12

 

Donc, Morelli ne m’avait pas mise au courant pour Andy Roche. Et alors ? Quoi de neuf sous le soleil ? Morelli cachait toujours son jeu. C’était son style. Il ne montrait jamais toutes ses cartes. À personne. Ni à son chef, ni à ses coéquipiers, encore moins à moi. Alors, pas de quoi prendre la mouche. Après tout, le but était d’arrêter Kenny. Les moyens d’y parvenir n’avaient pas beaucoup d’importance.

Je n’insistai pas auprès de Roche et allai échanger quelques mots avec Spiro. Oui, Spiro voulait toujours que j’aille le border. Non, Kenny ne s’était pas remanifesté.

J’allai aux toilettes puis regagnai la Buick. À cinq heures, je pliai bagage, incapable de chasser des visions de mamie Mazur se faisant poignarder au pic à glace. Je passai chez moi, jetai des vêtements dans une corbeille à linge, y ajoutai du maquillage, du gel coiffant et mon sèche-cheveux, et portai le tout à ma voiture. Je remontai chercher Rex, branchai mon répondeur, laissai la lumière de la cuisine allumée et sortis en verrouillant la porte. Le seul moyen que j’avais de protéger ma grand-mère était encore de retourner chez mes parents.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? fit ma mère quand elle vit la cage de Rex.

— Je viens passer quelques jours ici.

— Tu as enfin laissé tomber ce travail ! Ce n’est pas trop tôt ! J’ai toujours pensé que tu méritais mieux.

— Ce n’est pas ça. J’ai besoin de me changer les idées.

— J’ai installé la machine à coudre et la planche à repasser dans ta chambre. Comme tu disais que tu ne reviendrais jamais vivre à la maison…

Je tenais la cage de Rex à pleins bras.

— J’avais tort. Me revoilà. Je m’arrangerai, ne t’en fais pas.

— Frank ! cria ma mère. Viens aider ta fille, elle revient habiter chez nous !

Je la poussai du coude pour passer et m’engageai dans l’escalier.

— Pour quelques jours seulement. C’est provisoire.

— La fille de Stella Lombardi disait la même chose et ça fait trois ans qu’elle est chez ses parents.

Je sentis un cri se former au tréfonds de moi.

— Si tu m’avais prévenue, poursuivit ma mère, j’aurais fait un peu de ménage. J’aurais changé le dessus-de-lit.

D’un coup de genou, j’ouvris la porte de ma chambre.

— Pas la peine de changer le dessus-de-lit, dis-je. Celui-là est très bien.

Je zigzaguai dans le fouillis ambiant et posai Rex sur le lit, le temps de dépoussiérer le plateau de la coiffeuse.

— Comment va mamie ? demandai-je.

— Elle fait la sieste.

— Je faisais la sieste, cria mamie Mazur de sa chambre. Vous faites un boucan à réveiller les morts. Qu’est-ce qui se passe ?

— Stéphanie revient habiter avec nous.

— Qu’est-ce qui lui prend ? On s’ennuie à cent sous de l’heure ici.

Ma grand-mère passa la tête par l’entrebâillement de ma porte.

— Tu n’es pas enceinte au moins ?

Mamie Mazur se faisait faire une indéfrisable une fois par semaine. Entre deux séances chez le coiffeur, elle devait dormir la tête dans le vide sur le côté du lit car si les bouclettes perdaient de leur fermeté au fil de la semaine, elles n’étaient jamais tout à fait aplaties. Aujourd’hui, on avait l’impression qu’on lui avait laqué ses cheveux à l’amidon avant de la faire passer dans une tornade. Sa robe était froissée suite à sa sieste, elle portait des chaussons en velours rose et sa main gauche était recouverte d’un bandage.

— Comment va ta main ? lui demandai-je.

— Elle recommence à trembler. Il faut que je reprenne de leurs pilules.

En dépit de la planche à repasser et de la machine à coudre qui occupaient une grande partie de l’espace, ma chambre n’avait pas beaucoup changé au cours de ces dix dernières années. Elle était petite et n’avait qu’une seule fenêtre. Les rideaux blancs étaient doublés d’un tissu plastifié. La première semaine de mai, on les remplaçait par des voilages. Les murs étaient peints en vieux rose ; les plinthes et les moulures en blanc. Le lit à deux places était recouvert d’un dessus-de-lit à fleurs roses dont la texture et les couleurs avaient été fanées par le temps et les essorages en machine. J’avais une petite penderie pleine de vêtements pour les quatre saisons, une coiffeuse et une table de chevet en érable sur laquelle était posée une lampe en pâte de verre d’un blanc laiteux. La photo de la remise de mon diplôme au lycée était toujours accrochée au mur. Ainsi qu’une autre de moi en majorette. Je n’avais jamais complètement réussi à maîtriser l’art de lancer le bâton, mais j’étais parfaite quand je me pavanais en bottes le long d’un terrain de football. Un jour, pendant le défilé entre les deux mi-temps, j’avais perdu le contrôle de mon bâton qui était allé valdinguer parmi les joueurs de trombone. J’en frémissais encore.

Je montai ma corbeille de linge dans ma chambre et la fourrai dans un coin, vêtements et le reste. La maison était pleine d’odeurs de cuisine et de bruits de couverts qu’on dressait. Au salon, mon père zappait d’une chaîne sur l’autre, augmentant le volume pour dominer le brouhaha venant de la cuisine.

— Baisse ! lui cria ma mère. Tu vas tous nous rendre sourds !

Mon père se concentra sur l’écran, faisant celui qui n’entendait pas.

Au moment où je prenais place à table pour dîner, mes plombages vibraient et ma paupière gauche tressautait spasmodiquement.

— Comme ça fait plaisir d’être tous à nouveau réunis, dit ma mère. Quel dommage que Valérie ne soit pas là.

Valérie, ma sœur, mariée au même homme depuis un siècle avait deux enfants. Valérie était la fille normale de la famille.

Mamie Mazur, assise en face de moi, faisait vraiment peur à voir, les cheveux toujours décoiffés et le regard dans le vide. Comme dirait mon père, encore une qui s’était levée en oubliant d’allumer la lumière.

— Combien de comprimés de codéine a-t-elle pris ? demandai-je à ma mère.

— Un seul, à ce que je sache.

Je sentis ma paupière tressaillir et posai un doigt dessus.

— Elle a l’air… ailleurs.

Mon père cessa de beurrer une tranche de pain et leva les yeux. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, puis se ravisa et reprit son activité.

— Maman, cria ma mère, tu as pris combien de comprimés ?

La tête de ma grand-mère pivota en direction de ma mère.

— Quels comprimés ?

— C’est terrible qu’une vieille dame ne puisse plus être en sécurité dans la rue, dit ma mère. On se croirait à Washington ! Bientôt, on va nous tirer dessus depuis des voitures. Le Bourg n’était pas comme ça dans ma jeunesse.

Je ne voulais pas lui détruire ses illusions, mais dans sa jeunesse, au Bourg, il y avait une voiture de mafiosi garée toutes les trois rues. Les hommes étaient sortis de chez eux manu militari, encore en pyjama, et emmenés sous la menace d’un revolver jusqu’à Mea-dowlands ou à la décharge de Camden pour un sacrifice rituel. Normalement, les voisins ne couraient aucun danger mais il y avait toujours le risque de se prendre une balle perdue.

Le Bourg était ni plus ni moins qu’avant à la merci des Mancuso et des Morelli. Kenny était plus fou et plus tête brûlée que les autres, mais je soupçonnais qu’il n’était pas le premier Mancuso à laisser une cicatrice sur le corps d’une femme. À ma connaissance, aucun autre homme de sa famille n’avait jamais lardé une vieille dame de coups de pic à glace, mais les Mancuso et les Morelli étaient réputés pour leur tempérament violent, alcoolique, et pour leur bagou pour attirer une femme dans une relation masochiste.

Je le savais d’expérience. Lorsque Morelli avait passé à l’abordage de mon Petit Bateau quatorze ans plus tôt, il n’avait pas été violent, certes, mais il n’avait pas été d’une extrême douceur non plus.

À sept heures, ma grand-mère dormait comme une souche, ronflant comme un sapeur ivre mort.

Je mis ma veste et pris mon sac.

— Où vas-tu ? me demanda ma mère.

— Chez Stiva. Il m’a embauchée pour l’aider.

— Ah, ben voilà un travail, fit ma mère. Il pourrait y avoir pire que travailler pour Stiva.

Je sortis, fermai la porte derrière moi et pris une profonde inspiration histoire de changer d’air. Il faisait frais. Mon tic oculaire s’apaisa sous le ciel noir de la nuit. Poochie était assis dans la véranda de la maison d’en face, à mener sa vie de chien, attendant d’entendre l’appel de la nature.

Je roulai jusque chez Stiva et me garai au parking. À l’intérieur, Andy Roche avait repris sa place à la table à thé.

— Comment ça va ? lui demandai-je.

— Une vieille dame vient de me dire que je ressemblais à Harrison Ford.

Je choisis un biscuit dans l’assiette posée derrière lui.

— Vous ne devriez pas être auprès de feu votre frère ?

— On n’était pas tellement proches.

— Où est Morelli ?

Roche parcourut la pièce d’un regard nonchalant.

— Une question à laquelle personne ne peut jamais répondre.

Je retournai à ma voiture. À peine m’étais-je installée que le téléphone sonnait.

— Comment va ta grand-mère ? me demanda Morelli.

— Elle dort.

— Ton retour chez papa-maman est temporaire, j’espère. J’avais des projets pour toi en chaussures violettes.

Je restai sans voix. J’étais persuadée que Morelli avait surveillé Spiro alors qu’en fait il m’avait suivie. Je fis la moue. J’étais nulle comme chasseuse de primes.

— Je ne voyais pas d’autre solution, lui dis-je. Je me fais du souci pour ma grand-mère.

— Tu as une famille formidable, mais je ne te donne pas deux jours avant d’être sous Valium.

— On ne marche pas au Valium chez nous ; on se shoote au flan au fromage blanc.

— À chacun son trip, fit Morelli.

Et il raccrocha.

À dix heures moins dix, je m’engageai dans l’allée de chez Stiva et me garai sur le côté, laissant juste assez de place pour que la voiture de Spiro puisse passer. Je verrouillai les portières de la Buick et entrai dans le salon funéraire par la porte latérale.

Spiro, l’air nerveux, disait des au revoir. Louie Moon n’était pas en vue. Andy non plus. Je me glissai dans la cuisine et fixai mon étui à revolver à ma ceinture. Après avoir mis une cinquième balle dans le barillet de mon .38, je l’enfonçai dans l’étui. Je fixai un deuxième étui pour ma bombe lacrymogène et un troisième pour ma torche électrique. Je me disais que pour cent dollars la prestation, Spiro méritait bien la totale. J’aurais une crise de tachycardie si jamais je devais me servir de mon arme, mais ça, c’était mon petit secret.

Je portais une veste longue qui masquait mon attirail. Juridiquement, cela signifiait que je pouvais être inculpée pour dissimulation d’armes. Malheureusement, l’autre solution ferait sauter le standard du téléphone arabe du Bourg pour dire que je braquais Stiva à main armée. La menace d’une arrestation n’était rien en comparaison.

Lorsque le dernier des endeuillés fut parti, je fis monter Spiro dans les pièces ouvertes au public situées dans les deux derniers étages du bâtiment, en fermant portes et fenêtres à clef. Seules deux pièces étaient occupées. Dont l’une par le faux frère.

Le silence qui régnait était stressant et la présence de Spiro ne faisait que renforcer le malaise que j’éprouvais face à la mort. Spiro Stiva, le Croque-Mort Démoniaque. Je gardais la main posée sur la crosse de mon petit Smith & Wesson en me disant que j’aurais peut-être mieux fait de le charger avec des balles d’argent.

On traversa la cuisine jusque dans le couloir du fond. Spiro ouvrit la porte menant à la cave.

— Minute ! lui dis-je. Où allez-vous ?

— Nous devons aller vérifier la porte de la cave.

— « Nous ? »

— Oui, nous. Comme dans moi et mon putain de garde du corps.

— Je ne crois pas.

— Vous voulez être payée ou pas ?

Bon argument.

— Il y a des cadavres là en bas ?

— Navré, on est en rupture de stock.

— Alors qu’est-ce qu’il y a en bas ?

— La chaudière, bordel !

Je dégainai mon arme.

— Je vous suis, dis-je à Spiro.

Spiro lorgna mon petit cinq coups.

— Nom d’un chien, voilà bien une arme de gonzesse !

— Je parie que vous ne diriez pas ça si je vous tirais une balle dans le pied.

Ses yeux d’obsidienne se fixèrent sur les miens.

— Bon, on descend ou quoi ? dit-il.

La cave consistait en une vaste pièce et ressemblait, en gros, à n’importe quelle cave. À part qu’il y avait des cercueils empilés dans un coin.

La porte qui donnait sur l’extérieur se trouvait à droite au pied de l’escalier. Je m’assurai que le verrou était bien tiré.

— Il n’y a personne, dis-je à Spiro, rengainant mon arme.

Je n’étais pas trop sûre de savoir sur qui j’avais envie de tirer. Sur Kenny, sans doute. Sur Spiro, peut-être. Sur des fantômes, qui sait ?

On remonta au rez-de-chaussée et j’attendis dans le couloir pendant que Spiro farfouillait dans son bureau. Il en ressortit vêtu d’un pardessus et portant un sac de sport.

Je le suivis jusqu’à la porte de derrière que je maintins ouverte pendant qu’il branchait l’alarme et coupait l’interrupteur. L’éclairage intérieur baissa au minimum ; l’éclairage extérieur subsista.

Spiro ferma la porte et sortit ses clefs de voiture de la poche de son pardessus.

— On va prendre la mienne, dit-il. Vous montez avec moi.

— Et si vous preniez la vôtre et moi la mienne ?

— Pas question. Pour les cent dollars que je vous paie, je veux avoir Calamity Jane à côté de moi. Vous pourrez rentrer chez vous avec ma voiture et repasser me chercher demain matin.

— Ce n’est pas ce dont nous étions convenus.

— Vous étiez bien dans mon parking ce matin. Je vous ai vue en train d’attendre que Kenny se montre pour le ramener en prison à coups de pied au cul. Alors pourquoi faire tout un plat à l’idée de devoir m’accompagner au travail !

La Lincoln de Spiro était garée tout près de la porte. Il la visa avec sa télécommande et les portières se déverrouillèrent. Il se détendit une fois qu’on fut installés à l’intérieur sans problème.

Nous étions au beau milieu d’une flaque de lumière dans l’allée déserte. Pas un bon endroit où s’attarder. Surtout si Morelli, d’où il était, ne pouvait voir cette partie du bâtiment.

