Chapitre 37
Pour le Gowachin, le moment où il se dresse, seul, contre toutes les forces de l’adversité, est le plus sacré de son existence.
Le Peuple gowachin, une Analyse du BuSab.
Les huit prisonniers, fers aux mains et aux pieds, furent poussés jusqu’au centre de l’arène. McKie s’avança jusqu’à eux. Il attendait l’arrivée de Ceylang. L’aube n’était pas encore levée. Le dôme demeurait obscur. Seuls quelques transmetteurs étaient en activité, comme le révélaient les objectifs qui brillaient au-dessus des corniches, mais les autres n’allaient pas tarder à fonctionner aussi. La loge des témoins était presque vide, mais la foule commençait à remplir les gradins car la nouvelle se répandait rapidement. La tribune de justice demeurait pour l’instant inoccupée.
Le périmètre extérieur de l’arène était en effervescence. Partout, les forces de sécurité allaient et venaient bruyamment. Des ordres étaient clamés, des armes cliquetaient. Il régnait une confusion générale qui ne s’apaisa graduellement que lorsque Broey apparut, suivi des deux autres juges, et grimpa à la tribune. La loge des témoins se remplissait aussi. Les gens frottaient leurs yeux encore ensommeillés et les Gowachins bâillaient à se décrocher la mâchoire.
McKie s’occupa des soldats de Broey qui avaient amené les captifs. Il leur fit un signe de main dosadi qui voulait dire qu’ils pouvaient se retirer, mais qu’ils devaient rester à proximité de l’arène. Ils sortirent. Ceylang les croisa en entrant. Elle finissait de boutonner sa robe. Elle se hâta de rejoindre McKie et attendit que le dernier des trois juges se soit assis pour s’exclamer :
« Que signifie tout ceci ? Mes collaborateurs… »
Broey fit un signe à McKie.
Ce dernier fit un pas en avant pour s’adresser à la tribune, et désigna du doigt les huit captifs qui commençaient à s’agiter dans leurs chaînes pour essayer de se redresser.
« Voici mes clients. »
Parando fit mine de dire quelque chose, mais Broey le fit taire d’un mot bref que McKie ne put intercepter. Cela sonnait comme « délire ».
Bildoon paraissait fasciné, paralysé d’effroi devant les huit captifs dont il ne pouvait détacher son regard. Ils étaient totalement silencieux. Sans doute Bildoon les reconnaissait-il. À sa manière co-sentiente, forcément limitée, le directeur pan spechi du BuSab devait être assez lucide pour se rendre compte qu’il était personnellement en danger. Quant à Parando, il l’avait évidemment compris tout de suite et observait Broey avec une grande attention.
De nouveau, Broey fit un signe de tête à McKie.
« La Cour a été victime d’une supercherie », déclara celui-ci. « Il s’agit d’un crime perpétré contre le noble et vaillant peuple gowachin dans son ensemble. L’Accusation comme la Défense en sont atteintes. La Loi est l’ultime victime. »
Le silence s’était fait peu à peu dans l’arène. Il ne restait plus une seule place libre dans les gradins. Tous les transmetteurs fonctionnaient. L’aube commençait à pâlir le dôme translucide. McKie aurait voulu savoir l’heure. Il avait oublié de prendre une montre.
Il y eut des murmures derrière McKie. Il se tourna pour voir entrer Aritch, tardivement accompagné par des huissiers. Oui… ils avaient dû vouloir à tout prix s’entretenir d’abord avec Aritch, qui était censé être leur second expert concernant McKie. Dommage que l’Humain qu’ils avaient en face d’eux n’ait plus grand-chose à voir avec l’ancien McKie, celui qu’ils croyaient connaître.
Incapable de garder plus longtemps le silence, Ceylang leva un tentacule pour demander la parole.
« Cette Tribune… »
« N’est composée que de trois personnes », interrompit McKie. « Pas une de plus. »
Il leur laissa un moment pour se souvenir que c’étaient toujours les formes de la loi gowachin qui étaient en vigueur dans cette arène, et qu’elles ne ressemblaient à rien de ce qui pouvait se pratiquer dans le reste de la Co-sentience. Il aurait pu y avoir cinquante juges dans cette tribune. McKie avait assisté à des procès gowachins où les gens étaient choisis au hasard dans la rue pour siéger au tribunal. Ils prenaient leur tâche au sérieux, mais leur comportement extérieur avait de quoi rendre sceptiques les autres espèces co-sentientes. Les juges gowachins bavardaient gaiement, constituaient des groupes, échangeaient des plaisanteries ou s’interpellaient bruyamment. C’était l’ancienne coutume. On demandait à la tribune de ne former « qu’un seul organisme ». Les Gowachins avaient leur manière à eux d’activer le processus.
Ici, le tribunal ne comprenait que trois juges dont un seulement, en apparence, était gowachin. Ils formaient des entités séparées au comportement étranger à l’esprit gowachin. Même Broey, marqué par Dosadi, devait sembler peu familier aux observateurs gowachins. La tribune était loin d’agir comme « un seul organisme » chargé de faire respecter l’esprit de la loi gowachin. Cet état de fait devait être profondément déroutant pour les légistes qui assistaient Ceylang.
