CHAPITRE IV
Prisonnière d’un Homme-Vert
Lorsque la lumière du jour revint, se déversant sur le pont du navire où Thuvia avait été déposée, après son enlèvement dans les jardins du palais paternel, elle constata qu’un grand changement s’était opéré, cette nuit même, chez ses ravisseurs ; les ornements métalliques de leurs uniformes n’étaient plus ceux de Dusar mais purement et simplement, les emblèmes du prince d’Hélium.
Ce fait rendit momentanément espoir à la jeune fille, car elle ne pouvait croire que les sentiments de Carthoris soient tels qu’elle puisse en souffrir !
Prenant alors la parole, elle s’adressa au guerrier qui se tenait devant le panneau de contrôle.
— La nuit dernière vous portiez les insignes de Dusar, dit-elle, et voilà maintenant que ce sont ceux d’Hélium. Que faut-il en penser ?
L’homme la regarda avec un rictus.
— Le prince d’Hélium n’est pas fou, répondit-il, simplement.
Juste à ce moment, un officier sortit de la petite cabine. Il réprimanda le guerrier, lui enjoignant de ne pas adresser la parole à la prisonnière et lui-même s’abstint de répondre à ses interrogations.
Il ne lui fut fait aucune violence tout au long de ce voyage ; quand ils arrivèrent, la prisonnière n’en savait pas davantage sur sa destination, l’identité de ses ravisseurs, ou encore les buts précis qu’ils poursuivaient.
L’aéronef vint se poser doucement sur la grande place d’une de ces ruines muettes de Mars-la-Moribonde, au passé totalement oublié. Les puissantes cités maintenant désertes qui bordaient les tristes fonds ocres abritaient, il y a très longtemps, des flottes redoutables. La surface de l’océan était sillonnée en tous sens par une puissante marine de commerce, conduite par une foule de gens à tout jamais disparus !
Thuvia n’étaient pas ignorante de ces endroits. Durant la période où elle avait erré à la recherche de la rivière Iss – celle que tous les Martiens voulaient atteindre depuis des temps immémoriaux, au cours de ce long et dernier pèlerinage vers la Vallée de Dor où se situait la Mer perdue de Korus – elle avait rencontré plusieurs de ces tristes vestiges d’une époque de grandeur et de gloire révolues, qui avaient été celles de l’ancienne Barsoom.
Elle avait aussi observé de telles cités lors de son vol, quand elle avait tenté de fuir les Temples des Saints-Therns en compagnie de Tars Tarkas, Jeddak de Thark. Les Hommes-Verts qui s’y réfugiaient étaient obligés de partager cet abri temporaire avec les étranges et fantomatiques grands Singes-Blancs de Barsoom.
Effectivement, ces villes mortes servaient de refuges aux Hommes-Verts. Soigneusement évitées par les Hommes-Rouges, à part quelques exceptions, elles se situaient toutes au milieu d’immenses étendues privées d’eau et totalement impropres à une vie décente pour la race dominante des Martiens.
Alors, pourquoi l’avoir amenée en un tel endroit ? Il n’y avait à cela qu’une seule réponse : la nature de leurs plans exigeait un isolement dans des conditions que seule une cité morte pouvait offrir. Aussi, la jeune fille tremblait-elle à l’idée du sort qui pouvait lui être réservé.
Deux jours durant ses ravisseurs la tinrent prisonnière dans un ancien palais qui, même dans sa décrépitude, conservait encore quelque chose de la splendeur ancienne.
Le matin du troisième jour, juste avant l’aube, son attention fut attirée par les voix d’un couple de ses ravisseurs.
— Il sera là juste au lever du soleil, disait l’un. Il serait bon que nous l’amenions sur la place, sans cela jamais il ne se posera. Dès qu’il aura constaté qu’il se trouve dans un pays étrange, il s’en retournera aussitôt sans se poser… Je pense que c’est là le point faible des plans du prince.
— Il n’y avait pas moyen de faire autrement, répliqua l’autre. C’est déjà merveilleux de parvenir à les faire se retrouver en un même endroit et quand bien même nous ne parviendrions pas à l’attirer par ce subterfuge, le contraignant à se poser, nous aurions déjà fait beaucoup dans la voie désirée.
C’est alors qu’il leva la tête et aperçut le regard de Thuvia le dévisageant, puis elle chercha dans le ciel, un éclair de lumière lui passant dans les yeux.
Faisant alors un léger signe à son interlocuteur, il se tut. Il avança vers la fille, l’obligea à se lever et la mena en pleine nuit au centre de la place.
