Deux
Harriet s’est engagée dans l’allée, puis je me suis arrêté à côté d’elle dans le garage. Nous avons été surpris de découvrir là l’autre voiture, une Packard 1940, une véritable antiquité qui appartenait à Dominic, notre aîné, le premier dingo de la famille. Nous ne l’avions pas vu depuis deux semaines. Son retour par une telle nuit d’orage signifiait qu’il avait soit des ennuis, soit besoin de chemises propres. J’ai ouvert la portière arrière de la Packard. Ça puait la marijuana à l’intérieur. Harriet s’est penchée vers la banquette et, avec une grimace, a saisi une petite culotte bleue, qu’elle a relancée dans la voiture avec un beurk dégoûté.
Nous sommes sortis du garage. La maison étincelait comme un parking de voitures d’occasion ; il y avait de la lumière à toutes les fenêtres, jusqu’aux spots de la porte de derrière et du garage étaient allumés, qui inondaient la pelouse détrempée d’une iridescence blême.
« Il est toujours là », a dit Harriet d’une voix hésitante en regardant la porte de derrière. Alors je l’ai vu, tas sombre et massif, immobile et hirsute comme un tapis. J’ai dit à Harriet de garder son calme.
« Le revolver. »
« Je l’ai laissé dans la voiture. »
Elle est retournée le chercher, puis l’a placé dans ma main.
« Détends-toi, bon Dieu », j’ai dit.
Le tas était à une quinzaine de mètres du garage en direction de la porte de derrière, sous le passage protégé de la pluie par un auvent qui dépassait du toit et faisait comme un porche. La main d’Harriet s’est refermée sur un pan de mon manteau. L’arme dirigée vers la bête, j’ai avancé sur la pointe des pieds, effrayé, en essayant d’accommoder sur la chose brouillée par la pluie.
Une image s’est peu à peu formée. C’était un mouton qui gisait là. Je ne distinguais pas sa tête, mais son dos et son ventre laineux étaient parfaitement visibles. Brusquement, le vent a tourné, modifiant la direction de la pluie et métamorphosant l’animal. J’ai retenu mon souffle. Ce n’était pas un mouton. Ça avait même une crinière.
« C’est un lion », j’ai dit en reculant.
Mais Harriet avait une excellente vue.
« Certainement pas. » Toute peur avait quitté sa voix. « C’est juste un chien. » Elle s’est avancée d’un pas confiant.
Il s’agissait bel et bien d’un chien, un très gros chien au poil fourni, marron et noir, doté d’une tête massive et d’un court museau noir aplati, une tête mélancolique à la sombre gueule d’ours. Sans le lent va-et-vient de sa vaste poitrine, on l’aurait facilement cru mort, car ses yeux obliques étaient clos. Ses babines noires tressaillaient imperceptiblement au rythme de son souffle. Il était manifestement inconscient ; la pluie trempait sa fourrure.
Tandis que j’essayais de lui parler, Harriet a filé dans la maison, puis est revenue avec un parapluie. Nous nous sommes abrités dessous, puis penchés vers la bête. Harriet a caressé son museau mouillé.
« Pauvre chien. Je me demande pourquoi il est dans cet état. »
De la main, j’ai lissé ses épaisses et solides oreilles noires.
« Voilà un chien bien malade », j’ai dit quand mes doigts ont rencontré une tique de la taille d’un haricot, si gorgée de sang qu’elle a roulé dans ma paume comme une bille. Je l’ai lancée dans l’herbe.
« Que fait-il ici ? »
« Ce chien est un clochard », j’ai répondu. « Un individu socialement irresponsable, un fuyard. »
« Mais il est malade. »
« Il n’est pas malade. Il est trop paresseux pour chercher un abri. » Du bout de ma chaussure, j’ai effleuré ses côtes. « Va-t’en d’ici, traîne-savates. » Mais il n’a ni bougé ni ouvert les yeux.
