20.
Tout commença par une bataille de nourriture — un incident qui n'attira même pas l'attention de Peter Bordon, au début, puisque les hostilités débutèrent à l'autre extrémité de la table du petit déjeuner.
Les manifestations violentes n'étaient guère coutumières, dans la section où il était incarcéré. Les criminels, ici, étaient surtout des cols blancs. Ils voulaient sortir de là, et le plus vite possible. Ils avaient des familles. Certains rêvaient de se racheter une conduite.
Pour la plupart, ils étaient disciplinés et tranquilles.
Des œufs se mirent à voler, et, en l'espace de quelques secondes, la bataille se transforma en une véritable mêlée. Bordon n'avait pas du tout l'intention d'y participer. Tant pis s'il se retrouvait couvert d'œufs.
Mais, d'un seul coup, quelqu'un l'attrapa par le col de sa chemise et le traîna à travers la table. L'instant d'après, il était plaqué au sol, écrasé par une bonne douzaine d'hommes. S'il entendit les cris et les coups de sifflet des gardiens qui se précipitaient pour rétablir l'ordre, son souci le plus pressant était d'écarter le coude qui s'était logé en travers de sa gorge. Les coups pleuvaient sur tout son corps. Il étouffait. Il se mit à crier, tentant de se dégager, de rendre coup pour coup.
Il ne sentit pas tout de suite la lame lui trancher la chair...
Puis il comprit.
Cette bataille n'était qu'une mise en scène. Quelqu'un était au courant, au sujet de l'appel téléphonique. N'importe lequel de ces hommes avait pu le trahir. Il suffisait d'offrir beaucoup d'argent.
La lame pivota dans sa chair et il hurla. Hélas, sa voix et ses poumons le trahissaient. Lorsque les gardiens écartèrent enfin les prisonniers qui s'étaient amoncelés sur lui, Bordon avait perdu connaissance.
Quelques minutes avaient suffi.
— Le café est prêt, dit Nick, comme Ashley faisait irruption dans la cuisine. Tu n'es pas en retard ?
— Je commence à 8 heures, maintenant.
— Ah. Tant mieux. Tu as une sale tête, dis donc... Enfin, pour une femme aussi jeune et aussi jolie, tu as vraiment une sale tête.
— Merci.
— Ecoute, Ashley, ne pense pas que je veuille te dicter ta conduite, mais tu ne crois pas que tu devrais y aller un peu plus lentement, avec Dilessio ?
— Si, fit la jeune femme.
Elle regrettait déjà son mot. Consciemment ou pas, elle avait espéré qu'il viendrait cogner à sa porte pour lui parler. La belle illusion ! Il était sans doute déjà arrivé à la prison de Bordon, peut-être sur le point d'élucider enfin le mystère qui l'obsédait depuis si longtemps. Elle l'espérait sincèrement — pour lui. Mais changerait-il pour autant ? Elle en doutait. Ce qu'il ressentait pour la femme qu'il avait jadis aimée était bien plus fort que les sentiments qu'elle-même pouvait lui inspirer.
— Comment était votre soirée ? demanda-t-elle à Nick, désireuse de penser à autre chose.
— Super. Le rendez-vous de Sharon a été annulé, alors nous avons mangé du crabe dans un restaurant de South Beach, puis nous sommes allés au cinéma, et nous avons fini la soirée par une balade sur la plage.
— Comme c'est romantique !
-— Ouais ! admit Nick dans un haussement d'épaules. Sharon est... plus que géniale. Au fait, tu as récupéré ton linge ?
— Mon linge ?
— Sharon m'a dit qu'elle avait déposé des affaires à toi, dans ta chambre.
— Ah bon ? marmonna Ashley. Elle est réveillée ?
— Elle n'a rien de prévu avant midi. Je crois qu'elle a l'intention de paresser au lit, ce matin.
Ashley sourit à son oncle.
— Je vais aller frapper à la porte, voir si elle est encore endormie.
Et elle sortit vivement, avant que Nick ne lui pose des questions. Il avait laissé la porte de leur chambre entrouverte et Sharon ne s'était pas levée pour la refermer. Ashley frappa deux coups discrets.
— Nick ? fit la voix de Sharon, lourde de sommeil, mais avec une pointe de curiosité.
Forcément. Pourquoi Nick frapperait-il à la porte ?
— Sharon, c'est moi, Ashley. Je peux te parler ?
— Une seconde.
Un moment plus tard, Sharon ouvrait la porte entièrement, finissant de nouer la ceinture de son peignoir. C'était vraiment une belle femme. Même au réveil, le visage vierge de tout maquillage et les cheveux en bataille, elle était superbe. Pas étonnant que Nick se considère comme un homme chanceux.
— Ashley ? dit-elle, l'air étonné.
— Deux choses, fit celle-ci, allant droit au but. D'abord, que faisais-tu réellement dans ma chambre, hier ? Je savais que quelqu'un était entré, et Nick vient de me dire que tu avais déposé du linge pour moi, mais... ce n'est pas vrai.
Sharon devint écarlate.
— Je lui ai menti.
— Pourquoi ?
— C'est un peu bizarre à expliquer. J'avais envie de te connaître un peu mieux.
— On aurait pu aller faire des courses ensemble, ou déjeuner.
Sharon secoua la tête.