— Restez ici ! commanda-t-il, jusqu’à ce que nous revenions vous chercher. Si vous essayez de vous enfuir, ça ira très mal pour vous, pire que la mort ; ce sont là les ordres mêmes du prince.
Il s’en retourna, reprenant le même chemin en direction du palais. Il la laissa seule au milieu de toutes les terreurs invisibles de cette cité hantée. Ces lieux étaient fréquentés par des invisibles, du moins conformément à la croyance de nombreux Martiens, lesquels accordent encore foi à l’antique superstition prétendant que l’esprit des anciens Therns, morts avant le temps assigné de mille ans, vont habiter les corps des grands Singes-Blancs !
Il était certain pour Thuvia, que le danger encouru était précisément là, dans l’attaque directe d’une de ces bêtes. Elle ne croyait plus en cette étrange migration de l’âme, inculquée par les Therns avant d’être tirée de leurs griffes par John Carter. Elle n’ignorait pas néanmoins l’horrible sort qui serait le sien si par hasard elle était le point de mire d’un de ces monstres l’épiant lors de son maraudage nocturne.
Justement ! Qu’est-ce qui venait là ?
Elle ne se trompait sûrement pas, quelque chose avait furtivement bougé à l’ombre d’un de ces immenses monolithes qui bordaient l’avenue aboutissant à la place, du côté opposé !
Thar Ban, jed de la bande de Torquas, sur sa monture, filait rapidement à travers la végétation ocre du fond des mers mortes, en direction des ruines de l’ancienne Aanthor.
Il avait accompli cette nuit-là une très longue étape, après avoir détruit l’incubateur d’une tribu Verte voisine avec laquelle les hordes commandées par Torquas étaient en guerre perpétuelle.
L’énorme thoat qu’il montait était loin d’être exténué, mais par précaution, pensait Thar Ban, il serait bon de s’arrêter pour lui permettre de brouter un peu la mousse ocre poussant jusqu’à une hauteur appréciable à l’abri des jardins protégés de la ville déserte ; le sol y était plus riche que dans les fonds marins, et la végétation en partie abritée des ardeurs du soleil au cours des journées sans nuages, caractéristiques du ciel martien.
À l’intérieur des tiges de cette plante complètement sèche en apparence, se trouve suffisamment d’humidité pour nourrir les immenses corps des gros thoats, lesquels peuvent subsister des mois sans eau et rester plusieurs jours sans l’appoint apporté par cette mousse ocre.
Tandis que Thar Ban avançait sans bruit depuis les quais d’Aanthor jusqu’à la grande place centrale, lui et sa monture, tels des spectres appartenant à ce monde fantomatique tant ils étaient d’apparence caricaturale, et silencieuse aussi la progression du gros thoat aux pattes sans griffes et enveloppées, venant frapper le tapis élastique de mousses qui pendaient mollement des interstices des vieilles dalles du pavement.
C’était un fort bel homme, dépassant manifestement les quatre mètres cinquante des pieds à la tête. La lueur de la lune faisait briller sa peau verdâtre et luisante, de même que les joyaux de son lourd harnachement qui jetaient des étincelles, tout comme les ornements entourant ses quatre bras musculeux. Les défenses sortant de sa mâchoire inférieure étaient d’un blanc éblouissant, ce qui contribuait à lui donner une apparence cauchemardesque.
Son long fusil au radium se trouvait pendu au côté du thoat, ainsi que la lance de métal de douze mètres de long. Les deux épées, la courte et la longue, pendaient au harnais, ainsi que d’autres armes mineures.
Ses yeux saillants et ses oreilles orientables tournaient sans cesse en tout sens ; Thar Ban, en pays ennemi, avait la menace toujours présente des grands Singes-Blancs, dont John Carter se plaisait à dire qu’ils représentaient les seules créatures capables de provoquer un sentiment de crainte chez ces féroces habitants des fonds marins desséchés, sinon une esquisse de peur véritable.
Tandis que le cavalier approchait de la place, il stoppa subitement sa monture, tirant sur les rênes[2]. Ses oreilles fines, tubulaires pointèrent vers l’avant rigidement. Un bruit inaccoutumé l’avait frappé : des voix ! Or, à qui appartenaient ces voix non Torquasiennes sinon à des ennemis ! Le monde entier de la grande Barsoom n’était qu’un ennemi potentiel pour les féroces Torquasiens.
Thar Ban mit pied à terre et se dissimulant derrière les grands monolithes de l’avenue des quais qui traversait Aanthor assoupie, il s’approcha rapidement de la place centrale. Il était suivi, comme un petit chien, par son thoat couleur d’ardoise. Son ventre blanchâtre se trouvait en partie caché par l’ombre du tonneau transporté, le bas jaune vif de ses pattes se confondant avec le jaune pâle de la mousse.