— Démarrez, dis-je à Spiro. On est une cible facile pour Kenny ici.

Il mit le moteur en route mais n’avança pas d’un pouce.

— Que feriez-vous si Kenny bondissait tout à coup à côté de la voiture et pointait un revolver sur vous ? me demanda-t-il.

— Je n’en sais rien. On ne peut jamais prévoir ce qu’on ferait en pareille situation… jusqu’à ce qu’elle se présente.

Spiro réfléchit un petit moment, tira une bouffée de sa cigarette et débraya.

On s’arrêta à un feu à l’angle de Hamilton Avenue et de Gross Street. Spiro ne tourna pas la tête, mais je vis son regard obliquer en direction de la station-service de Delio. Les pompes à essence et le bureau étaient éclairés ; les ateliers de réparation fermés. Plusieurs voitures et une camionnette étaient garées devant le dernier, en attente d’être réparées le lendemain.

Spiro garda le silence. Son visage ne trahissait aucune émotion. Je ne pus m’empêcher de me demander ce qu’il ressentait.

Le feu passa au vert et l’on franchit le carrefour. Nous avions parcouru la moitié de la rue quand soudain je fis le rapprochement.

— Oh, mon Dieu ! m’écriai-je. Faites demi-tour ! Retournez à la station-service !

Spiro pila et s’arrêta sur le côté.

— Que se passe-t-il ? Vous avez vu Kenny ?

— Non, pas Kenny, une camionnette. Grosse, blanche, avec une raison sociale en lettres noires !

— Vous n’avez pas mieux à me proposer ?

— Quand j’ai interrogé la femme qui dirige l’entrepôt, elle m’a dit qu’elle avait vu une camionnette comme celle-là faire plusieurs allers-retours dans le coin de votre hangar. C’était trop vague pour être significatif sur le moment.

Dès que la circulation lui en donna l’occasion, Spiro exécuta un demi-tour en règle et alla se garer à l’entrée de la voie d’accès à la station-service, derrière les voitures laissées en dépôt. Il y avait peu de chances que Sandeman soit toujours là, mais je tendis le cou pour voir dans le bureau au cas où. Je ne tenais pas à avoir une altercation avec lui.

On descendit de voiture et on s’approcha de la camionnette. Elle était aux Meubles Macko. Je connaissais le magasin. C’était une petite entreprise familiale qui était résolument restée dans le centre-ville quand ses concurrents partaient s’installer dans des galeries marchandes en bord de nationales.

— Ça vous dit quelque chose ? demandai-je à Spiro.

— Non. Je ne connais personne aux Meubles Macko.

— Elle pourrait contenir des cercueils.

— On peut en dire autant d’une cinquantaine de camionnettes à Trenton.

— Oui, seulement celle-ci se trouve au garage où travaillait Moogey. Et Moogey était au courant pour les cercueils. C’est lui qui vous les avait ramenés de Fort Braddock.

Ravissante idiote refile infos à lèche-bottes, songeai-je. Allez, lèche-bottes, laisse-toi aller, et refile-moi infos à ton tour.

— Donc, vous pensez que Moogey était de mèche avec quelqu’un des Meubles Macko et qu’ils ont décidé de voler mes cercueils, dit-il.

— C’est possible. Ou peut-être que Moogey a emprunté la camionnette pendant qu’elle était en révision.

— Qu’aurait bien pu vouloir faire Moogey de vingt-quatre cercueils ?

— À vous de me le dire.

— Même avec le vérin hydraulique, il faudrait être au moins deux pour soulever les cercueils.

— Ça ne me paraît pas être un problème insurmontable. Vous trouvez un gros lard, vous lui donnez la pièce et il vous aide à transbahuter les cercueils.

— Je ne sais pas, fit Spiro, les mains enfoncées dans ses poches. J’ai quand même du mal à croire que Moogey ait pu faire ça. Il y avait deux choses dont on pouvait être sûr avec lui : il était dévoué et con. Moogey était un gros trouduc bouché. Kenny et moi, on le laissait sortir avec nous parce qu’il nous faisait marrer. Il nous obéissait au doigt et à l’œil. On lui disait, hé Moogey, et si on faisait passer une tondeuse à gazon sur les poils de ta queue ? Et il nous répondait, ouais, d’accord, faut que je bande d’abord ?

— Il était peut-être moins bête que vous ne croyiez.

Spiro resta silencieux pendant quelques secondes, puis il tourna les talons et repartit en direction de la Lincoln. On ne dit mot pendant tout le restant du trajet. En arrivant au parking de chez Spiro, je ne pus résister à la tentation de revenir sur la question.

— C’est quand même drôle votre trio, dis-je. Kenny est persuadé que vous avez quelque chose à lui. Et maintenant nous pensons que Moogey avait peut-être quelque chose à vous.

Spiro se glissa dans une place, coupa le contact et se tourna vers moi. Il passa son bras gauche par-dessus le volant, les pans de son pardessus s’écartèrent et j’aperçus la crosse d’un revolver et un holster.

— Où voulez-vous en venir ? me demanda Spiro.

— Nulle part. Je pensais à voix haute. Je me disais que Kenny et vous aviez beaucoup de points communs.

Nos regards se croisèrent, et un frisson de peur glacée parcourut ma colonne vertébrale et alla mourir dans mon ventre. Morelli avait raison au sujet de Spiro. Il vendrait père et mère, et n’hésiterait pas à brûler ma cervelle d’oiseau. J’espérais de toutes mes forces que je n’étais pas allée trop loin.

— Vous feriez peut-être mieux d’arrêter de penser à haute voix, dit-il. Voire de penser tout court.

— Je vais augmenter mes tarifs si vous le prenez comme ça…

— Bordel, fit Spiro, vous êtes déjà surpayée. Pour cent dollars la nuit, je pensais que c’était pipe comprise.

Ce seraient de longues années derrière les barreaux qui allaient être comprises, et ce fut cette idée réconfortante qui me permit de faire mon numéro de garde de corps, allumant les lumières de chez lui à coups secs, passant ses placards au peigne fin, comptant les moutons sous son lit, et ayant un haut-le-cœur devant les traces de mousse de savon sur son rideau de douche.

Après lui avoir assuré que la voie était libre, je repris la Lincoln et retournai au salon funéraire pour récupérer ma voiture.

À quelques rues de chez mes parents, j’aperçus Morelli dans mon rétro. Il s’arrêta, laissa tourner le moteur pendant que je faisais mon créneau, et ne vint se garer derrière moi qu’une fois que je fus descendue de la Buick. Je me dis que je ne pouvais lui en vouloir d’être prudent.

— Qu’est-ce que t’es allée faire à la station-service ? me demanda-t-il. Tu voulais voir la réaction de Spiro devant la camionnette ?

— On ne peut rien te cacher.

— Et alors ?

— Il dit qu’il ne connaît personne aux Meubles Macko. Et il ne croit pas en la possibilité que Moogey ait pu voler les cercueils. Apparemment, Moogey était le souffre-douleur du trio. Je ne suis même pas certaine qu’il soit impliqué dans cette affaire.

— C’est quand même lui qui a amené les cercueils dans le New Jersey.

Je m’adossai à la Buick.

— Peut-être que Kenny et Spiro n’avaient pas mis Moogey dans le coup mais qu’à un moment il a découvert ce qui se tramait et il a voulu en tirer parti.

— Et tu penses qu’il a « emprunté » la camionnette pour transporter les cercueils ?

— C’est une version possible, dis-je, me détachant de la Buick et remontant mon sac sur mon épaule. Je passe chercher Spiro chez lui à huit heures demain matin pour l’accompagner à son travail.

— Je t’attendrai dans son parking.

J’entrai dans la maison plongée dans l’obscurité et m’immobilisai un moment dans le hall d’entrée. C’est toujours endormie qu’elle était la plus belle, dégageant un air de contentement. Même si la journée ne s’était pas très bien passée, elle l’avait menée à bien et avait tenu bon pour sa famille.

Je suspendis ma veste dans le placard de l’entrée et gagnai la cuisine sur la pointe des pieds. Trouver de quoi manger dans ma cuisine était toujours un quitte ou double. Chez ma mère, c’était un « à tous les coups l’on gagne ». J’entendis un grincement venant de l’escalier et reconnus le pas de ma mère.

— Comment ça s’est passé chez Stiva ? me demanda-t-elle.

— Bien. Je l’ai aidé à fermer et je l’ai accompagné chez lui.

— Je suppose qu’il ne peut pas conduire avec sa blessure. Il paraît qu’on lui a mis vingt-trois agrafes.

Je sortis du jambon et du provolone du frigo.

— Attends, je te les fais, dit ma mère, prenant le pain de seigle sur le comptoir.

— Je peux me débrouiller, protestai-je.

— Tu ne coupes pas le jambon assez fin.

Elle fit un sandwich pour chacune, servit deux verres de lait et posa le tout sur la table.

— Tu aurais pu l’inviter à manger un sandwich, dit-elle.

— Qui ? Spiro ?

— Non. Joe Morelli.

Ma mère ne cessait de m’étonner.

— À une époque, tu l’aurais fichu dehors de chez nous à coups de balai.

— Il a changé.

Je mordis dans mon sandwich à belles dents.

— C’est ce qu’il me dit.

— Il paraît que c’est un flic bien.

— Ne pas confondre flic bien et mec bien.

Je m’éveillai, ne sachant plus où j’étais, les yeux fixés sur un plafond d’une vie antérieure. La voix de mamie Mazur me ramena à la réalité.

— Si je ne rentre pas dans la salle de bains tout de suite, il va y avoir des cochonneries dans le couloir, criait-elle. Le dîner d’hier dégouline en moi comme de la graisse d’oie.

J’entendis la porte s’ouvrir, puis mon père marmonner quelque chose d’incompréhensible. Ma paupière se mit à tressauter. J’y plaquai une main et braquai mon autre œil sur mon réveil sur la table de nuit. Sept heures et demie. Merde ! Moi qui voulais arriver tôt chez Spiro. Je sautai du lit et fouillai dans ma corbeille à linge en quête d’un jean et d’une chemise propres. Je me donnai un coup de brosse et fonçai dans le couloir non sans avoir pris mon sac au passage.

— Mamie ! braillai-je à travers la porte. Tu en as pour longtemps ?

— Est-ce qu’on demande au pape s’il est catholique ? me cria-t-elle.

Bon, je pouvais repousser la salle de bains d’une demi-heure. Après tout, si je m’étais levée à neuf heures, je ne l’aurais utilisée que dans une heure et demie.

— Où vas-tu ? me demanda ma mère qui me surprit, veste en main. Tu n’as pas pris ton petit déjeuner.

— J’ai dit à Spiro que je passais le chercher.

— Il peut attendre. Les morts ne lui en voudront pas s’il arrive avec un quart d’heure de retard. Viens manger !

— Je n’ai pas le temps.

— J’ai fait une bonne bouillie d’avoine. C’est déjà sur la table. Je t’ai servi ton jus d’orange.

Elle avisa mes chaussures.

— Mais qu’est-ce que tu as aux pieds ?

— Des Doc Martens.

— Ton père portait des chaussures comme ça quand il était à l’armée.

— Ce sont des super chaussures, dis-je. Je les adore. Tout le monde en porte.

— Les femmes qui aiment les autres femmes en portent, oui. Pas celles qui veulent se trouver un bon mari. Tu n’es pas lesbienne, au moins ?

Je m’appliquai une main sur l’œil.

— Qu’est-ce qui ne va pas, tu as un problème aux yeux ?

— J’ai la paupière qui tressaute.

— Mais tu es trop nerveuse aussi ! C’est à cause de ton travail. Regarde comme tu pars dans la précipitation dès le matin. Et qu’est-ce que tu portes à ta ceinture ?

— Une bombe lacrymogène.

— Quoi ? Ta sœur ne sort pas avec ce genre d’accessoires.

Je consultai ma montre. En mangeant très vite, je pouvais toujours être chez Spiro à huit heures.

Mon père, attablé devant un café, lisait son journal.

— Alors, comment va la Buick ? me demanda-t-il. Tu lui donnes bien du super ?

— La Buick va bien. Pas de problème.

Je bus le jus d’orange d’un trait et goûtai à la bouillie d’avoine. Elle manquait de quelque chose. De chocolat, peut-être. Ou de glace. J’ajoutai trois cuillerées de sucre et du lait.

Mamie Mazur vint nous rejoindre.

— Ma main va un peu mieux, dit-elle. Mais j’ai un mal de tête carabiné.

— Tu n’as qu’à rester à la maison aujourd’hui, lui dis-je. Tu te reposeras.

— Je vais aller me reposer chez Clara. J’ai l’air d’un épouvantail à moineaux. Je me demande comment j’ai fait pour avoir mes cheveux dans cet état.

— Personne ne le verra si tu ne sors pas d’ici, avançai-je.

— Et si quelqu’un vient ? Si le beau Morelli revenait me faire une petite visite ? Tu crois que j’ai envie qu’il me voie avec cette tête-là ? Et puis de toute façon, il faut que je me montre tant que j’ai encore mon pansement et que je défraye la chronique. Ce n’est pas tous les jours qu’une vieille se fait agresser chez son boulanger.

— J’ai des trucs urgents à faire ce matin, mais je vais revenir et je t’accompagnerai chez le coiffeur, dis-je à ma grand-mère. D’ici là, tu ne sors pas.

J’ingurgitai le restant de bouillie d’avoine et une demi-tasse de café. Je pris mon blouson, mon sac et filai. J’avais la main sur la poignée de la porte que le téléphone sonnait.

— C’est pour toi, me dit ma mère. C’est Vinnie.

— Je ne veux pas lui parler. Dis-lui que je suis partie.

Mon téléphone cellulaire sonna quand je débouchai dans Hamilton Avenue.

— Tu aurais pu me prendre avant de sortir, me dit Vinnie. Ça m’aurait coûté moins cher.

— Quoi ? Je n’entends rien… ça va couper…

— Arrête tes conneries, tu veux.

Je fis des bruits de friture.

— Et je ne marche pas non plus à ton numéro de bruiteuse, dit Vinnie. Radine tes fesses à l’agence dans la matinée.

Je ne vis Morelli nulle part dans le parking de chez Spiro, mais je supposai qu’il était là. Je repérai deux camionnettes et un camion bâché. Trois possibilités.

J’allai chercher Spiro et on partit pour le salon funéraire. Quand je m’arrêtai au feu à l’angle de Hamilton Avenue et de Gross Street, on tourna tous deux la tête vers la station-service.

— On devrait peut-être aller poser quelques questions, suggéra Spiro.

— Lesquelles ?

