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Depuis l’aube, le vent soufflait du nord, secouait les branches, couchait les herbes, serpentait autour de la colline comme un dragon de glace. Azilis avançait le dos courbé, serrant son lourd manteau. Elle encouragea Enid.
— Nous y sommes presque.
Elles tombèrent à genoux au bord de la source. Enid tira une outre de son sac de jute.
L’eau de la source était rouge comme du sang dilué.
— Attends ! ordonna Azilis. Remercie la Déesse.
Elle trempa ses mains dans l’eau glacée, les porta à ses lèvres et but, les yeux fermés, s’imprégnant de cette saveur ferreuse.
Enid l’imita avec un sérieux un peu gauche.
— Maintenant recueillons l’eau qu’Elle nous offre.
Elles remplirent chacune leur outre. Azilis leva les yeux vers le Tor. Sur son flanc tremblaient des buissons décharnés, et plus haut une énorme croix de bois défiait la tempête. Un sentier dessinait une spirale abrupte autour du mont.
Azilis était montée en haut du Tor peu après son arrivée à Ynis-Witrin, l’été précédent. Au fur et à mesure de l’escalade, elle avait vu se déployer un paysage grandiose qui, depuis, lui était devenu familier.
Au sud comme à l’ouest, les basses terres étaient noyées dès l’automne par les rivières et par la mer qui grignotait la côte. C’était un pays de tourbières et de marais où les hommes se déplaçaient dans de fins canots de bois noir. Le royaume des loutres, des courlis et des orchidées. L’hiver le figeait dans une brume perpétuelle, avec pour seules couleurs les baies rouges du buis et les ramures jaunes des saules. Des centaines d’oiseaux migrateurs traversaient le ciel sombre. Du nord, des meutes de loups descendaient des montagnes creusées de cavernes où, disait-on, des hommes vivaient.
— Gwyar affirme…
Enid s’interrompit et ferma son outre.
— Quoi ?
— Que le Tor est la demeure de Gwyn ap Nudd[28]. Le seigneur de l’Autre Monde, le seigneur des fées.
Azilis approuva d’un signe de tête.
— D’après Gwyar, continua Enid, les moines ont eu tort de s’installer là-haut.
— Gwyar est bonne cuisinière mais elle n’est pas maligne. C’est justement parce que Gwyn ap Nudd habite là que les moines y ont planté leur croix. Ne te méprends pas sur eux, Enid. Ils ne portent pas d’armes mais ils ont des âmes de guerriers. Et leur but est d’éliminer jusqu’au souvenir des dieux anciens.
— Ils n’y arriveront pas. Comment des hommes chasseraient-ils des dieux ?
Azilis souleva l’outre alourdie par cette eau rouge qui était l’énergie de la déesse, inépuisable et bienfaisante. Elle guérissait depuis l’aube des temps, depuis l’époque où un peuple mystérieux avait érigé les pierres levées[29].
Elle fit quelques pas sur le chemin de la villa puis se tourna vers la croix qui, là-haut, défiait les puissances telluriques.
— Chasser les dieux n’est pas difficile, murmura-t-elle. Comment survivraient-ils si personne ne les craint ni ne les adore ?