1

SUR LE ROCHER RIDÉ

 

Commencer n’est pas facile. J’ai envisagé toutes sortes de préludes. Comme cette ruse :

 

Si vous n’avez lu aucun des livres écrits par Mr Fred Pohl, vous ne me connaissez pas. Grosso modo, il a dit la vérité. Parfois, il a exagéré, mais dans l’ensemble, il a dit la vérité.

 

Toutefois, mon programme d’ordinateur, mon ami Albert Einstein, m’a fait remarquer que je suis de toute façon trop orgueilleux pour masquer mes références littéraires. Si bien que j’ai rejeté le gambit Huckleberry Finn. Alors j’ai songé à l’une de ces formules surannées exprimant l’angoisse cosmique et la quête de l’âme qui, toujours (comme Albert me l’a rappelé), imprègnent ma conversation.

 

Être immortel et mort, pourtant ; être presque omniscient et quasiment tout-puissant, tout en étant aussi peu réel que le scintillement du phosphore sur un écran : voilà mon existence. Quand les gens me demandent à quoi j’emploie mon temps (tellement de temps ! tellement condensé dans une seconde, et une éternité de secondes), je leur donne une réponse honnête. Je leur dis que j’étudie, que je joue, que je planifie et que je travaille. Tout cela est vrai, je fais bel et bien toutes ces choses-là. Mais pendant ce temps et entre-temps, je fais encore une chose. Je fais mal.

 

Je pourrais aussi commencer par vous décrire l’une de mes journées. Comme lors de mes interviews à la PV. « Quelques instants de la vie du célèbre Robinette Broadhead, un titan de la finance et un géant de la politique qui fait la pluie et le beau temps sur des myriades de mondes. » Ou vous raconter comme j’impose mes diktats lors d’une réunion avec les huiles de l’Observation Collective des Assassins, ou mieux encore, une session de l’institut Robinette Broadhead de Recherches Extrasolaires :

 

Je montai sur le podium, accueilli par une tempête d’applaudissements solennels. En souriant, je levai les bras pour obtenir le silence. « Mesdames et messieurs, déclarai-je, je vous remercie d’être venus malgré vos emplois du temps surchargés. Vous constituez un groupe d’astrophysiciens et de spécialistes du cosmos éminents, de théoriciens célèbres et de Prix Nobel. Je vous souhaite la bienvenue à l’institut. Je déclare ouvert cet atelier d’étude sur la belle structure physique de l’univers primitif. »

 

Il m’arrive de dire ce genre de choses, ou du moins j’envoie un de mes simulacres les dire à ma place. J’y suis obligé. C’est, en effet ce que l’on attend de moi. Pourtant, je ne suis pas un scientifique, mais grâce à mon Institut, je fournis l’argent servant à payer les factures qui permettent à la science de progresser. C’est pourquoi ces hommes de science veulent que je les accueille aux sessions d’ouverture, puis que je m’en aille afin qu’ils puissent travailler. Et je m’en vais.

Comme je ne suis pas parvenu à choisir entre ces préludes, je commencerai autrement. Parfois, je suis un peu trop gentil. Parfois, et peut-être même souvent, la douleur intérieure, qui m’écrase et qui ne semble jamais cesser, me rend désagréable. Souvent, je suis un rien pompeux ; mais en même temps, franchement, je suis très efficace dans des domaines très importants.

En fait, je vais commencer par une fête sur le Rocher Ridé. S’il vous plaît, soyez indulgent avec moi. Vous n’aurez à me supporter qu’un bref instant, alors que moi, je dois me supporter à jamais.

 

J’irais presque n’importe où pour assister à une fête vraiment réussie. Pourquoi pas ? Cela m’est assez facile, et certaines fêtes n’ont lieu qu’une seule fois. Je me rendis sur le Rocher avec mon vaisseau spatial personnel. Rien de plus facile, et cela ne m’empêcha pas de poursuivre une vingtaine d’activités en même temps.

Avant même d’arriver, je ressentis un agréable frisson de plaisir, parce que le vieil astéroïde avait été décoré pour l’occasion. En soi, le Rocher Ridé n’est guère intéressant à regarder. Ce n’est qu’un objet de dix kilomètres de longueur, constitué de plaques noires et de points bleus. Il a la forme d’une poire mal dessinée, picorée par des oiseaux. Bien sûr, ces cavités ne sont pas dues à des coups de bec. Ce sont les socles d’atterrissage destinés aux vaisseaux comme le nôtre. Pour cette fête, le Rocher avait été orné de scintillantes lettres stellaires :

 

NOTRE GALAXIE

LES PREMIÈRES CENT ANNÉES SONT LES PLUS DURES

 

Ces lettres tournaient autour du Rocher, comme une nuée de lucioles. La première partie n’était pas diplomatique. Quant à la seconde, elle était fausse. Mais n’empêche que c’était beau à voir.

Je fis part de mon impression à ma chère épouse portative. En poussant un gémissement d’aise, elle vint se nicher dans mes bras.

— De vraies lumières ! c’est criard ! Ils auraient pu utiliser des hologrammes.

