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Ils se rapprochaient de l’enceinte : hauts murs construits cent cinquante ans plus tôt, après les premières invasions, pour abriter un fragile univers d’ordre et de luxe.
Une silhouette stationnait devant le porche. Les deux lourds battants de bois restaient clos. Des éclats de voix leur parvenaient, de plus en plus nets. Le portier refusait l’entrée à un visiteur. Azilis distingua des vêtements poussiéreux étrangement colorés, une longue chevelure noire et, par terre, un ou deux sacs.
— Encore un vagabond, grogna Kian, tirant son épée.
Azilis revit les cadavres étendus près de l’étang.
— Ne le tue pas, Kian.
— Le tuer ? Il va filer en voyant l’arme. Eh toi, le mendiant ! Tu comprends ce qu’on te dit ? File, si tu ne veux pas finir tes jours ici !
L’homme se retourna et Azilis eut un choc en découvrant son regard enflammé par la colère. Son cœur s’accéléra. Elle le connaissait. Uniques étaient ces yeux noirs et brillants. Elle détailla les longs cheveux retenus sur le front par un bandeau rouge, le teint hâlé qui évoquait des climats ardents, la barbe hirsute. Elle aurait déjà rencontré pareil miséreux ? Et cet accoutrement ! La tunique aux couleurs passées était banale, la fibule ronde qui la fermait pouvait être bretonne, mais les braies étaient ornées de motifs fleuris étranges et inconnus. L’homme portait aux poignets et au-dessus d’un coude des bracelets celtes en cuivre que le soleil faisait rutiler. Sur son dos était accroché le long fourreau d’une épée.
— Je ne suis pas un mendiant, dit-il d’une voix chaude et sonore. Je suis le neveu d’Olwen ferch Gwallog, épouse d’Appius Sennius, et je demande à être reçu immédiatement.
Alors Azilis sauta à terre, se précipita vers lui comme elle l’avait fait maintes fois tant d’années auparavant. Lui, visiblement, ne semblait pas la reconnaître. Et elle s’arrêta avant de se jeter à son cou.
— Aneurin ! C’est moi, Azilis ! s’écria-t-elle en breton.
* * *
Elle ne prêta ensuite aucune attention à l’animation qui régnait dans la pars agricola[9] où travaillaient paysans, potiers, tuiliers, tailleurs de pierre. Passé la deuxième porte qui ouvrait sur le jardin et la maison de maître, elle ne vit ni l’eau jaillir des fontaines de marbre ni les cascades de lierre et de glycines sur les pergolas. Elle marchait aux côtés de ce visiteur inattendu qui brisait sa solitude. Elle respirait le parfum des temps heureux. Le parfum de son enfance, quand sa mère vivait encore.
Kian s’était arrêté au seuil du jardin. Il le contemplait rêveusement lorsqu’une main s’abattit sur son épaule.
— Où l’as-tu emmenée, hein ? cria Fulvius, le fils de l’intendant. Tu te rends compte de l’heure ? Mais vas-tu répondre ?