14.

Jake lui prit la main et l'attira dans la cabine du bateau. Ashley se retrouva prise dans une étreinte si passionnée que toutes ses réticences s'évanouirent — si toutefois il lui en restait. Les lèvres de Jake étaient brûlantes comme une coulée de lave et il avait une façon de lui faire l'amour, rien qu'en l'embrassant, qui la faisait trembler de la tête aux pieds.

La dureté de l'érection de Jake était évidente, sous le tissu léger de son short, et elle se débattit doucement pour mettre un peu de distance entre eux, avant de glisser les doigts sous l'élastique. Jake émit un grognement guttural et approfondit encore leur baiser ; ses mains coururent sur le corps de la jeune femme, soulevant son polo et dégrafant son soutien-gorge.

Ils se détachèrent brièvement l'un de l'autre, juste assez pour permettre à Ashley de se débarrasser prestement de son polo, qui vola à travers la pièce, tandis que Jake ôtait son short. Puis il reprit possession de ses lèvres et la jeune femme fut bientôt assise sur le comptoir de la cuisine. Elle ôta ses souliers avec le bout de ses orteils pendant que Jake s'attaquait à son jean, l'extirpant du carcan de toile bleue avec autant de hâte que de dextérité. Puis il la souleva de nouveau et se glissa en elle.

Ashley s'accrochait à son cou ; l'univers tournoyait autour d'elle ; elle ne voulait que le sentir en elle, ferme et vibrant, se fondre en lui.

Le monde aurait pu s'écrouler, elle n'en aurait rien su. Elle n'était que sensations, qu'un corps tendu vers la jouissance ; celle-ci montait inexorablement en elle — et la frappa brusquement, au zénith, avec une telle violence qu'Ashley fut surprise de ne pas se briser en mille morceaux. Jake tressaillit à son tour de tout son être, la serrant contre lui avec une force telle qu'elle sentit son corps absorber les vagues de plaisir qui le secouaient de part en part.

La tête d'Ashley roula sur l'épaule de son compagnon et ce dernier la souleva tendrement, avant de la porter vers le lit, dans la chambre, la déposant au milieu des draps plus précautionneusement que si elle avait été de verre. L'instant d'après, il s'allongeait auprès d'elle, l'entourant de ses bras, et Ashley eut un doux sourire.

       J'ai oublié de te demander de quoi tu voulais t'excuser ? De ton agressivité lorsque je suis arrivée sur le bateau, tout à l'heure, ou bien de ton attitude odieuse à la morgue, cet après-midi ?

Jake ne répondit pas immédiatement et elle retint son souffle, prenant conscience pour la première fois de tout ce qui l'entourait — la fraîcheur des draps, la force des bras de Jake autour d'elle, les contours de son visage, la manière dont ses cheveux retombaient sur son front, l'opacité de son regard...

       Je te dois des excuses dans les deux cas, bien sûr, dit-il enfin. Tu m'as pris au dépourvu, cet après-midi. Ce soir aussi, d'ailleurs... Mais surtout cet après-midi. J'ignorais que tu savais dessiner, alors te découvrir un tel talent... J'étais en colère ;

j'avais l'impression que j'aurais dû être au courant. En fait, maintenant que j'y pense, toi aussi tu me dois des excuses.

       Moi ? s'exclama Ashley.

       Tu aurais pu me dire que tu allais quitter l'académie pour intégrer la police en civil.

       Franchement, Jake, notre... amitié n'est pas si ancienne. Que savons-nous l'un de l'autre, hein ?

Jake eut un petit sourire triste.

       Il faut croire que j'avais le sentiment de te connaître un peu. Après tout, combien de types, dans la police, savent que tu as une minuscule fleur tatouée au creux du dos, ou une petite cicatrice à l'intérieur de la cuisse ?

Ashley rougit.

       Je n'étais même pas sûre que tu m'aimes bien.

Il éclata de rire et la serra plus fort contre lui.

       Tu as un fichu caractère, mademoiselle Montague.

Il reprit son sérieux.

       Et la ténacité d'un bull-terrier.

       Et toi, tu es le tact et le charme incarnés, peut-être ?

Jake haussa les épaules.