— Essie, dis-je en lui mordillant l’oreille, tu as l’âme d’un cybernéticien.

— Oh ! fit-elle en me mordillant à son tour, mais beaucoup plus fort. Je ne suis qu’une âme de cybernéticien ; tout comme toi, cher Robin. Mais moi, je surveille les contrôles du vaisseau au lieu de folâtrer.

Naturellement, ce n’était qu’une plaisanterie. Nous étions en train de nous faufiler dans le dock, avec cette atroce lenteur des objets matériels. Il me restait des centaines de millisecondes avant de donner à l’Amour un dernier coup de pouce. Aussi donnai-je à Essie un baiser…

Pas vraiment un baiser, ma foi. Mais disons pour l’instant que c’en était un.

… Et elle ajouta :

— On dirait qu’ils en font une affaire d’État, non ?

— Mais c’est une affaire d’État, répondis-je en l’embrassant un peu plus fort.

Comme il nous restait beaucoup de temps, elle m’embrassa à son tour.

Tandis que l’Amour traversait la banderole scintillante et intangible, nous occupâmes ce long quart de seconde de la façon la plus agréable qui soit. Bref, nous fîmes l’amour.

Étant donné que je ne suis plus « réel » (mon Essie chérie non plus), et que ni l’un ni l’autre ne sommes plus des êtres de chair, on peut se demander : « Mais comment faites-vous ? » J’ai une réponse à cette question. Et la voici : « Magnifiquement », et « de façon sensuelle », et « amoureuse », et surtout « expéditive ». Non que nous sabotions la besogne. Simplement, nous allons vite. Après l’amour, il nous restait encore une grande partie de ce quart de seconde pour observer les autres socles d’atterrissage du Rocher.

De la compagnie intéressante était arrivée avant nous. Je remarquai que l’un des vaisseaux déjà amarrés était un grand et vieux astronef heechee, un vrai. Un de ceux que l’on aurait appelé un « Vingt », si nous avions su, en ce temps-là, que des vaisseaux aussi immenses existaient. Mais nous ne jouâmes pas qu’aux touristes durant ce quart de seconde. Nous sommes des programmes à temps éclaté, voyez-vous. Nous pouvons facilement faire une douzaine de choses à la fois. Je gardais en même temps le contact avec Albert pour savoir si le noyau envoyait de nouvelles transmissions, pour être certain que la Roue demeurait muette et pour garder le contact avec une douzaine d’affaires différentes. Essie, quant à elle, s’occupait de ses propres scans de recherche et de synthèse. Aussi, lorsque notre anneau de verrouillage adhéra à l’un des trous creusés par des coups de bec qui, comme je l’ai dit, étaient en fait les postes d’amarrage de l’astéroïde, nous étions tous deux de très bonne humeur et prêts à faire la fête.

L’un des (nombreux) avantages de notre condition est qu’il ne nous est pas nécessaire d’ouvrir nos ceintures de sécurité, ni les systèmes de verrouillage. Inutile aussi d’emmener nos éventails de données. Ils restent là où ils se trouvent et nous, au moyen des circuits électriques, nous allons où bon nous semble aux endroits auxquels nous nous connectons. (Lorsque nous voyageons, nous sommes en général connectés à l’Amour. Et la plupart du temps, nous voyageons.) Si nous voulons aller encore plus loin, nous pouvons aussi voyager par radio, mais dans ce cas, nous nous heurtons au décalage lassant dû aux communications aller et retour.

Donc, l’Amour fut amarré. Nous nous connectâmes aux systèmes du Rocher Ridé. Et nous voilà !

Plus précisément, nous étions au Niveau Tango, Hall Quarante et quelques du vieil astéroïde fatigué. Nous n’étions pas vraiment seuls. La fiesta battait son plein. Une douzaine de personnes vinrent nous accueillir. Des personnes comme nous, je veux dire, avec des chapeaux de carnaval, un verre à la main, et qui chantaient et riaient. (J’entrevis même deux barbaques, mais il leur fallut encore de nombreuses millisecondes pour remarquer notre présence.)

— Janie ! criai-je en enlaçant Janie.

— Sergueï, goloubka ! cria Essie en enlaçant Sergueï.

Alors que nous étions en train de fêter ces retrouvailles, heureux et tout, une vilaine voix aboya :

— Hé, Broadhead !

Je connaissais cette voix-là.

Je savais même ce qu’il allait se passer ensuite. Pschit ! Crac ! Hop ! et voilà le général Julio Cassata. Installé derrière un grand bureau nu qui ne se trouvait pas là l’instant auparavant, il me regardait avec le sourire de mépris à peine contrôlé du soldat face à un civil. Quel malotru !

— Je veux te parler, déclara-t-il.

— Oh ! merde, répondis-je.

 

Je n’aimais pas le général Julio Cassata. Jamais je ne l’ai aimé, bien que nos vies n’aient cessé de se croiser.

Mais contre mon gré. Cassata a toujours été un oiseau de malheur. Il n’aime pas que les civils (comme moi) fourrent leur nez dans ce qu’il persiste à appeler « les affaires militaires ». En outre, il n’apprécie guère les personnes stockées. Non seulement Cassata était un soldat, mais il était aussi barbaque.