Broey se pencha en avant pour s’adresser à l’arène.
« Nous nous dispenserons des formalités habituelles en attendant que ce nouveau point soit éclairci. »
De nouveau, Parando voulut dire quelque chose, mais Broey le fit taire d’un regard.
« Je cite Aritch, du Phylum des Marches », déclara McKie.
Il se tourna vers l’interpellé.
Ceylang hésitait à intervenir. Ses conseillers demeuraient au fond de l’arène, en grand conciliabule. Il semblait y avoir dans le groupe des divergences d’opinions.
Aritch s’avança lentement jusqu’au centre-cible de l’arène, où tous les témoins devaient se tenir pour déposer. Son regard se posa sur les instruments de souffrance exposés sous la tribune, puis revint se fixer avec circonspection sur McKie. Le Haut Magister semblait avoir perdu tout ressort et toute dignité. La réunion précipitée à laquelle il venait sans doute de participer à la suite des rebondissements provoqués par McKie avait dû représenter pour lui une épreuve démoralisante.
McKie alla occuper la place qui lui était assignée à côté d’Aritch et s’adressa aux juges.
« Voici Aritch, Haut Magister du Phylum des Marches. On nous a dit que si la culpabilité de quelqu’un devait être établie dans cette arène, c’était sur Aritch qu’elle retomberait. On nous a fait croire que c’était lui qui avait pris la décision de transformer Dosadi en prison. Comment serait-ce possible ? Aritch est âgé, mais moins que Dosadi. Son crime prétendu est-il d’avoir dissimulé la vérité sur Dosadi ? Comment soutenir une chose pareille, alors que c’est lui-même qui a fait appel à un agent du BuSab pour l’envoyer officiellement enquêter sur cette planète ? »
Un bruit de chaînes venant des huit captifs allongés au milieu de l’arène interrompit McKie. Certains des prisonniers essayaient de se relever, mais les chaînes étaient trop courtes.
À la tribune, Parando se pencha en avant mais Broey le tira brutalement en arrière.
Parando et les autres étaient en train de se remémorer les vérités fondamentales de la judicarène gowachin, inversions constantes des concepts répandus dans le reste de la Co-sentience.
Les coupables sont innocents. Par conséquent, les innocents sont coupables.
Au commandement aboyé par Broey, les prisonniers se calmèrent d’un seul coup.
McKie poursuivit :
« Conscient des responsabilités sacrées qu’il portait sur son dos comme une mère ses têtards, Aritch fut délibérément choisi pour absorber l’impact du châtiment encouru afin d’éviter au peuple gowachin entier de devenir la cible du ressentiment général. Qui donc a désigné ce Haut Magister innocent pour souffrir à la place de tous les autres Gowachins ? »
McKie pointa l’index en direction des huit captifs enchaînés.
« Qui sont ces gens ? » demanda Parando.
McKie laissa intentionnellement la question résonner longuement dans l’arène silencieuse. Parando savait très bien qui ils étaient. Croyait-il pouvoir dévier le cours des événements présents en se servant de faux-fuyants pareils ?
« La Cour sera éclairée en temps voulu », répondit finalement McKie. « Ma préoccupation première est de prouver l’innocence de mon client. »
« Un instant. »
Broey leva une main palmée.
Un des conseillers de Ceylang dépassa précipitamment McKie et s’adressa à la tribune pour demander la permission de s’entretenir avec la Wreave. La permission lui fut accordée. Parando était raide comme un condamné. Il suivit le conseiller des yeux comme s’il était convaincu que son salut dépendait de ce qu’il était en train de dire à Ceylang. Bildoon s’était penché en avant, la tête dans ses mains. Visiblement, c’était Broey seul qui contrôlait la tribune.
Le légiste qui conférait avec Ceylang n’était pas inconnu de McKie. Il s’appelait Lagag et jouissait d’une réputation médiocre de fonctionnaire sans envergure. Il parlait à voix basse à la Wreave, d’un ton urgent et impérieux.
Les chuchotements terminés, Lagag se dépêcha de retourner auprès de ses confrères. Ils devaient saisir, à présent, la teneur de la « défense » adoptée par McKie. Aritch savait depuis le début qu’il risquait d’être sacrifié dans ce procès. Le Pacte co-sentient n’autorisait plus l’ancienne pratique qui voulait que l’assistance gowachin envahisse l’arène pour mettre à mort de ses griffes et des ses mains nues l’accusé reconnu innocent. Mais si Aritch quittait ces lieux avec le sceau de l’innocence gravé sur son front gowachin, il ne ferait pas dix pas dans la rue avant d’être mis en pièces.
McKie avait décelé une admiration tourmentée dans le regard que lui avait lancé Lagag au passage. Oui… ils devaient comprendre, également, pourquoi il avait manœuvré pour avoir en face de lui une tribune de justice restreinte et vulnérable.