       Tu m'as brûlé, tu sais.

       Je ne vois pas de cicatrice. Rien de permanent, en tout cas.

Il garda le silence un instant.

       C'est bien plus permanent que tu ne l'imagines, mur- mura-t-il.

Ashley sentit son cœur se gonfler, en proie à une étrange euphorie. Et lorsqu'il l'embrassa de nouveau, son baiser parut à la jeune femme plus fervent, plus intime encore que tout ce qu'ils avaient partagé jusqu'alors.

Finalement, il se dégagea et la considéra longuement.

       Je n'étais même pas sûre que j'allais accepter ce poste, reprit Ashley. J'avais rendez-vous ce matin pour en apprendre davantage. Je ne pouvais pas t'en parler, parce que je ne savais rien du tout.

Jake ne dit rien, se contentant de la regarder, et Ashley se remit à parler, cherchant à meubler le silence.

       J'aurais dû avoir mon après-midi de libre, mais Murray est venu me trouver alors que j'étais prête à partir, et il m'a conduite à la morgue... Le dessin et les arts plastiques étaient mes matières principales, à l'université... Et puis... bon, généralement, les gens commencent par avoir une relation, et ensuite ils passent au lit, et non le contraire...

Ashley se tut. Elle n'était même pas sûre qu'ils aient véritablement une relation.

       Mademoiselle Montague ?

       Oui?

       Taisez-vous, ordonna-t-il, avant de l'embrasser avec fougue.

La tendresse était toujours là, mais le désir, impérieux, reprenait ses droits. Ashley s'y abandonna avec volupté. Et perdit, encore une fois, toute notion du temps et de la réalité.

Plus tard, comme elle gisait, silencieuse, contre lui, elle s'assoupit. Quand elle se réveilla, elle sentit aussitôt qu'il ne dormait pas.

       Jake?

       Oui ?

       Jake, est-ce que tu me crois, au sujet de Stuart ?

Il se tourna vers elle.

       Ashley... franchement, je ne sais que penser. Carnegie est un bon flic. Je peux essayer d'enquêter, notamment en ce qui concerne le tabloïd pour lequel il travaillait... mais de ton côté, tu dois te poser la question de savoir si ce que tu ressens est vraiment fondé ou s'il s'agit simplement...

       Quoi ?

Il se dressa sur un coude, et d'un air grave :

       Ou s'il s'agit simplement, d'une réaction dictée par un sentiment de culpabilité ; par exemple, si tu as couché avec lui et que tu n'as pas gardé le contact...

Ce fut pour Ashley comme recevoir un seau d'eau glacée sur la tête. Se raidissant, elle se dressa à son tour sur un coude.

       De la même manière que tu penses que des gens se sont introduits par effraction sur ton bateau alors qu'en réalité tout est lié au fait que tu couchais avec ta coéquipière ?

Ashley fut stupéfaite par la violence de la réaction de Jake. Il ne la toucha pas, pourtant. Mais il se dégagea avec une telle brutalité qu'elle eut l'impression qu'une bourrasque s'était engouffrée dans la chambre. En une fraction de seconde, il fut debout et quitta la pièce, entièrement nu.

Ashley demeura immobile quelques instants. Puis elle se mordit la lèvre et se leva. Leur liaison insensée et instantanée venait probablement de prendre fin... Quant à savoir ce qu'elle ressentait, elle n'en avait pas la moindre idée. Elle savait seulement qu'elle devait sortir d'ici.

Pour cela, elle devait d'abord récupérer ses vêtements, éparpillés dans le living-room.

Elle respira à grands traits et, rassemblant toute sa dignité, se rendit dans le living. La porte menant sur le pont était ouverte, laissant pénétrer une brise légère et embaumant le sel marin.

Ashley ramassa ses habits à la hâte — et sursauta : la voix de Jake s'était élevée.

       Ne t'en va pas, s'il te plaît.

Elle venait de trouver son soutien-gorge et se cogna contre le comptoir. Il rentra dans la cabine et referma la porte ; puis il marcha vers elle et prit son visage entre ses mains.

       Ne t'en va pas. Je voudrais que tu m'écoutes, si tu le veux bien.