Seulement cette fois-ci, il n’était pas venu en chair et en os ; il n’était qu’un simulacre, lui aussi. Fait intéressant en soi, car les barbaques ne se transforment pas en simulacres à la légère.

Julio Cassata est un grossier personnage. Il venait d’en donner la preuve. En effet il y a une règle de politesse dans l’espace gigabit dans lequel nous autres, les personnes stockées, vivons. Nous ne faisons pas irruption chez quelqu’un sans prévenir. Les personnes stockées arrivent poliment si elles veulent vous parler. Peut-être « frappent-elles » même à la « porte » et attendent-elles poliment que vous répondiez « Entrez ». Et elles ne vous imposent surtout pas leur environnement privé. Genre de comportement qu’Essie taxe de nekulturny, terme qui signifie « puant ». Genre de comportement auquel je m’attendais de la part de Julio Cassata. D’ailleurs, le voilà qui venait de se ramener avec son bureau, ses médailles, ses cigares et tout le tremblement. C’était un sale coup.

Certes, j’aurais pu balayer tout cela et retourner dans mon propre environnement. Mais je ne voulus pas le faire. Non qu’il me fût difficile de me conduire en brute avec une brute. C’était à cause d’autre chose.

Je fus bien obligé de me demander pourquoi le vrai Cassata, le Cassata barbaque s’était fabriqué un duplicata mécanique de lui-même.

Ce qui se trouvait devant moi était en effet une simulation mécanique dans l’espace gigabit, exactement comme mon Essie portative bien-aimée (mais à cette époque, aimée en seconde main). Le Cassata barbaque était certainement en train de mâchonner un vrai cigare à quelques centaines de milliers de kilomètres de là, sur le satellite Mâchoires.

Quand je compris ce que cela impliquait, j’éprouvai presque de la pitié pour le simulacre. Aussi refoulai-je tous les mots qui, d’instinct, me montèrent aux lèvres et me contentai de demander :

— Mais que diable veux-tu de moi ?

Les brutes sont sensibles à la brutalité. Le feu de ses yeux d’acier s’éteignit un peu. Il alla jusqu’à sourire. Puis son regard glissa de mon visage sur Essie qui s’était propulsée dans l’environnement de Cassata pour voir ce qui se passait, et il dit sur un ton qu’il voulait peut-être léger :

— Allons, allons, Mrs Broadhead, pas moyen que de vieux amis discutent en tête à tête ?

— Quelle piètre façon de se parler pour de vieux amis, répondit-elle prudemment.

— Mais que fais-tu ici, Cassata ? insistai-je.

— Je suis venu à la fête. (Il sourit. Un sourire onctueux et faux. Il n’avait guère de raison de sourire.) Une fois nos manœuvres terminées, la plupart des ex-prospecteurs ont eu une perme pour venir ici. J’ai fait de l’auto-stop, c’est-à-dire que je me suis dédoublé et que j’ai mis le stock dans le vaisseau qui venait ici.

— Des manœuvres ! s’étonna Essie en reniflant. Des manœuvres contre quoi ? Quand l’Ennemi sortira, vous allez cribler de trous ces salopards et les transformer en gruyère avec vos revolvers à six coups, ta-ta-ta ?

— De nos jours, nos croiseurs ont mieux que des six-coups, Mrs Broadhead, remarqua Cassata sur un ton jovial.

— Mais que veux-tu ? répétai-je encore.

Cassata cessa de sourire et son visage reprit son expression naturelle de méchanceté.

— Rien. Quand je dis rien, c’est rien, Broadhead. Je veux que tu cesses de fouiner.

— Je ne fouine pas, répondis-je en maîtrisant ma colère.

— Faux ! Tu es en train de fouiner avec ton fichu Institut. Il y a des ateliers de travail en ce moment. Un à Jersey City, un à Des Moines. Le premier sur les signatures des Assassins. Le second sur la cosmologie primitive.

Étant donné que c’était parfaitement exact, je me contentai de dire :

— L’Institut Broadhead est en droit de mener ce genre de travaux. C’est dans ce but qu’il a été fondé. Et c’est pourquoi Mâchoires m’a donné le statut d’ex-officier afin que j’aie le droit d’assister aux sessions de planification y ayant lieu.

— Eh bien, mon vieux pote, vois-tu, tu te goures, répondit Cassata, tout joyeux. Tu n’en as pas le droit. Tu n’en as que le privilège. Parfois. Un privilège n’est pas un droit. Nous ne voulons pas t’avoir dans les pattes. Compris ?

Il m’arrivait souvent de haïr ces types-là.

— Écoute, Cassata…

Mais Essie me coupa la parole avant que je n’accélère.

— Les gars, les gars ! Vous ne pouvez pas remettre ça à plus tard ? Vous êtes ici pour faire la fête, et non pour vous battre.

Cassata hésita, la mine belliqueuse. Puis il prit un air songeur et fit oui de la tête.