Les huit prisonniers s’agitaient de nouveau. Broey les fit taire d’un cri et fit signe à McKie de continuer.
« L’intention d’Aritch était de me faire dévoiler publiquement le secret de la planète Dosadi pour que, revenu ici, je le défende contre l’accusation d’avoir laissé pratiquer des expériences psychologiques illégales sur des populations non informées. Il était prêt à se sacrifier pour d’autres. »
McKie jeta un regard glacé à Aritch. Que le Haut Magister, face à cette défense, se tire d’affaire en invoquant des demi-vérités, s’il pouvait !
« Malheureusement », reprit-il, « les populations en question étaient loin d’être non informées. En fait, à la tête de ses armées, Keila Jedrik avait fait en sorte de s’emparer du pouvoir sur toute la planète. Le juge Broey peut témoigner qu’elle y avait parfaitement réussi. »
De nouveau, McKie désigna les huit captifs enchaînés.
« Mais ces forbans, ces vils conspirateurs qui ont organisé le projet Dosadi pour satisfaire leurs intérêts personnels, ont ordonné la mort de Keila Jedrik ! Elle a été assassinée ce matin sur Tutalsee dans le but de m’empêcher de la faire venir ici au moment opportun pour prouver l’innocence d’Aritch. Le juge Broey pourra confirmer la véracité de mes dires. Keila Jedrik a été citée hier comme témoin dans cette arène uniquement pour qu’ils puissent la découvrir et la tuer ! »
Il leva les deux bras en un geste théâtral, puis les laissa retomber, inertes, à ses côtés.
Aritch avait l’air encore plus accablé qu’avant. Il comprenait. Si les huit captifs rejetaient ces accusations, ils partageraient le sort d’Aritch. En outre, ils savaient maintenant que Broey voulait les déclarer coupables à la gowachin. Ils avaient la possibilité d’invoquer le contrat caliban et de dévoiler le trafic de corps, mais ils risquaient ainsi de se faire défendre ou accuser par McKie, puisqu’il avait déjà rattaché leur cas à celui de son client présent, Aritch. Broey serait d’accord pour cette procédure. En fait, ils se trouvaient à la merci de Broey. S’ils étaient reconnus coupables à la gowachin, ils sortaient libres de cette arène mais ne pouvaient quitter Tandaloor sous peine d’être arrêtés aussitôt. S’ils étaient reconnus innocents, ils mouraient sur place.
Comme s’ils ne formaient qu’un seul organisme, ils tournèrent tous les huit la tête en même temps vers Aritch. Qu’allait décider le Haut Magister ? S’il était d’accord pour se sacrifier, ils avaient une chance de survivre. Le regard de Ceylang, également, était braqué sur lui.
Dans toute la judicarène, on eût dit que l’assistance retenait son souffle.
McKie observait Ceylang avec curiosité. Dans quelle mesure les conseillers d’Aritch avaient-ils été sincères avec elle ? Connaissait-elle tous les secrets de l’affaire dosadie ?
Elle fut la première à rompre le silence, révélant par là même l’étendue de ce qu’elle savait. Elle avait décidé de prendre McKie pour cible, conformément à la coutume selon laquelle, quand tout le reste avait échoué, le mieux à faire était de discréditer le légiste de la partie adverse.
« C’est ainsi que vous défendez ce que vous, et vous seul, avez appelés vos clients ? » demanda-t-elle.
La partie devenait délicate. Broey allait-il suivre ?
McKie répliqua par une question.
« Êtes-vous en train de laisser entendre que vous vous chargeriez de les poursuivre ? »
« Ce n’est pas moi qui les accuse ! C’est vous ! »
« Pour prouver l’innocence d’Aritch. »
« Mais vous les avez appelés vos clients. Allez-vous les défendre ? »
Une exclamation collective s’éleva du groupe de conseillers qui était derrière elle à l’entrée de l’arène. Ils avaient vu le piège. Si McKie relevait le défi, les juges étaient obligés de soumettre les huit captifs aux formes de la loi gowachin. Ceylang s’était enferrée dans le rôle d’accusatrice des huit. Cela revenait en pratique à affirmer qu’ils étaient coupables. Par là même, elle innocentait Aritch et se condamnait elle-même. Elle était finie.
La question informulée luisait dans son regard.
Qu’allait décider McKie ?
Pas encore, se dit celui-ci. Un peu de patience, ma très chère dupe Wreave.
Il se tourna vers Parando. Il était curieux de savoir s’ils allaient oser mentionner publiquement le contrat caliban. Les huit captifs n’étaient que la partie visible des forces de l’ombre, un fer de lance vulnérable et qui pouvait être sacrifié le cas échéant. Il était évident qu’ils le comprenaient et que cette idée ne leur plaisait pas. On était loin du Mrreg, avec son sens implacable des responsabilités. Ceux-là aimaient la vie et le pouvoir qu’elle leur donnait. Particulièrement ceux qui avaient en ce moment un corps humain. Comme l’existence devait leur paraître précieuse, à eux qui en avaient déjà vécu plusieurs ! Ils étaient vraiment acculés.