— Ashley... j'ai un rendez-vous, demain matin. Si tu pouvais me faire confiance, d'ici là, je promets de tout t'expliquer ensuite. Je pense que tu comprendras mieux.
— Tu es drôlement mystérieuse.
— Non, pas mystérieuse, juste... vraiment, tu comprendras mieux une fois que je t'aurai parlé. Quelle est la deuxième chose?
— J'ai besoin de renseignements au sujet d'une propriété que tu as vendue.
Sharon fronça les sourcils.
— Une propriété ?
— Au sud-ouest de Miami. Pratiquement dans les Everglades.
— J'en ai vendu plusieurs, dans cette zone. Laquelle ?
Ashley lui donna l'adresse et Sharon la considéra avec perplexité.
— Une grande maison avec plusieurs bâtiments, sur un énorme terrain, précisa Ashley.
— Oui, cela peut correspondre à au moins deux propriétés que j'ai vendues, dans ce coin. Je n'ai pas accès à mes vieux dossiers, ici, mais je peux aller voir à l'agence, si tu veux.
— Nick vient de me dire que tu ne travaillais pas, ce matin.
— Non, en effet, mais si tu as besoin de cette information, j'irai la chercher pour toi.
— Merci.
— Que veux-tu savoir, exactement ?
— Tout ce que tu pourras trouver.
Sharon hocha la tête.
— Je te donnerai ça ce soir.
— Je vais sans doute rentrer tard. Tu n'auras qu'à poser ce que tu auras pu trouver sur mon lit.
— D'accord.
Elles se dévisagèrent, un moment, puis Sharon reprit :
— Ashley, je n'aurais pas dû violer ton intimité. Je suis sincèrement désolée. J'espère vraiment que tu comprendras, quand je t'aurai expliqué... ce qui se passe.
— Je l'espère aussi, repartit Ashley, avant de pivoter sur ses talons et de s'éloigner.
— Ashley ? dit encore Sharon.
La jeune femme se retourna.
— Tu sais que Nick t'adore, n'est-ce pas ? Il ne t'aimerait pas davantage et ne serait pas plus fier de toi si tu étais son enfant.
— Pour moi aussi, il compte plus que tout, fit Ashley, se demandant pourquoi Sharon avait éprouvé le besoin de lui dire cela. J'espère que tu vas retrouver l'information que je t'ai demandée. Je t'en serais très reconnaissante.
— Je m'en occupe.
Ashley revint dans la cuisine et Nick la regarda entrer d'un air un peu décontenancé.
— Ça va ?
— Ça va. Je voulais juste la remercier pour le linge.
— Oh. Dis donc, c'est ton portable qu'on entend, là ?
Ashley tendit l'oreille et reconnut la sonnerie de son téléphone
cellulaire, au loin. Elle cria vivement « merci » et courut vers sa chambre. Là, prenant l'appareil dans son sac, elle consulta l'écran lumineux et reconnut le numéro de Jan.
— Allô ?!
— Hé, on était bêtes de s'affoler, tout compte fait. Je continue de ne pas comprendre pourquoi elle ne nous a pas rappelées, mais bon, elle a sûrement une raison.
— Que veux-tu dire ?
— Elle a de nouveau téléphoné à l'école, ce matin, pour les prévenir qu'elle ne viendrait encore pas, aujourd'hui. Elle est toujours malade.
— Si elle est malade, comment se fait-il qu'elle ne soit pas chez elle ? Et pourquoi sa voiture est-elle garée dans l'allée ?
— Ça, je n'en sais rien. Mais on pourra toujours lui poser la question la prochaine fois qu'on la verra.
— Je crois que je vais repasser chez elle, après le boulot.
— Je ne pense pas que ce soit nécessaire, tu sais. On doit se retrouver ce soir, pour ta fête, de toute façon. Si elle ne vient pas ou n'appelle pas d'ici là, il sera toujours temps d'ameuter les troupes.
— Tu as peut-être raison. D'accord.
Ashley ne mentionna pas les gouttes de sang qu'elle avait raclées, au fond de la baignoire de Karen. A quoi bon inquiéter Jan ? Après tout, si leur amie avait appelé l'école pour prévenir de son absence, elle ne pouvait pas être si mal.
A moins, bien sûr, qu'une personne ne se soit fait passer pour Karen.
— Bon, à ce soir, conclut-elle avant de raccrocher.
Elle se doucha rapidement et s'habilla. C'était un peu bizarre de n'avoir pas à enfiler son uniforme de l'académie de police. Quand elle retourna dans la cuisine, elle trouva Sharon appuyée contre Nick. Ils lisaient le journal ensemble.
— Bonne journée, lui dit Nick.
— A vous aussi, répondit Ashley.
Jake avait sans doute battu des records de vitesse. Malgré cela, le trajet jusqu'à la prison lui avait paru durer une éternité.
Pendant le premier tronçon, il avait passé son temps à ruminer sa colère contre Ashley. Quelle tête de mule ! Lui ferait-il jamais entendre raison ?
Puis il avait commencé à se poser des questions. Etait-il vraiment obsédé, ou ses soucis étaient-ils fondés ? Difficile de rester neutre, quand on se surprend à penser constamment à une femme manifestement déterminée à risquer sa vie...