— Au sujet de la camionnette de livraison. Juste comme ça. Ça pourrait être intéressant de voir si c’était bien Moogey qui avait volé les cercueils.

J’avais deux possibilités. Soit je le mettais au supplice en disant « À quoi bon, laissons tomber », et passais mon chemin ; soit je pouvais entrer dans son jeu pour voir ce qu’il en sortirait. Il était indéniable que j’aurais du mérite à torturer Spiro, mais mon intuition me dicta de laisser la balle dans son camp et de suivre le mouvement.

Les ateliers de réparation étaient ouverts. Sandeman devait donc être là. Je m’en moquais. Comparé à Kenny, Sandeman était un enfant de chœur. Cubby Delio travaillait dans le bureau. Spiro et moi entrâmes d’un même pas.

À la vue de Spiro, Cubby nous accorda instantanément toute son attention. Spiro était peut-être un enfoiré mais il représentait le salon funéraire qui était un des plus gros clients du garage. C’était ici que Stiva faisait réviser tous ses véhicules et venait faire le plein d’essence.

— On m’a dit pour votre bras, dit Cubby à Spiro. Si c’est pas une honte ! Je sais que Kenny et vous étiez potes. Il a dû tomber sur la tête. C’est ce que tout le monde pense.

Spiro éluda d’un geste de la main signifiant que tout cela n’était rien de plus qu’un fâcheux contretemps. Il pivota sur ses talons et regarda par la fenêtre la camionnette toujours garée devant l’atelier de révision.

— Je m’interrogeais sur ce véhicule, dit-il à Cubby. Macko est un de vos clients habituels ?

— Oui, oui. Ils ont un compte chez nous, comme vous. Ils ont deux camionnettes comme celle-là, et on s’occupe des deux.

— Qui vous les amène ? Toujours le même gars ?

— En général, c’est soit Bucky soit Biggy. Ça fait des années qu’ils sont chauffeurs chez Macko. Pourquoi ? Y a un problème ? Vous cherchez à vous meubler ?

— J’y songe, fit Spiro.

— C’est une bonne boîte. Une entreprise familiale. Ils les bichonnent, leurs véhicules.

Spiro glissa son avant-bras blessé sous sa veste. Le petit homme se donnait des airs du grand empereur.

— Vous n’avez toujours pas remplacé Moogey à ce que je vois ? dit Spiro.

— J’avais bien trouvé quelqu’un, mais il n’a pas fait l’affaire. Pas facile à remplacer, Moogey. Quand il tenait la station, ce n’était même pas la peine que je vienne. Je pouvais prendre une journée une fois par semaine et aller à l’autodrome. Même après qu’on lui a tiré dans le genou, je pouvais compter sur lui. Il continuait à venir bosser.

Je soupçonnai Spiro de penser la même chose que moi, à savoir que c’était peut-être lors d’une de ces journées autodrome que Moogey avait emprunté la camionnette de chez Macko. Ce qui, évidemment, impliquait que quelqu’un d’autre était resté pour tenir la station-service. Ou que c’était ce quelqu’un d’autre qui était parti au volant de la camionnette.

— C’est dur de trouver un bon employé de nos jours, dit Spiro. J’ai le même problème, vous savez.

— J’ai un bon mécanicien, dit Cubby. Sandeman a ses jours, mais c’est un super mécano. Avec les autres, c’est le va-et-vient permanent. J’ai pas besoin d’un ingénieur en aérospatiale pour faire des pleins ou changer des pneus. Si je pouvais trouver quelqu’un pour tenir le bureau à plein temps, ce serait bon.

Spiro tint encore quelques propos huileux à souhait et se glissa hors du bureau.

— Vous connaissez les gars qui travaillent ici ? me demanda-t-il.

— J’ai eu l’occasion de parler à Sandeman. Il se donne des airs. Il consomme des drogues douces, à l’occasion.

— Vous vous entendez bien avec lui ?

— Je ne crois pas être son genre de femme.

Spiro baissa les yeux vers mes pieds.

— C’est peut-être à cause de ces pompes, dit-il.

Je dus tirer de toutes mes forces sur la portière de la Buick pour réussir à l’ouvrir.

— Vous avez d’autres réflexions à me faire ? Au sujet de ma voiture peut-être ?

Spiro se carra dans son siège.

— Je dois dire qu’elle est impressionnante, dit-il. Au moins vous savez choisir vos bagnoles.

J’escortai Spiro jusqu’à l’intérieur du salon funéraire où toutes les alarmes paraissaient intactes. On fit un examen superficiel de ses deux clients pour être sûrs que personne ne les avait délestés d’une quelconque partie de leur anatomie, puis je dis à Spiro que je repasserais le soir et qu’il pouvait me biper en cas de pépin.

J’aurais bien aimé pouvoir surveiller Spiro, car j’étais sûre qu’il allait vouloir suivre la piste que je lui avais donnée, et qui sait où elle allait le mener ? Et surtout, si Spiro bougeait, peut-être Kenny allait-il bouger lui aussi ? Malheureusement, je ne pouvais pas assurer une surveillance efficace avec ma Grande Bleue. Il allait falloir que je me dégote un autre véhicule si je voulais pouvoir filer Spiro.

La demi-tasse de café que j’avais engloutie au petit déjeuner suivait son petit bonhomme de chemin dans mon organisme. Je décidai de rentrer chez mes parents pour utiliser la salle de bains. Je pourrais toujours réfléchir à mon problème de voiture sous la douche. Et à dix heures, j’accompagnerais ma grand-mère au salon de coiffure pour une remise en forme.

Quand j’arrivai à la maison, la salle de bains était occupée par mon père. Ma mère était dans la cuisine, en train d’éplucher des légumes pour un minestrone.

— J’ai besoin d’aller aux toilettes, lui dis-je. Tu crois que papa en a pour longtemps ?

Ma mère leva les yeux au ciel.

— Je ne sais pas ce qu’il fabrique là-dedans, dit-elle. Il s’enferme avec le journal et on ne le voit plus pendant des heures.

Je chipai un morceau de carotte et un de céleri pour Rex et courus au premier. Je frappai à la porte de la salle de bains.

— Tu en as encore pour longtemps ? criai-je à mon père.

Pas de réponse.

Je frappai plus fort.

— Tu vas bien ? criai-je.

— Nom de Dieu, fit mon père d’une voix étouffée, on ne peut même pas chier tranquille dans cette baraque !

Je regagnai ma chambre. Ma mère avait fait mon lit et rangé mes vêtements. Je me dis que c’était quand même chouette de revenir chez ses parents et d’être chouchoutée de la sorte. Je devrais leur en être reconnaissante. Je devrais profiter de ce bonheur…

— C’est-y pas amusant ? murmurai-je à Rex qui sommeillait. Ce n’est pas tous les jours que je t’emmène chez papi et mamie, hein ?

Je soulevai le couvercle de sa cage pour lui donner son petit déjeuner, mais ma paupière tressautait tant que je ratai mon coup et que son bout de carotte tomba par terre.

À dix heures, mon père n’était toujours pas ressorti de la salle de bains et j’avais la danse de Saint-Guy dans le couloir.

— Dépêche-toi, dis-je à ma grand-mère. Je vais exploser si je ne trouve pas des toilettes très vite !

— Tu n’auras qu’à y aller chez Clara, me dit-elle. Ses toilettes sont très jolies : elle y laisse des fleurs séchées en permanence et il y a une poupée faite au crochet assise sur un rouleau de papier-toilette. Je suis sûre qu’elle voudra bien que tu les utilises.

— Je sais, je sais. Allons-y.

Ma grand-mère portait son manteau bleu en laine et avait noué une écharpe grise en foulard sur sa tête.

— Tu vas crever de chaud dans ce manteau, lui dis-je. On n’est quand même pas au pôle Nord !

— Je n’ai rien d’autre à me mettre, dit-elle. Tout est usé. Je pensais qu’on pourrait aller faire les boutiques après le coiffeur. Je viens de recevoir mon allocation vieillesse.

— Tu es sûre que tu n’as pas trop mal à la main pour aller faire du shopping ?

Elle leva sa main blessée à hauteur de ses yeux et examina le pansement.

— Non, ça va. Le trou n’était pas si gros que ça. Pour tout te dire, ce n’est qu’une fois arrivée à l’hôpital que je me suis rendu compte que la blessure était profonde. C’est arrivé si vite… J’ai toujours pensé que je pouvais me débrouiller toute seule en toutes circonstances, mais maintenant je ne sais plus. Je suis moins rapide qu’avant. Je suis restée sans bouger, comme une empotée, et je l’ai laissé me planter son truc dans la main.

— Je suis sûre que tu ne pouvais pas faire grand-chose, mamie. Kenny est plus fort que toi et tu n’étais pas armée.

Ses yeux s’embuèrent de larmes.

— Il m’a donné l’impression que je n’étais plus qu’une vieille chose.

En sortant du salon de coiffure, je trouvai Morelli avachi contre la Buick.

— Qui a eu l’idée d’aller interroger Cubby Delio ? me demanda-t-il tout de go.

— Spiro. Et si tu veux mon avis, il ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Il tient à remettre la main sur les armes pour ne plus avoir Kenny sur le dos.

— Tu as appris quelque chose d’intéressant ?

Je lui rapportai la conversation qu’on avait eue.

— Je connais Bucky et Biggy, dit-il. Ils ne tremperaient pas dans un coup pareil.

— Cette camionnette est peut-être une fausse piste.

— Je ne crois pas. Je suis passé à la station-service tôt ce matin et j’ai pris des photos. Roberta affirme que c’est bien celle qu’elle a vue.

— Je croyais que tu étais censé me suivre ! Et si je m’étais fait agresser ? Et si Kenny m’avait attaquée à coups de pic à glace ?

— Je t’ai suivie à mi-temps. De toute façon, Kenny aime bien faire la grasse matinée.

— Ce n’est pas une raison ! Tu aurais pu au moins me prévenir que tu me laissais me débrouiller toute seule.

— Quel est ton plan pour aujourd’hui ? me demanda-t-il.

— Ma grand-mère en a pour une heure chez Clara. Ensuite, je lui ai promis de l’emmener faire du shopping. Et il va falloir que je passe voir Vinnie à un moment ou à un autre.

— Il va te reprendre l’affaire ?

— Non. J’emmène mamie Mazur avec moi. Elle va lui remettre les idées en place.

— Je repensais à ce Sandeman…

— Oui, moi aussi. Au départ, je croyais qu’il aurait pu cacher Kenny chez lui. Mais c’est peut-être le contraire. Peut-être qu’il l’a doublé dans les grandes largeurs.

— Tu crois que Moogey aurait pu être de mèche avec Sandeman ?

Je haussai les épaules.

— C’est dans le domaine du possible. Celui qui a volé les armes a forcément des contacts dans la rue.

— Tu disais que Sandeman n’avait montré aucun signe d’enrichissement personnel.

— Si tu veux mon avis, sa fortune, il se la fourre dans les trous de nez.

13

 

— Ah, je me sens beaucoup mieux avec cette nouvelle coupe, dit ma grand-mère, prenant place sur le siège passager de la Buick. J’ai même demandé à Clara de me faire un rinçage. On voit la différence ?

Ses cheveux étaient passés du gris métallisé à l’orange abricot.

— C’est un peu blond vénitien, lui dis-je.

— Oui, c’est ça ! J’ai toujours rêvé d’être une blonde vénitienne.

L’agence de Vinnie était juste en bas de la rue. Je me garai le long du trottoir et entrai, traînant ma grand-mère à ma suite.

— C’est la première fois que je viens, dit-elle. Ça valait le déplacement !

— Vinnie est au tel’, dit Connie. Il en a pour une minute.

Lula vint voir ma grand-mère de plus près.

— Alors, comme ça, c’est vous la grand-mère de Stéphanie, dit-elle. J’ai beaucoup entendu parler de vous.

Le regard de ma grand-mère s’illumina.

— Ah oui ? fit-elle. Et qu’est-ce qu’on vous a raconté de beau ?

— Eh bien, pour commencer, qu’on vous avait cognée au pic à glace.

Ma grand-mère lui mit sa main bandée sous le nez.

— C’était cette main-là et elle a été transpercée de part en part.

Lula et Connie zieutèrent la main en question.

— Et ce n’est pas tout, ajouta ma grand-mère. L’autre soir, Stéphanie a reçu un sexe d’homme au courrier. J’étais là quand elle a ouvert le paquet. J’ai tout vu. Il était fixé sur du polyester par une épingle à chapeau.

— San déc’ ! fit Lula.

— C’est comme je vous le dis. Tranché comme un cou de poulet et épinglé comme un papillon. Ça m’a rappelé mon pauvre mari.

Lula dut se pencher en avant pour pouvoir chuchoter à l’oreille de ma grand-mère :

— Vous voulez parler de la dimension ? Votre homme en avait une aussi grosse ?

— Il en avait plutôt une aussi morte !

Vinnie passa la tête par l’entrebâillement de la porte de son bureau et se renfrogna en voyant ma grand-mère.

— Oh, non ! soupira-t-il.

— Je suis passée la chercher chez son coiffeur, lui dis-je. On doit aller faire des courses, alors comme on était dans le quartier, j’ai pensé en profiter pour venir voir ce que tu voulais.

Le mètre soixante-quatorze de Vinnie se tassa quelque peu. Ses cheveux bruns et clairsemés étaient plaqués en arrière par du gel et avaient le même lustre que ses chaussures noires à bout pointu.

— Ce que je veux, c’est savoir où tu en es avec Mancuso, dit-il. Tu étais censée aller le cueillir chez lui, et en attendant, moi, je perds un maximum de fric.

— Ça se termine, lui dis-je. Parfois, il faut du temps.

— Le temps, c’est de l’argent, fit Vinnie. Le mien, en l’occurrence.

Connie leva les yeux au ciel.

— Répétez-nous ça, fit Lula.

Nous savions toutes que l’agence de Vinnie était financée par une compagnie d’assurances.

Vinnie se balança sur ses talons, bras ballants. Homme des villes. Mollasson. Radin.

— Cette affaire n’est pas dans tes cordes, me dit-il. Je la refile à Mo Barnes.

— Je ne connais ce Mo Barnes ni d’Eve ni d’Adam, intervint ma grand-mère, mais je suis sûre et certaine qu’il n’arrive pas à la cheville de ma petite-fille. On ne fait pas mieux comme chasseuse de primes, et tu serais le dernier des idiots de lui retirer cette affaire. Surtout que, maintenant, je travaille avec elle. On est sur le point de découvrir le pot aux roses.

— Sans vouloir vous vexer, ta petite-fille et toi, je dirais plutôt que vous êtes dans les choux, et que vous ne risquez pas d’arrêter Mancuso.

Ma grand-mère releva le menton d’un air de défi.

