12.
Ashley aurait dû se sentir fière et heureuse de ce qu'elle avait accompli, ce jour-là. Gannet, Nightingale et Murray avaient applaudi son travail — avec un rien de suffisance, dans le cas de ce dernier. Après tout, il était responsable du personnel, ce qui consistait à connaître les gens, leurs talents, leurs faiblesses, et à déterminer le domaine dans lequel ils pouvaient le mieux servir l'intérêt public. Mandy Nightingale avait été merveilleuse, aussi, lui répétant de ne pas s'inquiéter, l'assurant qu'elle acquerrait bientôt toutes les compétences requises pour ce travail, et concluant qu'elle avait déjà largement fait ses preuves, aujourd'hui. Même le Dr Gannet avait été gentil. Il n'en revenait pas, avait-il déclaré, qu'elle ait réussi à brosser d'aussi bons portraits à partir d'un visage tellement ravagé.
Et ce visage !
Seigneur...
Certes, on avait projeté devant elle bien des horreurs, dans le cadre de sa formation. Elle avait même assisté à une autopsie. Jamais elle ne s'était trouvée sur le point de s'évanouir ou de vomir. Elle avait pris sur elle ; elle avait une mission à remplir, et son travail consisterait justement à faire tout son possible pour venir en aide aux blessés et que justice soit rendue aux morts.
Mais elle n'avait jamais vu, ni même imaginé horreur semblable à celle de ce corps mutilé et décomposé. Ashley avait senti monter la bile au fond de sa gorge, sa respiration s'était bloquée, et elle avait mis du temps à recouvrer son souffle. En se pinçant très fort, elle avait pu faire disparaître les taches noires qui s'étaient mises à danser devant ses yeux. Puis elle s'était efforcée de penser en artiste, se concentrant sur l'aspect purement technique du travail, cherchant les traits qui lui permettraient de recréer le visage de la victime tel qu'il avait été, de son vivant. Ce faisant, elle avait réussi à ne pas succomber à l'envie qui la submergeait de jeter son carnet de croquis et de s'élancer hors de la pièce en hurlant.
Non seulement elle n'avait pas fui, mais elle avait fait du bon boulot. Elle avait prouvé qu'elle était à la hauteur de la confiance qu'on lui avait témoignée, et pour cela, elle aurait dû ressentir une intense satisfaction. Pourtant, il n'en était rien.
C'était la faute de Dilessio, bien sûr, songea-t-elle, tandis qu'elle roulait en direction de la marina. Comment pouvait-il faire preuve d'autant d'hostilité, après ce qui s'était passé entre eux, la nuit précédente ?
Mais justement, que s'était-il passé ? Rien de plus qu'un moment de folie. Dilessio n'éprouvait aucune sympathie pour elle — plutôt carrément de l'antipathie !
Elle entra dans le parking de Chez Nick. Dieu merci, sa place réservée était libre, aujourd'hui. Elle avait hâte de prendre une douche et de changer de vêtements, avant d'aller chercher Karen et Jan.
Elle sortit de voiture, perdue dans ses pensées, et fit le tour du bâtiment, en direction de son entrée privée.
— Ashley Montague ? lança une voix, depuis la terrasse du restaurant.
Elle sursauta et tourna la tête.
Un homme d'une trentaine d'années, assis seul à une table, lui souriait. Son visage lui était vaguement familier. Un client de Nick, sans doute ?
Il se leva et, voyant l'hésitation de la jeune femme, tendit la main. Ashley vint à lui.
— Je suis Martin Moore, de la brigade criminelle de Miami-Dade, expliqua-t-il. Je suis aussi le coéquipier de Jake Dilessio.
— Oh ! fit Ashley, qui avait commencé à sourire, mais ne put retenir une grimace en entendant le nom de Dilessio.
Martin arqua un sourcil.
— Oh ? Votre ton manque singulièrement d'enthousiasme. Dois-je en conclure que vous avez déjà eu à pâtir du mauvais caractère de Jake ?
— Pardon ? fit Ashley, dépitée de se sentir rougir.
Martin eut un geste de la main, avant d'enchaîner :
— J'ai appris que vous étiez notre nouvelle artiste légiste. La rumeur concernant votre talent est en train de faire le tour du département. Mes félicitations ! Il paraît que vous avez accompli un travail formidable, cet après-midi.