Finalement, Thar Ban vit au centre de la place la silhouette d’une femme Rouge et d’un guerrier également Rouge qui lui parlait. Puis il s’éclipsa, revenant vers le palais sur le côté opposé de la place.
Thar Ban attendit qu’il ait complètement disparu derrière le portail qui semblait bâiller ! Il y avait là une captive qui paraissait avoir de la valeur ! Il était rare qu’une femelle appartenant à ses ennemis héréditaires, tombe au pouvoir d’un Homme-Vert ! Thar Ban, de plaisir, se passa la langue sur les lèvres étroites et cruelles.
Thuvia de Ptarth scrutait le côté opposé de la place, essayant de percer l’ombre que projetait le monolithe ouvrant sur l’avenue, en face. Elle espérait que tout n’était que pure imagination de sa part.
Mais non ! Elle vit enfin distinctement quelque chose venir dans sa direction, se détachant de l’ombre projetée par le bloc d’ersite.
La lumière vint subitement du soleil levant et la fille trembla. La « chose » était un énorme guerrier Vert !
Il bondit avec vivacité vers elle, hurlant et tentant vainement de fuir. Elle avait à peine pivoté en direction du palais, qu’une poigne géante saisit son bras, en l’attirant. Elle fut mi-traînée, mi-portée vers un énorme thoat, très occupé à brouter la mousse jaunâtre à l’entrée de la place.
Elle leva juste à cet instant la tête vers un vrombissement au-dessus d’elle et distingua un aéronef rapide qui venait dans sa direction, avec, à son bord, un homme penché par-dessus l’un des côtés de l’engin, dont elle n’entrevit que la tête et les épaules. Les traits de cet homme étaient plongés dans l’ombre, de sorte qu’elle ne put l’identifier.
Les cris de ses ravisseurs rouges lui parvinrent, venant de derrière elle. Ils poursuivaient comme des fous celui qui osait leur voler ce qu’eux-mêmes avaient déjà volé !
Au moment où Thar Ban atteignit sa monture, il attrapa le long fusil au radium qu’il tira de son étui, pivotant sur place, il tira trois coups les uns sur les autres en direction des poursuivants.
L’habileté et la précision de tir de ces sauvages étaient telles que les trois hommes furent atteints de plein fouet et tombèrent, frappés directement, quand les balles explosèrent, dans leurs parties vives.
Les autres s’arrêtèrent, n’osant pas répliquer et ouvrir le feu à leur tour, de peur d’atteindre la jeune fille.
Alors, Thar Ban sauta sur le dos de son thoat, Thuvia toujours dans ses bras multiples et dans un cri sauvage de victoire, tous trois disparurent dans le canyon de la sombre avenue des quais longeant les palais moroses formant l’Aanthor oubliée de tous.
L’esquif de Carthoris n’avait pas encore touché le sol qu’il sautait déjà hors du pont pour se mettre à la poursuite du thoat agile, dont les huit pattes lui faisaient redescendre l’avenue à la vitesse d’un train express. Mais les hommes de Dusar encore en vie n’entendaient pas qu’une capture de cette valeur risque de leur échapper.
Ils avaient déjà perdu la fille et il serait fort difficile de l’expliquer à Astok ; ils espéraient qu’il y aurait quelques compensations s’ils lui amenaient le prince d’Hélium.
C’est pourquoi les trois hommes restants l’attaquèrent de leurs longues épées, lui criant de se rendre. Mais ils auraient tout aussi bien pu le crier à Thuvia, la première lune, de ne plus se ruer à travers le ciel de Barsoom, car Carthoris était bien le digne fils du Seigneur de Guerre de Mars et de son incomparable Dejah Thoris.
Aussi, dès qu’il entendit les injonctions des trois guerriers, sa longue épée déjà en main alors qu’il bondissait du pont du navire, il se retourna vers eux, faisant face à leur assaut, exactement comme John Carter, seul savait le faire.
Son épée était tellement rapide, menée par des muscles à moitié terriens, puissants et agiles, qu’un de ses assaillants, dès qu’il l’eut atteint, s’abattit, rougissant de son sang le tapis de mousses déjà rougeâtre, alors qu’il n’avait fait qu’une simple passe avec son adversaire !
