12I Un troupeau dans la cave

Attention !

N'allez pas nous prendre, nous, les Bâ, pour des apathiques, des abdiquants, des accroupis, des paresseux de l'ambition, des abandonnés fatalistes au sable et à la misère. Nous aussi nous avons mené des batailles pour un Mali prospère. C'était une époque encore joyeuse pour notre continent. Tout le monde l'a oublié aujourd'hui, aujourd'hui que la mode est à l'abandon, mais je vous en donne ma parole : dans ces années-là, l'Afrique avait confiance, confiance en ses forces, confiance en l'avenir, confiance en elle-même. La vague de fierté, née des indépendances, continuait de nous porter, peut-être de moins en moins forte de semaine en semaine, mais suffisante pour affronter les journées avec appétit. Même chez les gens modestes. Même dans les familles de cheminots.

Géniale était notre idée, une recette infaillible. Si nous avons échoué, c'est ma faute, je vais vous raconter, ma très grande faute. Malgré ma honte, je ne vous cacherai rien.

— Madame Bâ ! Madame Bâ !

Le troupeau, notre troupeau, se fit annoncer non par les gracieuses clochettes habituelles, mais par une sonnerie stridente. Immédiatement suivie par les appels de mon très jeune amoureux, le gardien de la boutique de téléphone « Universal Contact ». Comme toujours quand il me parle, il balbutiait :

— Madame Bâ, pardon, il a tout de suite raccroché, la ligne était mauvaise. On vous envoie un cadeau. Un cadeau d'Amérique. Il vous sera livré demain au terrain d'aviation. Préparez de l'électricité.

— Tu peux répéter ?

— De l'électricité. Le cadeau américain ne marche qu'à l'électricité. Je te jure, c'est tout ce qu'il a dit.

— Je te crois.

— Madame Bâ, ne pars pas déjà !

Une fois de plus, il voulait m'entraîner dans le réduit qui lui servait de chambre. À douze ans, il promettait, ce petit animal. Il n'a pas déçu. Aujourd'hui, un tiers de siècle plus tard, reconverti dans les paris sur le championnat de France de football, il règne en coq sur les femelles du quartier.

 

Un cadeau ? Électrique ? Les Bâ ont passé la nuit torturés par la devinette.

Un tel envoi n'était pas nouveau. Nos oncles et cousins lointains ne nous oubliaient pas. Régulièrement nous arrivaient les colis les plus divers pour nous aider à supporter la maigre vie de Kayes. Dans mon carnet, pour la seule année 1980, je relève : des conserves Saupiquet, un lecteur de cassettes japonais, une malle de livres scolaires, classes de sixième et cinquième, un jéroboam de Champagne Roederer (où ont-ils la tête ? De l'alcool pour des musulmans ? Dans quel Coran ont-ils lu que Dieu tolère les boissons à bulles ? ), trois paires de chaussures de foot, taille 38,40 et 42, et deux boîtes de vêtements miniatures pour la poupée Barbie et Ken son mari magnifique.

Le premier moment d'humiliation passé (« Pour qui nous prennent-ils? Nous n'avons pas besoin de leur charité, le Mali se suffît à lui-même… »), la famille se disputait les cartons (« Ces Nike sont pour moi ! Non, pour moi ! »). Et inlassablement nous chantions la gloire des donateurs (« Vive les Bâ ! Un Bâ ne laisse jamais tomber un autre Bâ ! La solidarité des Bâ traverse le temps, les frontières et même les océans ! »).

Comme des enfants après le miracle de Noël » nous sortions faire admirer aux alentours nos nouvelles richesses.

Sûrement rien de semblable, cette fois. Un pressentiment jouait avec nous tel un moustique nocturne, il faisait mine de s'en aller pour mieux revenir nous vrombir dans la tête : ah, ah, ce cadeau-là ne ressemblera pas aux autres ! Il va changer radicalement notre existence !

Le pressentiment n'avait pas tort.

 

— Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda Balewell en montrant le cube de plastique blanc que lui tendait un homme très galonné. On aurait dit une glacière semblable à celles qui accompagnaient tous nos pique-niques au bord du fleuve.

