Les jonquilles

 

 

J’allais solitaire ainsi qu’un nuage

Qui plane au-dessus des vaux et des monts

Quand soudain je vis en foule  – ô mirage !  –

Des jonquilles d’or, une légion !

À côté du lac, sous les branches grises,

Flottant et dansant gaiement à la brise.

 

Serrées comme sont au ciel les étoiles

Qu’on voit scintiller sur la Voie lactée,

Elles s’étendaient sans un intervalle

Le long du rivage au creux d’une baie :

J’en vis d’un coup d’œil des milliers, je pense,

Agitant la tête en leur folle danse.

 

Les vagues dansaient, pleines d’étincelles,

Mais elles dansaient plus allègrement ;

Pouvais-je rester, poète, auprès d’elles

Sans être gagné par leur enjouement ?

L’œil fixe  – ébloui  –, je ne songeais guère

Au riche présent qui m’était offert :

 

Car si je repose, absent ou songeur,

Souvent leur vision, ô béatitude !

Vient illuminer l’œil intérieur

Qui fait le bonheur de la solitude ;

Et mon cœur alors, débordant, pétille

De plaisir et danse avec les jonquilles.

 

Traduction de François-René Daillie

NRF Poésie, Gallimard, 2001