Elle hocha la tête, sans un mot.

       Je n'ai jamais couché avec Nancy. J'ignore qui t'a dit que j'avais couché avec elle et cela n'a aucune importance — beaucoup de gens l'ont pensé et le pensent sans doute encore. Néanmoins, c'est faux. Elle était mariée. J'étais amoureux d'elle, oui, mais nous n'avons jamais couché ensemble. Nous avons été à deux doigts de basculer, une ou deux fois. L'un de nous reculait toujours au dernier moment. Elle, parce qu'elle continuait de croire à son mariage, et moi, parce que je l'aimais, justement. Soit ça continuait avec Brian, soit elle devait se résoudre à divorcer, et il ne fallait pas qu'elle le fasse à cause de moi. C'était vraiment une de mes meilleures amies. Je la connaissais comme j'ai connu bien peu de personnes dans ma vie. Et si je suis aussi convaincu qu'il se passe des choses louches, c'est justement parce que je la connaissais, et pas parce que j'ai couché avec elle. Elle ne s'est pas suicidée. Et elle n'a pas non plus décidé de se soûler ou de se droguer pour oublier qu'elle était déprimée. Je me fiche de ce que pense le psychologue de la police. Il s'est passé autre chose.

Il se tut. Son regard, qu'il savait si bien rendre opaque et totalement indéchiffrable, brillait maintenant d'une farouche intensité, comme s'il cherchait à transmettre sa conviction.

       Tu sais quoi ? fit Ashley.

       Quoi ? fit Jake.

       Je n'ai jamais couché avec Stuart. C'était mon ami — un de mes meilleurs amis.

Il fit glisser ses mains le long du cou de la jeune femme, avant de les poser sur ses épaules.

       On dirait que je te dois encore des excuses, alors..., fit-il avec un petit sourire.

       A toi de voir.

       Je suis désolé. Tu es tellement passionnée, quand tu le défends... Mais j'aurais dû éviter de tirer des conclusions hâtives et envisager la possibilité qu'il était seulement ton ami. Nous nous ressemblons plus que je ne l'imaginais.

Il laissa retomber ses mains le long de son corps.

       Je vais verrouiller la porte et programmer la machine à café pour demain matin.

       D'accord.

Un moment plus tard, Ashley, bien installée au creux des bras de Jake, se surprit à lui parler de son amitié pour Stuart et aussi des sentiments qu'elle avait toujours éprouvés pour les parents du jeune homme.

       Alors vous n'avez jamais, jamais fricoté ensemble ?

Ashley eut un rire.

       Eh non ! Nous faisions partie du même groupe d'amis, voilà tout. J'avais le béguin pour un des joueurs de l'équipe de football. Stuart l'a répété à tout le monde, y compris l'intéressé. J'étais affreusement embarrassée... Il se trouve que le garçon en question ne s'en est pas formalisé et nous sommes sortis ensemble pendant quelques années. C'était lui, ma grande histoire romantique du lycée.

       Et vous avez rompu ?

       Oui. Il s'est révélé être le plus abominable crétin que j'aie jamais rencontré.

       Avant de me connaître, bien sûr, commenta Jake.

Ashley sourit.

       C'est vrai que tu me l'as un peu rappelé. II voulait se marier après le lycée, habiter chez Nick avec moi, et me laisser travailler pour lui payer ses études. Il avait une bourse pour se consacrer au football, mais elle n'était pas suffisante pour tout payer. D'après lui, le dessin n'était qu'un loisir, en aucun cas un travail sérieux. Et il voulait pouvoir traîner dans les bars avec ses copains et les filles de l'université, bien sûr, juste parce qu'il était un homme. J'aurais dû me sentir reconnaissante d'avoir un type comme lui dans ma vie et fermer les yeux sur tout ce qu'il faisait. Heureusement pour moi, Stuart était là pour me secouer les puces, lorsqu'il m'arrivait d'avaler ces sornettes. Il n'a jamais cessé de me répéter que je méritais mieux que ça et que je serais complètement folle de renoncer au dessin. J'ai fini par suivre ses conseils. Et puis... je ne sais pas, j'ai vraiment eu envie de devenir flic. C'est sûrement à cause de mon père — une manière pour moi de me rapprocher de lui, de sa mémoire. Je compte toujours terminer mon cursus à l'académie, du reste. Mais je ne pouvais pas laisser passer la chance qui m'a été offerte d'entrer au département légiste. La formation que je vais y recevoir sera sans doute inestimable.