« Oh, mon Dieu ! » s’est écriée Harriet en reculant, m’entraînant avec elle. « Ne le touche pas. Il a peut-être la rage ! »
Ça m’a refroidi. Pour rien au monde je ne voulais m’occuper d’un chien enragé. Nous sommes rentrés au pas de course et avons verrouillé la porte. J’étais trempé, l’eau dégoulinait sur le sol de la cuisine. Pendant que je retirais mes vêtements mouillés, Harriet est allée chercher ma robe de chambre. Elle me l’a apportée avec un bourbon, puis nous nous sommes assis à la table pour réfléchir au problème.
« On ne peut pas le laisser dehors », elle a dit. « Il va mourir. »
« La mort est notre lot commun », j’ai répondu en terminant mon deuxième verre. Elle a perdu patience.
« Fais quelque chose. Appelle quelqu’un. Trouve ce qu’on fait d’un chien qui a la rage. »
L’horloge du four annonçait neuf heures et demie. J’ai téléphoné à Lamson, le vétérinaire de Malibu. Faux jeton corrompu, médecin des chiens des vedettes, Lamson ressemblait à la tique que j’avais retirée de l’oreille du chien : il se gorgeait de mon sang depuis des années, et j’étais impuissant car il possédait le seul hôpital pour chiens au nord de Santa Monica.
Son gardien m’a répondu. Le docteur et madame Lamson n’étaient pas chez eux. Ils étaient sur leur yacht à Catalina. Quand j’ai raccroché, mes lèvres marmonnaient une brève invocation à San Gennaro, le saint patron de Naples, que j’implorais d’envoyer par le fond les Lamson et leur yacht.
Ensuite, j’ai appelé le bureau du shérif en sachant exactement ce qu’allait me dire le sergent de garde, et ça n’a pas loupé : appelez donc la fourrière du comté. Le désespoir m’a submergé quand j’ai composé le numéro de la fourrière. J’étais sûr de tomber sur un enregistrement, et ça n’a pas manqué : ils étaient fermés jusqu’à neuf heures le lendemain matin. La pluie battante s’est muée en murmure avant de s’arrêter. Harriet a regardé le chien par la fenêtre.
« Je crois qu’il est mort. »
J’ai descendu un autre verre en savourant le calme après l’orage. De l’aile nord de ma maison en forme de Y arrivait le vacarme de la chaîne stéréo de Dominic, les rythmes décérébrants des Mothers of Invention. J’en étais arrivé à détester l’indicible grossièreté de ce bruit. J’ai levé les yeux vers San Gennaro et lui ai dit : Combien de temps encore, Ô Gennaro, dois-je souffrir ? D’abord Presley et Fats Domino, ensuite Ike et Tina Turner, puis une éternité de Beatles et de Grateful Dead, les Monkees, Simon et Garfunkel, les Doors, le Rotary Connection, tous sans exception ont violé l’intimité de ma maison, toute cette putain de barbarie a envahi mon foyer d’année en année ; maintenant, ce fils de pute avait vingt-quatre ans et était encore un foutu emmerdeur.
Tu te souviens, Ô Gennaro, comment il a bousillé ma T-Bird ? Et as-tu oublié la fin désolante de mon Avanti ? N’oublions pas non plus le jour où il s’est fait pincer en train de fumer de l’herbe, ça m’a coûté mille cinq cents dollars, ce qui n’a pas empêché les flics de le faire comparaître devant le tribunal, et puis ce salopard couche de temps à autre avec des femmes noires, ce qui déchire le cœur de sa mère, et constamment je suis harcelé par le soupçon qu’il est peut-être pédé. Qu’il aille se faire foutre, Ô saint bien-aimé. Et si le destin veut qu’un chien enragé morde l’un des membres de la famille, eh bien, qu’il le morde, lui ! Harriet a sursauté quand j’ai abattu mon poing sur la table.
« Que t’arrive-t-il ? »
« Ton fils Dominic ! » J’ai pointé sur elle un index menaçant. « Qu’il se démerde donc du chien ! »
J’ai bu un autre bourbon, puis descendu le couloir au pas de charge et frappé énergiquement à la porte de Dominic. La musique s’est tue.