Le galonné, sans doute pilote (et steward) leva les bras au ciel.

— Mystère. À Bamako, on m'a dit un troupeau. Un Peul devrait savoir, il paraît qu'ils sont comme ça, les troupeaux modernes. Vous signez là. Parfait. Je vous laisse l'enveloppe. J'espère que vous avez prévu l'électricité. Bonne chance.

 

Nous nous étions entassés à l'arrière pour laisser au troupeau la place d'honneur sur le siège avant droit. Nous l'avions bloqué tant bien que mal par la ceinture de sécurité. Nous ne quittions pas des yeux le précieux cube. Jamais mon si lent mari n'avait conduit si imprudemment notre vieille 504 : peut-être quarante à l'heure. Mes garçons criaient : «Accélère, Papa, il commence à fondre ! » Mais un Peul ne change pas d'allure, même dans les moments les plus graves, je peux en témoigner. Le reste de la famille Bâ nous attendait devant la maison, rongé par la curiosité : « Alors, ce cadeau ? Qu'est-ce que c'est ? Du chocolat suisse ? » « Débarrassez le réfrigérateur, vite ! » En un instant le troupeau fut installé. La porte refermée.

Je me retournai vers Balewell :

— Bon, maintenant, tu peux nous expliquer ?

— Je n'en sais pas plus que vous.

— Peut-être que si tu ouvrais l'enveloppe…

Il lut en silence, comme à son habitude. On aurait dit qu'il embrassait les mots un à un avant de les envoyer dans son cerveau. Il faut accepter ce genre de rythme alangui quand on a un Peul parmi ses proches. Mes enfants trépignaient. Enfin il releva la tête. Il s'approcha de moi et commença de murmurer à mon oreille. À la fureur des bambins.

— On nous cache tout !

— Ne nous dit jamais rien !

Balewell, d'un ton sans réplique, les rembarra :

— Il y a des choses qui ne sont pas de votre âge. Et à moi seule il expliqua :

— C'est Alassane ; cette fois, il nous envoie du sperme congelé de taureau canadien Hurricane.

 

Alassane était le frère aîné et infiniment admiré de Balewell, parti pour les États-Unis dès l'âge de vingt ans et avalé là-bas par la grosse bouche sentencieuse de la Banque mondiale. C'était lui, notre Père Noël le plus fréquent, inépuisable offreur de cadeaux, hélas toujours enrobés de très irritants et lancinants conseils : « Pourquoi ne pas agrandir vos périmètres irrigués ? Si j'étais vous, j'arrêterais immédiatement de procréer. Quand je pense que vous n'utilisez pas la richesse infinie de votre énergie solaire… » Exhortations d'autant plus insupportables qu'il n'était jamais, pas une fois, revenu au pays, même pas, honte sur lui, pour notre mariage ! Nos chers microbes tropicaux le terrorisaient trop : « Comment se portent vos maladies d'un autre âge ? Si vous voulez accroître vos recettes touristiques (en d'autres termes, si vous voulez avoir une chance de recevoir ma visite), commencez par mieux laver vos légumes et par assécher vos flaques d'eau croupie… »

Quelle torturante nostalgie peule avait pu inspirer ce haut fonctionnaire à Washington – demeure américaine, femme américaine, voiture américaine, cravate américaine –, quelle honte d'avoir abandonné l'Afrique avait pu lui dicter d'offrir un ersatz, une maquette, un futur de troupeau à son petit frère ? Rêvait-il de vaches lors de ses réunions à la Banque mondiale ? Dessinait-il des naseaux, des cornes et des pis en marge des papiers officiels, sur les rapports d'« ajustements structurels », sur les « recommandations instantes d'éradication de la corruption » ?

J'imaginais que, la nuit, à côté de sa blonde endormie, qui ne sentait plus rien du tout depuis qu'elle avait arrêté de fumeret qu'une armée de savons, de gels, de bâtonnets et autres vaporisateurs l'aidaient dans sa lutte farouche contre l'Ennemi (le peuple maudit et toujours renaissant des odeurs intimes), il récitait à voix basse des hymnes à la vache, semblables à ceux que Balewell m'avait appris :

 

Mes vaches aux fleuves se rivent.