Il arriva bien avant l'ouverture de la prison et dut chercher un restaurant ouvert jour et nuit afin d'y attendre — en rongeant son frein — l'heure de son rendez-vous.
Il commanda des œufs et un café et nota, pour passer le temps, les idées qui lui traversaient l'esprit. Puis il esquissa un plan de la zone dans laquelle on avait retrouvé les corps des victimes. Toutes les victimes.
Bordon détenait la clé du mystère — depuis toujours.
Il revint aux faits. D'abord, la secte : trois femmes y appartenant avaient trouvé la mort. Aucune enquête n'avait permis de découvrir une autre secte ressemblant de près ou de loin à celle de Bordon. La plupart de ses membres paraissaient avoir ignoré sincèrement qu'il s'y passait des choses illicites — a fortiori qu'on y commettait des meurtres. Tous avaient été humiliés et bouleversés d'apprendre qu'ils avaient été manipulés et trompés. Leur seul désir, dès lors, avait été de reconstruire leur avenir en laissant le passé derrière eux.
Fait nouveau : une autre femme était morte.
Encore un fait : Nancy Lassiter, sa coéquipière, chargée avec lui de faire la lumière sur cette affaire, était morte au cours de l'investigation. Pourtant, autant qu'il sache, elle n'avait jamais mis les pieds sur la propriété. Sa voiture avait été retrouvée dans un canal, des semaines plus tard — un canal non loin de là où vivaient Bordon et ses adeptes.
Jake poussa un soupir et reposa son crayon. De tous les membres de cette secte de malheur, il avait toujours eu le sentiment que John Mast était le seul susceptible d'avoir une petite idée de ce qui s'était passé — Bordon mis à part, bien sûr. Pourtant, John Mast avait nié avec véhémence être au courant de quoi que ce soit ; il avait admis, en revanche, ne pas comprendre grand- chose à la gestion financière de la secte. Néanmoins, il en était le comptable. Mast devait savoir quelque chose. Et Mast avait péri dans un accident d'avion...
Jake prit son portable et appela le département de police. Marty dormait sans doute encore, mais il était pratiquement sûr de trouver au moins un des éléments de leur détachement spécial. En effet, Belk était là, et il promit d'enquêter sur l'accident d'avion qui avait coûté la vie à John Mast, afin de découvrir si tous les corps avaient bel et bien été identifiés.
Puis, comme il coupait la communication, Jake tourna la page du bloc-notes sur lequel il venait de griffonner ses idées et relut le mot qu'Ashley lui avait laissé, avant de partir.
Elle avait raison. Ils avaient besoin de reprendre un peu leurs distances. Il ne voulait pas qu'elle soit flic. Or, elle avait clairement l'intention de retourner à l'académie, un jour ou l'autre, afin d'achever sa formation. Quelles étaient les statistiques exactes, déjà ? Toutes les cinquante-huit heures, environ, quelque part aux Etats-Unis, un policier se faisait tuer dans l'exercice de ses fonctions. Cela faisait partie des risques du métier — un métier qu'il ne voulait pas la voir exercer. Même s'il était flic, lui-même.
Il tourna une autre page du bloc-notes et découvrit un croquis représentant une scène d'accident de la route — l'accident qui avait laissé Stuart Fresia dans le coma, sans doute. Jake fronça les sourcils et étudia le dessin. Il y avait une silhouette en noir, de l'autre côté de la route.
Une silhouette en noir...
Le noir était la couleur que portaient les membres de la secte de Bordon...
Au même instant, son portable sonna. C'était le directeur de la prison.
— Il est mort ? s'enquit Jake, après l'avoir écouté gravement.
— Non, mais sa vie ne tient qu'à un fil. Il vient d'être transporté de toute urgence à l'hôpital. Vous pouvez nous y retrouver. Les médecins ne sont pas optimistes. Il a perdu connaissance et ils ne sont pas sûrs qu'il revienne à lui. Mais je puis vous laisser à son chevet, une fois qu'il sera sorti du bloc opératoire. Au cas où...
— Merci.
Jake coupa la communication, paya l'addition et sortit de la cafétéria, l'estomac noué.
Ashley traversa la matinée comme dans un brouillard. D'abord, elle avait rendu son badge et son revolver. La mort dans l'âme. Mais elle n'avait pas le choix. Elle ne faisait plus partie de l'académie de police.
Puis elle avait dû signer des papiers, au service du personnel, et on l'avait envoyée étudier des comparaisons de stries laissées sur des balles, sur un ordinateur. Elle avait tout de même réussi à voir Mandy Nightingale et lui avait expliqué la situation. Mandy l'avait écoutée attentivement, puis lui avait conseillé de ne pas céder à la panique, surtout compte tenu du fait que Karen avait encore appelé l'école pour les prévenir de son absence, ce matin-là. Malgré tout, elle avait accepté de tester discrètement ce qu'Ashley avait trouvé dans la baignoire de son amie, afin de déterminer s'il s'agissait ou non de sang.
— Si Karen ne vient pas ce soir, cependant..., commença cette dernière.
— Je serai forcée d'admettre que j'ai déjà testé la substance pour vous, répondit Mandy.
Ashley sourit et la remercia.