« C’est qui ? »
« Ton père. Henry J. Molise. »
Il a fait jouer la clef dans la serrure, et je l’ai découvert en caleçon, jeune homme massif aux larges épaules et aux jambes musclées.
« Salut, P’pa. Quoi de neuf ? »
Je suis entré dans sa chambre.
« Où étais-tu depuis deux semaines ? »
« Dans le secteur. »
Il était rasé de frais, il sentait le citron, ses cheveux longs étaient soigneusement coiffés au-dessus de ses oreilles. Je me suis assis sur le lit pendant qu’il enfilait un pantalon à larges raies. Ce gamin parfaitement imprévisible avait plaqué l’université pour s’engager dans la Navy. Maintenant, en qualité de mécanicien, il gagnait dix mille dollars par an, ce qui ne suffisait pas à ses besoins, même s’il dépensait tout pour lui-même et empruntait de temps à autre de l’argent à ses parents. Le seul indice permettant d’expliquer ses dépenses était les jetons de poker des clubs de Gardena qu’Harriet trouvait dans ses poches avant de laver son linge. J’ai remarqué deux jetons parmi des pièces et des clefs de voiture sur la table de chevet. Il y avait aussi un paquet de préservatifs.
« Tu peux pas être un peu plus discret ? » je lui ai dit avec un hochement de tête vers les capotes anglaises : « Ta mère et ta sœur vivent aussi ici. »
Il a souri. « J’pourrais te montrer tout un flacon de pilules contraceptives dans la salle de bains de ta fille. »
Au-dessus de l’étagère, à peine visible à cause de la lampe d’architecte dirigée vers le bas, il y avait une nouvelle photo punaisée au mur. J’ai changé l’orientation de la lampe et inondé le mur de lumière. C’était l’agrandissement d’une fille noire nue en perruque blonde, assise, jambes largement écartées, sur un tabouret de bar.
« Où as-tu trouvé ça ? »
« Elle te plaît ? »
« Ça me laisse complètement froid. Ta mère l’a vue ? »
« J’viens juste de l’accrocher. »
« Tu tiens donc à ce que ta mère ait une crise cardiaque ? »
« C’est juste de la bonne pornographie. J’en ai toute une pile sous le lit, elle est au courant. Sers-toi quand tu veux. »
J’avais déjà examiné ces charmants documents. « Non, merci, je lis Camus en ce moment. »
« Camus ? Super. »
Je l’ai observé un moment.
« Bon Dieu, qu’as-tu donc contre les femmes blanches ? »
Il s’est retourné avec un sourire en finissant de boutonner sa chemise.
« Certains aiment la viande blanche, d’autres la viande rouge. Chacun ses goûts, non ? »
« Tu n’as donc aucune fierté raciale ? »
« Fierté raciale ! Dis, c’est une sacrée expression, P’pa. J’parie que t’as concocté ça tout seul. Incroyable… Pas étonnant que tu sois un si grand écrivain. » Il a marché jusqu’au bureau, pris un crayon et griffonné sur une enveloppe : « “ Fierté raciale. ” Je note ça pour surtout pas l’oublier. »
Quel crétin ! Tout dialogue était impossible avec lui, il ne manquait pas une occasion de me caresser à rebrousse-poil. J’aurais pu lui faire remarquer que j’avais travaillé d’arrache-pied sur mes misérables scénarios pour lui offrir une jeunesse décente, que la facture du chirurgien-dentiste pour sa dentition impeccable s’était élevée à trois mille dollars, sans parler des milliers de dollars qu’il m’avait coûté en voitures, motos, planches de surf bousillées, et en primes d’assurance. Mais il m’aurait alors accusé de m’apitoyer sur moi-même, à juste titre évidemment. La vie était si injuste. À mesure que vos fils grandissent, vous rapetissez, et puis vous ne pouvez même plus leur flanquer une bonne raclée. La dernière fois que j’avais corrigé ce gamin, c’était trois ans plus tôt, quand je l’avais découvert ivre mort dans une voiture en stationnement. Il avait alors eu une crise de fou rire hystérique.