— Oh, oh, fit Lula.

— Le malheur s’abat sur ceux qui spolient la famille, dit-elle.

— Quel genre de malheur ? fit Vinnie. Je vais perdre mes cheveux ? Mes dents vont pourrir dans mes gencives ?

— Peut-être, dit ma grand-mère, peut-être que je vais mettre sur toi le mauvais œil. Ou alors, je vais me contenter d’aller raconter à ta grand-mère comment tu causes aux vieilles dames.

Vinnie se mit à tourner comme un lion en cage. Il savait qu’il ne valait mieux pas déplaire à sa mamie Bella. Elle était encore plus effrayante que mamie Mazur. Plus d’une fois, elle avait tiré l’oreille d’un homme jusqu’à ce qu’il mette genou à terre et demande pardon. Vinnie poussa un soupir résigné, serra les dents, plissa les yeux, marmonna quelques paroles incompréhensibles et battit en retraite dans son bureau dont il claqua la porte.

— Eh bien, conclut ma grand-mère, je vois que le sang Plum a parlé dans ses veines.

On revint de notre tournée des magasins en fin d’après-midi. Ma mère nous ouvrit et changea de tête.

— Je n’y suis pour rien pour les cheveux, lui dis-je. C’est elle qui a voulu.

— À chacun sa croix, ta grand-mère est la mienne, dit ma mère.

Elle avisa les chaussures que portait ma grand-mère et se signa.

Mamie Mazur portait des Doc Martens. Et aussi un gilet de ski matelassé, un jean dont le bas était relevé et maintenu par des pinces à vélo et une chemise en flanelle identique à la mienne.

— Je vais faire un petit somme avant le dîner, dit ma grand-mère. Ces courses m’ont rétamée !

— Si tu veux venir m’aider à la cuisine, je ne dirai pas non, me dit ma mère.

Aïe. Ma mère ne voulait jamais qu’on l’aide à la cuisine. Quand elle avait besoin d’un coup de main, c’est que quelque chose la tracassait et qu’elle avait l’intention de forcer une pauvre âme à rendre les armes. Ou qu’elle voulait aller à la pêche aux renseignements. Prends du pudding au chocolat, me dirait-elle. Et, au fait, Mrs. Herrel m’a dit qu’elle t’avait vue entrer dans le garage des Morelli avec Joe. Et fais voir… comment se fait-il que ta petite culotte soit devant derrière ?

Je la suivis à contrecœur jusque dans sa tanière où des pommes de terre cuisaient à l’eau. La vapeur avait complètement embué la fenêtre au-dessus de l’évier. Ma mère ouvrit le four pour vérifier la cuisson du gigot d’agneau et une odeur de viande rôtie fondit sur moi. Mon regard s’embua autant que le carreau de la fenêtre et l’eau me vint à la bouche.

Ma mère passa du four au réfrigérateur.

— Je vais faire des carottes avec le gigot. Tu n’as qu’à les éplucher, me dit-elle, me tendant le sachet de légumes et un économe. Au fait, pourquoi quelqu’un t’a-t-il envoyé un pénis ?

Je faillis m’écorcher le doigt.

— Beeeen…

— L’adresse d’expédition était à New York, mais l’enveloppe avait été affranchie en ville.

— Je ne peux rien te dire sur ce pénis, maman. Tant que la police n’a pas bouclé son enquête…

— Richie, le fils de Thelma Biglo, a dit à sa mère que c’était le pénis de Joe Loosey. Et que Kenny Mancuso le lui aurait coupé pendant qu’on préparait sa dépouille chez Stiva.

— Où Richie Biglo est-il aller pêcher ça ?

— Il est barman à la pizza Pino. Il est au courant de tout.

— Je n’ai pas envie de parler de ça.

Ma mère me prit l’économe des mains.

— Non mais regarde comment tu m’épluches ces carottes ! Que veux-tu que j’en fasse ? Tu laisses plein de peau.

— Tu ne devrais pas les peler, tu sais. C’est la peau qui contient toutes les vitamines.

— Va dire ça à ton père. Il refuse d’en manger si elles ne sont pas parfaitement épluchées. Tu sais comme il est difficile.

Mon père mangerait de la merde de chat si elle était salée, frite ou panée, mais il fallait un vote du Congrès pour le forcer à ingurgiter un légume.

— Il me semble que Kenny Mancuso en a après toi, me dit ma mère. Ce n’est pas une chose à faire que d’envoyer un sexe d’homme à une femme. C’est un manque de respect élémentaire.

J’allais et venais dans la cuisine en quête d’une activité quelconque. En vain.

— Et je sais très bien ce qui se passe avec ta grand-mère, ajouta-t-elle. Mancuso essaie de t’atteindre à travers elle. C’est pour ça qu’il l’a agressée l’autre jour ; pour ça que tu es venue t’installer ici… pour être près d’elle au cas où il recommencerait.

— Il est fou.

— Évidemment qu’il est fou. Tout le monde te le dira. Chez les Mancuso, tous les hommes sont frappa-dingues. Son oncle Roco s’est pendu. Il était pédophile, figure-toi. Mrs. Ligatti l’avait surpris avec sa petite Tina. Et le lendemain, on le retrouvait au bout d’une corde. Une bonne chose, parce que si Al Ligatti lui était tombé dessus…

Ma mère secoua la tête.

— Je préfère ne pas y songer, acheva-t-elle.

Elle coupa le gaz sous les pommes de terre et se tourna vers moi.

— Comment tu t’en sors comme chasseuse de primes ? me demanda-t-elle.

— J’apprends le métier.

— Tu crois que tu es assez douée pour arrêter Kenny ?

— Oui.

Enfin, faut voir.

— Je veux que tu le coinces, ce petit salopard, dit-elle, baissant d’un ton. Je ne veux plus qu’il traîne dans le quartier. Il est inadmissible que cet agresseur de vieilles dames soit en liberté.

— Je vais faire le maximum.

— C’est bien.

Elle prit un pot de canneberges dans le garde-manger.

— Bon, maintenant que les choses sont claires, tu peux mettre la table, me dit-elle.

Morelli surgit à six heures moins une.

J’allai lui ouvrir et me campai dans l’entrebâillement de la porte, lui barrant le passage.

— Qu’est-ce qu’il y a ? lui demandai-je.

Morelli se pressa contre moi, me forçant à reculer.

— Je faisais ma ronde dans le quartier, j’ai vu de la lumière et j’ai senti une bonne odeur de gigot d’agneau.

— C’est qui ? cria ma mère.

— Morelli ! Le grand méchant loup passait en voiture et a été attiré par l’odeur de l’agneau. Et il repart IL-LI-CO !

— Elle est d’une impolitesse ! s’excusa ma mère à Morelli. Je ne sais pas ce qui lui prend. Je ne l’ai pas élevée comme ça. Rajoute un couvert, Stéphanie.

Je partis de la maison à sept heures et demie en compagnie de Morelli. Il me suivit dans une camionnette beige et alla se garer dans le parking de chez Stiva et moi dans l’allée.

Je verrouillai les portières de la Buick et le rejoignis.

— Tu as du nouveau ? lui demandai-je.

— J’ai potassé les facturiers du garage. Macko a fait faire la vidange de sa camionnette en fin de mois dernier. Bucky l’a amenée vers sept heures du matin et est venu la rechercher le lendemain.

— Laisse-moi deviner. Cubby Delio ne travaillait pas ce jour-là. Moogey et Sandeman, oui.

— Exact. C’est Sandeman qui s’est occupé de la camionnette. C’est lui qui a signé la facture.

— Tu l’as interrogé ?

— Non. Il avait déjà fini sa journée quand je suis passé au garage. Je suis allé chez lui et j’ai fait quelques bars, mais je ne l’ai pas trouvé. Je referai la tournée plus tard.

— Tu as vu quelque chose d’intéressant dans son studio ?

— La porte était fermée à clef.

— Tu n’as pas regardé par la fenêtre ?

— Je me suis dit que j’allais te laisser ce plaisir. Je sais à quel point tu aimes faire ce genre d’exercice.

En d’autres termes, Morelli ne voulait pas risquer de se faire surprendre sur un escalier de secours.

— Tu seras là quand je fermerai avec Spiro ? lui demandai-je.

— Le passage d’un troupeau de mustangs ne me délogerait pas.

Je traversai le parking et entrai dans le salon funéraire par la porte latérale. Apparemment, la nouvelle de la mutilation commise par Kenny Mancuso sur le cadavre de Joe Loosey s’était répandue comme une traînée de poudre, car la foule, rassemblée autour de sa dépouille mortelle dans le salon des VIP, rivalisait avec le record d’audience détenu jusqu’alors par Silvestor Bergen qui était mort à mi-parcours de son mandat de grand mamamouchi de l’Association des Anciens Combattants des Guerres en Outre-Mer.

Spiro était entouré de sa cour à l’autre bout du hall d’entrée, jouant à la perfection son rôle de croque-mort star. Les gens l’écoutaient intensément raconter Dieu savait quoi.

Quelques personnes regardèrent dans ma direction puis se mirent à chuchoter derrière leurs programmes des festivités funèbres.

Spiro salua son public d’une courbette et, d’un geste, m’invita à le suivre dans la cuisine. Au passage, il prit le grand plat à biscuits en argent, ignorant Roche qui avait repris son poste à table.

— Vous avez vu cette bandes de tocards ? fit Spiro, vidant un gros sac de biscuits de supermarché dans le plat. Ils vont me mettre sur la paille. Je devrais faire payer un droit d’entrée pour qui veut voir le moignon de Loosey !

— Des nouvelles de Kenny ?

— Aucune. Je pense qu’il a brûlé toutes ses cartouches. Ce qui arrange bien mes affaires. Je n’ai plus besoin de vos services.

— Pourquoi ce revirement soudain ?

— Les choses se sont tassées.

— Comme ça ?

— Eh oui, comme ça.

Il sortit de la cuisine d’un pas allègre et flanqua le plateau de biscuits sur la table.

— Comme allez-vous ? demanda-t-il à Roche. J’ai vu que votre « frère » recevait des visites des gens en surnombre chez Loosey. Je suppose que certains vont le voir pour vérifier où en sont ses petites affaires, si vous voyez ce que je veux dire. Vous avez remarqué que je n’ai exposé que la partie supérieure du corps de façon que personne ne s’avise d’aller toucher plus bas.

Roche faillit s’étouffer.

— Merci, dit-il. Vous pensez à tout.

Je retournai auprès de Morelli pour lui faire part des dernières nouvelles. Il était invisible dans l’obscurité de l’habitacle de la camionnette.

— C’est inattendu, dit-il.

— Je pense que Kenny a les armes. Je pense qu’on a donné à Spiro une piste à suivre, qu’il a fait passer le message à Kenny et que Kenny a récupéré la marchandise. Et donc que maintenant, Spiro peut dormir sur ses deux oreilles.

— Possible.

— Je vais faire une petite visite à Sandeman, dis-je, sortant mes clefs de voiture. Au cas où il serait déjà rentré chez lui.

Je me garai non loin de l’immeuble de Sandeman, mais de l’autre côté de la rue. Morelli s’arrêta juste derrière moi. On resta quelques instants sur le trottoir à regarder l’immeuble qui se dressait devant nous, noir sur fond de ciel bleu nuit. Une lumière crue se déversait d’une fenêtre sans store du rez-de-chaussée. À l’étage, deux rectangles orangés attestaient d’une trace de vie dans les pièces côté rue.

— Il a quoi comme voiture ? me demanda Morelli.

— Une camionnette Ford et une moto.

Ni l’une ni l’autre n’étaient en vue. On fit le tour de l’immeuble en empruntant l’allée et on tomba sur la Harley. Aucune lumière côté cour. Le noir complet chez Sandeman, à l’étage. Personne n’était assis dans la véranda. La porte de derrière n’était pas fermée à clef. À l’intérieur, le couloir était faiblement éclairé par une ampoule nue qui pendait du plafond du hall d’entrée. Des échos d’un poste de télévision nous parvinrent des étages. Morelli s’attarda un moment dans l’entrée, à l’écoute, puis il monta au premier étage, puis au second. Là, régnaient le silence et l’obscurité. Morelli colla son oreille contre la porte de chez Sandeman. Il fit non de la tête. Aucun bruit chez lui.

Il alla à la fenêtre du palier qu’il ouvrit et regarda au-dehors.

— Entrer chez lui par effraction irait contre mes principes, dit-il. Alors que, pour moi, ce serait purement et simplement illégal.

Morelli jaugea la grosse torche électrique que j’avais en main.

— Évidemment, une chasseuse de primes est habilitée à entrer chez le hors-la-loi qu’elle poursuit.

— Seulement si elle a la certitude que l’individu en question est chez lui.

Morelli me regarda d’un air interrogateur. Je m’approchai et lorgnai l’escalier de secours.

— Ça m’a l’air très branlant, dis-je.

— Oui, j’ai remarqué. Il ne supporterait pas mon poids.

Et, me relevant le menton d’un doigt, il ajouta :

— Mais je parie qu’il portera sans problème un petit bout de chou comme toi.

On peut dire de moi que je suis beaucoup de choses, mais pas un petit bout de chou. Je pris une profonde inspiration et enjambai la fenêtre. L’escalier gémit sous mes pieds et des éclats de métal rouillé allèrent s’écraser par terre. Je poussai un juron à mi-voix et avançai à tout petits pas vers la fenêtre de chez Sandeman.

Je plaquai mes mains sur la vitre pour mieux voir à l’intérieur. Plus noir, tu meurs. Je tentai d’ouvrir la fenêtre. Elle n’était pas bloquée. Je poussai le châssis inférieur, il se releva… mais se coinça à mi-hauteur.

— Tu peux entrer ? me chuchota Morelli.

— Non. La fenêtre est coincée.

Je m’accroupis pour regarder par l’ouverture, promenant le faisceau de ma torche électrique tous azimuts. À première vue, pas de changement depuis ma dernière visite. Toujours le même foutoir, la même crasse, la même odeur nauséabonde de vêtements pas lavés et de cendriers archipleins. Aucune trace de lutte, ni de fuite, ni d’enrichissement.

Je décidai de faire une deuxième tentative avec la fenêtre. Je pris fermement appui sur mes pieds et poussai de toutes mes forces sur le cadre de bois. Des boulons se détachèrent du mur aux briques effritées et la galerie en lamelles de l’escalier de secours se pencha à un angle de quarante-cinq degrés. Les marches se démantelèrent, la rampe se descella, les fers d’angle cédèrent sous la pression et je dégringolai, pieds les premiers, dans le vide. Ma main rencontra une barre transversale, et par réflexe, s’y accrocha… dix secondes… au bout desquelles tout le deuxième étage de l’escalier de secours s’effondra sur le palier du premier. Il y eut un moment de silence qui me laissa le temps de murmurer : et merde !