Avec sa perception dosadie, McKie avait l’impression de lire directement dans leurs pensées. Le mieux pour eux était de garder le silence. Ils pouvaient faire confiance à Parando. La cupidité éclairée de Broey les sauverait peut-être. Au pire, ils s’arrangeraient pour finir confortablement ce qui leur restait de vie ici sur Tandaloor, espérant pouvoir un jour échanger une fois encore leur vieux corps contre un jeune, plein de vitalité. Tant qu’ils vivraient, il y aurait toujours de l’espoir et la possibilité de machinations pour eux. Peut-être, en louant les services d’un autre Caliban… peut-être, en découvrant un autre Pcharky…
Aritch éclata soudain, répugnant à abandonner ce qui avait été presque à lui. La protestation rendit rauque la voix du Haut Magister de Tandaloor.
« Mais c’est moi qui ai supervisé les tests sur la population de Dosadi ! »
« À quels tests faites-vous allusion ? »
« Les Dosadis… »
Aritch s’interrompit, conscient du piège qui lui était tendu. Plus d’un million de Gowachins originaires de Dosadi avaient déjà quitté leur planète. Aritch allait-il en faire des cibles vivantes ? Tout ce qu’il allait dire pouvait contribuer à prouver que les Dosadis étaient supérieurs aux Co-sentients. Tout Gowachin (et aussi tout Humain) pouvait devenir une telle cible en quelques minutes. Il suffisait de le dénoncer comme Dosadi. La peur et la panique co-sentientes feraient le reste. De plus, chacun des arguments sur lesquels s’appuierait le Haut Magister pouvait servir à mettre à nu la véritable raison d’être de Dosadi. Apparemment, Aritch avait compris le danger depuis le début.
Le Haut Magister donna confirmation de cette analyse en dirigeant son regard vers les Wreaves Furets qui se trouvaient dans l’assistance. Comme ils seraient consternés, ces Wreaves si secrets, d’apprendre qu’un individu d’une autre espèce pouvait avec succès se déguiser en l’un des leurs !
McKie ne pouvait néanmoins pas laisser les choses dans l’état où elles se trouvaient. Il lança une autre question à l’adresse d’Aritch.
« Est-ce que les premiers volontaires pour Dosadi connaissaient la nature exacte de votre programme ? »
« Il n’y a qu’eux qui pourraient en témoigner. »
« Et leurs mémoires ont été effacées. Nous ne disposons même pas d’un témoignage historique dans ce domaine. »
Aritch demeurait silencieux. Huit des concepteurs originaux du projet Dosadi étaient dans cette arène à côté de lui. Pouvait-il les dénoncer pour sauver sa vie ? McKie en doutait. Quelqu’un qui avait été jugé apte à exercer les fonctions de Mrreg ne pouvait pas faire montre d’une telle faiblesse. Qu’allait-il décider ? Le véritable point de non-retour était maintenant atteint.
Le Haut Magister confirma les attentes de McKie en tournant le dos au Tribunal. C’était le vieux geste de soumission gowachin. Dans cette affaire, Aritch n’avait plus rien à dire. Il avait dû décevoir profondément tous ceux qui avaient vu en lui un futur Mrreg. Piètre choix, sinon à la fin, où son attitude, plus qu’autre chose, signifiait qu’il reconnaissait totalement son échec.
McKie attendait la suite. Il savait que c’était à présent le tour de Ceylang. Effectivement, au bout de quelques secondes, le juge Broey se tourna vers elle.
« Vous avez laissé entendre que vous assureriez l’accusation de ces huit prévenus. C’est maintenant au légiste de la Défense de décider. » Il se tourna vers McKie. « Qu’en dites-vous ? »
Le moment de mettre Broey à l’épreuve était arrivé. McKie contra à l’aide d’une question.
« La Cour peut-elle suggérer une autre procédure à appliquer à ces huit prisonniers ? »
Ceylang retenait sa respiration.
Broey était satisfait. Il avait triomphé, à la fin, de Jedrik. Il avait maintenant la certitude qu’elle n’occupait pas le corps du légiste qu’il avait en face de lui. Il pouvait à présent montrer aux forces de l’ombre de quoi était capable un vrai Dosadi. McKie comprit qu’il allait agir vite, beaucoup plus vite que certains ne l’avaient prévu.
Certains, mais pas Jedrik, qui demeurait un… (souvenir ?) silencieux dans la conscience de McKie.
Après quelques instants de méditation apparente, Broey prononça :
« Je peux les faire traduire devant une juridiction co-sentiente, si McKie est d’accord. »
Les huit captifs s’agitèrent, puis retombèrent prostrés.
« J’accepte », dit McKie.
Il jeta un coup d’œil à Ceylang, qui ne protesta pas, comprenant la futilité de la chose. Son seul espoir résidait maintenant dans la présence dissuasive des Wreaves Furets.