       En effet, acquiesça Jake. D'autant que tu as vraiment un talent extraordinaire. C'est rare de voir quelqu'un réussir ce que tu as fait aujourd'hui — et c'était ta toute première expérience. Le vieux blasé que je suis a eu du mal à l'avaler, je crois.

Ashley opina et Jake feignit de se vexer :

       Tu es censée me dire que je ne suis pas un vieux blasé.

       Quel âge as-tu ?

       Bientôt trente-six. Treize ans dans la police.

       Tu as toujours voulu être flic ?

       Pas du tout. J'avais un avenir de juriste tout tracé. Et dans un sens, j'étais un peu comme ton couillon de footballeur.

       Un affreux macho.

       Non. Enfin, je ne le suis plus. Sauf...

       Sauf quand il s'agit de moi ?

Il hésita un long moment. Puis il eut un haussement d'épaules.

       Quelque chose chez toi me rappelle Nancy.

       C'était une femme et elle était dans la police.

       Ce n'est pas seulement ça... Je sais, sans l'ombre d'un doute, qu'elle a agi seule, sans me tenir au courant, et qu'elle en est morte. Elle a commis une erreur irréparable.

       Un flic homme peut commettre des erreurs, aussi, toi y compris.

Il sourit.

       Evidemment.

       Mais cela ne t'empêche pas de continuer à vouloir faire ce boulot.

       Et comment ! Tu sais, dans le fond, les flics sont avant tout des êtres humains ; qu'ils soient hommes ou femmes, hétéros ou homos, des machos tout fiers de porter un flingue ou des femmes qui trimballent un complexe, il n'en demeure pas moins qu'ils sont, à quelques rares exceptions près, du bon côté de la barrière. J'ai connu un policier extraordinaire, il y a bien longtemps. Il m'a mis un peu de plomb dans la tête à un moment où j'en avais le plus besoin et j'ai compris que je pouvais faire quelque chose de bien de ma vie, que je pouvais me rendre utile et donner l'exemple. C'est ça, dans le fond, le rôle du flic. Donner l'exemple, même à une toute petite échelle. Forcément, il arrive que nous ne trouvions pas certaines réponses. Mais cela ne nous décourage pas. Si tu es capable de garder un secret, je vais même t'avouer que je suis obsédé par cette affaire Bordon. Je sais qu'il existe un lien entre cette affaire et notre dernière victime. La pièce manquante du puzzle est quelque part sous mon nez — simplement, je n'arrive pas à la trouver. C'est peut-être pour ça que je comprends ta conviction au sujet de Stuart et pourquoi je suis prêt à poser quelques questions et à tenter de voir si je peux découvrir quelque chose... Cela dit, quand ton dessin va paraître dans les journaux, demain matin, je suis presque sûr que nous connaîtrons très vite l'identité de qui tu sais. Autrement dit, je vais être très pris et il ne faudra pas m'en vouloir si l'affaire Fresia n'avance pas...

Ashley sourit et effleura la joue de Jake.

       Quoi que tu fasses, je t'en serai reconnaissante.

Il prit sa main et en taquina la paume du bout de la langue.

       Dis donc, tu n'es pas là à cause de ma réputation d'excellent investigateur, j'espère ?

Ashley arqua les sourcils d'un air malicieux.

       Je suis là parce que tu es extrêmement doué dans un tout autre domaine.

       Génial ! Autrement dit, tu ne t'intéresses qu'à mon corps.

       Le cerveau. Le corps. Tu n'as qu'à choisir. Et moi, je suis là à cause de mes talents de dessinatrice ou parce que j'ai l'avantage d'habiter tout près et d'avoir « ce qu'il faut là où il le faut » ?

       La proximité, ce qu'il faut là où il le faut... et tes cheveux. Je ne résiste pas aux rousses !