— Les nouvelles vont vite !
— En l'occurrence, c'est un peu normal. J'aurais dû me trouver à la morgue, moi-même, mais j'ai dû manger quelque chose qui ne m'a pas réussi, hier soir. J'étais dans un sale état une bonne partie de la journée. Heureusement, ça va mieux, en partie grâce aux conseils avisés de l'amie de votre oncle, Sharon. Elle m'a prescrit un régime de blanc de poulet grillé et de bouillon. Je dois avouer que je me sens déjà mieux.
— Sharon est une vraie mère poule, acquiesça Ashley dans un sourire. Ses cookies sont fameux, aussi.
— J'espère que j'aurai l'occasion de les goûter. C'est probable, d'ailleurs. J'ai toujours bien aimé cet endroit, mais je risque de le fréquenter plus assidûment, maintenant que Jake est installé dans la marina. Alors, que vous a-t-il fait ?
Ashley rougit de nouveau.
— Oh, rien de spécial. Il est un peu pète-sec, je dirais. Il n'aime peut-être pas voir des femmes dans la police.
— Mm... C'est un peu plus compliqué que cela, je pense. Avant moi, Jake avait une femme pour coéquipière. Vous le saviez ?
— Non.
— C'était un excellent flic.
— C'était ?
— Elle est morte.
— Oh!
— On l'a retrouvée dans sa voiture, au fond d'un canal. Cela remonte à cinq ans environ. Juste après une série de meurtres vraiment terribles.
— Les meurtres liés à la secte ?
— Oui. Jake n'a jamais accepté les conclusions de l'enquête selon lesquelles Nancy soit a été victime d'un accident, soit s'est suicidée. Il demeure persuadé qu'elle avait découvert quelque chose et qu'on l'a tuée à cause de ça. Elle a succombé à un traumatisme crânien. La thèse du choc frontal avec le pare-brise tient la route, si je puis dire, puisqu'elle ne portait pas sa ceinture. N'empêche, Jake la rejette de toutes ses forces. Ils étaient très proches l'un de l'autre, un peu trop, selon certains, et je pense qu'il se sent un peu coupable de sa mort.
— Je vois, murmura Ashley.
— En tout cas, il paraît que vos portraits de la dernière victime sont extraordinaires. Je ne vais pas tarder à les voir, du reste, ajouta-t-il en consultant sa montre. Jake doit me retrouver ici même, dans cinq minutes environ.
— Eh bien, je suis ravie d'avoir fait votre connaissance, dit Ashley. Il faut que je me sauve. Je dois passer prendre des amies et si ça continue, je vais être en retard.
— Le plaisir est pour moi, repartit Marty. A bientôt.
— Oui. Au revoir.
Ashley agita la main et s'éloigna prestement en direction de sa porte. Une fois dans sa chambre, elle ôta ses vêtements à la hâte et se glissa sous la douche. Le jet d'eau chaude coulant sur son corps lui fit du bien et elle s'abandonna à cette sensation, les yeux clos.
Quelle journée ! Une journée triomphale, sous bien des rapports. Il ne lui restait plus qu'à trouver un moyen de chasser de son esprit la vision du corps de cette pauvre femme, à la morgue. Elle venait de faire un choix professionnel et ne pouvait laisser de telles images la hanter, si traumatisantes fussent-elles.
Et puis, il y avait Jake Dilessio. Elle se sentait déchirée. Jamais encore elle n'avait éprouvé une attirance aussi forte pour un homme. Cela ressemblait presque à une passion d'écolière — à ceci près qu'elle n'était plus une écolière. Avait-elle réellement cru pouvoir donner carrière à son désir, l'espace d'une nuit, et reprendre ensuite le cours de sa vie comme si de rien n'était, sans plus jamais regarder en arrière ? Quelle folie ! Elle était comme ensorcelée — depuis l'instant où elle l'avait arrosé de café.
Elle poussa un soupir, coupa l'eau, se sécha rageusement et s'habilla. Elle ressortit par l'intérieur de la maison, pour prévenir Nick qu'elle s'en allait. Si elle avait un million de choses à lui raconter, cela devrait attendre.
Mais Nick n'était pas là.
