POSTFACE

La planète Mars comme la voyait Edgar Rice Burroughs et telle qu’elle est véritablement

Au terme de ce quatrième volume de la série (de onze) consacrée aux aventures martiennes de John Carter, nous sommes en droit de nous demander dans quelle mesure le cadre choisi par l’auteur est conforme à la réalité.

Certes, un romancier a (presque) tous les droits et peut fort bien imaginer un cadre quelconque à l’évolution de son action et celles de ses personnages imaginaires : c’est là un privilège tacitement admis par tous et nous n’allons pas le lui disputer dans une contestation bien vaine, sous prétexte qu’il y a beaucoup de fautes scientifiques dans son tableau.

Néanmoins, dans le cas précis de John Carter, il subsiste une certaine ambiguïté, ouvrant la porte à discussion. Une lecture attentive des trois ou quatre premiers titres – et tout particulièrement celle du premier – montre que Burroughs a vraiment voulu insérer son héros dans le monde exact et vraiment physique de la planète Mars. Dans ces conditions, que pouvait-il faire à son époque (1911-1914), sinon utiliser ce que l’on savait – ou croyait savoir ! Il est évident qu’il a potassé les ouvrages astronomiques contemporains en utilisant tout ce qu’ils apportaient, les digérant plus ou moins bien, car il y a des erreurs personnelles assez criantes qui prouvent qu’il travaillait sans se garantir des avis d’un astronome, même amateur, lequel lui aurait évité quelques erreurs élémentaires.

Divisons donc cette petite étude en deux parties :

1) ce que l’on savait déjà – ou disait – en ce début du XXe siècle

2) ce que l’on sait de plus, depuis 1976 où les deux sondes Viking se sont posées sur Mars et nous ont tant appris, avec les prises de vues de leurs deux compartiments photographiques, restés satellites de la planète.

Les seuls moyens de l’astronomie terrestre, dont s’est servi Burroughs pour « loger » John Carter sur Mars, apportaient déjà beaucoup de renseignements. Jugeons-en.

La quatrième planète du système solaire (la Terre est la troisième, après Mercure et Vénus) possède une orbite nettement plus elliptique que celle de la Terre, presque circulaire. Ce fait envoie Mars de 204 millions de kilomètres du soleil à la périhélie (point le plus rapproché du Soleil), à 246 à l’aphélie (point le plus éloigné), alors que la Terre gravite entre 147 et 152 millions de kilomètres. Une conséquence de ces chiffres, c’est que la Terre se rapproche de Mars dans le cas le plus favorable de moins de 50 millions de km, alors qu’il lui arrive de s’en éloigner à plus de 360 millions. Ce qui rend absurdes les 73 millions de km plusieurs fois invoqués par l’auteur de Tarzan comme « éloignement moyen », dont on ne sait vraiment pas d’où il les a sortis.

Cela dit, il existe entre la Terre et Mars de profondes similitudes : la rotation sur elle-même : 23 heures 56 mn 13 s pour la Terre et 24 h 37 mn 34 s pour Mars l’inclinaison de l’axe nord-sud vaut 23° 27’pour la Terre et 23° 59’pour Mars. Cette coïncidence est étonnante mais c’est ainsi – elle change d’ailleurs avec le temps (cf. infra). La ressemblance des saisons est donc des plus grandes dans leur nature et dans leur alternance encore que la révolution circum-solaire soit pratiquement double : 365,26 jours pour nous contre 687,3 jours (terrestres) pour Mars. Là intervient la bourde monumentale de Burroughs qui a pris ce second chiffre pour délai du retour de sa tour pivotante, où Dejah Thoris est emprisonnée. Mais si les terrestres mesurent les caractéristiques des autres planètes à leur aune, par commodité sui generis, il est bien évident que les « Martiens » se servent de leur jour à eux (appelé « sol » depuis quelque temps) et non pas du nôtre, dont ils n’ont vraiment que faire !

L’année martienne vaut 667,7 sols et c’est là le véritable nombre de jours martiens (donc de pièces), temps de rotation du piège diabolique d’Issus à la fin du second roman et début du troisième, et nullement 687 comme il le dit !

Après cette erreur de Burroughs, on relèvera encore « la merveilleuse vision de la Terre au milieu de la nuit martienne », évoquée dans le second volume. Belle poésie, peut-être, mais erreur astronomique à hurler. La terre étant, pour Mars, une planète intérieure, elle serre de près les couchers et levers du soleil, tout comme Vénus pour nous, cette dernière étant « l’étoile » du soir au coucher du soleil et « l’étoile » du Berger à son lever. Il en est exactement de même pour les Martiens quand ils voient la Terre : elle suit le Soleil et on ne la voit nullement « en pleine nuit » !