Elles m'attachent, me détachent.

Elles m'enferment, elles m’oppressent:

Nous nous rencontrons, je les appelle !

Nul ne les apprivoise, excepté moi

Elles contournent la colline, recontournent la colline.

Elles sont soignées comme un étang rarissime.

 

— Tu me parles, grommelait l'Américaine, are you talking to me ?

— Dors,darling, everything is all right.

Est-ce qu'un homme élevé dans l'adoration des vaches peut un beau jour aimer de véritable amour une blonde inodore ? Je laisse ouverte la question, craignant que, du fait de ma couleur de peau, de cheveux et de toisons intimes, on me juge de parti pris.

 

On peut s'étonner de l'enthousiasme qui soudain saisit les Bâ. Nos vaches, fécondées par les gros canadiens, vont donner davantage : trente-cinq à quarante-cinq pour cent pour le lait, cinquante à soixante pour cent pour la viande, c'est garanti par le prospectus. Nous allons devenir riches. Le Mali va sortir une bonne fois de la famine. Nous allons avoir une Mercedes. Oh, merci, Alassane !

Une telle naïveté peut faire sourire.

Je ne cherche pas d'excuse. Je vous rappelle seulement l'époque. Chaque savant avait sa recette infaillible pour développer l'Afrique. Grâce aux piles solaires, plus besoin de hisser l'eau des puits. Grâce aux nouvelles semences, plus besoin d'eau pour le riz. Grâce aux ordinateurs distribués gratuitement dans les écoles, les Bambaras, les Peuls et les Soninkés allaient d'un coup sauter deux révolutions industrielles et rattraper mille ans de retard…

Une cave fut creusée, un congélateur acheté (crédit presque gratuit, vingt-quatre mois) en même temps qu'un générateur diesel (d'occasion) pour nous épargner l'angoisse des coupures de courant. Le sol fut cimenté, des tapis étalés, une chaise descendue, une interdiction répétée : cette pièce est à Papa. Et à lui seul, vous entendez ? La trappe fut verrouillée. L'étable était prête pour les deux années de tête-à-tête entre mon mari et son troupeau gelé.

 

Nous n'existions plus pour lui. Le troupeau nous avait volé notre mari et père. Sitôt revenu de son train,à peine bonjour, bonsoir, il disparaissait dans la cave, perdu pour nous, des heures et des heures.

— Qu'est-ce qu'il peut bien faire ? Ça va durer longtemps ? demandaient les enfants.

Ils avaient pris les taureaux canadiens en haine, une hostilité menaçante.

— Comment s'en débarrasser ?

— Et si je débranchais la prise ?

Je les calmais comme je pouvais. Leur expliquais que tout homme digne de ce nom abrite un rêve en lui, que ces rêves généralement n'apportent que désagréments à leur famille, mais que les hommes sans rêve peuvent être considérés comme déjà enterrés, et que, tout compte fait, il faut donc préférer au malheur immense d'un papa mort les petits désagréments causés par un papa rêveur mais vivant.

— Tu as beau dire, Maman, les rêves sont méchants.

— Quand je serai grande, j'interdirai les rêves.

— L'avantage du rêve de votre papa, mes chéris, c'est qu'il est là, tout près, sous nos pieds.

— Ça c'est vrai. Il y a sûrement des rêves qui entraînent les papas très loin.

— On pourrait avoir un papa explorateur…

— Mécanicien de plate-forme pétrolière…

— Musicien à New York !

— Vive le rêve de notre papa tout près !

— À propos, c'est quoi, son rêve ?

— Tu pourrais nous l'expliquer ?

Je n'en savais guère plus qu'eux.

C'est ainsi que les Bâ devinrent espions.

 

À peine la tête de Balewell avait-elle disparu sous la trappe que la famille s'allongeait, tout entière, les huit enfants et moi, leur mère, neuf oreilles collées au sol.