Les deux Dusariens restants se ruèrent simultanément sur l’Héliumite. Trois lames d’épée se heurtèrent en projetant des étincelles dans la nuit, simplement éclairée par la lueur de la lune, faisant un bruit tel que les grands Singes-Blancs commencèrent à sortir de leurs caches, se penchant aux fenêtres basses de la cité morte, afin de découvrir la scène.
Carthoris fut touché à trois reprises, le sang dégoulinait sur son visage, l’aveuglant presque et descendant jusque sur sa large poitrine. De sa main libre, il s’essuya et le sourire aux lèvres comme son père, il chargea ses adversaires avec une furie renouvelée.
Un simple revers de son épée trancha net la tête d’un de ses assaillants ; quant à l’autre, voyant ce qui l’attendait, il tourna les talons et s’enfuit dans le palais derrière lui.
Carthoris n’esquissa même pas un semblant de poursuite, il avait autre chose à faire que dispenser un châtiment pourtant bien mérité à ces hommes qui s’étaient abrités derrière le métal de sa Maison ; il avait bien remarqué qu’ils portaient les insignes de sa propre suite.
Se retournant prestement vers le fuyard, il eut tôt fait de traverser la place, à la poursuite de Thar Ban.
Mais le guerrier Rouge qui avait pris la fuite, se retourna en atteignant l’entrée du palais ; jugeant des intentions de Carthoris, il s’empara d’un fusil qu’il avait laissé suspendu au mur, lui et ses camarades, au moment où ils s’étaient précipités l’épée à la main pour s’opposer au rapt de leur prisonnière.
Les Hommes-Rouges étaient de piètres tireurs, l’épée restait leur arme de prédilection. Aussi, comme le Dusarien épaulait et appuyait sur la gâchette actionnant le magasin de son fusil, ce fut plus le hasard que l’adresse qui entraîna le succès partiel de sa tentative.
La balle vint frôler le côté de l’aéronef ; l’enveloppe opaque de celle-ci s’ouvrit suffisamment pour permettre à la lumière du jour de frapper l’ampoule de radium, dans le nez du projectile ; ce dernier explosa donc et Carthoris sentit son appareil tituber sous lui, le moteur calant net.
Sous l’élan de la vitesse, l’esquif continua un moment sa progression, quittant les limites de la ville et gagnant un peu plus loin, le fond de l’océan.
Le guerrier Rouge, depuis la place, tira plusieurs coups, mais aucun n’atteignit sa cible, enfin un minaret plus élevé lui cacha la visibilité.
Carthoris put alors apercevoir, galopant à une certaine distance devant lui l’Homme-Vert emportant Thuvia, jetée en travers de son puissant thoat. Il filait à toute allure en direction du nord-ouest d’Aanthor, vers une chaîne montagneuse que les Hommes-Rouges connaissaient fort peu.
L’Héliumite examina alors les dégâts infligés à son appareil et constata que si l’un des réservoirs de fluide anti gravitationnel était crevé, le moteur, lui, était indemne.
Un éclat du projectile avait endommagé un des leviers de contrôle et il était impossible de le réparer sans mener l’engin dans un atelier. Enfin, après plusieurs essais et non sans mal, Carthoris parvint à remettre son engin blessé à vitesse réduite, notablement insuffisante pour rattraper la propre vitesse du thoat, dont les huit longues et puissantes pattes le propulsaient avec une rapidité stupéfiante à travers le fond tapissé de mousses ocres.
Le prince d’Hélium tempêtait, s’impatientant de cette lenteur obligée dans la poursuite, tout en restant reconnaissant de ce que le dommage ne soit pas pire, car il pouvait se déplacer nettement plus vite qu’à pied.
Mais même cette maigre satisfaction ne dura pas, le vaisseau se mettant rapidement à osciller de la poupe à la proue. Les dégâts du réservoir de fluide de sustentation étaient manifestement plus graves qu’escomptés.
Tout au long de cette journée interminable, Carthoris rampa littéralement dans l’air raréfié, l’avant de l’aéronef piquant de plus en plus du nez et l’appareil descendant sans cesse, la gîte s’accentuant progressivement et de manière particulièrement alarmante. À la fin, au moment où l’obscurité allait se faire, il flottait pratiquement, grattant le sol de sa proue verticalement, au point que le passager ne tenait plus que grâce à une boucle de son harnais passée à un anneau du fuselage, qui l’empêchait d’être précipité au sol.
Son mouvement de translation n’était plus que celui du dévers, l’appareil chassé par le vent de sud-est, vint s’affaler doucement sur le tapis de mousse en contrebas, quand la brise cessa et que le soleil se fut couché.