Autre grosse erreur astronomique, souvent utilisée, celle « des deux lunes de Mars qui se ruent dans le ciel et qui donnent une somptueuse luminosité » ! Hélas ! on est là bien loin de la réalité ! D’abord la dénomination de « lunes » n’est pas appropriée : Mars possède deux satellites naturels, d’ailleurs pas si naturels que cela, car ce sont probablement d’anciens astéroïdes captés naguère : petits blocs rocheux, de composition analogues aux chondrites charbonneuses, une variété de météorites qui tombe quelquefois sur Terre.

Donc rien à voir avec notre Lune qui est une planète à part entière, formant avec la Terre un véritable système double dont le système solaire ne comporte qu’un seul autre exemple : le doublet Pluton-Charon. Non ! les deux satellites de Mars : Phobos et Déimos (la Terreur et la Crainte, en grec ancien) – alias Thuria et Cluros pour John Carter – sont deux blocs de forme « patatoïde », dont le premier mesure 27 km sur 21 et 19, gravitant à 6 000 km de la surface de Mars et le second, deux fois plus petit encore, tourne à moins de 20 000 km du sol de la planète rouge. Le premier se rapproche sans cesse et finira par tomber sur Barsoom dans x millions d’années, qui peuvent être quelques dizaines de millions d’ans.

Mais là n’est pas la question. Phobos se « rue » peut-être dans le ciel de Mars puisqu’il tourne autour en 7 h et demie, ce qui, compte tenu de la rotation en 24 h 40 mn de la planète sur elle-même, lui donne un mouvement rétrograde (d’ouest en est) très rapide, le survol ayant lieu entre deux et trois fois par jour. Mais Déimos, lui, tourne autour en 1 jour et 6 heures (terrestres) et se situe – pure coïncidence – non loin de l’altitude martienne des satellites stationnaires (36 000 km de la surface, pour la Terre) ; il a donc un mouvement apparent excessivement lent dans le ciel martien. Pas de chance, donc, M. Burroughs et on s’étonne vraiment qu’aucun astronome de métier, ou même un amateur, ne vous l’ait jamais dit, ce qui vous aurait largement donné le temps de rectifier dans vos éditions successives. Il semblerait que vous ne le vouliez pas, ne relisant jamais vos manuscrits, dictés et non écrits. Mais est-ce bien vrai ?

Si l’on aborde alors la question concomitante de la luminosité produite par ces prétendus « phares éclatants », la question devient quasi risible. Le diamètre apparent de Phobos vu de Mars n’est que la moitié de celui de la Lune vue de la Terre ; ce rocher reçoit en gros neuf fois moins de lumière solaire, étant trois fois plus loin. En outre, son « albedo » – ou pouvoir réflecteur – est très bas, de par sa consistance charbonneuse, donc noirâtre. Au total, ce corps illumine Mars à peu près vingt fois moins que la Lune n’éclaire la Terre. Alors ? où sont ces nuits somptueusement illuminées que l’on rêve en lisant ces romans ? Déimos ? mais il est deux fois plus petit et trois fois plus loin, donc encore quarante fois moins lumineux que Phobos, qui l’est déjà si peu ! Ce dernier est une petite tache grisâtre dans le ciel, peu visible ; à moins que les Martiens n’aient des yeux particuliers, adaptés à une forte pénombre… on ne sait jamais !

Encore une erreur qui se trouve quelque part : le beau coucher d’un soleil rouge à souhait, dans un ciel d’un bleu azur superbe. Non ! Les photos envoyées par les sondes Viking nous montrent que le ciel est, là-bas, d’un rose saumon des plus étonnants et que les couchers de soleil y sont particulièrement étranges : l’astre central entouré d’un très large halo fait d’immenses taches elliptiques concentriques, les couches elliptiques étant très aplaties !

Nous touchons là le défaut général de toute la science-fiction : celui de l’indécrottable anthropocentrisme. On peut le résumer ainsi : « C’est comme ça chez nous, donc ce doit être semblable là-bas ! » Pas du tout ! les solutions de la Mère Nature sont infinies et surtout fort imprévisibles ; il y a très peu de chances pour que nous retrouvions les nôtres ailleurs.

Ayant beaucoup parlé astronomie, nous serons un peu plus gâtés par la physique.

Burroughs n’a pas trop mal utilisé les connaissances de son temps : gravitation donc pesanteur égale au tiers de celle de la terre ; un monde desséché et sans eau, aux anciens océans possibles asséchés complètement ; air raréfié et froid dominant.

Une erreur d’estimation : la fameuse mousse ocre qu’il suppose recouvrir tout le sol d’un pôle à l’autre, cela pour expliquer la teinte générale rougeâtre de la planète. On sait maintenant qu’il n’y a pas l’ombre d’une mousse et que c’est le sol qui a fixé tout l’oxygène de l’atmosphère, devenant en quelque sorte « rouillé » et donc rougeâtre.