Au-dessus de moi, je vis la tête de Morelli penchée à la fenêtre.

— Ne-bou-ge-pas !

Et BADABOUM ! Le premier étage de l’escalier de secours se descella de la façade et s’effondra par terre, m’entraînant dans sa chute. Je tombai à plat dos avec un woufff sonore qui me bloqua la respiration.

Je restai étendue, immobile, et le visage de Morelli réapparut bientôt au-dessus de moi, à quelques centimètres du mien cette fois.

— Nom de Dieu, Stéphanie, murmura-t-il. Dis-moi quelque chose.

Je regardai droit devant moi, incapable de parler, toujours incapable de respirer.

Morelli me prit le pouls à la carotide. Puis je sentis qu’il m’attrapait par les chevilles et me soulevait les jambes.

— Tu peux remuer les orteils ? me demanda-t-il.

Pas quand sa main remontait ainsi sur l’intérieur de ma cuisse. J’avais la sensation que ma peau était à vif sous sa paume, et que mes doigts de pied étaient recroquevillés par une crampe. Je m’entendis haleter.

— Si tes doigts montent plus haut, je t’attaque pour harcèlement sexuel, dis-je, dans un souffle.

Morelli se redressa et s’épongea le front.

— Tu m’as fichu une de ces trouilles, me dit-il.

— Qu’est-ce qui se passe, là ? cria-t-on d’une fenêtre. J’appelle les flics si vous continuez vos conneries. On a un décret antibruit dans le quartier !

Je me redressai sur un coude.

— Fichons le camp, dis-je.

Morelli m’aida à me relever avec douceur.

— Tu es sûre que tu vas bien ? me demanda-t-il.

— Je crois que je n’ai rien de cassé.

Je plissai les narines.

— Qu’est-ce que c’est que cette odeur ? dis-je. Oh, non ne me dis pas que je me suis souillée !

Morelli me fit tourner devant lui.

— Hou là ! s’exclama-t-il. À vue d’œil, un des locataires doit avoir un gros toutou, un très gros toutou, et j’ai bien l’impression que tu es tombée en plein dans le mille !

J’ôtai mon blouson et le tins à bout de bras.

— Ça va, là ?

— Oui, à part les éclaboussures que tu as sur ton jean.

— Pas ailleurs ?

— Non, à part dans tes cheveux.

Cette nouvelle me propulsa dans un état hystérique.

— Retire-moi ça ! Retire-moi ça ! RETIRE-MOI ÇAAAAAA !

Morelli me plaqua une main sur la bouche.

— Chut.

— Re-ti-re-moi-ça.

— Comment veux-tu que je fasse ? Il faut que tu te laves les cheveux.

Il me tira vers la rue.

— Tu peux marcher ?

Je titubai à sa suite.

— Bon, ça va, fit Morelli. Continue comme ça. Tu seras à la camionnette en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Et après, je t’emmène à la douche. Une ou deux heures de récurage, et tu brilleras comme un sou neuf.

— Un dessous neuf ?

Mes oreilles bourdonnaient et ma voix me semblait venir de très loin… comme si j’avais la tête dans un bocal. Un dessous neuf ?

On arriva à la camionnette et Morelli ouvrit les portes arrière.

— Tu ne vois pas d’inconvénient à voyager à l’arrière ? me demanda-t-il.

Je le dévisageai, la tête vide. Morelli me braqua la torche électrique dans les yeux.

— Tu es sûre que ça va ?

— Quelle race, le chien, à ton avis ? lui demandai-je.

— Gros.

— Quelle race ?!

— Un rottweiller. Mâle. Vieux et suralimenté. Dents pourries. À mangé beaucoup de thon ces derniers temps.

Je fondis en larmes.

— Ah non, implora Morelli, ne chiale pas. Je n’aime pas quand tu pleures.

— J’ai de la merde de rottweiller dans les cheveux, sanglotai-je.

Du pouce, Morelli sécha mes larmes sur ma joue.

— Te bile pas, trésor. Ce n’est pas si terrible que ça. Je blaguais pour le thon.

Il me hissa dans la camionnette.

— Accroche-toi, me lança-t-il. Tu vas être chez toi en moins de deux.

Il me ramena à mon appartement.

— J’ai pensé que tu ne voudrais pas que ta mère te voie dans cet état, me dit-il.

Il chercha la clef de chez moi dans mon sac et ouvrit la porte.

Il faisait frais dans l’appartement qui avait un vague air abandonné. Et silencieux. Pas de Rex sprintant dans sa roue. Pas de lampe allumée pour me souhaiter la bienvenue.

La cuisine me fit signe à ma gauche.

— Il me faut une bière, dis-je à Morelli.

Je n’étais plus pressée de passer sous la douche. Mon odorat s’était émoussé. Je m’étais résignée à avoir les cheveux cacateux.

J’allai mollement dans ma cuisine et tirai sur la porte du réfrigérateur. Elle s’ouvrit sans problème. La petite loupiote s’alluma comme de coutume, et je regardai, hébétée, le pied qui se trouvait sur une clayette… un gros panard crasseux qui trônait entre un bloc de margarine et un bocal de canneberges rempli aux trois quarts.

— Y a un pied dans mon frigo ! criai-je à Morelli.

J’entendis un concert de cloches, vis un feu d’artifice, sentis des fourmis dans mes lèvres et m’écroulai par terre.

Je me débattis pour sortir des limbes de l’inconscience et ouvris les yeux.

— Maman ?

— Pas tout à fait, me dit Morelli.

— Que s’est-il passé ?

— Tu es tombée dans les pommes.

Je me relevai en flageolant sur mes jambes.

— Et si tu passais sous ta douche pendant que je m’occupe du reste ? fit Morelli. Tiens, prends ta bière.

Je considérai la canette qu’il me tendait.

— Elle ne sort pas de mon frigo ? lui demandai-je.

— Mais non. Elle vient d’ailleurs.

— Bien. Sinon, je n’aurais pas pu la boire.

— Je sais, dit Morelli, me poussant vers la salle de bains. Bon maintenant, va boire ça sous ta douche.

Quand j’en ressortis, je retournai à la cuisine où je tombai sur deux policiers en uniforme, un type du laboratoire de police et deux autres en civil.

— J’ai ma petite idée sur le propriétaire de ce pied, dis-je à Morelli, en train d’écrire sur un clipboard.

— J’ai la même que toi, me dit-il.

Il me tendit le clipboard.

— Signe ici.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Une déposition préliminaire.

— Comment Kenny s’y est-il pris pour mettre ce pied dans mon frigo ?

— En cassant le carreau de ta chambre. Tu devrais faire installer une alarme.

L’un des flics en uniforme partit en emportant une grosse glacière en polystyrène. Je ravalai une vague de dégoût.

— C’est le pied ? demandai-je.

Morelli me répondit par un signe de tête affirmatif.

— J’ai nettoyé ton frigo vite fait, me dit-il. Tu le récureras à fond quand tu auras le temps.

— Merci de ton aide.

— On a fouillé ton appartement. On n’a rien trouvé d’autre.

Le deuxième flic partit à son tour, suivi par ses collègues en civil.

— Alors ? fis-je à Morelli. Prochaine étape ? Ça n’a pas servi à grand-chose d’aller chez Sandeman.

— Maintenant, on va surveiller Spiro.

— Ce n’est pas ce que fait Roche ?

— Roche reste au salon funéraire. Nous, on va lui coller aux fesses.

On scotcha un gros sac-poubelle en plastique sur le carreau cassé, on éteignit la lumière et on sortit en verrouillant la porte. Il y avait un attroupement dans le couloir.

— Alors ? fit Mr. Wolesky. Qu’est-ce qui se passe ? Personne ne nous dit rien.

— On a cassé une de mes fenêtres, lui dis-je. Je pensais que ça pouvait être plus grave, alors j’ai appelé la police.

— Vous vous êtes fait cambrioler ?

— Non, on ne m’a rien pris.

Pour autant que je sache.

Mrs. Boyd ne semblait pas prête à me croire sur parole.

— Et la glacière que portait le flic ? fit-elle. Qu’est-ce qu’elle contenait ?

— Des bières, lui répondit Morelli. On va à une soirée chez des amis à moi.

On plongea dans l’escalier et on regagna la fourgonnette au petit trot. Morelli ouvrit la portière côté chauffeur, et une odeur de chien malade déferla sur nous, nous forçant à battre en retraite.

— Tu aurais dû laisser les vitres baissées, dis-je à Morelli.

— On va attendre un peu. Ça devrait se tasser.

Au bout de quelques minutes, on s’approcha du bout des pieds.

— Ça sent toujours aussi mauvais, dis-je.

— Bon, je n’ai pas le temps de laver la caisse. On n’aura qu’à rouler vitres baissées, le vent devrait chasser l’odeur.

Cinq minutes plus tard, ça puait toujours autant.

— Je craque, finit par dire Morelli. Je ne supporte plus cette odeur. Je vais changer de véhicule.

— Tu veux passer chez toi pour prendre la camionnette ?

Il tourna à gauche dans Skinner Street.

— ’peux pas. Je l’ai prêtée au gars à qui j’ai emprunté cette caisse.

— Et la voiture de police banalisée ?

— En réparation. On va prendre ta Buick.

Tout soudain, je la voyais d’un œil plus indulgent.

Morelli se gara juste derrière ma Grande Bleue.

J’ouvris la portière de la fourgonnette et avais déjà le pied par terre avant qu’elle soit arrêtée. Je sortis dans l’air vivifiant, respirant à pleins poumons, agitant les bras et secouant la tête pour me débarrasser de toute puanteur résiduelle.

On monta dans la Buick d’un même allant et on resta assis un long moment sans bouger, appréciant l’air pur qui y régnait. Je mis le contact.

— Il est onze heures, dis-je à Morelli. Tu veux qu’on aille directement chez Spiro ou qu’on passe d’abord au salon funéraire ?

— Deuxième proposition. J’ai téléphoné à Roche pendant que tu prenais ta douche, et Spiro était encore à son bureau.

À notre arrivée chez Stiva, le parking était désert. Il y avait plusieurs voitures garées dans la rue. À première vue, toutes étaient inoccupées.

— Où est Roche ? demandai-je.

— Dans l’appartement de l’autre côté de la rue. Au-dessus de l’épicerie fine.

— Il peut pas voir la porte de derrière de là.

— Non, mais l’éclairage extérieur est réglé sur un capteur de mouvements. La lumière s’allume dès que quelqu’un s’approche de la porte.

— Spiro peut couper ce système, je suppose ?

Morelli s’avachit sur son siège.

— Il n’y a pas d’endroit d’où on ait une bonne vue sur la porte de derrière, dit-il. Même si Roche était dans le parking, il ne la verrait pas.

La Lincoln de Spiro se trouvait dans l’allée. De la lumière brûlait dans son bureau. Je me garai en douceur le long du trottoir et coupai le contact.

— Il travaille bien tard, dis-je. Il est déjà parti à cette heure d’habitude.

— Tu as ton téléphone portable ?

Je le lui donnai et il composa un numéro.

Quelqu’un décrocha à l’autre bout de la ligne, et Morelli demanda s’il y avait du nouveau. Après avoir eu sa réponse, il raccrocha et me rendit l’appareil.

— Spiro est toujours là, me dit-il. Et Roche n’a vu personne entrer depuis la fermeture des portes à dix heures.

Nous étions garés dans une rue adjacente bordée de modestes maisons attenantes, hors d’atteinte du halo des réverbères. Aucune lumière aux fenêtres. Le Bourg était une communauté de couche-tôt/lève-tôt.

On resta assis dans un silence reposant pendant une petite demi-heure à observer le salon funéraire. Le vieux tandem de justiciers qui faisait son travail.

Minuit passa. Rien à signaler à part des fourmis dans mes jambes.

— Il y a quelque chose qui ne colle pas, dis-je. Spiro ne reste jamais aussi tard. Il aime l’argent gagné facilement. Il n’est pas du genre à se tuer à la tâche.

— Il attend peut-être quelqu’un ?

— Je vais jeter un coup d’œil, dis-je, m’apprêtant à ouvrir ma portière.

— Non !

— Je veux m’assurer que le capteur est branché.

— Tu vas tout faire foirer. Tu vas faire fuir Kenny s’il est dans les parages.

— Peut-être que Spiro a coupé le système et que Kenny est déjà à l’intérieur ?

— Non.

— Comment peux-tu en être aussi sûr ?

— Mon flair.

Je fis craquer mes articulations.

— Il te manque une qualité de base pour être une bonne chasseuse de primes, me dit Morelli.

— À savoir ?

— La patience. Regarde, tu es nouée de partout.

Il appuya avec son pouce à la base de ma nuque et remonta lentement jusqu’à la racine de mes cheveux. Mes yeux devinrent plus lourds et ma respiration plus régulière.

— Ça va mieux ? fit-il.

— Mm, mm.

Il me massa lentement les épaules.

— Il faut que tu te relaxes, me dit-il.

— Si je me relaxe plus que ça, je vais fondre.

Ses mains s’immobilisèrent.

— J’aime bien quand tu fonds, dit-il.

Je tournai la tête vers lui et nos regards se croisèrent.

— Non, lui dis-je.

— Pourquoi pas ?

— Parce que j’ai déjà vu ce film et que je déteste la fin.

— Peut-être qu’elle sera différente cette fois.

— Ou peut-être pas.

Il fit glisser son pouce le long de mon cou et quand il parla, ce fut d’une voix basse et aussi râpeuse que la langue d’un chat.

— Et le milieu du film ? demanda-t-il. Tu avais aimé ?

Il s’était envolé en fumée.

— J’en ai vu de plus prenants.

Morelli se fendit d’un grand sourire.

— Menteuse !

— De toute façon, on est venus ici pour surveiller Spiro et Kenny, pas pour autre chose.

— Ne t’en fais pas. Roche les a à l’œil. S’il voit quoi que ce soit, il me bipe.

Était-ce de cela dont j’avais envie ? Faire l’amour avec Joe Morelli dans une Buick ? Non ! Quoique…

— Je vais attraper froid, protestai-je d’une petite voix. Le moment est mal choisi.

Morelli se moqua de moi en minaudant.

Je poussai un soupir et levai les yeux au ciel.

— C’est tellement ado ! m’écriai-je. Je ne m’attendais pas à ce que tu aies cette attitude.

— Je sais, fit Morelli. Ce que tu attends de moi, c’est de l’action.