— Ashley ! s'exclama Katie, une de leurs plus anciennes serveuses et un peu l'assistante du patron. Comme je suis contente de te voir ! Peux-tu nous donner un coup de main ?
— Oh, Katie, je suis vraiment désolée, mais Karen et Jan m'attendent, répondit Ashley Je dois passer les prendre pour aller à l'hôpital. J'ai un ami qui...
— Je suis au courant, l'interrompit Katie dans un sourire. Nick et Sharon y sont déjà. Il n'y avait personne, tout à l'heure, alors ils en ont profité. Seulement, tout le monde s'est mis à arriver d'un seul coup et je ne sais plus où donner de la tête.
— Pas de panique, Katie, déclara Sandy, qui était assis au bar. Je vais vous aider à faire le service.
— Pas question, fit celle-ci. Vous êtes un client.
— Je fais partie des meubles, répliqua plaisamment le vieil homme. Allez, cours rejoindre tes amies, Ashley. Mais à une seule condition...
— Laquelle ? s'enquit cette dernière.
— Je veux un rapport exhaustif au sujet de ta nouvelle carrière.
Ashley éclata de rire.
— C'est promis. Vous aurez droit à tous les détails.
Et elle s'éclipsa par l'avant du restaurant, afin de ne pas tomber sur Jake et son coéquipier, dehors.
*
* *
Karen l'attendait devant chez elle.
— Je sais, je suis en retard, fit Ashley, comme son amie s'engouffrait dans l'habitacle de la voiture.
— Oh, de quelques minutes à peine. Autant dire que c'est normal pour la plupart des gens, mais de la part de la reine de la ponctualité...
— La reine de la ponctualité rame un peu, ces temps-ci, crois-moi.
— Tu m'étonnes ! Avec la semaine que tu as vécue... J'ai appelé l'hôpital, au fait. Ils ne sont pas très bavards. L'état de Stuart est stationnaire. Alors, qu'as-tu fait de beau pour te détendre, cet après-midi ?
— Tu parles d'une détente ! J'étais à la morgue.
— A la morgue ! Pour quoi faire ?
—- Attendons que Jan descende et je vous raconterai tout ça en détail, repartit Ashley en s'arrêtant devant l'immeuble de leur amie.
Après moult coups de Klaxon, Jan arriva en courant et s'excusa de n'être pas descendue plus vite. Elle était au téléphone, se faisant passer pour son propre agent afin de décrocher un contrat pour un concert. Elle leur donna un échantillon de sa voix d'agent et les trois jeunes femmes s'esclaffèrent. Puis Ashley leur parla des événements de l'après-midi.
— Beurk ! fit Jan à la fin de son récit.
— Comment ça, beurk ? s'écria Karen. Hier, elle était Mlle Personne, et aujourd'hui, elle est une artiste légiste professionnelle.
— Je suis bien contente que cela lui permette de se consacrer au dessin, c'est sûr, dit Jan. Mais... auras-tu l'occasion de dessiner des gens vivants ?
— Evidemment. Des témoins me parieront d'une personne qu'ils ont vue sur les lieux d'un crime et je devrai essayer de faire son portrait-robot, par exemple. Aujourd'hui, c'était un peu spécial : ils ne pouvaient pas publier la photo de cette femme dans le journal. Pas dans l'état où elle est.
Les trois amies parlèrent encore un moment du nouveau travail d'Ashley, puis Jan changea de sujet.
— Vous croyez qu'ils nous laisseront voir Stuart ?
— J'ai pu entrer dans sa chambre, fît Ashley. Les Fresia ont dit au personnel de l'hôpital que je faisais partie de la famille.
— On pourrait être des cousines, nous aussi, dit Karen.
— Nick et Sharon sont là-bas, reprit Ashley.
— Je parie que Sharon est arrivée les bras chargés de nourriture, fit Karen.
— C'est bien possible, en effet.
— Elle ne connaît pas les Fresia, si ? Remarquez, Nick les connaît, lui. Vous vous souvenez comme ils participaient toujours aux kermesses de l'école, lui et le père de Stuart ? Ils étaient les seuls à se laisser faire, quand on essayait de jeter les parents à l'eau.
— C'est marrant, j'ai l'impression que Sharon cherche très fort à se couler dans le rôle de belle-mère, non ? commenta Karen. Elle tient à s'intégrer dans la famille.