Ashley éclata de rire et il l'attira contre lui. Les mains de Jake glissèrent dans son dos, sur ses hanches, et une pensée traversa l'esprit de la jeune femme.

Ou bien suis-je ici parce que je te rappelle Nancy ?

Mais elle ne posa pas la question. A la seconde où les lèvres de Jake se posèrent sur les siennes, elle ne fut plus capable de penser.

Le réveil n'avait pas sonné. Ashley en était sûre. Et le jour n'était même pas levé. Mais les coups frappés à la porte de Jake auraient réveillé un mort.

       Qu'est-ce que... ? marmonna-t-il, bondissant hors du lit et enfilant son short.

       Jake !

       C'est Marty, murmura Jake, avant de quitter la chambre.

Ashley s'assit, l'esprit encore embrumé de sommeil. Elle entendit Jake tirer les verrous et Marty entrer.

       Ça y est, on l'a ! fit-il.

       Quoi ? demanda Jake.

       Les journaux sont à peine sortis et nous connaissons déjà l'identité de Cendrillon.

* * *

Affalé dans un fauteuil de l'hôpital, Nathan Fresia tenait sa tête entre ses mains, terrassé par un désespoir sans fond.

Lucy avait été hospitalisée. Sa tension avait grimpé dangereusement et elle risquait de faire un infarctus. On lui avait donné des sédatifs et elle dormait, dans une autre aile de l'hôpital. Nathan était déchiré. Il aurait voulu être auprès d'elle, mais elle avait insisté pour qu'il ne quitte pas le chevet de leur fils — sous aucun prétexte.

       Monsieur Fresia ?

Nathan leva les yeux vers le Dr Ontkean, le neurologue qui s'occupait de Stuart.

       Monsieur Fresia, reprit le médecin, ne perdez pas de vue un paramètre primordial, s'il vous plaît : votre fils est incroyablement tenace. Son désir, sa volonté de vivre pourraient très bien lui permettre de se tirer d'affaire.

Nathan hocha la tête, songeant qu'en effet, en dépit de tout, il avait toutes les raisons d'être reconnaissant. Stuart avait été ramené à la vie. Il n'avait pas repris conscience, mais il continuait de s'accrocher.

       Et le cardiologue qui suit votre femme m'assure qu'elle devrait aller tout à fait bien, du moment qu'elle se repose.

       Merci, répondit Nathan, d'une voix qu'il reconnut à peine pour être la sienne.

Le médecin s'éclaircit la gorge.

       Seulement, maintenant, je vais avoir besoin de votre aide. Nous avons pratiquement perdu votre fils parce qu'une prise a été débranchée. Trop de gens viennent le voir. Nous avons beaucoup de chance qu'il soit aussi vaillant — il a réussi à tenir en respirant tout seul un bon moment. Nous ne savons même pas combien de temps, mais... c'est bon signe. C'est aussi un avertissement. Nous sommes dans un service de réanimation. Il faut restreindre les visites au minimum. Vous comprenez ?

       Oui, oui, bien sûr, fit Nathan en hochant la tête.

       Bon. Et vous avez besoin de dormir, vous aussi.

       Je ne peux pas quitter mon fils. Je ne quitterai pas mon fils.

Ontkean hocha la tête d'un air compréhensif. Peut-être avait-il des enfants, lui aussi.

       Dormez dans ce fauteuil, dans ce cas. Je reviendrai dans un moment.

Et il quitta la chambre.

Nathan écouta le ronron du respirateur et ferma les yeux en remerciant le ciel.

Non sans rester sur le qui-vive.

       Oh ! s'exclama Marty, brusquement. Désolé... tu n'es pas seul...

       Hein ?

Jake suivit la direction qu'avait prise le regard de son coéquipier et avisa les vêtements d'Ashley abandonnés sur le sol. Il étouffa un juron.

       Peu importe, fit-il. Parle-moi plutôt de Cendrillon.

       On a reçu un appel juste après la parution de l'édition du matin, commença Marty.

Il n'eut pas le temps d'en dire plus. Au même instant, un grand cri déchira le silence, en provenance du bar-restaurant de Nick.

Les deux hommes s'élancèrent hors du bateau.