Bien sûr dix fois nous fûmes surpris, par le facteur, par une voisine.

— Qu'est-ce que vous faites là ? Vous êtes malades ? J'appelle le médecin ! Je ne vous savais pas si religieux. Mais de quelle religion, à propos ? L'heure de la prière est passée.

J'avais ma réponse.

— La famille Bâ fait la sieste.

— À midi ?

Heureusement que la période était calme, politiquement pariant. En d'autres temps, nous aurions été dénoncés, arrêtés, torturés pour hérésie, mauvais exemple, pratiques contre nature. La ville se contenta de rumeurs : les Bâ sont bizarres, peut-être atteints par la maladie du sommeil, une forme très atténuée… On s'écarta légèrement de nous, à tout hasard, par crainte de la contagion…

Inutile de vous dire que, lors de ces séances allongées, nul ne songeait à dormir. Personne n'avait autant mobilisé son attention, même les plus bambins, sérieux comme des médecins avant de délivrer leur diagnostic.

— Alors, les enfants, ma vieille oreille est moins bonne que les vôtres, que dit votre père ?

— Il remercie le troupeau d'avoir fait le voyage.

— Il leur raconte qu'ensemble ils vont sauver l'Afrique.

— Il leur demande s'il y a des pasteurs nomades chez eux, au Canada.

— Merci, mes enfants, mais que lui répond le troupeau ?

À chaque ethnie ses capacités. Seuls les Peuls savent comprendre la voix des bêtes, les Peuls 100%. Ils n'étaient peuls qu'à moitié, mes enfants, puisque je suis soninkée. Ils ne ménageaient pas leurs efforts. Je les voyais tendre l'oreille, l'écraser à se blesser contre la terre battue. J'en aurais pleuré de fierté mais aussi de tristesse en constatant la leur.

— Maman, on n'y arrive pas.

— C’est ta faute, aussi ! Pourquoi on n'est pas des vrais Peuls ?

Pour les consoler, j'inventais n'importe quoi : peut-être que les taureaux prononcent mal, c'est normal, ils ont les lèvres gelées. Ils me regardaient accablés.

— Maman, tu n'es pas drôle.

 

Contrairement à ce qu'on aurait pu attendre d'une conversation entre un Peul taciturne et un troupeau gelé, le ton s'envenimait souvent, des disputes naissaient qui pouvaient tourner à l'aigre. À l'évidence, les animaux nord-américains avaient des exigences qui exaspéraient mon mari. Soudain une voix inconnue surgissait du sous-sol, aiguë, tendue, vibrant de colère.

— Quelqu'un veut faire du mal à Papa, chuchotaient mes enfants.

Tant bien que mal, je les empêchais de soulever la trappe et de dégringoler à son secours.

« Jamais content ! hurlait la voix. C'est ma dernière proposition, pour qui vous prenez-vous ? »

Selon toute vraisemblance, Balewell devait leur proposer le mariage avec des vaches de chez nous et les embryons refusaient. Cette voix inconnue ne se contentait pas de me vriller les tympans, elle me torturait l'âme. Jamais, avec moi ou à cause de moi, mon mari n'avait ainsi perdu son contrôle. Je comprenais soudain que sa douceur perpétuelle, cette qualité rare que m'enviaient toutes mes amies, n'était pas un cadeau de Dieu, mais, bien au contraire, un exemple de Sa cruauté, la marque d'une indifférence, la preuve que mon mari ne m'aimait pas assez pour s'émouvoir vraiment, voire qu'il ne m'aimait pas du tout. Mes enfants ne voyaient pas mes larmes, trop occupés qu'ils étaient à injurier les taureaux Hurricane, à les traiter de racistes, d'enfants gâtés, à les menacer des pires représailles s'ils continuaient à mépriser ainsi l'Afrique.

Heureusement, mon petit peuple se lassa vite de ces longues séances d'indiscrétion. L'un après l'autre, ils me quittèrent – pardon Maman, tu ne m'en veux pas ? – pour aller jouer ailleurs. Je me retrouvai seule.