Il m’embrassa de nouveau et je me dis, bof, après tout, s’il veut choper la crève, ça le regarde. Et puis, c’était curieux, mais, le froid, je ne le sentais plus. Peut-être qu’il faisait meilleur que je ne pensais…

Morelli m’enleva ma chemise et fit glisser les bretelles de mon soutien-gorge.

Un frisson me parcourut et je me racontai que c’était à cause du froid… et non à cause du pressentiment d’une catastrophe imminente.

— Tu es absolument sûr que Roche va te biper s’il voit Kenny ?

— Mais oui, marmonna Morelli, qui faisait glisser sa bouche jusqu’à mes seins. Ne t’inquiète de rien…

Que je ne m’inquiète de rien ? Il avait sa main dans ma culotte et il me disait de ne m’inquiéter de rien !

Mes yeux se révulsèrent de nouveau. Mais quel était le problème ? J’étais adulte. J’avais des besoins. Qu’y avait-il de plus normal à ce que je les satisfasse une fois de temps en temps ? Ce n’était pas tous les jours que j’avais l’occasion de connaître un orgasme de qualité. Et ce n’était pas comme si je me faisais des idées. Je n’étais pas une petite gourgandine de seize ans qui s’attend à ce qu’on lui propose le mariage. Tout ce que je voulais, c’était un putain d’orgasme. Et je le méritais bien. Mon dernier orgasme mondain remontait à l’élection de Reagan, c’est dire.

Je vérifiai l’état des vitres. Toutes embuées. Parfait. Bon, me dis-je, vas-y. Je me déchaussai du bout du pied, puis tombai tous mes vêtements sauf mon string noir.

— À toi maintenant, dis-je à Morelli. Je veux te voir.

Il lui fallut moins de dix secondes pour se déshabiller, dont cinq consacrées aux revolvers et menottes.

Je restai bouche bée et vérifiai discrètement que je ne salivais pas. Morelli était encore plus superbe que dans mon souvenir. Et, dans mon souvenir, il était à tomber par terre.

Il glissa un doigt sous mon string et, d’un geste fluide, le retira. Il voulut se mettre sur moi, mais se cogna contre le volant.

— Ça fait un bail que je n’ai pas fait ça dans une bagnole, dit-il.

On enjamba les sièges avant et on s’écroula tous les deux sur la banquette arrière, Morelli en chemise en jean déboutonnée et en chaussettes de sport blanches, et moi en proie à un regain d’incertitude.

— Et si Spiro coupe l’éclairage et que Kenny entre par la porte de derrière ? fis-je.

— Roche le saurait, dit Morelli, m’embrassant sur l’épaule.

— Comment pourrait-il le savoir ?

Morelli poussa un soupir excédé.

— Parce qu’il a truffé le salon funéraire de micros.

Je le repoussai.

— Quoi ? Et tu ne me l’avais pas dit ? Depuis quand ?

— Bon, tu ne vas pas en faire un fromage !

— Tu me caches autre chose ?

— Non. Je te jure que non.

Je ne le crus pas une seule seconde. Il arborait sa tête de flic. Je repensai tout à coup au dîner, chez mes parents, où il avait surgi à l’improviste.

— L’autre soir, lui dis-je, comment savais-tu que ma mère avait fait un gigot d’agneau ?

— À l’odeur quand tu m’as ouvert.

— Tu me prends pour une conne ?

J’attrapai mon sac posé sur le siège avant et en vidai le contenu entre nous. Brosse à cheveux, laque, rouge à lèvres, bombe lacrymo, Kleenex, boîtier paralysant, chewing-gums, lunettes de soleil… émetteur en plastique noir.

Je sautai sur le mouchard.

— Salaud ! fis-je à Morelli. Tu m’espionnais !

— C’était pour ton bien. Je me faisais du souci pour toi.

— C’est inadmissible ! Comment as-tu osé me faire ça ? C’est une atteinte à la vie privée !

Et aussi un mensonge. Il avait surtout la trouille que je sois sur une piste et que je ne le mette pas au courant. Je baissai la vitre et jetai le bitonio sur le trottoir.

— T’es pas folle ? fit Morelli. Ça vaut quatre cents dollars ce truc.

Il descendit le récupérer. Je refermai la portière et la verrouillai. Qu’il aille au diable ! J’aurais dû réfléchir à deux fois avant d’accepter de faire équipe avec lui. Je repassai par-dessus les sièges et m’installai au volant.

Morelli tenta d’ouvrir la portière côté passager. En vain. Elles étaient toutes verrouillées et elles allaient le rester. Sa bite pouvait bleuir de froid, et je m’en fichais ! Ça lui servirait de leçon. Je fis tourner le moteur et démarrai, laissant Morelli au beau milieu de la rue, en chemise, chaussettes, la quéquette en berne.

À l’intersection suivante, je réfléchis. Ce n’étais peut-être pas une très bonne idée d’abandonner un flic nu comme un ver en pleine rue, en pleine nuit ? Et s’il se faisait agresser par une bande de voyous ? Probable qu’il ne pourrait même pas courir vu son état. Très bien, me dis-je. Je vais le tirer de là. Je fis demi-tour et revint dans la petite rue. Je trouvai Morelli à l’endroit où je l’avais laissé, mains sur les hanches, l’air écœuré.

Je ralentis à sa hauteur, baissai la vitre et lui lançai son revolver.

— Tiens, lui-dis-je. Ça peut toujours servir. Sur ce, j’appuyai sur le champignon et repartis pleins gaz.

14

 

Je gravis l’escalier en catimini et poussai un soupir de soulagement une fois en sécurité, enfermée à double tour dans ma chambre. Je n’aurais pas eu envie de devoir raconter à ma mère ma séance je-me-suis-fait-peloter-dans-la-Buick. Ni que son regard au laser ne détecte ma petite culotte roulée en boule dans la poche de mon blouson. Je me déshabillai sans allumer la lumière, me laissai tomber sur mon lit et ramenai mes couvertures sous mon menton.

Je m’éveillai en ayant deux regrets. Le premier était d’avoir laissé tomber la surveillance et donc de ne pas savoir si Kenny avait été arrêté. Le deuxième, d’avoir raté mon créneau horaire pour l’utilisation de la salle de bains et d’être, une fois encore, la dernière de la file d’attente.

Je restai couchée, écoutant les allées et venues dans la salle de bains… d’abord les pas traînants de ma mère, puis ceux de mon père et enfin ceux de ma grand-mère. Lorsque l’escalier grinça quand elle le descendit, je me drapai dans le peignoir matelassé rose qu’on m’avait offert pour mes seize ans, et gagnai la salle de bains sans me presser. La petite fenêtre qui se trouvait au-dessus de la baignoire était fermée contre le froid, et l’air ambiant était chargé d’une odeur de mousse à raser et de Saintol.

Je me douchai rapidement, me séchai les cheveux à la serviette, et enfilai un jean et un sweat-shirt. Je n’avais aucun projet pour la journée, outre garder l’œil sur ma grand-mère et sur Spiro. À supposer, bien entendu, que Kenny ne se soit pas fait choper hier soir.

J’allai à la cuisine en me laissant guider par l’arôme du café et je trouvai Morelli attablé, en train de prendre un petit déjeuner. Je déduisis de l’aspect de son assiette qu’il venait de finir des œufs au bacon. Il se carra dans sa chaise en me voyant, tasse de café à la main, et me dévisagea d’un air supputatif.

— B’jour, me lança-t-il, d’une voix neutre, le regard indéchiffrable.

Je me servis un mug de café.

— Bonjour.

Pas de commentaires.

— Quoi de neuf ? demandai-je.

— Rien. Ce n’est pas aujourd’hui que tu toucheras ta commission.

— C’est pour me dire ça que tu es venu ?

— Non. Pour récupérer mon portefeuille que je crois avoir oublié dans ta voiture.

— Ah oui.

Avec divers autres effets personnels.

Je bus une gorgée de café et reposai la tasse sur le comptoir.

— Je vais te le chercher, lui dis-je.

Morelli se leva.

— Je vous remercie pour ce délicieux petit déjeuner, dit-il à ma mère, dont le visage s’illumina d’un sourire béat.

— Ma maison vous est ouverte, lui dit-elle. Les amis de Stéphanie sont toujours les bienvenus.

Il me suivit dehors et me regarda sortir ses vêtements de la Buick.

— Tu disais vrai pour Kenny ? lui demandai-je. Il ne s’est pas pointé hier soir ?

— Spiro est resté jusqu’à deux heures passées. D’après le son, on aurait dit qu’il jouait à un jeu sur son ordinateur. C’est tout ce que Roche a entendu grâce au micro. Pas de coups de fil. Pas de Kenny.

— Spiro devait attendre quelque chose qui ne s’est pas produit.

— On le dirait bien.

L’épave d’une voiture de police était garée derrière ma Buick.

— Je vois que tu as récupéré ta bagnole, fis-je à Morelli.

Elle était toujours aussi cabossée et le pare-chocs se trouvait toujours sur la banquette arrière.

— Je croyais que tu l’avais donnée à réparer, lui dis-je.

— Oui. Ils ont réparé les phares.

Il jeta un coup d’œil en direction de la maison.

— Ta mère nous regarde de la porte, dit-il.

— J’ai vu.

— Si elle n’était pas là, je te secouerais comme un prunier jusqu’à ce que tes plombages te sautent de la bouche.

— Brutalité policière.

— Ça n’a rien à voir avec le fait que je sois flic. Mais avec le fait que je suis italien.

Je lui tendis ses chaussures.

— J’aimerais vraiment que tu me tiennes au courant en cas d’arrestation.

— Je ferai le maximum pour que tu y participes.

Nos regards se croisèrent. Devais-je le croire ? Non.

— Tu ferais mieux de réfléchir à une bonne histoire pour expliquer à ta mère pourquoi mes fringues étaient dans ta bagnole, me dit-il, sortant ses clefs de voiture de sa poche.

— Elle ne me posera pas de question. Des vêtements d’homme dans ma voiture, j’en ai tous les jours.

Morelli me fit un sourire forcé.

— Qu’est-ce que c’était que ces vêtements ? voulut savoir ma mère quand j’arrivai à sa hauteur. Un pantalon, des chaussures ?

— Ça ne te regarde pas, lui dis-je.

— Moi, ça me regarde ! fit mamie Mazur. Je parie que c’est une histoire qui vaut le détour.

— Comment va ta main ? lui demandai-je. Tu as mal ?

— Uniquement quand je serre le poing, ce que je ne peux pas faire avec ce gros bandage. Je serais dans de beaux draps si ça avait été la main droite.

— Tu as des projets pour aujourd’hui ?

— Pas avant ce soir. Joe Loosey est toujours exposé. Je n’ai vu que son pénis, tu comprends, alors j’aimerais bien voir le reste de la bête…

— À ma mort, je veux être incinéré ! nous cria mon père du salon où il lisait le journal. Pas d’exposition dans aucun salon funéraire !

— Depuis quand ? lui demanda ma mère, se détournant de ses fourneaux.

— Depuis que Loosey a perdu sa bite. Je ne tiens pas à courir ce risque. Je veux aller directement de mon lit de mort au crématorium.

Ma mère posa devant moi une assiette d’œufs brouillés. Elle y ajouta une tranche de bacon, du pain grillé et un jus de fruit.

Je mangeai les œufs en réfléchissant aux choix que j’avais pour la journée. Je pouvais rester cloîtrée à la maison et materner ma grand-mère ; je pouvais la materner en la faisant suivre ; je pouvais vaquer à mes occupations en espérant que Kenny n’avait pas noté mamie Mazur sur son emploi du temps de la journée.

— Tu veux encore des œufs ? me demanda ma mère. Du pain grillé ?

— Non, ça va.

— Tu as la peau sur les os. Tu devrais manger davantage.

— Je n’ai pas la peau sur les os, je ne peux même pas boutonner mon jean.

— Tu as trente ans, Stéphanie. C’est normal qu’on épaississe à ton âge. Qu’est-ce que tu fais en jean de toute façon ? À trente ans, on ne s’habille plus comme une gamine.

Elle se pencha vers moi et scruta mon visage.

— Mais qu’est-ce que tu as à l’œil ? Ta paupière n’arrête pas de tressauter.

Bon, très bien. Solution numéro un exclue.

— Je dois faire une surveillance, dis-je à ma grand-mère. Tu veux être de la partie ?

— Ça devrait être dans mes cordes. Tu crois qu’il va y avoir du grabuge ?

— Je crois que ça va être chiant comme la pluie.

— Si c’est pour m’ennuyer, autant que je reste ici. On cherche qui ? Toujours ce misérable Kenny Mancuso ?

En réalité, mon idée était de coller aux fesses de Morelli. Par ricochet, je suppose que cela revenait au même.

— Mancuso, oui.

— Alors, je suis partante. J’ai un compte à régler avec lui.

Une demi-heure plus tard, ma grand-mère était fin prête : jean, gilet de ski, Doc Martens.

Je repérai la voiture de Morelli garée non loin de chez Stiva, dans Hamilton Avenue. Apparemment, il n’était pas au volant. Il devait être avec Roche en train d’échanger des souvenirs de régiment. Je me garai derrière lui, en me gardant bien de m’approcher trop près pour ne pas lui recasser ses feux arrière. J’avais vue sur les portes principale et latérale du salon funéraire et sur celle de l’immeuble où était planqué Roche.

— Toutes ces histoires de surveillance n’ont plus aucun secret pour moi, dit ma grand-mère. Ils ont interviewé des détectives privés l’autre soir à la télé, et ils ont tout raconté en détail.

Elle plongea la tête dans le fourre-tout en toile qu’elle avait emmené avec elle.

— J’ai tout ce qu’il faut là-dedans, dit-elle. Des revues pour passer le temps, des sandwiches pour la faim, des Coca pour la soif. J’ai même pensé au bocal.

— Au bocal ?

— Il contenait des olives, me dit-elle en me le montrant. C’est au cas où on aurait envie de faire pipi. Tous les privés font ça.

— Seuls les hommes peuvent pisser dans un bocal, mamie.

— Mince, mais où avais-je la tête ? Et moi qui me suis forcée à manger toutes les olives !

On parcourut les magazines, déchirant quelques fiches-cuisine au passage. On mangea les sandwiches. On but les Coca.

Après quoi, on eut toutes les deux envie d’aller aux toilettes, alors on retourna chez mes parents pour une pause-pipi. Puis on alla reprendre notre surveillance dans Hamilton Avenue où l’on put se garer juste à la même place, derrière la voiture de Morelli.

— Tu avais raison, me dit ma grand-mère au bout d’une heure. C’est mortel !

On joua au pendu, on compta les voitures qui passaient, et on cassa du sucre sur le dos de Joyce Barnhardt. On venait de commencer à jouer au portrait chinois quand, regardant une voiture qui arrivait face à nous, je reconnus Kenny Mancuso au volant d’un 4x4 Chevrolet aussi gros qu’un bus.