— Ma foi, Mrs Broadhead, ce n’est pas une mauvaise idée. Cela peut attendre. Après tout, je ne dois faire mon rapport que dans cinq ou six heures en temps barbaque. (Puis, se tournant vers moi :) Ne quitte pas le Rocher.

Sur ce, il s’évanouit. Essie et moi échangeâmes un regard.

— Nekulturny, cracha-t-elle en plissant le nez, comme si elle eût senti l’odeur du cigare de Cassata.

Je renchéris par un juron plus salé.

— Robin, c’est un porc, ce type-là. Oublie-le, d’accord ? Tu ne vas pas te laisser abattre pour ça, dis ?

— Pas question, répondis-je bravement. À la fête ! Lequel de nous deux arrivera le premier à l’Enfer bleu ?

 

Quelle fiesta ! À vrai dire, on célébrait le centenaire de la découverte de l’astéroïde de la Grande Porte, découverte qui modifia le cours de l’existence humaine.

On avait choisi le Rocher Ridé comme lieu de commémoration pour deux raisons. Primo, parce que cet astéroïde avait été converti en foyer pour les personnes du troisième âge. Le Rocher est en effet idéal pour les vieux. Lorsque le traitement pour l’artériosclérose aggrave votre ostéoporose et que les bactériophages anticancéreux déclenchent chez vous le syndrome de Ménière ou d’Alzheimer, il faut aller sur le Rocher Ridé ! Là, les cœurs usés n’ont pas à pomper durement. Les membres fatigués n’ont pas à lutter pour maintenir vos cent kilos à la verticale. La pesanteur maximale n’est que de un pour cent environ de celle de la Terre. Et quand votre vieille carcasse de chair n’est plus rafistolable, vous vous remettez entre les mains des gens de l’Au-Delà, et alors, vous voyez l’univers avec des yeux parfaits, vous entendez le son le plus faible, vous n’oubliez rien, vous apprenez vite. Bref, vous renaissez. Et sans repasser par tout le merdier de votre première naissance. La vie – mais peut-être devrais-je dire « la vie » – pour une intelligence stockée dans une machine n’est pas la même chose que l’existence dans un corps. Mais ce n’est pas mal. Et dans un certain sens, c’est mieux.

Je suis bien placé pour vous le dire.

Les citoyens stockés vivant sur le Rocher Ridé formaient une bande de sacrés fêtards. Le Rocher est vraiment un rocher. C’est un vieil astéroïde tout cabossé de quelques kilomètres de diagonale, tout à fait identique aux millions d’autres astéroïdes qui gravitent autour du Soleil entre Jupiter et Mars, ou ailleurs. Quoique… pas tout à fait identique. Cet astéroïde est percé de part en part de tunnels. Et ces tunnels ne sont pas œuvre humaine. Nous l’avons découvert ainsi. C’est là la deuxième raison pour laquelle le Rocher était idéal pour célébrer le centième anniversaire du premier vol humain interstellaire.

Le Rocher Ridé, voyez-vous, est un astéroïde très particulier, voire même unique en son genre. À l’origine, il gravitait à angle droit par rapport au plan de l’écliptique. Voilà, en effet, qui est très particulier. Mais ce qui le rend unique, c’est que lorsqu’il fut découvert, il était truffé d’anciens astronefs heechees. Oh ! pas un ou deux, mais un très grand nombre. Neuf cent vingt-quatre, pour être précis ! Et des astronefs en état de marche ! Disons qu’ils fonctionnaient presque tout le temps, surtout si vous vous fichiez de votre destination. Au début, nous ne savions jamais où ils allaient nous emmener. Nous montions dans l’astronef. Feu ! on s’accroche et on fait sa prière.

Parfois on touchait le gros lot.

Plus souvent, on mourait. La majorité des ex-prospecteurs venus à la fête faisaient partie de ceux qui avaient touché le gros lot.

Toutefois, chaque voyage dans un vaisseau heechee nous apprenait quelque chose. Et peu à peu, nous pûmes voyager dans tous les coins de la galaxie, tout en étant presque sûrs de revenir vivants. Dans quelques domaines, nous surpassâmes même la technologie heechee. Les Heechees utilisaient des fusées pour s’élever du sol et se placer en orbite basse. Nous, nous utilisons des boucles de Lofström. Cet astéroïde finit par ne plus être indispensable à l’exploration de l’espace.

Aussi les dirigeants des programmes d’exploration décidèrent-ils de le transférer en orbite autour de la Terre.

Ils songèrent d’abord à le transformer en musée, puis décidèrent d’en faire un foyer pour les survivants des voyages heechees. Ce fut alors qu’on commença à l’appeler le Rocher Ridé. Avant, il s’appelait la Grande Porte.

 

Me voilà à nouveau confronté à un problème de communication. Comment vais-je vous expliquer ce qu’Essie et moi fîmes ensuite ?

La façon la plus simple serait de dire que nous fîmes la fête.