— Encore, Maman? grondait ma fille Awa quand elle me découvrait allongée, l'oreille plaquée contre le sol. À quoi ça te sert ?

— Je voudrais comprendre.

— Tu crois qu'on peut entrer dans les rêves des autres ?

— Il y a forcément une porte.

— Cherche bien.

Elle m'embrassait, elle m'apportait du thé, comme si j'étais le soldat d'une guerre dont elle ne savait rien pour l'heure, sauf qu'elle serait aussi la sienne.

Une fois, je l'ai entendue. Une de ses petites amies se moquait :

— Elle se réveille de temps en temps, ta mère ?

— Ma mère est la plus grande guetteuse du monde.

— Et qu'est-ce qu'elle guette, comme animal ?

— Son amour.

 

N'allez pas croire que je fainéantais. Ces séances d'écoute allongée étaient mes seules vacances. Le reste, tout le reste de mon temps était dévoré par les sauterelles habituelles, ces milliers de tâches qui, d'avant l'aube à minuit, s'acharnent à ronger jusqu'à l'os la moindre seconde d'une vie de mère africaine : allaiter, piler, marcher, porter, laver, sécher, allaiter, humer, soupirer, marchander, allumer, découper, râper, épépiner, bouillir, mijoter, moucher, torcher, soigner, consoler, allaiter, raconter, bercer, endormir, etc.

 

Comment une femme aimante doit-elle s'y prendre avec le rêve imbécile d'un homme ? Je tournais et retournais cette grave question dans ma tête. Une question sans réponse qui me semblait résumer la douleur d'être mariée.

Première solution : je plonge corps et âme dans le rêve de Balewell. Je frappe respectueusement à la trappe, toc, toc, toc, tu m'acceptes ? Je ne te dérangerai pas. Je voudrais juste t'apporter mon aide. Je serai ta complice, ton alliée irremplaçable. J'irai jusqu'à devenir la servante aveugle de ton rêve s'il est trop compliqué pour que je le comprenne…

Impossible.

Peut-être que je n'aime pas assez mon mari ? Peut-être que je le respecte trop ? Peut-être que ce respect est un manque d'amour? Peut-être qu'il s'agit d'orgueil, ennemi premier de l'amour ? L'orgueil ridicule d'une ex-étudiante en droit (Capacité avec mention). Peut-être que ces débuts d'études m'ont desséchée, ont arraché de moi la plus petite racine de poésie ? Quoi qu'il en soit – et tous ces « peut-être » soigneusement recueillis pour les examiner plus tard, lorsque le temps le permettra –, impossible ! Je ne serai pas, jamais, de celles qui bêtifient, qui sacrifient leur intelligence à la « santé de leur couple ». Jamais je ne ferai croire à mon mari que je partage son enthousiasme idiot. Jamais je n'irai crier sur les toits que le taureau canadien congelé est l'avenir de l'Afrique.

Deuxième solution : je me relève, décolle à jamais mon oreille du tapis et reprends une vie normale.

Impossible également. Mon mari s'éloignera seul dans son rêve. Qui peut dire quand je le retrouverai ?

 

Maman, pourquoi les taureaux d'Amérique, même glacés, sont meilleurs que les nôtres, tout chauds sous le soleil ? Maman, cette chose-là, je n'ose pas te la dire… Dis-la quand même, mon garçon, la lampe est éteinte, tout le monde dort, personne n'en saura rien. C'est vrai que les Américains ont un sexe qui fabrique des enfants plus intelligents ? Maman, pourquoil'Amérique est toujours meilleure que nous, même pour les animaux? Maman, quand je serai grand (quand je serai grande), j'irai vivre là-bas où tout est meilleur. Pourquoi pleures-tu, Maman ? Tu devrais être heureuse. Et, bien sûr, je te ferai venir. Maman, à quel âge peut-on commencer à partir? Maman, qu'est-ce que tu me conseilles, la France ou l'Amérique ? Est-ce que la France est aussi américaine que l'Amérique? Maman, à quoi sert l'Afrique ? Ce genre de conversations se multipliait, la nuit venue, à l'heure du dernier baiser. Signe que ni le ciment recouvert de tapis, ni la trappe pourtant bien fermée n'avaient empêché le virus de s'échapper de la cave pour envahir la maison entière.