— Merde ! m’écriai-je, tournant maladroitement la clef de contact et pivotant sur mon siège pour ne pas le perdre de vue.

— Mais démaaaarre, bon sang ! brailla ma grand-mère. Ne laisse pas ce fils de salaud nous échapper !

Je faillis déboîter le levier de vitesses en passant la première et j’étais sur le point d’élancer la voiture quand je vis que Kenny faisait demi-tour au carrefour et revenait vers nous à toute allure. Il n’y avait pas de voiture garée derrière la nôtre. Je vis le 4x4 se rapprocher du trottoir et je dis à ma grand-mère de s’accrocher.

Le 4x4 emboutit l’arrière de la Buick qui fit une embardée, télescopa la voiture de Morelli qui alla percuter celle qui était garée devant. Kenny fit une marche arrière, appuya sur le champignon et recommença l’opération.

— Bon, ça suffit, dit ma grand-mère. J’ai passé l’âge de jouer aux autos-tamponneuses.

Elle sortit un .45 de son fourre-tout, poussa la portière d’un coup d’épaules et descendit le plus vite qu’elle put.

— Tu ne perds rien pour attendre, mon garçon, dit-elle, visant le 4x4.

Elle appuya sur la détente, le coup partit, et le recul la fit tomber sur le cul.

Kenny recula à toute vitesse jusqu’au carrefour et fila sans demander son reste.

— Je l’ai eu ? s’enquit ma grand-mère.

— Non, lui dis-je, l’aidant à se relever. Tu l’as raté.

— De beaucoup ?

— Difficile à dire.

Elle porta une main à son front.

— Je me suis donné un coup sur la tête avec ce foutu revolver. Je ne m’attendais pas à une telle puissance.

On fit le tour des voitures pour constater l’ampleur des dégâts. La Buick avait tout juste une égratignure sur le chrome de son gros pare-chocs arrière. Aucun bobo à l’avant.

La voiture de Morelli était en accordéon. Le capot et le coffre étaient froissés, et tous les phares étaient réduits en miettes. La première voiture avait été poussée en avant sur quelques centimètres, mais n’avait pas l’air abîmée, à part une petite bosse sur le pare-chocs arrière qui n’était peut-être pas due à ce carambolage.

Je regardai des deux côtés de la rue, m’attendant à voir Morelli débouler au pas de course, mais non.

— Ça va bien ? demandai-je à ma grand-mère.

— Bien sûr que ça va, me dit-elle. Je l’aurais eu, ce salaud, si je n’avais pas eu la main bandée.

— D’où sors-tu ce .45 ?

— C’est mon amie Elsie qui me l’a prêté. Elle l’a acheté dans un vide-grenier quand elle habitait à Washington. Je saigne à la tête ?

— Non, mais tu as une coupure au front. Il vaudrait mieux que je te ramène à la maison.

— Ce n’est pas une mauvaise idée. J’ai les jambes en compote. Bah, je ne suis pas aussi coriace que ceux qu’on nous montre à la télé. Ils ont l’air de tirer au revolver les doigts dans le nez, eux.

J’aidai ma grand-mère à remonter en voiture et lui attachai sa ceinture. Je jetai un dernier regard à la tôle froissée et me demandai dans quelle mesure ma responsabilité était engagée en ce qui concernait la première voiture. Les dégâts étaient minimes, inexistants, pour ainsi dire, mais je coinçai tout de même ma carte sous un essuie-glace au cas où le propriétaire du véhicule découvrirait que son pare-chocs était un peu cabossé et voudrait une explication.

Je jugeai superflu de faire de même pour Morelli, étant donné qu’il penserait à moi tout de suite.

— Il vaut mieux qu’on ne parle pas de l’épisode du revolver à la maison, dis-je à ma grand-mère. Tu sais comment est maman avec les armes à feu.

— Pas de problème. Je préfère ne plus y penser d’ailleurs. Je n’arrive pas à croire que j’ai pu manquer cette voiture. Je n’ai même pas fait éclater un pneu !

Ma mère nous décocha un regard surpris quand elle nous vit débarquer.

— Qu’est-ce qui se passe encore ? fit-elle à ma grand-mère. Et qu’est-ce que tu t’es fait au front ?

— Je me suis donné un coup avec une boîte de Coca. Un accident bête.

Une demi-heure plus tard, Morelli frappait à notre porte.

— J’aimerais te dire deux mots… dehors, fit-il, me prenant par le bras et m’entraînant de force.

— Ce n’est pas ma faute, lui dis-je d’emblée. Ma grand-mère et moi, on attendait dans la Buick, et Kenny est arrivé derrière nous et nous a foncé dessus.

— Tu veux bien répéter ?

— Il conduisait un 4x4 Chevrolet de deux tonnes. Il nous a vues en stationnement. Il a fait demi-tour et il nous est rentré dedans. Deux fois. Ma grand-mère lui a tiré dessus mais il est reparti.

— C’est l’histoire la plus débile que j’aie jamais entendue.

— C’est la vérité !

— Qu’est-ce qui se passe ? nous cria ma grand-mère, de la porte.

— Morelli croit que je lui raconte des bobards à propos de sa voiture.

Ma grand-mère attrapa son fourre-tout sur la table de l’entrée, fouilla dedans, sortit le .45 et visa Morelli.

— Bon sang ! s’écria ce dernier, faisant un saut de côté et lui arrachant le revolver des mains. Où donc avez-vous eu ça ?

— Un emprunt, lui dit ma grand-mère. Je m’en suis servie contre votre bon à rien de cousin, mais je l’ai manqué.

Morelli regarda longuement les Doc Martens de ma grand-mère, et dit :

— Et je suppose que cette arme n’est pas déclarée ?

— Déclarée où ? À qui ? fit ma grand-mère.

— Débarrasse-t’en, me fit Morelli. Que je ne le revoie plus.

Je redonnai le revolver à ma grand-mère, la poussai à l’intérieur puis refermai la porte.

— Je vais m’en occuper, dis-je à Morelli. Je le rendrai moi-même à sa propriétaire.

— Donc, cette histoire abracadabrante est vraie ?

— Mais toi, tu étais où ? Comment se fait-il que tu n’aies rien vu ?

— Je relayais Roche. Je surveillais le salon funéraire, pas ma bagnole. Et la Buick, pas de bobo ?

— Rien qu’une éraflure sur le pare-chocs arrière.

— Dis, l’armée est au courant qu’une telle bagnole existe ?

J’estimai que le moment était venu de lui rappeler que je n’étais pas là pour faire de la figuration.

— Tu as vérifié le statut des armes de Spiro ?

— Tout ce qu’il y a de plus légales. Déclarées en bonne et due forme.

Au temps pour moi.

— Stéphanie, cria ma mère de l’intérieur. Tu es sortie sans mettre de manteau ? Tu veux attraper la mort ?

— En parlant de mort, fit Morelli. Le propriétaire de ton pied a été retrouvé ce matin. Son corps flottait sur la rivière coincé contre une des piles du pont.

— Sandeman ?

— En personne.

— À ton avis, Kenny est autodestructeur, il cherche à se faire choper ?

— Je crois que c’est beaucoup plus simple. Il est branque. Au départ, pour lui, c’était un moyen de gagner gros très facilement. Il y a eu un os, le coup a foiré et Kenny a disjoncté. Maintenant, il est tellement tourneboulé qu’il en devient bigleux et qu’il cherche quelqu’un à qui faire porter le chapeau… Moogey, Spiro, toi.

— Il a perdu la partie, hein ?

— Dans les grandes largeurs.

— Tu crois que Spiro est aussi dingue que Kenny ?

— Spiro n’est pas dingue. C’est un minus.

Il avait raison. Spiro était un furoncle que le Bourg avait sur le cul. Je jetai un regard à la voiture de Morelli. Elle avait l’air inutilisable.

— Je te dépose quelque part ? lui demandai-je.

— Je vais me débrouiller.

Le parking de chez Stiva était déjà archiplein à sept heures et il n’y avait aucune place disponible sur cinq cents mètres des deux côtés de Hamilton Avenue. Je me garai en double file à deux pas de l’allée de service, et dis à ma grand-mère que je l’attendrais dans la voiture.

Elle s’était changée au profit d’une robe et de son grand manteau bleu et, avec ses cheveux abricot, elle faisait une jolie tache de couleurs tandis qu’elle gravissait le perron du salon funéraire. Elle avait son sac à main en cuir véritable coincé dans le creux du coude, et sa main bandée pointait tel un drapeau blanc l’instituant en invalide de la guerre menée contre Kenny Mancuso.

Je dus faire deux fois le tour du pâté de maisons avant de dégoter une place. Je me hâtai vers le salon funéraire et entrai par la porte latérale, me blindant contre la chaleur étouffante et les messes basses. Une fois que tout ça serait terminé, je me jurai de ne plus jamais mettre les pieds dans un salon funéraire. Quelle que soit l’identité du défunt. Je ne marchais plus. Que ce soit ma mère ou ma grand-mère. Elle allaient devoir se débrouiller sans moi.

Je rejoignis Roche, toujours attablé à la même place.

— J’ai vu que ton « frère » allait être enterré demain matin.

— Ouais. Si tu savais comme ce coin de table va me manquer. Et ces biscuits bon marché à la sciure de bois. Sans oublier le thé. Il est si bon, ce thé.

Il regarda autour de lui.

— Enfin, soupira-t-il, faut pas se plaindre. J’ai connu pire, comme mission. L’an dernier, j’ai dû assurer une surveillance déguisé en clochard, et je me suis fait agresser. Résultat des courses : deux côtes brisées.

— Tu as vu ma grand-mère ?

— Je l’ai vue passer, et puis elle s’est noyée dans la foule. Je suppose qu’elle essaie de jeter un œil sur le… hum, châtré de service.

Je rentrai la tête dans les épaules et m’élançai dans le salon où la dépouille mortelle de Joe Loosey était exposée. Je jouai des coudes jusqu’au cercueil à côté duquel se tenait la veuve. Je m’attendais à ce que ma grand-mère se soit immiscée dans l’espace réservé à la famille du défunt, son raisonnement étant qu’ayant vu le pénis de Joe, elle faisait dorénavant partie de ses intimes.

— Sincères condoléances, dis-je à Mrs. Loosey. Vous n’auriez pas vu ma grand-mère par hasard ?

— Edna est ici ? fit-elle, l’air affolé.

— Je l’ai déposée à l’entrée il y a une dizaine de minutes. Je pensais qu’elle serait auprès de vous.

— Non, je ne l’ai pas vue, dit Mrs. Loosey, posant une main sur le cercueil de son mari en un geste protecteur.

Je refendis la foule en sens inverse et gagnai le salon où était exposé le faux frère de Roche. Une poignée de gens gravitaient dans le fond de la pièce. Vu leur animation, j’en conclus qu’ils devaient être en train de parler de l’affaire du pénis. Je demandai à la cantonade si quelqu’un avait vu ma grand-mère. Non. Je retournai dans l’entrée et allai voir si elle était à la cuisine, aux toilettes, dans la partie latérale de la véranda. Non. J’interrogeai tous ceux que je trouvais sur mon chemin. Personne n’avait vu de petite vieille dame en manteau bleu.

Des picotements d’inquiétude avaient commencé à danser leur danse de Saint-Guy le long de ma colonne vertébrale. Cela ne ressemblait pas à ma grand-mère. Elle aimait être aux premières loges. Je l’avais vue traverser le hall d’entrée, donc j’étais sûre qu’elle était à l’intérieur… en tout cas, qu’elle y avait été un certain laps de temps. J’estimai qu’il y avait peu de chances qu’elle soit ressortie car je l’aurais vue dans la rue pendant que je cherchais une place. Et il me paraissait inconcevable qu’elle soit repartie sans être allée jeter un coup d’œil sur Loosey.

Je montai à l’étage et visitai les pièces de stockage et d’archivage. J’entrouvris la porte du bureau de Spiro et allumai la lumière. Personne. Les toilettes ? Personne. Et personne dans le placard à linge qui contenait diverses fournitures de bureau.

Je redescendis dans le hall et remarquai que Roche ne s’y trouvait plus. Spiro se tenait à côté de la porte d’entrée, seul, l’air revêche.

— Ma grand-mère a disparu, lui dis-je.

— Félicitations.

— Très drôle. Je suis inquiète.

— Il y a de quoi, c’est une folle.

— Vous l’avez vue ?

— Non. Et c’est bien la seule chose agréable qui me soit arrivée ces deux derniers jours.

— Je pensais aller jeter un œil dans les pièces du fond.

— Inutile. Je les laisse fermées à clef pendant les heures d’ouverture au public.

— Ma grand-mère peut se montrer très astucieuse quand elle a une idée derrière la tête.

— Même si elle avait réussi à y entrer, elle n’y aurait pas fait de vieux os. Fred Dagusto est sur la table numéro un et il n’est pas beau à voir. Cent cinquante-cinq kilos de chair pas fraîche. De la graisse à perte de vue. Il va falloir le huiler et le faire entrer dans le cercueil à l’aide de chausse-pieds.

— Je veux quand même aller voir.

Spiro consulta sa montre.

— Vous allez devoir attendre la fermeture. Je ne peux pas me permettre de laisser cette bande de vampires sans surveillance. Quand il y a autant de monde, certains s’en vont en emportant un petit souvenir. Si on ne surveille pas la sortie, on y laisserait jusqu’à sa dernière chemise.

— Je n’ai pas besoin d’un guide. Donnez-moi les clefs.

— C’est hors de question. Je risque un procès quand il y a un macchabée sur la table. Je ne prends plus aucun risque après l’affaire Loosey.

— Où est Louie ?

— C’est son jour de congé.

Je sortis sur le perron et regardai de l’autre côté de la rue. Pas de lumière aux fenêtres de la planque. Roche devait être en train de regarder et d’écouter. Morelli était peut-être avec lui. J’étais inquiète pour ma grand-mère, mais pas au point d’appeler Morelli à la rescousse. Autant le laisser surveiller les alentours pour le moment.

Je longeai l’allée latérale, fouillai le parking du regard, puis m’approchai des garages, au fond, et collai mes mains en rond sur les vitres teintées des corbillards, examinai l’intérieur du véhicule des fleurs et couronnes dont les portes arrière étaient ouvertes, donnai de petits coups sur le coffre de la Lincoln de Spiro.

La porte de la cave était fermée à clef, mais la porte de service donnant sur la cuisine, par contre, était ouverte. J’entrai par là et refis le tour des pièces, essayant d’ouvrir la porte des salles de travail. Fermée à double tour comme promis.

Je me glissai dans le bureau de Spiro d’où je téléphonai à mes parents.