A l'heure du déjeuner, Mandy vint la trouver et lui dit que la substance était du sang, mais qu'il ne fallait pas s'affoler pour autant. Karen avait très bien pu se couper en se rasant les jambes. Après tout, il n'y avait pas d'éclaboussures.
— Cela dit, certains tueurs font un ménage tellement soigné que même avec des produits chimiques et un éclairage spécial, on a du mal à détecter quoi que ce soit. Eh, pas la peine de pâlir comme ça ! ajouta-t-elle aussitôt. Il ne sert à rien de se faire du souci à l'avance.
— Oui, fit Ashley sans conviction.
Mandy hésita un instant, puis ajouta, avec compassion :
— Ashley, vous pouvez aller déclarer la disparition de votre amie, si vous le voulez. Je suis sûre que pour vous, on acceptera de modifier un peu la règle des quarante-huit heures. Mais si vous le faites, ses parents seront alertés et la police devra se rendre sur son lieu de travail. Toute personne ayant eu le moindre contact avec elle, dernièrement, sera soumise à une enquête.
— Attendons jusqu'à ce soir, dit Ashley.
Jan l'appella un court moment plus tard.
— Alors, tu as des nouvelles ?
— Aucune.
— Moi non plus. Je te jure, je vais l'étrangler !
Ashley déglutit péniblement. Et si leur amie était déjà morte ?
— Ecoute, reprit Jan, je sais que je t'ai dit de ne pas le faire, mais je crois que je vais passer chez elle avant de vous rejoindre au restaurant, ce soir. Si je la trouve, je te promets de lui coller la fessée du siècle, avant de la traîner dans la voiture.
— Bonne idée. Parce que si elle ne vient pas...
— Si elle ne vient pas, nous n'aurons plus envie de célébrer quoi que ce soit, de toute façon.
Un bip à l'oreille d'Ashley la prévint que quelqu'un d'autre essayait de la joindre. La jeune femme interrompit la conversation et répondit.
— Ashley ?
C'était David Wharton.
— David ! Vous en avez mis du temps pour me rappeler !
— J'étais occupé. Vous avez parlé à Sharon Dupré ?
— Oui. Elle a promis de chercher le dossier pour moi.
— Bon. On se voit ce soir ?
— Impossible. Je dois dîner avec des amis. On va fêter mon nouveau boulot.
— Ashley, il faut qu'on se voie ! J'ai des choses à vous raconter.
— Je ne sais pas à quelle heure je vais rentrer. Sûrement assez tard.
— Invitez-moi à venir dîner avec vous, dans ce cas. Je serai content de fêter votre succès, moi aussi.
— Nous risquons de ne rien fêter du tout. Une de mes meilleures amies a disparu.
— Ah bon ? Pas une de celles qui étaient à l'hôpital avec vous, si ?
— Je préfère ne pas en parler pour l'instant.
— Soit. Mais il faut tout de même qu'on se voie. C'est important. Laissez-moi vous rejoindre, ce soir.
Ashley soupira et lui donna l'adresse du restaurant et l'heure à laquelle ils devaient tous se retrouver. Après tout, il n'y avait pas de mal à cela. D'autant plus qu'elle serait entourée d'amis.
Après le déjeuner, elle retrouva Mandy qui lui montra comment photographier un corps sous tous les angles possibles et imaginables. Puis Mandy la laissa s'entraîner à prendre des photos d'un mannequin mutilé. Ashley passa plusieurs heures sur ce projet. Elle venait de terminer une énième pellicule lorsque Mandy passa la tête par la porte entrouverte.
— Un appel pour vous, dit-elle avec un sourire. Une bonne nouvelle.
Ashley se précipita, espérant entendre la voix de Karen. Ce n'était pas elle, mais Nathan Fresia, et il était porteur d'une bonne nouvelle, en effet. Stuart n'était pas sorti du coma, mais le scanner chargé du monitorage de son cerveau avait décelé une activité. Les médecins espéraient le voir reprendre conscience dans les heures ou les jours à venir. Ashley se réjouit un instant avec Nathan, jusqu'à ce qu'une pensée lui traverse l'esprit et la fasse se rembrunir.
— Nathan, la nouvelle a-t-elle circulé, déjà ?
— Que veux-tu dire ? Le personnel de l'hôpital est au courant, bien sûr. Et aussi les flics qui montaient la garde devant la chambre.
— Je crois qu'il serait sage de ne rien ébruiter. Après tout, même la police a fini par admettre qu'il court peut-être un danger. Il vaudrait mieux que les gens continuent à croire qu'il n'y a guère d'espoir.
— Oui, tu as raison, repartit Nathan. De toute façon, je ne vais pas le quitter une seule minute.
— Je passerai demain sans faute, promit Ashley.
A 17 heures, elle n'avait toujours aucune nouvelle de Karen. Elle tenta de joindre Jan ; celle-ci ne répondit pas.
Len Green, arborant pantalon de toile et polo à la place de son uniforme, vint la retrouver dans le petit espace qui lui avait été alloué en guise de bureau.
— Prête ? demanda-t-il.
— J'ai ma voiture, Len, répondit la jeune femme.
— Je sais. Je vais te suivre chez toi et nous prendrons ma voiture pour aller retrouver les autres au restaurant. Tu es la reine de la soirée ; pas question que tu restreignes ta consommation d'alcool parce que tu dois prendre le volant pour rentrer.