La dernière fois qu’il l’avait aperçu, l’Homme-Vert se dirigeait à toute allure vers les montagnes se dressant dans le lointain. Le fils de John Carter, héritier de volonté sans faille de son père, entreprit de poursuivre la route à pied avec une résolution implacable.
Toute la nuit il alla ainsi de l’avant, atteignant au petit jour le pied des collines qui gardaient l’approche d’une forteresse de montagnes, connues sous le nom de Torquas.
C’était une barrière formidable, accidentée à souhait, faite de parois granitiques culminant très haut. Pourtant, le guerrier Vert avait entraîné dans ce monde inhospitalier de pierre, la jeune fille tant désirée par le cœur du jeune homme.
Il n’y avait aucune trace à suivre dans ce fond océanique, jonché d’un tapis de mousses. Nul indice. Les pattes du thoat, dans leur course rapide, ne faisaient qu’appuyer sur une végétation élastique qui s’inclinait, se relevant aussitôt, ne laissant ainsi aucun signe durable de son très bref passage.
Là, par contre, dans les collines, des éclats de roche pouvaient garder un témoignage de cette venue temporaire ; du terreau noirâtre et des fleurs sauvages remplaçaient la sombre monotonie des immenses espaces des terres basses. Carthoris espérait bien découvrir quelques indices qui le guideraient aussitôt vers la bonne direction. Tant en conservant l’œil aux aguets, l’insondable mystère des traces paraissait bien devoir rester impossible à résoudre à tout jamais !
Le jour allait tomber une nouvelle fois quand le regard exercé du jeune homme distingua, à plusieurs centaines de mètres devant lui, la teinte fauve d’une silhouette se déplaçant lentement parmi les éboulis.
Se dissimulant derrière un gros rocher, Carthoris surveilla la chose devant lui. C’était un gros banth, un de ces lions sauvages de Barsoom, qui hantent les collines désolées de la planète moribonde.
La créature reniflait, le museau pratiquement au contact du sol : il était manifeste qu’il suivait une piste dont l’odeur était celle de la chair fraîche.
Tout en l’observant, Carthoris fut envahi d’un immense espoir : peut-être allait-il apporter la solution au mystère à résoudre. Ce monstre, sans cesse affamé, était toujours à la recherche de chair humaine. Donc, il risquait fort d’être sur la piste de ceux que Carthoris recherchait activement.
Le jeune homme rampa tout doucement en direction du mangeur d’hommes. La créature longeait la base d’une falaise à pic, reniflant une piste invisible tout en émettant de temps à autre un grognement caractéristique du banth suivant une trace.
Carthoris surveillait la bête depuis quelques minutes seulement quand cette dernière disparut subitement et mystérieusement, littéralement volatilisée dans les airs.
L’homme sauta sur ses pieds : il n’entendait pas être berné comme il l’avait déjà été une fois. Il se précipita vers l’avant, d’un pas décidé pour gagner l’endroit précis où la brute s’était planquée pour la dernière fois.
La falaise s’étendait devant lui sans aucune interruption, la paroi vierge de toute ouverture, dans laquelle le gros banth aurait pu loger son corps. Mais à côté, un bloc rocheux horizontal plat, guère plus large que le pont d’un aéronef de dix hommes s’élevait à deux hauteurs d’homme, pas davantage.
Se pouvait-il que le banth soit dissimulé derrière le roc ? La brute avait-elle senti qu’un homme était à ses trousses ? Peut-être, après tout était-elle à l’affût, attendant de pouvoir se précipiter sur une proie facile.
Avec d’infinies précautions, sa longue épée à la main, Carthoris rampa en contournant le bloc… pour constater qu’il n’y avait aucune trace de banth. Par contre, il découvrit quelque chose qui le surprit beaucoup plus que la présence de vingt banths !
Devant lui, l’ouverture béante d’une sombre caverne plongeait directement vers il ne savait quelle profondeur. Le banth avait parfaitement pu s’y introduire. Finalement, était-ce sa tanière ? L’intérieur ne recelait-il pas non seulement un banth, mais plusieurs de ces redoutables créatures ?
Carthoris l’ignorait. Avec l’irrésistible élan qui l’avait poussé de l’avant sur la trace même de ce monstre, il ne se soucia nullement de l’inconnu ; il était pratiquement certain que le banth avait éventé dans cette caverne obscure les traces de l’Homme-Vert et de sa captive.
De la même manière il pouvait les suivre, tout heureux de donner éventuellement sa vie pour défendre la cause de la femme qu’il aimait.
Il n’hésita pas une seconde. Son épée prête, il avançait simplement avec prudence, s’enfonçant résolument dans l’obscurité.