J’ai orienté la conversation vers le chien bizarre dans la cour ; les yeux de Dominic se sont alors illuminés, car il adorait les chiens et avait autrefois eu un beagle primé dans des concours. Nous avons rejoint Harriet dans la cuisine avant de nous diriger vers l’arrière-cour.
L’orage s’était calmé, des étoiles brillaient dans le ciel bleu. Le chien gisait au même endroit que précédemment. Réunis autour de lui, nous avons écouté le rythme lent et profond de son souffle. Écartant d’un haussement d’épaules les avertissements d’Harriet concernant la rage, Dominic s’est accroupi pour caresser l’énorme crâne taciturne. Je n’avais jamais vu chien plus triste, plus inconsolable.
« Il est épuisé », a dit Dominic. « Écoutez-le ronfler. »
« On dirait qu’il a le cœur brisé », a renchéri Harriet. « Je me demande s’il n’a pas été maltraité. »
« Personne ne peut maltraiter un monstre pareil », a déclaré Dominic. Il frottait la rude fourrure noir et brun, tellement épaisse que la pluie ne l’avait pas traversée, si bien qu’elle était maintenant sèche et luisante. La tête lugubre gisait, inerte.
« Ce chien est très malade », j’ai tranché.
« Malade, mon œil », a dit Dominic. « Vise un peu c’qui se passe. »
L’animal bandait. Une gigantesque carotte de la Vallée de Salinas émergeait de son fourreau poilu comme pour humer l’air nocturne et de son unique œil fendu faire un tour d’horizon. Comme en réaction, le chien a lentement levé la tête et jeté un coup d’œil au nouveau venu. Apparemment satisfait, il a plié son grand cou pour le lécher affectueusement deux fois. C’étaient manifestement des amis dévoués.
« Dégoûtant », a dit Harriet.
Il y a eu un bruit métallique quand le cou de la bête s’est tordu. Les doigts de Dominic ont exploré la fourrure, puis découvert un collier à maillons avec une plaque d’identité.
« Bon », j’ai dit. « Cela devrait nous indiquer le propriétaire. »
Comme il faisait trop sombre pour lire le médaillon, Dominic a retiré la chaîne du cou du chien. Il a levé le médaillon vers la lumière, l’a lu sans commentaire, puis passé à Harriet et moi. Il y avait une inscription gravée sur le médaillon.
La voici : « Tu le regretteras. »
« Stan Jackson ! » j’ai dit. Jackson était un écrivain qui habitait un peu plus bas sur la côte et qui inventait des gags pour les émissions télévisées de l’après-midi ainsi que pour ses amis. Ce médaillon était tout à fait dans son style. Ce devait être son chien. Harriet a fait remarquer que les Jackson étaient en voyage à l’étranger.
« Et puis », elle a continué, « je crois que Tu le regretteras est vraiment le nom du chien. » Elle s’est penchée vers l’animal et a essayé : « Salut, toi, Tu le regretteras. Comment vas-tu ? »
Très occupé par son membre, le chien ne lui a pas accordé la moindre attention. Dominic lui a remis son collier. Il a fait une bonne suggestion : ne pas harceler le chien, le laisser vivre sa vie et lui permettre de repartir quand il le désirera.
Le chien s’est mis sur ses pattes, a rengainé son pénis et bâillé. Debout, il paraissait encore plus gros, avec une queue broussailleuse dont le panache se dressait au-dessus de son dos, et des pattes palmées de la taille du poing d’un homme adulte. J’ai estimé son poids à une soixantaine de kilos.
Harriet a dit que c’était un chien eskimo.
« Un chien de traîneau de l’Alaska », a précisé Dominic. Pour moi, il paraissait simplement formidable, une bête ténébreuse et troublée aux yeux noirs obliques et au faciès d’ours, une sorte d’énorme chow-chow. Nous nous sommes regardés avec surprise quand il a gravi les marches du porche pour entrer calmement dans la maison.
« Je ne veux pas de lui à l’intérieur », a dit Harriet.
Je me suis tourné vers Dominic.