— Je n'ai pas du tout l'intention de me soûler. La soirée risque même de tourner court très vite, si Karen ne réapparaît pas.
— Tu n'as toujours pas de nouvelles ? Je suis sûre qu'elle va bien. Ne t'inquiète pas tant.
— Je suis contente de te trouver aussi optimiste.
Len haussa les épaules.
— Allez, viens. Je vais te suivre en voiture.
— Soit. Mais tu devras patienter un peu au bar. Je veux prendre une douche et me changer.
— Je suis prêt à patienter une éternité, répondit-il.
La nuit tombait et Bordon n'avait toujours pas repris connaissance. Jake n'avait pas quitté son chevet depuis la seconde où le blessé était sorti du bloc opératoire. Le chirurgien lui avait dressé une liste exhaustive des blessures de son patient : le foie, le pancréas, l'estomac et les intestins étaient tous sérieusement endommagés. Bordon avait perdu beaucoup de sang, sans compter une hémorragie interne... Ils avaient fait ce qu'ils avaient pu, mais le prisonnier n'avait que peu de chances de survivre au cours des prochaines quarante-huit heures. Il pouvait revenir à lui ou partir sans jamais reprendre conscience.
De son côté, Jake ne pouvait qu'attendre et espérer.
Les autres prisonniers avaient été interrogés tout au long de la journée et tous avaient nié avoir voulu faire du mal à Bordon. Les fouilles n'avaient rien donné et nul n'avait retrouvé l'arme du crime.
Pendant ce temps, Jake était resté en contact téléphonique avec ses confrères, à Miami-Dade, notamment avec Marty.
Skip Conrad avait rendu son rapport, aussi : les empreintes qu'il avait trouvées sur le bateau étaient celles de Jake, Marty, Nick et Ashley— autant de personnes qui avaient toutes des raisons d'être montées à bord, à un moment ou à un autre. Il y avait, cependant, plusieurs endroits sur le bateau où Skip n'avait pas relevé une seule empreinte, ce qui pouvait signifier que quelqu'un s'y était livré à un nettoyage minutieux, sans doute pour ne laisser aucune trace de son passage, justement. Comme par hasard, les zones vierges de toute empreinte étaient celles de l'ordinateur, du téléphone et du répondeur.
Quant aux informations recueillies au sujet de l'accident d'avion au cours duquel John Mast avait péri, elles ne manquaient pas d'être intéressantes : l'appareil s'était écrasé en mer au large d'Haïti et, d'après le rapport, il n'y avait pas eu un seul survivant. Du moins était-ce la version officiellement retenue, puisque seuls les corps de quatre-vingts des quatre-vingt-huit passagers avaient été repêchés. John Mast ne se trouvait pas parmi les victimes identifiées ; compte tenu des circonstances de l'accident, lui et les sept autres passagers manquants n'en avaient pas moins été déclarés morts.
— Autrement dit, il est peut-être tout à fait vivant, commenta Jake.
— Possible, fit Marty. Que comptes-tu faire ? Attendre jusqu'à ce que Bordon passe l'arme à gauche ?
— Oui. Je veux être là, si jamais il revient à lui.
— Très bien. Je continue de fouiller du côté des propriétés que Cassie Sewell représentait pour l'agence immobilière. Je te tiens au courant.
— Ça roule, fit Jake, avant de couper la communication.
Il appela alors Franklin et ce dernier lui promit de lancer des recherches pour retrouver John Mast. Ensuite, il joignit Blake pour lui faire son rapport. Finalement, après moult hésitations, il tenta d'appeler Ashley. Celle-ci ne répondit pas. Au bar, il tomba sur Katie. Nick et Sharon étaient sortis, et Ashley aussi.
— Ses amis ont organisé une fête pour célébrer sa promotion, lui expliqua la serveuse.
— O.K.
— Je lui dirai que vous avez appelé.
— Inutile. Je l'appellerai plus tard.
Durant les longues heures qu'il passa encore au chevet de Bordon, le prêtre de la prison le rejoignit afin de prier pour le salut de l'âme du blessé. Il confirma que ce dernier avait réellement trouvé la foi, au cours des derniers mois, et qu'il assistait régulièrement aux services religieux.
— Vous a-t-il... ?
Le prêtre secoua la tête.
— La confession demeurait un sujet sur lequel nous ne nous entendions guère. Il ne voulait pas en entendre parler. Cela dit, même s'il m'avait confié quelque chose, je ne pourrais pas vous le répéter.
— Bien sûr, murmura Jake.
— Priez pour lui, inspecteur. C'est ce que je fais. Il a vraiment embrassé la lumière de Dieu, sur la fin.
Jake hocha la tête. Mais sa prière à lui était différente de celle du prêtre. Il voulait juste que Peter Bordon vive assez longtemps pour donner enfin quelques réponses à la justice.
A 19 heures, Ashley s'éclipsa un moment du bar, où ses amis s'étaient réunis en attendant de passer à table, et sortit du restaurant. Jan et Karen n'étaient pas encore arrivées et elle se faisait un sang d'encre.
