que vous restiez sur le canapé.
Len se pencha et l'embrassa. Quand ils se séparèrent, les lèvres de la jeune femme étaient humides et elle avait le souffle court.
— Je vais vous chercher cette bière, dit-elle.
Elle disparut dans la cuisine un long moment. Puis Len entendit son nom. Il se retourna.
Karen se tenait dans l'encadrement de la porte de la chambre — entièrement nue. Aucun subterfuge. Mince, élancée, superbe — et nue.
Len éprouva un flot de sentiments contradictoires : d'un côté, il était flatté et séduit ; de l'autre, il ressentait comme un rejet, de l'incertitude et même un certain malaise.
Il se leva lentement, vaguement hésitant.
— Votre bière est sur la table de chevet, murmura la jeune femme, d'une voix vibrant de sensualité.
— Vraiment ? répondit-il.
Elle se tourna et il la suivit. Elle s'était allongée sur le lit, tout son corps offert, et Len la regarda longtemps, en proie à un terrible chaos intérieur. C'était l'amie d'Ashley. Ashley.
— Len ? appela Karen.
Il s'approcha d'elle et, soudain, Karen poussa un cri.
Un cri très bref.
* * *
Ashley trouva Jake Dilessio accroupi devant la porte menant à la cabine du Gwendolyn, en train d'examiner la serrure d'un air profondément concentré, les sourcils froncés.
— Hm ! fit-elle pour attirer son attention.
Il se redressa comme un diable monté sur ressort et lui jeta un regard furibond.
— Vous ne pouvez pas vous annoncer, quand vous arrivez quelque part ?
— C'est ce que je viens de faire, riposta-t-elle, sentant la moutarde lui monter au nez. Et si vous m'avez fait venir pour me prouver, une fois encore, à quel point vous êtes odieux et imbuvable, permettez-moi de vous dire que j'en ai par-dessus la tête. Nous serons sans doute amenés à nous voir dans le cadre du travail, mais pour ce qui est du reste, je vous prie dorénavant de ne plus jamais m'adresser la parole !
Sur ce, la jeune femme pivota sur ses talons. Mais elle n'eut pas le temps de faire un pas. Une main s'abattit sur son bras, ferme et douce à la fois.
— Désolé, dit Dilessio. Ecoutez, vous avez raison, je suis à cran, et constamment sur le qui-vive. Je suis sûr que quelqu'un s'est introduit chez moi, l'autre jour, et...
— Comment ça, introduit chez vous ? On vous a cambriolé ?
— Mais non, bien sûr que non.
Ashley eut un haussement d'épaules.
— Inutile de répondre comme si je venais de dire une énor- mité. C'est une supposition parfaitement logique. Pourquoi, sinon, quelqu'un aurait-il envahi le domaine du grand inspecteur Dilessio ? Pour le simple plaisir d'avoir pénétré dans son antre ?
Jake crispa les mâchoires et se mit à faire les cent pas sur le pont. Brusquement, il s'arrêta et regarda la surface noire de l'eau.
— Désolé de vous avoir agressée. Ce n'était pas mon intention.
Il s'interrompit un instant, et reprit :
— C'est la deuxième fois que quelqu'un s'introduit à l'intérieur de mon bateau.
— Et rien n'a disparu ? fit Ashley, curieuse malgré elle.
— Non. En tout cas, je n'ai pas remarqué.
— Pourquoi serait-on venu, dans ce cas ?
— Je n'en sais rien. La personne en question doit chercher quelque chose.
— Quoi ?
— Je n'en sais rien non plus.
— Vous aviez verrouillé la porte ?
— Oui.
— Et la serrure n'a pas été forcée ? C'est ce que vous étiez en train de vérifier ?
— Oui. Et non, elle n'a pas été forcée. C'est ma faute. J'aurais dû la changer.
Ashley hésita une fraction de seconde.
— Est-ce que quelqu'un d'autre a un double ?
Jake ne répondit pas immédiatement. Finalement, il haussa les épaules.
— Nick.
Ashley leva la tête d'un air de défi.
— Nick ne se permettrait jamais de venir sur votre bateau sans votre permission. Je suis sûre qu'il ne garde ce double que pour vous rendre service...
— J'ai entièrement confiance en Nick, la coupa-t-il.
— Mais alors... ?
— J'ai donné un autre double à quelqu'un, il y a plusieurs années.
Il ferma les yeux, un bref instant.
— Ma coéquipière.
— Celle... qui est morte ?
Jake darda sur elle un regard neutre.
— Oui.
Puis il se tourna de nouveau vers l'eau.
— J'avais complètement oublié l'existence de cette clé. J'ai pensé que son mari l'avait peut-être. Il m'assure que non.
— Il ne dit peut-être pas la vérité.
— Possible.
— Pourquoi ne faites-vous pas venir une équipe pour relever les empreintes ?
— Je suis prêt à parier que la personne qui s'est introduite chez moi portait des gants et n'a pas laissé la moindre empreinte.
Ashley prit le temps de la réflexion.
— Rien ne manque, mais vous êtes sûr qu'on est entré chez vous. Et que cette personne portait des gants. Je ne veux pas mettre votre jugement en doute, mais vous ne seriez pas un peu paranoïaque — peut-être parce qu'on vient de rouvrir une enquête que la plupart des gens considéraient close ?
Jake eut un petit sourire triste.
— Non, je ne suis pas paranoïaque. Je pèche parfois par excès de zèle et cela peut même friser l'obsession, mais ce n'est pas de la paranoïa. Je vis seul. Je sais où se trouve chaque objet, chez moi. Et je sais aussi quand on y a touché, quand ils ont bougé, même d'un quart de centimètre. Quelqu'un est entré chez moi. Les papiers sur mon bureau ne sont pas exactement là où ils sont d'habitude, le tapis au pied des marches non plus. Des petites choses comme ça.
— Mais enfin, pourquoi ?
— Je n'en sais rien. Quelqu'un doit penser que j'ai en ma possession quelque chose... Mais quoi ? Je n'en ai pas la moindre idée.
Il se dirigea vers l'intérieur du bateau et Ashley le suivit des yeux, le front plissé. Il s'arrêta et se tourna vers elle.
— Vous venez ?
La jeune femme hésita.
— Je... vous vouliez me parler...
— Vous allez rester ?
Ashley s'attendait à tout sauf à une question aussi directe. L'espace d'un instant, elle balança entre l'indignation, l'inquiétude de le voir aussi convaincu qu'on avait pénétré chez lui et la colère devant ses brusques revirements. Comment pouvait-il passer ainsi de l'intimité à la froideur la plus abjecte ?
— Pourquoi vouliez-vous me parler ? s'enquit-elle le plus froidement qu'elle put.
Il arqua les sourcils.
— Pour vous présenter mes excuses, bien sûr.
L'air outragé d'Ashley fondit comme neige au soleil.
— Alors, vous restez ? répéta-t-il.
Elle aurait dû l'envoyer au diable. Au lieu de ça, elle hocha la tête.