« Qu’il en soit ordonné ainsi », décréta Broey en lançant un regard de triomphe à Parando. « La juridiction co-sentiente décidera si les huit prévenus sont coupables de meurtre et de conspiration. »
Il se tenait largement dans les limites du Pacte entre la Co-sentience et les Gowachins, mais les Gowachins qui se trouvaient dans l’assistance n’appréciaient pas beaucoup une décision de ce genre. La loi gowachin était la meilleure ! Des coups de sifflets furieux retentirent dans toute l’arène.
Broey se souleva à demi de son siège et désigna d’une main les instruments de souffrance exposés sous la tribune. Les Gowachins de l’assistance se calmèrent aussitôt. Mieux que n’importe qui, ils savaient que personne dans cette arène, pas même un simple spectateur, n’échappait à l’autorité de la Cour. Beaucoup commençaient à comprendre clairement pourquoi ces instruments sinistres avaient été étalés. On avait prévu que le problème du maintien de l’ordre pourrait se poser.
En réponse au silence indiquant l’acceptation de son autorité, Broey se carra dans son fauteuil.
Parando le regardait comme s’il venait de découvrir qu’un monstre habitait sous cette écorce gowachin. Beaucoup d’autres devaient en ce moment réviser leur estimation de Broey.
Aritch conservait son attitude de soumission totale.
Les pensées de Ceylang faisaient presque vibrer l’air autour d’elle. Partout où elle se tournait, elle ne voyait qu’un enchevêtrement de tentacules indémêlables et des passages obstrués.
McKie comprit que c’était le moment d’agir. Il s’avança jusqu’au pied de la tribune et prit au râtelier une lance à hampe courte. Brandissant l’arme, dont la lame était aussi tranchante que celle d’un rasoir, il demanda :
« Qui siège dans ce tribunal ? »
En son temps, Aritch avait posé la même question. McKie, l’imitant, désigna les juges un par un de la pointe de l’arme et répondit à sa propre question.
« Un Gowachin que j’ai choisi moi-même », fit-il en commençant par Broey. « On dit que le projet Dosadi lui a fait du tort. Est-ce exact, Broey ? »
« C’est inexact. »
McKie désigna Parando.
« Et voici un Humain de la planète Lirat. Est-ce exact, Parando ? »
« Je suis originaire de Lirat, c’est exact. »
McKie hocha la tête.
« Je suis prêt à faire défiler ici des témoins qui nous éclaireront sur les activités auxquelles vous vous livrez sur votre planète natale. Voulez-vous nous dire quelle est votre profession ? »
« Comment osez-vous douter de la compétence de ce Tribunal ? »
Parando, rouge de colère, fustigeait McKie du regard.
« Répondez à sa question », ordonna Broey.
Parando se tourna vers Bildoon, qui était toujours dans la même position, la tête enfouie dans ses bras repliés. Quelque chose dans l’attitude du Pan Spechi repoussait Parando, mais il savait qu’il avait besoin de la voix de Bildoon pour contrer Broey. Il secoua le Pan Spechi. Celui-ci s’affaissa complètement sur le côté.
McKie comprit immédiatement.
Voyant son destin scellé, Bildoon s’était retiré dans la crèche. Quelque part, un corps pan spechi de rechange était préparé à la hâte à prendre la relève de cette identité brisée. La naissance d’un nouveau Bildoon allait demander un temps considérable. Le délai était trop grand. Quand la crèche produirait finalement une persona en état de fonctionner, elle ne retrouverait plus l’ancienne place de Bildoon au BuSab.
Parando demeurait seul, sans protection. Il fixait du regard la pointe de la lance que tenait McKie.
Celui-ci regarda lentement l’ensemble de l’arène avant de se tourner pour s’adresser à Parando.
« Je me permettrai de citer un expert bien connu en matière de droit gowachin, le Haut Magister Aritch : La justice co-sentiente fait de ses praticiens une aristocratie. La justice gowachin n’a pas cette prétention. La justice gowachin se contente de demander : Qui connaît le peuple ? Seul celui qui connaît le peuple est digne de siéger dans la judicarène. Telle est la loi gowachin, d’après le Haut Magister Aritch. Telle est la loi qui nous gouverne ici. »
De nouveau McKie se tourna vers Parando comme s’il lui donnait une chance de s’expliquer. Parando demeura silencieux.
« Peut-être êtes-vous qualifié pour siéger dans cette tribune », poursuivit McKie. « Êtes-vous artisan ? Philosophe ? Humoriste, peut-être. Ou bien artiste ? Ah ! Ne seriez-vous pas le plus humble des ouvriers, celui qui veille au fonctionnement d’une machine automatique ? »
Parando gardait le silence, les yeux rivés sur la pointe de la lance.
« Rien de tout cela ? » pérora McKie. « Dans ce cas, c’est moi qui vais être obligé de fournir la réponse. Vous êtes un juriste professionnel. Un conseiller juridique spécialiste du droit gowachin. Vous, un Humain, pas même un légiste, vous osez vous mêler du droit gowachin ! »
Sans le moindre signal musculaire, McKie bondit en avant, lança son arme en direction de Parando et la vit pénétrer profondément dans sa poitrine.
Et d’une, pour Jedrik.
Avec un cri étouffé, Parando s’affaissa au pied de son fauteuil.