Elle allait et venait, dehors, lorsque Len la retrouva. En le voyant, la jeune femme explosa brusquement :
— Tu sais où elle est, pas vrai ? Tu es le dernier à l'avoir vue. Tu l'as raccompagnée chez elle. Je suis même prête à parier que tu es entréehez elle. Est-ce pour cela que tu m'as rejointe là-bas, hier soir ? continua-t-elle, suivant le fil du scénario de cauchemar qui se faisait jour dans son esprit. Tu as touché à plein de choses, dans la maison. Etait-ce pour justifier la présence de tes empreintes, lorsqu'on enquêterait sur sa disparition ? Où est-elle, Len ?
— Mais enfin, qu'est-ce que tu racontes ? s'exclama Len, le visage crispé par l'incrédulité et la colère.
— Où est mon amie, Len ? Où est Karen ?
Au même instant, Ashley sentit une tape sur son épaule. Elle fit volte-face et se trouva nez à nez avec Karen, le visage aussi rouge que celui de Len.
— Ashley, je suis là.
* * *
Il était presque 21 heures et Bordon était toujours inconscient. Jake se frotta la nuque. Un nouveau gardien de prison vint remplacer le précédent. Le chirurgien venait de passer pour constater l'état de son patient : il respirait toujours et son cœur continuait de battre.
Le directeur de la prison, M. Thompson, se présenta à son tour.
— Inspecteur, si vous preniez une chambre d'hôtel pour la nuit? Vous avez besoin de dormir un peu. S'il y a le moindre mieux, on vous alertera.
— Le temps que je revienne, il serait peut-être trop tard, répondit Jake. Je ne peux pas courir ce risque.
Thompson opina.
— Je comprends. Bien... On laisse un gardien à la porte. Si vous avez besoin de quoi que ce soit...
— Merci.
Jake voulut s'installer un peu plus confortablement dans le fauteuil de l'hôpital, mais c'était chose impossible. Il avait beau avoir l'habitude des nuits blanches, les heures, cette fois-ci, lui paraissaient interminables. La fatigue accumulée au cours des derniers jours se faisait sentir, aussi. Eh ! il avait passé la majeure partie de la nuit précédente sur la route, et celle d'avant, certes dans son lit — mais avec Ashley...
La jeune femme était comme une flamme nouvelle qui avait embrasé sa vie. Il tenait trop à elle. Il se faisait trop de souci pour elle. Et pourquoi ? Elle ne voulait même plus le voir !
Il sortit de nouveau son bloc-notes de sa poche et chercha le dessin de l'accident, avec la route, les voitures, le corps, et surtout la silhouette en noir.
Ce n'était qu'un croquis. Mais c'était là, justement, que résidait le talent d'Ashley. Il lui suffisait de tracer quelques traits de crayon pour donner vie à un visage ou à une scène. Jake n'était jamais allé sur les lieux de l'accident, et pourtant il voyait la scène aussi clairement que s'il y avait assisté : la position des voitures, celle du pauvre corps brisé sur l'asphalte, et la silhouette en noir qui lui rappelait tant ce qu'il avait vu, des années plus tôt, lorsqu'il avait visité la propriété de la secte Des Hommes pour des Principes.
Il se leva, s'étira et fit signe au gardien d'entrer dans la pièce.
— Je sors un instant dans le couloir, lui dit-il. Prévenez-moi immédiatement, s'il y a le moindre changement.
Il était très tard, mais Carnegie ne lui en voudrait pas.
— Alors, encore sur le terrain ? fit-il quand le vieux flic lui répondit.
— Et vous, alors ! s'écria Carnegie. Toujours au chevet de Bordon ? La nouvelle est sur toutes les ondes. Papa Peter, condamné pour fraude et évasion fiscales, soupçonné d'avoir trempé dans les meurtres de trois femmes, peut-être davantage, a été victime d'une attaque au sein même de la prison... Il est toujours en vie ?
— A peine.
— Vous êtes peut-être en train de perdre votre temps.
— Possible.
— Enfin ! J'ai des bonnes nouvelles, de mon côté.
— Ah bon ?
— Les médecins pensent que Fresia va peut-être sortir du coma.
— C'est super. Ashley Montague est-elle au courant ?
— Oui. Nathan Fresia l'a appelée. Quelques personnes ont appris la nouvelle avant que j'aie eu le temps de passer des ordres pour qu'on ne l'ébruité pas. J'étais furieux, parce que, bien sûr, il suffit d'une personne pour... Bref, on continue de garder sa chambre vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Et j'ai lancé un message à toutes les patrouilles pour qu'on me retrouve le type qui se fait appeler David Wharton.
— Justement, à ce sujet, j'ai quelque chose pour vous, moi aussi. J'ai sous les yeux un croquis de la scène de l'accident. Quelqu'un se tient sur le bord de la route. Quelqu'un qui porte une espèce de robe noire avec une capuche.
— Une robe noire avec une capuche ? répéta Carnegie. Ce n'est pas comme ça que s'habillaient les gens de la secte de Bordon, justement ?
— Si. Or, j'ai des raisons de croire qu'un de leurs membres, présumé mort, est en réalité tout à fait vivant. Il s'appelle John Mast et il est censé avoir péri dans un accident d'avion au large d'Haïti. Seulement voilà, personne n'a jamais retrouvé son corps. Si ça se trouve, c'est lui, votre David Wharton.