Ma foi, c’est bien ce que nous fîmes. Comme tout le monde dans une fête. Nous déambulâmes à notre façon, la façon des êtres désincarnés, pour saluer et embrasser nos amis désincarnés. Non pas que tous nos amis sur le Rocher fussent désincarnés, mais pour l’instant, les barbaques ne nous intéressaient pas. (Je ne veux pas donner l’impression que nous n’aimons pas nos amis barbaques. Ils nous sont aussi chers que les stockés, mais Dieu que leur lenteur est pénible !)

Aussi, pendant les quelques dizaines de milliers de millisecondes suivantes, ce ne fut qu’une longue succession d’embrassades. Cela dura longtemps parce que nous étions nombreux. Je vais vous donner les chiffres. Après environ une cinquantaine de grandes embrassades et de gentils mensonges, je pris un instant pour appeler mon fidèle programme informatique, Albert Einstein.

— Albert, dis-je lorsqu’il apparut en clignant des yeux, combien ?

Il suçota sa pipe un moment, posément, puis la pointa sur moi.

— Énormément, je le crains. Il y a eu, en tout et pour tout, treize mille huit cent quarante-deux prospecteurs de la Grande Porte. Certains, bien sûr, sont irrémédiablement morts. Quelques-uns parmi les autres ont décidé de ne pas venir, ou ne le pouvaient pas ou ne sont pas encore arrivés. Mais, pour l’heure, j’ai compté trois mille sept cent vingt-six ex-prospecteurs ici présents, dont la moitié environ sont des stockés. Bien entendu, il y a, en plus, les quelques invités des ex-prospecteurs, comme Mrs Broadhead, sans mentionner les patients ici présents pour des raisons médicales sans rapport avec l’exploration.

— Merci, dis-je. (Et, comme il s’apprêtait à repartir, j’ajoutai :) Encore une chose, Albert. Julio Cassata. Je me casse la tête à essayer de comprendre pourquoi il grogne à propos des ateliers d’étude de l’Institut, et surtout pourquoi il est là. Si tu pouvais enquêter à ce propos, je t’en serais reconnaissant.

— C’est ce que je suis déjà en train de faire, Robin, répondit Albert en souriant. Je te ferai mon rapport quand j’estimerai que j’ai quelques renseignements. D’ici là, amuse-toi bien.

— Je m’amuse déjà, répondis-je, satisfait.

Il est très pratique d’avoir sous la main un gadget comme un Albert Einstein. Il s’occupe de tout quand je m’amuse. Aussi retournai-je au milieu des autres, l’esprit libre.

Nous ne connaissions pas tous les trois mille sept cent vingt-six vétérans. Mais nous en connaissions un épouvantable grand nombre. Voilà pourquoi il m’est un peu difficile de vous expliquer exactement ce que nous fîmes. Qui pourrait avoir envie d’entendre combien de fois Essie ou moi-même avons crié à un stocké, ou un stocké nous a crié à Essie ou moi : « Quelle surprise ! Tu as l’air dans une forme éblouissante » ? Hein ?

Nous quadrillâmes en trombe l’espace gigabit de bas en haut et de haut en bas ainsi que tous les secteurs, niveaux et tunnels du vieux Rocher, saluant tel ou tel de nos collègues et tel ou tel de nos pairs stockés. Nous trinquâmes avec Sergueï Borbosny dans la Spirale. Sergueï avait été le copain de classe d’Essie à Leningrad avant qu’il ne décolle pour la Grande Porte et ne finisse par mourir à petit feu, pour avoir été exposé aux radiations. Nous demeurâmes longtemps dans le musée de la Grande Porte où avait lieu un cocktail ; nous flânions, un verre à la main, entre les artefacts de Vénus et de la planète Peggy, entre les fragments et les débris d’outils, entre les perles de feu et les éventails à prières provenant de toute la galaxie. Nous tombâmes par hasard sur Janie Yee-xing qui avait voyagé avec notre ami Audee Walthers III avant qu’il ne parte rendre visite aux Heechees, dans le noyau. Sans doute avait-elle désiré l’épouser mais, à présent, cela n’avait plus d’importance, car Janie s’était tuée en essayant de faire atterrir un hélico en plein ouragan sur une planète nommée Perséphone.

— Ce que ça peut être bête, quand même ! dis-je avec un sourire hilare. Un accident d’avion !

Je dus m’excuser aussitôt, car personne n’aime s’entendre dire qu’il est mort d’une mort idiote.

Ceux-là étaient des âmes stockées, comme nous ; ceux à qui nous pouvions parler facilement et sans intermédiaire. Bien sûr, il y avait aussi un grand nombre de barbaques que nous souhaitions saluer.

 

Être un esprit désincarné dans l’espace gigabit n’est point chose facile à expliquer.

C’est comme le sexe.