Qu'un mari soit gravement atteint par la maladie du rêve, rien de plus normal. Qu'il vous aime moins que sa mère, son football, son travail, sa voiture, sa secrétaire, ses amis, son enfance, rien de plus douloureux, mais rien de plus habituel chez un mari. La bonne épouse avale en souriant toutes ces couleuvres plantées d'épines, et se tait. Mais quand cette maladie du rêve contamine les enfants, lorsqu'elle détruit en eux la fierté et la confiance, cette épouse infiniment tolérante doit se changer en soldat. Et se battre.

Madame Bâ
titlepage.xhtml
Madame Ba vu PA_split_000.htm
Madame Ba vu PA_split_001.htm
Madame Ba vu PA_split_002.htm
Madame Ba vu PA_split_003.htm
Madame Ba vu PA_split_004.htm
Madame Ba vu PA_split_005.htm
Madame Ba vu PA_split_006.htm
Madame Ba vu PA_split_007.htm
Madame Ba vu PA_split_008.htm
Madame Ba vu PA_split_009.htm
Madame Ba vu PA_split_010.htm
Madame Ba vu PA_split_011.htm
Madame Ba vu PA_split_012.htm
Madame Ba vu PA_split_013.htm
Madame Ba vu PA_split_014.htm
Madame Ba vu PA_split_015.htm
Madame Ba vu PA_split_016.htm
Madame Ba vu PA_split_017.htm
Madame Ba vu PA_split_018.htm
Madame Ba vu PA_split_019.htm
Madame Ba vu PA_split_020.htm
Madame Ba vu PA_split_021.htm
Madame Ba vu PA_split_022.htm
Madame Ba vu PA_split_023.htm
Madame Ba vu PA_split_024.htm
Madame Ba vu PA_split_025.htm
Madame Ba vu PA_split_026.htm
Madame Ba vu PA_split_027.htm
Madame Ba vu PA_split_028.htm
Madame Ba vu PA_split_029.htm
Madame Ba vu PA_split_030.htm
Madame Ba vu PA_split_031.htm
Madame Ba vu PA_split_032.htm
Madame Ba vu PA_split_033.htm
Madame Ba vu PA_split_034.htm
Madame Ba vu PA_split_035.htm
Madame Ba vu PA_split_036.htm
Madame Ba vu PA_split_037.htm
Madame Ba vu PA_split_038.htm
Madame Ba vu PA_split_039.htm
Madame Ba vu PA_split_040.htm
Madame Ba vu PA_split_041.htm
Madame Ba vu PA_split_042.htm
Madame Ba vu PA_split_043.htm
Madame Ba vu PA_split_044.htm
Madame Ba vu PA_split_045.htm
Madame Ba vu PA_split_046.htm
Madame Ba vu PA_split_047.htm
Madame Ba vu PA_split_048.htm
Madame Ba vu PA_split_049.htm
Madame Ba vu PA_split_050.htm
Madame Ba vu PA_split_051.htm
Madame Ba vu PA_split_052.htm
Madame Ba vu PA_split_053.htm
Madame Ba vu PA_split_054.htm
Madame Ba vu PA_split_055.htm
Madame Ba vu PA_split_056.htm
Madame Ba vu PA_split_057.htm
Madame Ba vu PA_split_058.htm
Madame Ba vu PA_split_059.htm
Madame Ba vu PA_split_060.htm
Madame Ba vu PA_split_061.htm
Madame Ba vu PA_split_062.htm
Madame Ba vu PA_split_063.htm
Madame Ba vu PA_split_064.htm
Madame Ba vu PA_split_065.htm
Madame Ba vu PA_split_066.htm
Madame Ba vu PA_split_067.htm
Madame Ba vu PA_split_068.htm