— Mm, intéressant. Mais j'ai encore un peu de mal à voir le rapport entre les deux affaires. Les victimes qui faisaient partie de la secte ont été retrouvées la gorge et les oreilles tranchées. Le jeune Fresia a été renversé par une voiture.
— Je sais, ça paraît tiré par les cheveux, mais la présence de cette silhouette en robe noire, sur le bord de la route, et le fait qu'on n'a jamais retrouvé le corps de John Mast me font penser qu'on a peut-être intérêt à fouiller dans ce sens. J'ai mis le FBI sur le coup, pour essayer de retrouver ce type. S'il est vivant et par ici, on le dénichera. Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose me dit que lui et Wharton pourraient bien n'être qu'une seule et même personne.
— L'instinct ? fit Carnegie.
— Ouais. L'instinct.
Ils mirent fin à leur conversation et Jake retourna au chevet de Peter Bordon. A une époque, regarder cet homme mourir lentement lui aurait donné un sentiment de justice. S'il avait su qu'un jour il prierait pour qu'il survive !
La soirée d'Ashley fut un succès, en dépit du fait que la jeune femme aurait voulu disparaître à six pieds sous terre chaque fois qu'elle croisait le regard de Len. Pas un seul de ses camarades de promotion ne manqua à l'appel et ils la régalèrent tous de toasts et d'anecdotes plus drôles les unes que les autres. Arne fit exploser l'applaudimètre lorsqu'il déclara, en imitant la voix geignarde de Calimero :
— Si l'un de nous avait été surpris en train de dessiner pendant les cours, il aurait été renvoyé manu militari. Ashley, elle, est devenue l'héroïne de l'année ! C'est vraiment trop injuste !
Vers la fin de la soirée, quand les uns et les autres commencèrent à prendre congé et que ne restèrent plus que les intimes, Karen remit le sujet sur le tapis :
— Tout de même, Len, tu savais que j'allais venir, ce soir.
— Oui, je le savais, mais tu m'avais demandé de ne pas parler de tes projets, alors j'ai gardé le silence, répondit ce dernier.
— Et on peut savoir où tu étais, alors ? demanda Ashley.
— Pff, il n'y a plus moyen d'avoir des secrets, ma parole, grommela Karen en levant les yeux au plafond. Tu veux que j'annonce ça à tout le restaurant ?
— Karen, j'ai trouvé des traces de sang dans ta baignoire. Je le sais parce que je les ai fait analyser.
Len écarquilla les yeux.
— J'ai vraiment été à deux doigts de me retrouver en garde à vue, si je comprends bien.
— Mais non, dit Karen. Il aurait suffi que tu dises la vérité.
— Justement, on l'attend toujours, cette fameuse vérité, s'impatienta Ashley.
— Liposuccion.
— Pardon ? fît Ashley, qui n'en croyait pas ses oreilles.
— Tu sais bien que j'ai toujours trouvé mes fesses trop grosses. Or, si je vous en avais parlé, à toi et à Jan, vous auriez tout fait pour me dissuader de sauter le pas en me servant des tas d'histoires d'opérations de chirurgie esthétique qui ont mal tourné. Alors j'ai gardé ça pour moi. Et cela n'a pas été facile, croyez-moi.
— Mais enfin, c'est une intervention qui ne dure pas longtemps, si ? Où étais-tu, la nuit dernière ?
— Chez moi. Simplement, je suis rentrée tard. Et je n'ai pas répondu au téléphone parce que je m'étais bourrée d'analgésiques. Je n'aime pas beaucoup souffrir, tu sais. J'ai passé la journée au lit, avant l'arrivée de Jan.
— Et toi, pourquoi ne m'as-tu pas appelée, à la seconde où tu as connu toute l'histoire ? maugréa Ashley, coulant un regard accusateur vers Jan.
— Je suis désolée, Ashley, repartit celle-ci. Vraiment. J'étais tellement contente de la trouver chez elle. Et après, j'étais complètement éberluée d'apprendre ce qu'elle venait de faire... Et puis, tu connais Karen, elle a commencé à tout me raconter dans le moindre détail, on est montées en voiture et on s'est retrouvées coincées dans les embouteillages...
Elle s'interrompit et haussa les épaules.
— C'est un mauvais concours de circonstances. Mais tu as raison, j'aurais dû t'appeler immédiatement.
Ashley secoua la tête, encore sous le choc.
— Si je comprends bien, tu as dit à Len que tu allais subir une opération de chirurgie esthétique, et tu ne nous as rien dit à nous?
— Je n'avais pas l'intention de lui en parler, expliqua Karen. Mais bon, on a commencé à papoter, et c'est venu dans la conversation sans que je sache trop comment.
Elle eut un petit sourire piteux, avant de conclure :
— Et maintenant, la terre entière le sait, ou presque. J'aurais carrément dû mettre une annonce dans le journal. En tout cas, c'est cool d'avoir des amies qui s'inquiètent autant pour moi.
— Ouais, t'as intérêt à fayoter, maintenant, grommela Jan.
Ils commandèrent une dernière tournée de Margarita et
Ashley sirota son cocktail en regardant Karen et Len. Ce dernier paraissait avoir totalement oublié qu'il avait eu le béguin pour Ashley ; il avait posé un bras sur le dossier de la chaise de Karen et n'avait d'yeux que pour elle. Quant à Karen, elle était radieuse.