En ce sens qu’il est difficile d’expliquer ce qu’est le sexe à quelqu’un qui n’a jamais essayé de faire l’amour. Je le sais car j’ai voulu décrire les joies de l’amour à quelques personnes assez bizarres – peu importe qui elles étaient exactement – et cela m’a demandé beaucoup d’efforts. Après avoir écouté pendant quelques millisecondes mes tentatives de description et mes métaphores, elles m’ont dit à peu près ceci : « Ah ! oui, maintenant, j’ai pigé ! C’est comme cet autre truc que vous faites… Éternuer… C’est ça ? Quand vous savez que vous êtes obligé de le faire et que vous ne le pouvez pas, vous n’avez plus qu’à le faire ? Ça vous démange de plus en plus et vous craquez si vous n’éternuez pas, et alors, vous le faites, et vous vous sentez bien ? C’est ça ? » « Non, ce n’est pas ça, » ai-je répondu en laissant tomber le sujet.

Il est tout aussi difficile de décrire la vie dans l’espace gigabit. Toutefois, je puis vous décrire quelques-unes de mes activités dans cet espace. Par exemple, lorsque nous trinquions avec Sergueï Borbosny dans la Spirale, nous n’étions pas vraiment dans la Spirale. Cette Spirale, pourtant, existe bel et bien. C’est le puits central de l’astéroïde de la Grande Porte. À une époque, il y avait un bar : l’Enfer bleu. C’était l’endroit favori des prospecteurs pour boire, jouer et essayer de trouver le courage de signer pour l’un de ces terrifiants voyages en aller simple dans un vaisseau heechee. Mais la « vraie » Spirale ne servait plus de bar. Elle avait été convertie en un solarium avec lampes solaires pour les plus faibles habitants du troisième âge du Rocher Ridé.

Cela était-il un problème ? Pas du tout. Il nous suffisait de créer par simulation notre propre Spirale avec son casino, l’Enfer bleu, pour nous y retrouver avec Sergueï, en train de siroter de la vodka glacée et de grignoter des bretzels et des poissons fumés. Cette simulation disposait de tables, de serveurs, de jolies serveuses, d’un trio jouant les hits datant d’un demi-siècle, sans parler de la foule bruyante des invités.

En fait, cette simulation offrait tout ce qu’on pouvait trouver dans une heureuse petite distillerie, sauf une chose : « la réalité ». Rien de tout cela n’était réel.

Cette scène, y compris certains invités, n’était qu’un ensemble de simulations obtenues à partir d’une machine à stocker. Exactement comme moi, Essie dans sa version portative et Sergueï.

Lorsque nous désirions boire un verre, nous pouvions recréer n’importe quel lieu selon nos désirs. D’ailleurs, nous le faisions souvent, Essie et moi. « Où veux-tu dîner ? » demandait Essie. Et je répondais : « Oh ! je n’en sais rien. Au Lutetia ? À la Tour d’Argent ? Non, je sais, je meurs d’envie de manger du poulet rôti. Un pique-nique devant le Taj Mahal, ça te dit ? »

Puis nos systèmes de soutien accédaient consciencieusement aux fichiers intitulés « Taj Mahal » et « Poulet rôti », et nous nous retrouvions en Inde.

Bien sûr, ni le cadre ni la nourriture, ni les boissons n’étaient vraies… Mais nous non plus. Essie est l’analogue de ma chère épouse stockée dans une machine. Elle vit encore quelque part et elle est toujours ma femme. Moi, je suis le résidu stocké de moi-même, ce qui est resté après ma mort, survenue lors de notre première rencontre avec un Heechee vivant. Sergueï a été stocké Sergueï, car lui aussi est mort. Quant à Albert Einstein…

Albert, lui, c’est encore autre chose. Mais nous le gardions à nos côtés car il était sacrément drôle dans une fête.

Tout cela ne changeait rien à rien ! L’alcool nous brûlait la gorge, le poisson fumé était salé, les crudités craquaient sous la dent. Mais jamais nous ne grossissions, et jamais nous n’avions la gueule de bois.

Tandis que les barbaques, eux…

Eh bien, les barbaques sont quelque chose de totalement différent.

Parmi les trois mille sept cent vingt-six vétérans réunis pour célébrer le centième anniversaire du Rocher, il y avait un grand nombre de barbaques. Beaucoup étaient de bons amis. Et beaucoup étaient des gens que j’aurais aimé avoir comme amis, car nous autres, les vieux prospecteurs, avions beaucoup de points communs.

Ce qui est difficile avec les barbaques, c’est de tenir une conversation. Je suis rapide, j’opère en temps gigabit. Ils sont lents.

Heureusement, je dispose d’un atout pour gérer la situation, sinon discuter avec l’un de ces êtres en chair et en os, léthargiques et ankylosés me rendrait fou.

Quand j’étais gosse, dans le Wyoming, j’admirais les maîtres des jeux d’échecs qui, dans les parcs, poussaient leurs pions graisseux sur des échiquiers maculés d’huile. Certains pouvaient jouer une vingtaine de parties en même temps, en se déplaçant d’un échiquier à l’autre. Cela m’émerveillait. Comment parvenaient-ils à suivre vingt jeux simultanément, à se rappeler chaque mouvement, alors que j’avais du mal à n’en retenir qu’un seul ?

Depuis, j’ai compris. Ils ne se souvenaient de rien.