Broey, voyant la fureur qui animait McKie, posa la main sur la boîte bleue qui était devant lui.
Ne crains rien, Broey. Ce n’est pas encore ton tour. Pour l’instant, j’ai besoin de toi.
À présent, il n’y avait pas que Broey qui savait que c’était bien McKie et non Jedrik qui occupait son corps. Les forces de l’ombre qui suivaient ce qui se passait dans l’arène avaient dû parvenir à cette déduction parce qu’elles ignoraient à quel point les psychismes de Jedrik et McKie s’étaient mêlés lors de l’échange de corps. Pour les forces de l’ombre, il était évident que seul McKie pouvait connaître le passé de Parando. Ils avaient déjà dû ordonner une enquête pour savoir comment. C’était donc bien McKie qui se trouvait dans l’arène. Mais s’il avait quitté Dosadi, il n’y avait qu’une seule conclusion possible dans leur esprit.
McKie bénéficiait d’une aide calibane !
Il leur fallait redouter un danger caliban.
Mais McKie pensa : Ce n’est que McKie que vous avez à redouter.
Il prit conscience des grognements d’approbation que poussaient les Gowachins un peu partout dans l’arène. Ils l’avaient accepté en tant que légiste et ils acceptaient son argumentation. Un tel juge méritait la mort.
Aritch a établi le précédent. McKie l’a amélioré.
Tous les deux, ils avaient trouvé une manière approuvée d’exécuter un juge corrompu ; mais McKie avait greffé le précédent gowachin sur la procédure légale acceptée par la Co-sentience. Le compromis consistant à mêler les deux conceptions de la loi dans l’affaire présente serait probablement considéré par l’opinion publique gowachin comme un premier pas laborieux vers l’établissement de la primauté de leur code sur tous les autres.
Aritch s’était à demi tourné vers la tribune, une lueur d’approbation dans les yeux, comme s’il voulait dire que les Gowachins, après tout, n’avaient pas tout perdu dans cette arène.
McKie se retourna vers Ceylang. Il lui fit face, selon les formes de la loi, en requérant le jugement de la tribune.
« Bildoon ? »
Pas de réponse.
« Parando ? »
Pas de réponse.
« Broey ? »
« Jugement accordé en faveur de la Défense. »
Une clameur dosadie parcourut les gradins. La Fédération gowachin, l’unique membre de la Co-sentience qui avait le courage de permettre à une victime de juger ceux qu’elle accusait de lui avoir fait du tort, venait de recevoir une blessure d’amour-propre. Mais elle recevait en même temps quelque chose qui devait posséder à ses yeux une inestimable valeur : un point d’ancrage pour son code juridique au sein de la Co-sentience, plus une représentation mémorable qui allait finir théâtralement, en beauté, pour le grand plaisir des Gowachins de l’assistance.
McKie s’avança vers Ceylang et ne s’arrêta que lorsque la longueur d’un bras les séparait encore. Il tendit la main droite latéralement, la paume vers le haut.
« La dague », dit-il.
Des assistants accoururent. On entendit le bruit de la boîte bleue qui s’ouvrait. Quelques instants plus tard, la poignée de la dague fut placée fermement dans la main de McKie. Il referma les doigts en songeant à tous ceux, innombrables, qui avaient avant lui affronté ce moment dans une arène gowachin.
« Ceylang ? »
« Je me soumets aux règles de la Cour. »
McKie vit les Wreaves Furets se lever de leur siège comme une seule personne. Ils étaient prêts à sauter dans l’arène pour venger Ceylang quelles que fussent les conséquences. Ils ne pouvaient que jouer le rôle auquel les Gowachins les avaient acculés. Personne dans l’arène ne pouvait ignorer les raisons de leur présence ici. Quelle que fût l’ampleur de la blessure, les Gowachins n’acceptaient pas ces choses de gaieté de cœur.
Un étrange courant de camaraderie s’établit à ce moment-là entre Ceylang et McKie. Ils étaient face à face, les deux seuls étrangers, dans tout l’univers co-sentient, à avoir subi les honneurs de cette alchimie particulière qui transformait un être en légiste gowachin. L’un des deux était censé périr immédiatement et l’autre ne lui survivrait pas longtemps. Pourtant, ils se comprenaient comme frère et sœur. Chacun avait « jeté sa peau » pour se transformer en quelque chose d’autre.
Avec une lenteur savamment calculée, il dirigea la dague vers la poche maxillaire gauche de Ceylang, criblée de petits points correspondant aux triades nuptiales dont elle avait fait partie. Elle tremblait, mais demeura stoïque. D’un geste vif et précis, McKie ajouta une entaille à côté des autres.
Les Wreaves Furets furent les premiers à comprendre. Ils se rassirent comme un seul être.
Ceylang étouffa une exclamation et porta la main à sa poche maxillaire gauche. Plus d’une fois, une telle marque l’avait libérée tout en l’enfermant dans de nouvelles alliances qui ne rendaient pas tout à fait les autres caduques.