La sonnerie du portable d'Ashley retentit, quelque part dans le living, mais la jeune femme ignorait où exactement. Où avait-elle lâché son sac, la veille ? Elle savait seulement que ses vêtements étaient disséminés un peu partout et que Jake et Marty s'étaient rués hors du bateau, en entendant le cri.

Oubliant chaussures et sous-vêtements, elle sauta dans son jean, enfila son polo et gravit les marches menant au pont, qu'elle traversa pieds nus. Elle bondit sur le ponton et vit Jake, Marty, Nick et Sharon sur la terrasse. Du coin de l'œil, elle aperçut également Sandy qui émergeait de son bateau en grattant sa tête blanche.

       Que se passe-t-il ? cria la jeune femme en arrivant à hauteur du quatuor.

       Ashley ! s'exclama Sharon sur un ton d'intense soulagement.

       C'est toi qui as crié ? demanda la jeune femme. Pourquoi ?

       Elle a eu peur, déclara froidement Nick.

       On a vu ton dessin dans le journal, expliqua Sharon. J'ai aussitôt reconnu la femme. Je suis allée dans ta chambre pour te le dire et, ne t'y trouvant pas, je... je ne sais pas ce qui m'est passé par la tête... j'ai paniqué.

       Nous ne savions même pas que tu avais accepté ce travail, déclara Nick en regardant durement sa nièce.

Ashley sentit son cœur chavirer. Il l'avait élevée ; il avait toujours été son protecteur et son meilleur ami. Et elle ne lui avait même pas fait part de sa décision — une des décisions les plus importantes de sa vie.

       Je suis désolée, murmura-t-elle.

       Son nom est sur le dessin ? fît Marty, visiblement abasourdi.

       Je reconnaîtrais les dessins de ma nièce n'importe où, déclara Nick avec hauteur.

       Nick, tout est arrivé si vite, dit Ashley.

       Qui est la femme, alors ? s'enquit Jake avec impatience.

       Cassie Sewell, répondit Sharon.

       Et vous la connaissiez ?

       Elle était agent immobilier comme moi, pendant un temps. Elle avait débarqué de je ne sais trop où, il y a plusieurs mois. Nous avons travaillé toutes les deux sur la vente d'une propriété dans les Redlands.

       Comment se fait-il que sa disparition n'ait jamais été signalée ? s'étonna Marty.

       Eh bien, d'après ce que j'ai entendu dire...

Sharon s'interrompit et prit une profonde inspiration, avant de poursuivre :

       J'avais pratiquement conclu la vente quand l'affaire m'a été retirée. Les vendeurs avaient l'impression qu'ils n'étaient pas bien représentés. Lorsque j'ai essayé de la joindre, un de ses collègues m'a dit qu'elle avait déboulé, un matin, et donné sa démission. Elle allait changer de vie ou quelque chose dans le genre. D'après le type, c'était comme si elle était tombée amoureuse. C'est tout ce que je sais. Forcément, j'étais furieuse contre elle. Elle m'avait fait louper une vente. Mais quand j'ai vu son visage dans le journal...

       Pour quelle agence immobilière travaillait-elle ? fit Jake.

       Algemon et Palacio, repartit Sharon.

Jake se tourna vers Marty.

       Je vais y aller. Toi, rends-toi au département et passe au peigne fin les appels qu'on a pu recevoir au sujet du portrait.

Marty acquiesça et prit le chemin de sa voiture. Jake, lui, retourna vers son bateau. Nick et Sharon demeurèrent immobiles, les yeux rivés sur Ashley. Celle-ci se raidit légèrement, comme pour se préparer à affronter la colère de son oncle. Mais Nick ne dit rien du tout. Il lui tourna simplement le dos et rentra dans la maison.

La gorge serrée, Ashley lui emboîta le pas. Déjà derrière le bar, il se servait un café. Il savait qu'elle était là, mais il gardait toujours le silence.

       Nick, je suis désolée, dit la jeune femme.

       Pourquoi ? Tu as vingt-cinq ans. Si tu veux garder ta vie professionnelle — et ta vie amoureuse — pour toi, tu en as le droit.

       Nick, pour l'amour du ciel !