Ils se contentaient de se placer devant un échiquier, d’observer la position des pions, de trouver une stratégie, de déplacer un pion et de passer à la partie suivante. Leurs esprits de joueurs d’échecs étaient si rapides qu’ils étaient à même de saisir la position des pions le temps que l’adversaire se gratte l’oreille.

Voyez-vous, c’est ainsi que je procède avec les barbaques. Je ne peux supporter une conversation avec une personne vivante que si je fais au moins trois ou quatre choses en même temps. Les vivants sont comme des statues ! Lorsque j’aperçus mon vieux pote Frankie Hereira, il se léchait les lèvres tout en observant un vieux zigoto en train de déboucher une bouteille de champagne. Sam Struthers sortit à ce moment-là des toilettes en ouvrant la bouche pour saluer un autre vivant. Je ne parlai à aucun des deux. Je n’essayai même pas. Je me contentai de fabriquer deux images de moi-même, les mis en marche, une pour chacun. Puis je pris la poudre d’escampette.

Non que je sois parti ailleurs réellement ; je m’occupais tout simplement d’autre chose. Je n’avais pas besoin de rester sur place, parce que mes sous-programmes étaient parfaitement capables de faire avancer l’un de mes doubles vers Frankie et le deuxième vers Sam, doubles qui souriraient et ouvriraient « ma bouche » pour leur adresser la parole lorsqu’ils m’auraient vu. Quand le moment serait venu de décider ce que j’allais leur dire, je serais de retour.

 

Tels étaient les barbaques. Heureusement pour mon seuil de tolérance à l’ennui que les individus stockés ne manquaient pas. (Ils n’étaient d’ailleurs pas tous des individus.) Certains étaient de très vieux amis. Je connaissais les autres parce que tout le monde les connaissait. Detweiler, par exemple, qui avait découvert les Cochons Vaudous. Ou Liao Xiechen, ancien terroriste qui, le jour où les Heechees étaient apparus, avait retourné sa veste. Il y avait même Harriman qui avait vu une supernova exploser sous ses yeux et qui avait navigué le long de l’onde de front en expansion, pour gagner un prix scientifique de cinq millions de dollars. Mangrove aussi était présent. Celui-là avait atterri sur une station heechee qui orbitait autour d’une étoile à neutrons et avait découvert ainsi que les minuscules et étranges globes manœuvrables amarrés à cette station n’étaient, en fait, que des collecteurs d’échantillons pouvant être ramenés à la surface de l’étoile. Il avait récupéré onze tonnes de neutronium. Un sacré morceau, presque aussi grand que l’ongle d’un doigt. Par la suite, Mangrove était décédé à cause des radiations qu’il avait ramenées au pays, mais cela ne l’empêcha pas de se joindre à nous, sur le Rocher Ridé.

J’errai donc le long des conduites de la Grande Porte, aussi vif que l’éclair dans le ciel compact, et je saluai une centaine d’anciens et de nouveaux amis. Parfois, Essie m’accompagnait. Parfois, elle menait seule ses excursions. Le fidèle Albert demeura toujours dans le périmètre où je pouvais l’appeler, mais jamais il ne se joignit à nos embrassades. Il ne se montra que lorsque je l’appelai ou qu’il y fut invité. Personne, dans cette atmosphère érotique de nouvel an-kermesse-noces n’avait envie de s’enquiquiner avec un simple système de données, même s’il était mon meilleur ami.

Quand je revins dans la Spirale et me remis à trinquer avec Sergueï Borbosny et que je commençai à m’ennuyer un peu, je soufflai :

— Albert ?

Essie me jeta un coup d’œil. Elle continua à papoter en russe avec Sergueï. Il n’y avait rien de bien terrible à cela car, bien sûr, je parlais couramment le russe, ainsi que tout un tas d’autres langues ; voyez-vous, j’avais beaucoup de temps libre pour apprendre. Ce qui était terrible, c’était qu’ils parlaient de gens que je ne connaissais pas et dont je me fichais comme de l’an 40.

— Vous m’avez appelé, ô Maître ? murmura Albert dans le creux de mon oreille.

— Ne fais pas le malin. As-tu trouvé ce que mijote Cassata ?

— Pas tout à fait, Robin, sinon je t’aurais fait mon rapport. Toutefois, j’ai effectué quelques inductions intéressantes.

— Inductions, please, murmurai-je en souriant à Sergueï, alors qu’il remplissait mon verre de vodka sans même me regarder.

— Il y a trois questions discrètes, répondit Albert. (Il était dans son élément et s’apprêtait à me tenir un long discours.) La question de la pertinence des séminaires de l’institut pour Mâchoires, la question des manœuvres et la question de la présence du général Cassata. Ces trois questions peuvent être subdivisées.

— Non, on ne peut pas les subdiviser. Vite et simple, Albert.

— Très bien… Les séminaires sont, bien sûr, liés au problème clef de l’Ennemi : comment les reconnaître à l’aide de leurs signatures et pourquoi veulent-ils modifier l’évolution de l’univers ? Le seul vrai point d’interrogation est le suivant : ces séminaires inquiètent à présent les militaires, alors qu’il y en a déjà eu un grand nombre sans que Mâchoires fasse la moindre objection. Je crois que cela est lié à la question des manœuvres. J’ai une information à l’appui de ma thèse : depuis le début des manœuvres, toutes les communications provenant du satellite Mâchoires et de la Roue d’Observation ont été embargonées.