Ashley arqua les sourcils, avant de hausser les épaules.
— Je n'avais pas pensé à ça. Ce n'est pas bien nécessaire, d'ailleurs. J'ai vingt-cinq ans et Nick fait bien ce qu'il veut avec qui il veut.
— Tu comptes énormément pour lui, intervint Jan. Elle doit le savoir.
— Et puis, n'oublie pas qu'elle veut se présenter à la mairie, renchérit Karen.
Ashley éclata de rire.
— Tu crois qu'en préparant des cookies et en allant à l'hôpital elle peut faire avancer sa carrière politique ?
— Va savoir...
— Moi, en tout cas, je m'en fiche, fit Jan. Les cookies sont sacrément bons.
— Elle n'a pas besoin de séduire les Fresia, remarqua Ashley. Ils ne sont pas dans la même commune.
— C'est vrai, admit Karen. D'accord, elle n'a peut-être pas de motifs secrets. Le temps le dira, de toute façon.
— Au fait, cela n'a aucun rapport, mais nous sommes invitées toutes les trois à un dîner avec mes amis de l'académie, vendredi soir, dit Ashley.
— Ah bon ? A quelle occasion ? demanda Karen.
— Nous allons fêter mon nouveau boulot.
— Chouette !
Ashley venait d'arriver dans le parking de l'hôpital et la scène de la veille au soir lui revint brusquement à l'esprit.
— J'ai oublié de vous raconter, dit-elle. J'ai été suivie dans ce parking, l'autre soir. Un type en pyjama de bloc.
— Et c'est maintenant que tu nous le dis ? se récria Karen.
— Attends, un type en pyjama de bloc ? fit Jan. C'était peut- être un toubib pressé de rentrer chez lui, non ?
— Jan, les flics m'ont servi les mêmes arguments, mais de ta part, ça me fait un peu mal. Je suis capable de voir quand je suis suivie, tout de même.
— Dans ce cas, Karen a raison, répliqua Jan avec un haussement d'épaules. Merci de nous le dire maintenant.
— Ne vous plaignez pas. On est tout près de l'ascenseur.
Ashley coupa le contact et les trois amies, descendues de voiture, jetèrent autour d'elles des regards malaisés.
— Allons, nous sommes trois, dit Ashley.
— Et puis, nous avons un flic avec nous, argua Karen.
— Elle n'est plus flic, justement, protesta Jan. Ashley, tu as ton flingue avec toi ?
— Non. De toute façon, je vais devoir le rendre, ça et le badge. Je suis dans le civil, maintenant.
— Bah ! il y a un monde fou, dans ce parking, observa Jan en désignant un groupe de personnes qui se dirigeait vers l'ascenseur.
Ils avaient les bras chargés de fleurs, de paquets, et un enfant tenait un ballon portant l'inscription : « C'est un garçon ! »
Tous s'entassèrent dans la cage métallique et, quelques minutes plus tard, les trois amies longeaient le couloir menant à la salle d'attente du service de réanimation. Elles y trouvèrent Lucy, Nick et Sharon. Baisers et accolades furent échangés. Lucy était visiblement très émue.
— Vous êtes tous tellement gentils, dit-elle. Sharon a même apporté de quoi dîner ! Et des cookies qu'elle a préparés elle- même.
— Vous allez voir, ils sont à tomber, dit Ashley.
— Je la paie pour dire ça, fit Sharon avec un clin d'œil.
— Où est Nathan ? s'enquit Ashley. Vous devriez manger, avant que ça refroidisse.
— Je vais le chercher, maintenant que tu es là, Ashley. C'est peut-être idiot, mais j'ai la conviction que Stuart sent quand tu es près de lui.
Elle regarda Karen et Jan et reprit :
— Elles ne me croiront jamais, mais je vais quand même dire aux infirmières que des cousines de Stuart sont venues lui rendre visite.
— Lucy, nous allons nous éclipser, intervint Nick. Je ne veux pas laisser Katie seule au restaurant trop longtemps.
— C'est une bonne idée, dit Ashley. Elle était légèrement débordée, quand je suis passée, et je m'en suis un peu voulu de ne pas pouvoir rester.
— Il faut que j'engage un autre serveur, murmura Nick.
— Sandy a offert de l'aider.
— Sandy ?