Elle fit le tour du bar et enroula ses bras autour de la taille de son oncle, posant sa tête sur sa poitrine, comme elle le faisait enfant.

       Je te demande pardon. Je n'ai pas eu l'occasion de te parler, hier soir. Quand je suis arrivée, tu étais à l'hôpital. Puis, quand je suis rentrée, tu étais occupé, et après...

       Ouais, après..., fit Nick en se dégageant.

       Je croyais que tu aimais bien Jake Dilessio.

       Je l'aimais bien. Avant qu'il couche avec ma nièce.

Ashley garda son calme.

       Nick, comme tu l'as dit toi-même, j'ai vingt-cinq ans. Tu devais bien te douter que j'ai déjà... que j'ai...

       Que tu n'es plus vierge ? riposta Nick. Evidemment que je m'en doutais. Tu es sortie assez longtemps comme ça avec ce rigolo, au lycée. Je ne suis pas idiot, tu sais. Et en effet, tu as vingt-cinq ans. Tout de même ! Je pensais que je comptais un peu plus, pour toi, qu'un flic qui vient juste de s'installer dans la marina.

       Oh, Nick, je sais que j'aurais dû tout te raconter. Je comprends à quel point tu as dû être choqué en découvrant le portrait dans le journal. Mais tout est arrivé si vite...

       Tu veux m'en parler ?

Ashley s'installa sur un des tabourets du bar.

       Tu veux bien me servir un café ?

       Ouais.

Il prit une tasse.

       Nick, c'était fantastique.

       Je ne te demande pas les détails de ta nuit avec le flic.

       Pas ça — le boulot. J'ai accepté, comme tu me l'avais conseillé. Et avant même que j'aie commencé ma formation de manière officielle, ils m'ont entraînée à la morgue pour que je fasse ces dessins. C'est arrivé si vite, Nick.

       Comme cette histoire avec Dilessio ?

Elle baissa les yeux.

       Oui.

       Tu ne le connais même pas.

       Je croyais qu'il était ton ami. Que tu l'aimais bien.

       C'est vrai. Mais tu ne le connais pas. C'est un monomaniaque. Un dur. Un accro du boulot. Je peux admirer un type comme ça, mais cela ne veut pas dire que c'est un type pour toi. Ashley, des tas de rumeurs circulent à son sujet...

       Je connais ces rumeurs...

       Ashley...

Il s'interrompit. Sharon venait d'entrer, l'air hésitant.

       Pardon, dit-elle. Je ne veux pas vous déranger, mais il faut que je monte à l'étage pour m'habiller.

       Sharon, ne sois pas ridicule, passe, dit Ashley.

       Merci, murmura Sharon, avant de sourire gentiment à Nick.

       Ecoute, reprit Nick en posant ses coudes sur le comptoir, je ne veux pas que tu sois malheureuse. Je ne veux pas que tu t'acoquines avec un homme qui est tout à fait estimable, d'un point de vue masculin, mais peut-être un peu blasé en ce qui concerne les femmes. Je...

Il s'interrompit de nouveau et Ashley se tourna pour suivre la direction de son regard. Elle ne put s'empêcher de sourire en découvrant Sandy sur le seuil, pieds nus, en short, et tenant son sac à main.

       Désolé, fit-il. Dilessio m'a demandé de t'apporter ceci, Ashley.

       Entre, fit Nick avec un soupir.

       Tu as du café ? demanda le vieil homme en approchant.

Nick et Ashley échangèrent un regard.

       Ashley... Tu crois que je pourrais dîner en tête à tête avec ma nièce préférée, un soir prochain ?

La jeune femme se pencha par-dessus le comptoir et embrassa son oncle sur la joue.

       Avec plaisir.

La sonnerie de son portable retentit alors au fond de son sac. Au milieu de toute cette confusion, elle avait complètement oublié qu'on avait essayé de la joindre, un moment plus tôt. Sandy posa le sac à côté d'elle et elle fourragea à l'intérieur pour y prendre le combiné.

       Allô !

       Ashley ? Ashley Montague ?

       Oui.

       C'est moi. David Wharton — le mec que vous avez rencontré à l'hôpital. Il faut que je vous voie. On a essayé de tuer Stuart.