Ashley se réjouissait sincèrement pour eux. Elle se sentait juste un peu seule... Elle ne pouvait s'empêcher de penser à Jake. L'attaque dont Peter Bordon avait été victime, en prison, avait été largement développée à la radio et à la télévision. Aux dernières nouvelles, Bordon se débattait entre la vie et la mort. Jake était sûrement à son chevet.
Finalement, ils se levèrent, prêts à quitter le restaurant. Len s'éclipsa un instant aux toilettes et Karen en profita pour se pencher vers ses deux amies.
— Vous vous rendez compte que je viens de me faire opérer, maintenant, au moment où je tombe sur un type comme lui ? Il est fan-tas-tique ! J'ai jamais fait autant de bruit de toute ma vie. Je vous jure, il est monté comme un poney. Pour vous dire, quand je l'ai vu, j'ai poussé un cri.
— Epargne-nous les détails, je t'en prie, grogna Ashley en ravalant un rire.
Ledit poney revenait, de toute façon. On échangea des au revoir, et Len et Karen quittèrent le restaurant, main dans la main.
— Décidément, on aura tout vu, murmura Jan en secouant la tête. Bon, je te dépose ?
— Oui, fit Ashley, étouffant un bâillement.
Elles sortirent et tombèrent sur David Wharton, qui s'apprêtait à entrer.
— Hé ! Salut. Je suis en retard, on dirait. La fête est finie ?
Ashley le présenta à Jan, qui le considéra avec un intérêt nondissimulé.
— Votre amie a réapparu, alors ? demanda-t-il.
— Oui, répondit Ashley.
— Tant mieux. Où elle était ?
— Eh bien, bredouilla Ashley, c'est une longue his...
— En train de se faire raboter les fesses, la coupa Jan.
David arqua les sourcils et sourit.
— C'est original.
Puis il se tourna vers Ashley, reprenant son sérieux.
— Je vous raccompagne chez vous ? On pourra parler.
Ashley hésita, mais il insista.
— J'ai vraiment des choses à vous dire.
— D'accord, acquiesça la jeune femme. Jan, je rentre avec David. Tu seras chez toi plus vite.
— Pas de problème, fit Jan.
Puis, comme elles s'embrassaient sur la joue, Jan ajouta à son oreille :
— D'abord Len, maintenant lui. Tu me diras ton secret, un jour?
— Ce n'est pas ce que tu penses, dit Ashley sur le même ton.
— Comment sais-tu ce que je pense ? rétorqua Jan avec un clin d'œil.
Puis elle serra la main de David et s'éloigna en direction de sa voiture, pendant qu'Ashley suivait ce dernier jusqu'à la sienne. Elle s'installa sur le siège du passager, boucla sa ceinture, puis se tourna vers lui, les sourcils froncés.
— Bon, alors, que se passe-t-il ?
— Des tas de choses. Vous savez que l'état de Stuart a l'air de s'améliorer ?
— Oui. Mais comment le savez-vous, vous ?
— J'ai mes contacts. Et Peter Bordon a été gravement blessé lors d'une rixe dans sa prison.
— Oui, j'ai entendu la nouvelle à la radio. Mais je ne vois pas le rapport avec Stuart.
— Attendons d'arriver chez vous et je vous expliquerai. Et vous, de votre côté, vous avez pu obtenir des informations au sujet de la propriété ?
— Pas encore. Sharon n'était pas rentrée, quand je suis passée chez moi. Je lui ai demandé de laisser le dossier dans ma chambre.
— Attendons de le voir.
— David, je commence à en avoir assez de tous ces mystères.
— Allons, un peu de patience. Nous sommes presque arrivés.
Ils se garèrent dans le parking du restaurant — qui était plein, comme souvent le vendredi soir. Wharton regarda autour de lui et parut hésiter.
— Qu'y a-t-il ? s'enquit Ashley.
— J'aimerais mieux qu'on ne me voie pas.
Ashley plissa les yeux d'un air soupçonneux.
— Ah bon ? Et pourquoi ?
— Parce qu'il y a toujours des tas de flics, chez Nick. Vous savez bien qu'ils ne m'apprécient pas beaucoup.
Ashley poussa un soupir.
— Très bien. Nous allons passer par la maison.
Comme prévu, le dossier concernant la vente de la propriété était sur le lit, dans la chambre d'Ashley. David le prit, sans voir qu'il y en avait un deuxième, dessous. Il s'assit sur le lit et se mit à le feuilleter.
— C'est Caleb Harrison qui l'a achetée, fit-il finalement, d'un air perplexe.
Pendant ce temps, Ashley parcourait les papiers de la deuxième chemise. Soudain, un frisson vrilla sa colonne vertébrale. Elle regarda David Wharton et ce dernier dut sentir la colère qui émanait d'elle, car il leva la tête. Aussitôt, une expression dure et implacable se peignit sur ses traits.
— Espèce de salopard ! s'indigna la jeune femme. Vous êtes propriétaire du terrain voisin !
Si elle était furieuse, quelque chose dans le regard de David Wharton fit retentir une sonnette d'alarme dans son esprit. Elle pivota sur ses talons pour quitter la pièce — mais n'atteignit pas la porte. Il s'était jeté sur elle, l'attrapant par la taille et plaquant une main sur sa bouche.