— Ne t'inquiète pas, fit Sharon. Sandy doit connaître les goûts et les habitudes de tes clients presque aussi bien que toi.
Le couple prit congé de Lucy et celle-ci alla voir les infirmières, tandis qu'Ashley, Karen et Jan se rendaient devant la chambre de Stuart. Nathan dut les entendre, car il se leva et sortit pour les saluer, manifestement aussi heureux que sa femme de voir les amies de son fils.
Lucy les rejoignit quelques minutes plus tard.
— C'est d'accord, dit-elle, mais seulement deux personnes à la fois.
— Allez-y, dit Ashley à Karen et à Jan. Je l'ai vu hier soir, moi. Et vous, profitez-en pour aller dîner, ajouta-t-elle à l'intention des parents de Stuart.
Le petit groupe se sépara et Ashley retourna dans la salle d'attente. Un homme était assis là, dissimulé derrière son journal, et elle tressaillit lorsqu'il le plia et se leva pour venir s'asseoir à côté d'elle.
C'était le jeune homme que Nathan lui avait montré, dans la cafétéria — le journaliste en quête d'un scoop.
— Que voulez-vous ? fît sèchement Ashley.
— Inutile de m'agresser, répondit le jeune homme. Je sais bien ce que tout le monde pense. Même les Fresia ne veulent pas croire que je suis un ami de leur fils.
— Comment se fait-il que je ne vous aie jamais rencontré ? riposta Ashley.
— Allons, soyez sérieuse. Vous avez beaucoup vu Stuart, ces derniers temps ?
« Touché », songea Ashley.
— Pourquoi ne veulent-ils pas croire que vous êtes son ami ? demanda-t-elle.
Le jeune homme poussa un soupir.
— Parce que j'écris pour un tabloïd. Peu importe le fait que Stuart, lui aussi, ait vendu quelques articles au même canard... Ils pensent peut-être que tout cela est ma faute. C'est moi qui ai présenté Stuart au rédacteur en chef. Or, c'est à ce moment-là que Stuart a disparu de leur vie...
— Si vraiment vous connaissez Stuart et si vous avez une idée de ce qu'il faisait, pourquoi n'avoir rien dit à la police ?
— Je leur ai dit ce que je savais. Stuart s'intéressait à l'économie, à l'agriculture, aux agissements des grandes entreprises dans les Everglades. II enquêtait sur les voies navigables, la pollution et tout le tremblement. A priori, il était sur un gros coup... Je n'en sais pas plus. Surtout, je ne comprends pas comment il a pu se retrouver dans une histoire de drogue en enquêtant sur l'environnement.
Ashley considéra son interlocuteur avec un peu plus d'attention. Il pouvait avoir son âge, avec des cheveux châtains qui lui tombaient dans le cou, de grands yeux bleus et un regard sincère. Il était bien vêtu et donnait l'impression d'être intelligent et sensé.
— J'ai parlé à la police et ils sont allés voir le rédacteur en chef, reprit-il. Je connaissais les noms de plusieurs huiles locales que Stuart avait interviewées, avant d'entrer en clandestinité. La police leur a parlé, aussi, mais, comme par hasard, ils n'ont strictement rien à se reprocher. Après ça, la police m'a prié de la fermer et de me mêler de mes affaires. Autant dire qu'ils ne me prennent pas du tout au sérieux.
— Pourquoi venir me parler à moi ? demanda Ashley.
Le jeune homme haussa les épaules et sourit, un gentil sourire un peu désabusé.
— J'ai entendu dire que vous êtes à l'académie de police, et je sais aussi que vous ne croyez pas à la théorie selon laquelle Stuart aurait sombré dans la drogue. Je me suis dit que si quelqu'un était capable de se battre pour lui, c'était vous.
Ashley le regarda encore un moment, hésitante. Il paraissait vraiment sincère. Peut-être avait-il essayé de se rendre utile, et cela s'était-il retourné contre lui... Quoi qu'il en soit, il croyait en Stuart, et ça, c'était un bon point.
— J'aimerais réellement faire quelque chose pour Stuart, poursuivit-il sur un ton persuasif. Je suis un excellent investigateur, vous savez.
— La police a de bons investigateurs aussi. C'est leur boulot. Vous pensez pouvoir découvrir des choses qui leur auraient échappé ?
— C'est déjà fait.