« Fais-le sortir. »
Nous avons suivi Dominic dans la maison. Le chien n’était pas dans la cuisine. Harriet l’a découvert dans le salon, vautré sur le divan, le menton enfoui dans un oreiller.
« Il bave sur ma dentelle », a protesté Harriet. « Fous-le dehors. »
Dominic a saisi une poignée de fourrure au cou et tiré. « Dehors, mon vieux. » Il y a eu un grondement profond, sinistre, intimidant.
Ça venait de sous le plancher, de sous les fondations mêmes de la maison. Dominic a lâché sa poignée de poils pour battre en retraite. Alors le chien a grogné d’un air fatigué, puis fermé les yeux.
« Laissons-le tranquille », j’ai dit. « Il ne fait de mal à personne. Ouvre la porte de devant ; quand il décidera de s’en aller, il s’en ira. »
« J’ai une idée ! » a dit brusquement Harriet.
Elle a filé dans la cuisine, puis est revenue avec un gros paquet de viande hachée sur une assiette en carton. « Dès qu’il fera mine de me suivre, ouvre la porte », elle a dit. Tenant la viande hachée à bout de bras, elle a cajolé le chien : « Viens, mon toutou. Regarde ce que je t’ai préparé, de la bonne viande hachée bien fraîche. » Elle a glissé le plat sous ses narines.
Le chien a ouvert les yeux et lui a lancé un morne regard de mépris. Harriet était furieuse.
« Sors de ma maison ! » elle a ordonné en tapant du pied et tendant le bras vers la porte. « Allons, dehors ! »
Vaguement conscient d’elle, le chien s’est étiré, puis retourné, le dos maintenant appuyé contre les coussins. Il avait une nouvelle érection, la carotte émergeait et observait la scène. Le chien a dressé la tête et accueilli son ami avec un regard chaleureux, puis il l’a salué d’un bon coup de langue humide.
« Il est révoltant », a dit Harriet.
Je ne sais pourquoi j’ai répondu ça, mais le fait est que je l’ai dit sans réfléchir, une sorte de bon mot spontané, une improvisation incontrôlée, sans penser à mal.
J’ai dit : « J’aimerais bien pouvoir faire ça. »
« Tu es infect ! » s’est écriée Harriet.
Elle a violemment lancé la viande hachée dans la cheminée, puis elle est sortie du salon et a descendu le couloir au pas de charge. Nous avons entendu la porte de la chambre claquer. J’ai haussé les épaules et regardé Dominic.
« Qu’est-ce qui lui prend ? » je lui ai demandé. « C’était juste une plaisanterie. »
« Un lapsus freudien », il a rectifié.
Ça m’a hérissé. « Que veux-tu dire ? Tu as un sacré culot de me sortir ça. Que connais-tu à Freud ? Tu ferais bien de le consulter chaque fois que tu te mets à la colle avec une poule noire. Tu souffres peut-être d’une sorte de maladie raciale ! »
Je n’avais pas fini qu’il avait déjà quitté la pièce, blême de rage. Il est sorti par-derrière, entré dans le garage, monté dans sa voiture, a démarré, fait reculer la voiture dont les phares m’ont éclairé quand j’ai couru pour le retenir alors que la voiture s’engageait dans l’allée.
« Une seconde, fiston ! »
La voiture s’est arrêtée, je me suis approché du siège du conducteur.
« Excuse-moi », j’ai dit. « Je retire mes dernières paroles. Oublie tout ça. »
Il était blessé, boudeur,
« Okay, P’pa. »
« J’ai eu une sale journée. Je suis fatigué. »
« Ça va. »
« Vas-y. Amuse-toi, profites-en tant que tu es célibataire. Ça ne me regarde pas. À plus tard. »
« Okay. »
Il a fait reculer la vieille Packard, puis l’a lancée doucement dans la rue en direction de la route de la côte ; le moteur ronronnait comme un chat dans la nuit lavée par la pluie. Sacrée bagnole. J’ai même songé à lui proposer de l’échanger contre ma Porsche pendant une semaine.