Pendant quelques instants, McKie eut peur qu’elle ne refuse, mais l’arène commençait à se remplir de murmures d’approbation qui firent vaciller ses doutes. Bientôt les murmures se transformèrent en une véritable clameur qui atteignit un pic assourdissant avant de décroître peu à peu. Même les Gowachins étaient ravis. Comme ils appréciaient ces finesses légales !
Chuchotant de manière à être entendu de Ceylang seule, McKie déclara :
« Vous devriez postuler un emploi au BuSab. Le nouveau directeur examinera votre candidature avec bienveillance. » « Vous ? »
« Je suis prêt à faire un pari wreave là-dessus. »
Elle lui adressa la grimace qui, chez les Wreaves, passait pour un sourire, et prononça les mots d’adieu traditionnels de la triade :
« Unis nous fûmes, bel et bien. »
Elle avait perçu, elle aussi, cet instant unique qui les avait rapprochés.
Il montra l’étendue de ses connaissances ésotériques en fournissant la réponse rituelle :
« Par ma marque je te connais. »
L’expression de Ceylang ne trahit pas la moindre surprise. Elle avait de la classe. Pas autant qu’une Dosadie, mais c’était de la classe quand même.
Unis bel et bien.
Son émotion soigneusement masquée (il dut faire appel à toute sa maîtrise dosadie), McKie s’avança lentement vers Aritch.
« Client Aritch, vous êtes innocent. »
McKie exhiba la lame où luisait une goutte du sang de la Wreave.
« Les formes de la Loi on été respectées et vous êtes totalement disculpé. Avec tous ceux qui aiment la justice, je m’en réjouis. »
Dans l’ancien temps, ces mots auraient été le signal, pour une foule en liesse, de se jeter sur le malheureux client qu’elle aurait mis en pièces avant de s’en disputer les vestiges sanglants qu’elle aurait promenés à travers les rues de la ville. Nul doute qu’Aritch eût préféré cela. C’était un traditionaliste. Il le confirma en disant :
« Je suis heureux de quitter cette époque, McKie. »
Celui-ci médita tout haut :
« Qui sera le nouveau Mrreg, maintenant que vous êtes… disqualifié ? Quel que soit le nouvel élu, je doute qu’il joue son rôle aussi bien que celui qu’il va remplacer. Il pourra en tout cas réfléchir avantageusement sur le caractère éphémère et fragile des bénéfices que l’on peut tirer de la manipulation d’autrui. »
La mort dans l’âme, Aritch se détourna sans répondre et marcha d’un pas lourd vers la sortie de l’arène.
Déjà, plusieurs Gowachins de l’assistance s’étaient levés, espérant sans doute intercepter Aritch à l’extérieur. McKie n’avait aucune envie d’assister à cette survivance d’un rite ancien. Il avait d’autres soucis.
Unis bel et bien.
Il avait les yeux qui piquaient. Et il sentait toujours la tendre présence endormie au fond de son psychisme.
Jedrik ?
Pas de réponse.
Il regarda Broey qui, fidèle à ses devoirs de juge, serait le dernier à quitter l’arène. Le Gowachin contemplait placidement les lieux où il venait de faire le premier pas de la campagne qui devait lui assurer la suprématie dans toute la Co-sentience. Il n’accepterait rien de moins excepté la mort. Les montreurs de marionnettes qui agissaient dans l’ombre seraient les premiers à subir son joug.
Tout cela s’insérait parfaitement dans les plans forgés par Jedrik et McKie. En un sens, c’était la continuation de l’œuvre entreprise par ceux qui avaient produit et conditionné Jedrik pour les tâches qu’elle avait si merveilleusement accomplies.
McKie songeait que tous ces Dosadis sans nom et sans visage qui se tenaient en rangs spectraux derrière Jedrik avaient fait dès le début un choix courageux. Face aux échanges de corps dont ils avaient la preuve un peu partout, ils avaient compris que c’était la plus dangereuse et la plus conservatrice des solutions, celle qui ne pouvait mener qu’à l’extinction. Ils avaient préféré faire confiance au sperme et à l’ovule, rechercher le changement, l’amélioration, l’adaptation. Ils avaient lancé simultanément leur campagne pour l’élimination de tous les Pcharky de leur mondé, à l’exception de celui qu’ils se réservaient pour leur assaut final.
Le secret, explosif, avait été gardé dans le procès, et McKie en était reconnaissant à Ceylang, qui était elle aussi au courant. Elle avait gardé le silence, même quand elle aurait pu se tirer d’affaire en parlant. À présent, le BuSab disposait du temps nécessaire pour forger les moyens de dominer le problème. Ceylang aurait aussi son rôle à jouer. Peut-être les mystères pan spechi, taprisiote et caliban seraient-ils éclaircis par la même occasion. Si seulement Jedrik…
Il sentit quelque chose remuer dans son psychisme/souvenir.
« Si seulement Jedrik ? »
La voix résonnait de nouveau gaiement dans sa tête, comme elle l’avait toujours fait.
McKie réprima un accès de tremblement et faillit trébucher.