— Embarquoi ?

— Embargonées, oui, Robin. Coupées. Censurées. Interdites. J’en déduis, primo, que ces événements sont liés et que tous deux sont liés aux manœuvres. Comme tu le sais, il y a eu une fausse alerte sur la Roue voilà quelques semaines. Peut-être n’était-ce pas une fausse alerte…

— Albert ! Qu’est-ce que tu me chantes là ?

— Je n’ai pas de raison de croire que cette alerte était autre que fausse, fit Albert, rassurant. Mais peut-être que Mâchoires est plus inquiet que moi. Ce qui expliquerait ces manœuvres soudaines ; et, selon toute apparence, on effectue des essais de nouvelles armes…

— Des armes !

Essie me jeta un coup d’œil. Et je m’écriai tout joyeux en levant mon verre :

— Na zdarovya !

— Si fait, répondit Albert, l’air sombre. Il ne reste plus que la présence de Cassata. Je crois que l’explication est simple. Il te tient à l’œil.

— Il s’y prend mal.

— Ce n’est pas tout à fait vrai, Robin. Il est exact que le général semble pour l’instant occupé à une affaire. Il s’est enfermé avec une jeune dame, et cela dure depuis un moment. Mais, avant de se retirer, il a donné l’ordre qu’aucun vaisseau ne reparte dans les trente minutes suivantes, en temps organique. Si bien que pendant tout ce temps-la, tu ne peux quitter l’astéroïde.

— Merveilleux, fis-je.

— Je ne crois pas, corrigea Albert avec respect.

— Il ne peut pas faire ça, quand même !

Albert fit la moue.

— À long terme, non. Tu pourras, tôt ou tard, faire appel à une plus haute autorité pour annuler cet ordre, puisque les civils contrôlent encore un peu le service de l’Observation Collective des Assassins. Toutefois, pour l’heure, je crains qu’il n’ait scellé l’astéroïde.

— Le salaud !

— Sans doute, oui, sourit Albert. J’ai pris la liberté de notifier à l’institut ce développement. Ils répondront certainement, mais à une vitesse organique, j’en ai peur… Y a-t-il autre chose ou puis-je poursuivre mon enquête ?

— Poursuis, bon Dieu !

Je virevoltai dans l’espace gigabit le temps de me calmer. Puis je rejoignis Essie et Sergueï dans leur simulation de l’Enfer bleu. Essie me jeta un regard vague, puis me fixa dans les yeux :

— Ah ! Robin ! Quelque chose t’a encore bouleversé.

Je lui racontai ce qu’Albert m’avait appris.

— Le salaud, fit-elle, établissant le même diagnostic que moi.

— Quel nekulturny, celui-là ! carillonna Sergueï.

— Après tout, cher Robin, ajouta Essie en me prenant gentiment la main, pour l’instant, aucune importance. Tu as l’intention de rester longtemps à cette fête, même en temps barbaque ! Bois donc un peu et anime-toi.

 

J’essayai de suivre son conseil. Mais sans grand résultat. Et écouter Sergueï et Essie ne m’amusait pas.

Pourtant j’aimais bien Sergueï. Non qu’il fût beau. Il ne l’était pas. Il était grand, cadavérique et chauve. Il buvait comme un trou. C’est peut-être drôle si on est russe. Mais moi, cela ne m’amusait pas.

— Alors, comment ça va ? dis-je, lorsque je remarquai qu’ils avaient cessé de papoter et me regardaient.

Essie me caressa les cheveux avec tendresse et me dit :

— Hé, vieux Robin. Toutes ces histoires d’anciens copains, ça t’embête, hein ? Si tu allais faire un tour ?

— Mais non, crois-moi.

— Vas-y, soupira-t-elle.

Je partis donc. De toute façon, je devais réfléchir.

Vous expliquer ce à quoi je devais réfléchir est difficile, car, sans vous vexer, vous les barbaques, ne pouvez saisir la multitude de sujets qu’un individu comme moi, stocké et vivant dans un temps éclaté, peut avoir en même temps dans sa tête… enfin, « sa tête ».

Voilà maintenant que je comprends que j’ai déjà commis une erreur. Les barbaques ne peuvent jongler avec un grand nombre d’idées. Les barbaques sont nuls pour ce qui est des processus parallèles. Les barbaques fonctionnent de façon linéaire. Donc, je dois garder à l’esprit que lorsque je communique avec des barbaques, je dois tenir compte de ces défaillances.

Ainsi, après trois essais d’introduction, je m’aperçois que j’aurais dû commencer d’une quatrième façon, totalement différente.

J’aurais dû commencer par vous parler des enfants qui vivent sur la Roue de l’Observation.

Les Annales des Heechees
titlepage.xhtml
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Pohl,Frederik-[La Grande Porte-4]Les Annales des Heechees(1987).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html