Mais ce ne sont pas des « erreurs » au sens propre du mot car seule l’observation sur place pouvait le dire. De même le vieux problème séculaire des fameux « canaux » découverts dans les années 1880 par l’astronome italien Schiaparelli. La littérature au sujet de ces canaux (« canali » en italien signifiant plutôt « chenaux ») est proprement stupéfiante. Hélas ! les photos des deux compartiments photographiques des sondes Viking n’ont pas vu la moindre esquisse d’un chenal, ou canal, lesquels n’étaient que des phénomènes optiques dus à l’imperfection des télescopes qui ne sont pas conçus pour observer les surfaces des planètes mais les fonds stellaires.

Encore quelques données. John Carter vit certainement d’oxygène, comme tout un chacun ici-bas. Il est dont fort fâcheux que l’atmosphère très raréfiée de Mars soit composée de 95 % de gaz carbonique ! Ce sont les mauvais coups de la science et Burroughs est mort sans le savoir. En outre, on peut assurer maintenant que la surface de Mars c’est le Sahara (pour la sécheresse), placée au pôle Nord (pour le froid) et montée à quinze kilomètres d’altitude (pour la raréfaction de l’atmosphère). Monde bien ingrat, en somme ! Les températures sont de -170°centigrade, aux Pôles, et située entre 5°et 20°au-dessus du zéro, à l’équateur.

Tout cela est pour maintenant. Mais, comme la Terre, Mars voit varier périodiquement l’excentricité de son orbite ainsi que celle de l’inclinaison de son axe de rotation. Les périodicités sont comprises entre cent mille ans et un million d’années (terrestres). En les composant, on obtient des variations de températures considérables et se reproduisant avec des périodicités composites semblables à celles de nos glaciations. Une chose est certaine : la température passe par des maxima qui doivent permettre à la neige carbonique des calottes polaires de fondre et l’atmosphère passe de un millibar à mille millibars, soit pratiquement notre pression atmosphérique terrestre. Que se passe-t-il alors ? Nul n’en sait rien ; le sol libère-t-il son eau fixée en profondeur (?) et voit-on alors les fleuves couler et des mers se reformer, comme les traces en sont si visibles sur les photos ?

Il se peut que ce soit un monde cyclique dont les conditions physiques sont tellement proches du point « néant » qu’il évolue sans cesse du « rien », dans lequel on le trouve actuellement, à une forme d’activité – on n’ose dire de vie – qu’il nous semble qu’il devrait avoir.

Terminons par un mauvais tour que la science a joué – une fois de plus – au romancier. Burroughs affirme quelque part qu’il n’y a pas de montagnes sur Mars et que même les collines y sont très basses, rabotées et arrondies qu’elles sont par le temps. Or, Olympus Mons fait la bagatelle de vingt-sept kilomètres d’altitude et c’est la plus haute montagne de tout le système solaire, avec une base de six cents kilomètres d’extension : bref, toute la France recouverte, avec, au-dessus de l’Auvergne, un sommet trois fois plus élevé que l’Himalaya ! Que John Carter ne l’a-t-il su ! Ses aventures en auraient encore été magnifiées. Mais elles le sont déjà bien assez… pour notre plus grand plaisir !

Charles-Noël Martin



[1] Pimalia, ersite, sorapus, Jeddak sont les nombreux mots « martiens » imaginés par l’auteur.

[2] Nous avons assez souvent eu l’occasion de prendre ERB en faute, sans le relever, mais là, l’occasion est trop belle !

[3] Sur Barsoom « l’ad » est l’unité de mesure linéaire ; c’est pratiquement l’équivalent du « pied » terrestre (30,48 cm) puisqu’il vaut 11,694 inches (2,54 cm) soit 29,70 cm. Comme j’en ai toujours eu l’habitude dans le passé, j’ai presque toujours converti les symboles barsoomiens de temps, d’espace, etc., en leur équivalent terrestre, de manière à être mieux compris des lecteurs sur Terre. Pour ceux qui veulent faire une étude plus en profondeur, il peut être intéressant de connaître la table des équivalences à Barsoom même. La voici :

10 sofads = 1 ad.

200 ads = 1 haad.

100 haads = 1 karad.

360 karads = 1 circonférence de Mars à l’équateur.

Un haad, ou « mile » barsoomien, contient 2 339 pieds terrestres (712,93 m). Un karad vaut un degré de Mars à l’équateur et un sofad représente 1,17 inch terrestre (2,972 cm). (Note de l’auteur : le traducteur ayant ajouté, entre parenthèses, les valeurs en système métrique : mètres et centimètres.)