« Doucement avec ce corps », dit-elle. « C’est le seul qui nous reste. »
« Ce corps ? Quel corps ? »
Elle lui fit une caresse mentale.
« Le nôtre, mon chéri : »
Était-ce une hallucination ? Il brûlait de l’envie de la prendre dans ses bras, de la serrer fort contre lui, de sentir son corps frémissant contre lui.
« Cela est à jamais perdu, mon chéri ; mais vois ce que nous avons gagné en échange. »
Comme il ne répondait pas, elle reprit :
« L’un de nous veillera toujours quand l’autre agira… ou se reposera. »
« Mais où es-tu ? »
« Là où j’ai toujours été depuis que nous avons fait l’échange. Vois donc. »
Il la sentit parallèle à lui dans leur chair partagée et, se retirant volontairement, se fondit dans le psychisme/souvenir de Jedrik sans cesser de regarder par ses propres yeux mais conscient de n’être plus aux commandes, conscient que quelqu’un d’autre faisait mouvoir son corps pour le tourner face au juge Broey toujours immobile.
Soudain angoissé à l’idée d’être pris au piège, McKie faillit céder à la panique, mais Jedrik lui rendit le contrôle de sa chair.
« Douterais-tu de moi, mon amour ? »
Il se sentit honteux. Il n’y avait rien qu’elle pût lui cacher. Il savait ce qu’elle éprouvait, ce qu’elle avait volontairement sacrifié pour lui.
« Tu aurais fait un Mrreg parfait. »
« Ne plaisante pas avec ça. »
Elle se glissa dans son souvenir de la judicarène et il fut délecté par la joie.
« C’est merveilleux, McKie ! Magnifique ! Je n’aurais pas pu faire mieux. Et Broey qui ne se doute de rien ! »
Des gardes faisaient sortir les huit captifs, toujours enchaînés. La foule avait presque entièrement évacué les gradins.
Une joie indicible envahissait McKie. « J’ai perdu quelque chose, mais j’ai gagné autre chose. »
« Tu as perdu beaucoup moins qu’Aritch. »
« Et j’ai gagné infiniment plus. »
McKie se permit à ce moment-là de lever les yeux vers Broey pour étudier le juge gowachin avec son double psychisme augmenté de la perception dosadie. Aritch et les huit assassins présumés appartenaient au passé. Ils seraient, en compagnie de beaucoup d’autres, ou neutralisés ou morts avant une décade. Broey avait montré à quelle vitesse il comptait agir. Soutenu par une équipe entièrement sélectionnée par Jedrik, il allait bientôt occuper les sièges vacants du pouvoir, consolider les lignes de forces qui lui permettraient de manipuler le gouvernement fantôme et, enfin, éliminer toutes les sources potentielles d’opposition qu’il pouvait atteindre. Il croyait que Jedrik était morte et, si McKie demeurait un adversaire redoutable, il se faisait tort de lui tenir tête ainsi qu’au BuSab. Ses préoccupations premières visaient les véritables tenants du pouvoir. Étant dosadi, il ne pouvait penser ni agir autrement. Et il représentait ce que sa planète avait produit de mieux. Ou presque.
Le rire intérieur de Jedrik éclata.
Tout se mettait en place avec l’implacabilité d’une comète. Broey ferait pour le BuSab une cible unique, dans tous les sens du terme. Et Jedrik avait affiné la trame de simulation qui leur permettait d’anticiper tous ses mouvements. Le moment venu, Broey trouverait McKie en travers du chemin.
Derrière McKie, il y aurait un BuSab entièrement nouveau, dirigé par un homme dont les capacités et les souvenirs seraient multipliés par ceux de l’unique personne supérieure à Broey que Dosadi eût jamais produite.
Immobile au milieu de l’arène à présent silencieuse, McKie se demandait :
À quel moment comprendra-t-il qu’il fait tout le travail à notre place ?
« Quand nous lui laisserons voir qu’il n’a pas réussi à se débarrasser de moi ! »
Respectueux des formes de la loi gowachin, sans rien laisser paraître des pensées géminées qui redoublaient l’intensité de ses perceptions. McKie s’inclina en direction du seul juge survivant, se détourna et quitta rapidement la judicarène. Pendant ce temps, Jedrik, de l’intérieur, machinait, tramait, projetait…
FIN
[1] Dans le texte américain de Dosadi, Frank Herbert introduit le néologisme de « démopol » transcrit en français par le traducteur sous la forme de « poldem ». La traduction française conserve ainsi la connotation « pol » qui peut renvoyer à la politique ou à policier. Il reste que la racine anglaise fait allusion au terme « poll » qui se traduit par sondage, au sens d’enquête d’opinion.
Rigoureusement, « démopol » aurait pu être rendu par sonddém, abréviation de sondage démocratique. Afin de préserver la consonance policière ou politique, nous avons préféré « poldem ».
Le lecteur doit cependant garder à l’esprit que ce qui est banni de la légalité co-sentiente de Herbert, c’est l’institution des sondages en tant que possible pratique de manipulation des collectivités. (Note de l’éditeur)