— Mamie Mazur est avec vous ? demandai-je à ma mère.

— Oh, mon Dieu ! Tu l’as perdue ! Où es-tu ?

— Chez Stiva. Je suis sûre qu’elle n’est pas bien loin, mais il y a foule et je n’arrive pas à la retrouver.

— Elle n’est pas ici.

— Si elle rentre, téléphone-moi au salon funéraire.

J’appelai Ranger et lui racontai mon problème en lui disant qu’il serait bien possible que j’aie besoin de son aide.

Je rejoignis Spiro et lui dis que s’il ne me donnait pas accès à la salle d’embaumement, je sortais mon boîtier paralysant et je lui balançais une bonne décharge dans le squelette. Il parut réfléchir, puis pivota sur lui-même et passa devant les salons d’exposition avec raideur. Il poussa la porte du couloir qui s’ouvrit avec fracas, se retourna vers moi et me fit signe de me grouiller.

Comme si j’avais envie de m’attarder auprès de Fred Dagusto.

— Elle n’est pas là, dis-je à Spiro qui, resté sur le seuil, gardait son œil de lynx fixé sur les manteaux, à l’affût d’inhabituels renflements qui pourraient signaler qu’un endeuillé filait en emportant un rouleau de papier-toilette.

— Qu’est-ce que je vous disais ! fit-il.

— Le seul endroit où je n’ai pas regardé, c’est la cave.

— Elle n’y est pas, je vous dis. La cave est fermée à clef tout comme cette pièce.

— Je veux y descendre.

— Écoutez, soupira Spiro, elle est sans doute partie avec un de ses vieux copains. Elle doit être dans un restau ou un autre à l’heure qu’il est, en train de mener la vie dure à une pauvre serveuse.

— Laissez-moi descendre à la cave et je vous jure que je ne vous embête plus.

— Une perspective qui me réchauffe le cœur !

Un vieil homme agrippa Spiro par l’épaule.

— Comment va Constantin ? lui demanda-t-il. Toujours à l’hôpital ?

— Non, fit Spiro. Il est sorti. Il revient travailler lundi prochain.

— Ah, ben voilà qui doit vous faire plaisir !

— Ouais. J’en saute de joie.

Spiro traversa le hall d’entrée, glissant entre des groupes, snobant les uns, léchant les pompes des autres. Je le suivis jusqu’à la porte de la cave et attendis impatiemment qu’il trouve la bonne clef. Mon cœur battait à tout rompre tant j’avais peur de ce que j’allais peut-être découvrir au bas de l’escalier.

Je priais que Spiro ait raison ; que ma grand-mère soit en train de dîner quelque part avec un de ses anciens flirts, mais je doutais fort que ce soit le cas.

Si quelqu’un l’avait forcée à sortir de chez Stiva, Morelli ou Roche seraient intervenus. À moins qu’on ne l’ait fait passer par la porte de derrière, la seule qu’ils ne pouvaient voir. Mais ils avaient compensé ce manque en plaçant des micros qui, s’ils étaient branchés, devaient leur avoir signalé que j’avais perdu ma grand-mère et ils devaient avoir pris une décision-quelle qu’elle soit. J’allumai la lumière de l’escalier et appelai.

— Mamie ?

La chaudière ronronnait en bas et des murmures me parvenaient des salons derrière moi. Un petit cercle de lumière éclairait le sol de la cave juste en bas des marches. Je plissai les yeux et tendis l’oreille, à l’affût du moindre bruit qu’aurait à m’offrir la cave.

Le silence qui régnait me donna une crampe d’estomac. Il y avait quelqu’un en bas. J’en étais sûre. Aussi sûre que le souffle de Spiro que je sentais sur ma nuque.

Pour tout dire, je n’ai pas l’étoffe d’une héroïne. J’ai une peur bleue des araignées, des extraterrestres, et certains soirs, je ressens le besoin de regarder sous mon lit pour vérifier qu’il ne s’y trouve pas de créatures baveuses et griffues. Si jamais j’en trouvais une, je prendrais mes jambes à mon cou et ne remettrais une peur bleue des araignées, des extraterrestres, et…

— Le compteur tourne, me dit Spiro. Vous descendez ou pas ?

Je sortis mon .38 de mon sac et m’engageai dans l’escalier. Stéphanie Plum, la chasseuse de primes pétocharde, descendait les marches une à une, le cœur battant si fort à ses tempes qu’elle en voyait flou.

Je m’arrêtai sur la dernière marche, tendis le bras sur ma gauche et appuyai sur l’interrupteur. Rien ne se passa.

— Hé, Spiro ! criai-je. Il n’y a pas d’électricité.

Je le vis se baisser en haut des marches.

— Ça doit être le disjoncteur.

— Il est où ?

— Sur votre droite. Derrière la chaudière.

Zut. C’était le noir complet sur ma droite. Je cherchai ma torche électrique dans mon sac, mais avant que j’aie eu le temps de mettre la main dessus, Kenny jaillit de l’obscurité et bondit sur moi. Il me frappa de côté et on roula tous les deux par terre. L’impact de la chute me coupa la respiration et envoya mon .38 valdinguer hors d’atteinte. Je tentai de me relever mais je fus réexpédiée à plat ventre au tapis. Je sentis la pression d’un genou entre mes omoplates et celle d’un objet pointu dans mon cou.

— Ne bouge plus, conasse, fit Kenny. Au moindre geste, je te tranche la gorge.

J’entendis la porte de la cave se refermer et Spiro dévaler l’escalier.

— Kenny ? dit-il. Mais qu’est-ce que tu fous ici ? Comment es-tu rentré ?

— Par la porte. Avec la clef que tu m’as donnée. Par où veux-tu que je rentre ?

— Je ne savais pas que tu repasserais. Je croyais que tu avais apporté toute la marchandise hier soir.

— Je suis venu vérifier que tout était toujours là.

— Ça veut dire quoi, au juste ?

— Ça veut dire que tu me fous les boules, fit Kenny.

— Les boules ? Celle-là, c’est la meilleure. C’est toi qui es barje et c’est moi qui te fous les boules.

— Fais gaffe à ce que tu dis.

— Laisse-moi t’expliquer la différence entre nous, dit Spiro. Tout ça, pour moi, c’est du travail. Je me comporte en professionnel. Quelqu’un avait volé les cercueils, donc j’ai engagé un expert pour les retrouver. Je ne me suis pas amusé à tirer dans les genoux de mon associé, moi ! Je n’ai pas été con au point de le canarder avec une arme volée et de me faire surprendre par un flic même pas en service ! Je ne suis pas débile au point d’imaginer que mes partenaires jouent un double jeu, moi ! Je ne me suis pas dit que c’était un coup monté, moi ! Et je ne m’amuse pas à foutre la trouille à un petit bout de chou ici présent. Tu veux que je te dise quel est ton problème, Kenny ? Quand tu as une idée derrière la tête, tu ne l’as pas ailleurs ! Tu te bourres le mou avec tes conneries, tu ne vois pas plus loin que le bout de ta folie ! Et il faut toujours que tu cherches à te rendre intéressant. Tu aurais pu te débarrasser de Sandeman ni vu ni connu, mais non il a fallu que tu lui tranches le pied !

Kenny pouffa de rire.

— Et moi, je vais te dire quel est ton problème, Spiro. Tu sais pas t’amuser. Faut toujours que tu fasses une tête d’enterrement. Tu devrais essayer d’enfoncer une de tes aiguilles d’embaumeur dans des tissus vivants pour changer.

— Tu es complètement malade.

— Ouais, et toi t’es pas très sain. Depuis le temps que tu me regardes faire mes tours de magie…

J’entendis Spiro bouger dans mon dos.

— Tu parles trop, dit-il.

— C’est pas grave. Petit bout de chou ne racontera rien à personne. Sa mère-grand et elle vont disparaître de la circulation.

— D’accord, mais pas ici. Je ne veux pas être mêlé à ça.

Spiro s’approcha du disjoncteur, le rebrancha et la lumière fut.

Cinq cercueils dans leur caisse étaient alignés contre un mur ; la chaudière et le cumulus trônaient au milieu de la pièce ; des caisses et des cartons étaient empilés à côté de la porte de derrière. Inutile d’être un génie pour en deviner le contenu.

— Je ne comprends pas, dis-je. Pourquoi avoir amené la marchandise ici ? Constantin reprend le travail lundi. Comment allez-vous faire pour lui cacher tout ça ?

— Ce ne sera plus là lundi, dit Spiro. On a tout amené ici hier pour faire l’inventaire. Sandeman transportait toute cette cargaison dans sa camionnette et l’écoulait au détail, ce con ! Une chance pour nous que vous ayez repéré sa camionnette au garage. Encore quinze jours à ce rythme, et il ne nous serait plus rien resté.

— Je ne sais pas comment vous vous y êtes pris pour apporter tout ça ici, mais vous ne pourrez jamais le ressortir. Morelli surveille le salon.

Kenny ricana.

— On va les sortir comme on les a rentrés, dit-il. Dans le wagon à bestiaux.

— Nom de Dieu, fit Spiro, je t’ai déjà dit que ça ne s’appelait pas comme ça !

— Ah ouais, c’est vrai. Le corbillard.

Kenny se releva et me tira violemment pour me remettre debout.

— Les flics surveillent Spiro et la baraque, mais pas le corbillard ni Louie Moon. Enfin, celui qu’ils prennent pour Moon. Mettez un chapeau à Cheeta et foutez-la derrière les vitres teintées du fourgon, et les flics croiront que c’est Louie Moon. Il faut dire que ce bon vieux Louie est très coopératif. Vous lui donnez un chiffon en lui disant de faire la poussière, et ça l’occupe pendant des heures. Il ne cherche pas à savoir qui prend le volant de son satané fourgon.

Pas con. Kenny s’est fait passer pour Louie Moon, a amené les armes et les munitions au salon funéraire dans le corbillard, l’a laissé au garage et a tranquillement transporté les caisses jusqu’à la cave en passant par la porte de derrière. Que Morelli et Roche ne voient pas. Et il est probable qu’ils n’entendent rien de ce qui se passe à la cave. Peu de chances que Roche y ait placé un micro.

— Et la vieille ? demanda Spiro à Kenny.

— Elle cherchait un sachet de thé à la cuisine et elle m’a vu traverser la pelouse.

Spiro se rembrunit.

— Elle l’a dit à quelqu’un ?

— Non. Elle est sortie en gesticulant et en gueulant que je lui avais transpercé la main et qu’elle allait m’apprendre à vivre.

Apparemment, ma grand-mère n’était pas dans la cave. J’espérais qu’il fallait en conclure que Kenny l’avait enfermée dans le garage. Si c’était le cas, elle pouvait être encore vivante. Même pas blessée peut-être. Si elle se trouvait dans un coin de la cave, hors de ma vue, elle était anormalement tranquille.

Je me refusais à envisager les raisons possibles de cette tranquillité inhabituelle, préférant étouffer la panique qui me nouait l’estomac au profit d’une émotion plus constructive. Le raisonnement à froid ? Non. J’étais en rupture de stock. L’humour ? Désolée, j’étais à court. La colère ? Est-ce que j’étais en colère ? Oh oui, avec un grand C ! Colère pour ma grand-mère. Colère pour toutes les femmes que Kenny Mancuso avait malmenées. Colère pour les flics abattus avec les armes volées. J’aiguisai ma colère jusqu’à ce qu’elle soit aussi affilée que la lame d’un coupe-chou.

— Et maintenant ? dis-je à Kenny. Qu’est-ce qu’on fait ?

— Maintenant, on va te foutre au frigo jusqu’à ce que tout le monde ait décanillé. Après, on verra selon mon humeur. On a le choix dans un salon funéraire. Hé, on pourrait te ligoter sur la table et t’embaumer vivante. Ce serait marrant, ça.

Il exerça une pression sur la lame du couteau contre mon cou.

— Avance, dit-il.

— Où ça ?

— Dans le coin, dit-il, le montrant d’un brusque mouvement de tête.

Là où étaient empilés les cercueils.

— Jusqu’aux cercueils ? dis-je.

Il sourit et m’aiguillonna pour que j’avance.

— Le cercueil, ce sera pour plus tard, dit-il.

Je plissai les yeux pour essayer de percer l’obscurité qui régnait dans le coin de la pièce et me rendis compte que les cercueils n’étaient pas accolés au mur. Entre les deux se trouvait une chambre froide. Ses deux tiroirs étaient fermés ; les plateaux en métal invisibles derrière de lourdes portes.

— Il va faire bon là-dedans, dit Kenny. Ça te donnera le temps de réfléchir.

Un frisson de peur courut le long de ma colonne vertébrale à m’en donner la nausée.

— Mamie Mazur…

— … est en train de se transformer en esquimau pendant qu’on cause.

— NON ! Sortez-la de là ! Je ferai tout ce que vous voudrez !

Des larmes ruisselaient sur mes joues et des gouttes de sueur mouillaient mon front.

— C’est une vieille dame, dis-je. Elle n’est pas dangereuse. Laissez-la sortir.

— Pas dangereuse ? fit Kenny. Tu déconnes ? Si vous aviez vu le cirque pour la foutre dans ce tiroir !

— De toute façon, elle doit être déjà morte à l’heure qu’il est, dit Spiro.

— Tu crois ? fit Kenny.

— Ça fait combien de temps qu’elle est là-dedans ?

— Une dizaine de minutes, répondit Kenny, après avoir jeté un coup d’œil à sa montre.

— Tu as baissé le thermostat ?

— J’y ai pas touché.

— On ne laisse pas les casiers mortuaires réglés sur « froid » s’ils sont inoccupés, expliqua Spiro. Économie d’énergie. Ils doivent être à peu prêts à température ambiante.

— Ouais, mais elle est peut-être morte de peur, dit Kenny. Qu’est-ce que t’en penses ? Tu crois que ta mamie est morte ?

Je réprimai un sanglot.

— Alors ? dit Kenny. Petit bout de chou a perdu sa langue ? On ferait peut-être mieux d’ouvrir pour voir si la vioque respire encore.

Spiro libéra le loquet de la porte, l’ouvrit, attrapa l’extrémité du plateau en acier inoxydable et le fit glisser lentement vers lui. La première chose que je vis de ma grand-mère fut d’abord ses chaussures, pointées vers le ciel, puis ses mollets osseux, son grand manteau bleu, et ses bras raides le long de son corps, mains cachées dans les plis du manteau.

Je me sentis vaciller sous une vague de chagrin. Je me forçai à respirer calmement et clignai des yeux pour refouler mes larmes.

Le plateau, arrivé en bout de course, se bloqua en cliquetant. Ma grand-mère, raide comme un piquet, avait les yeux grands ouverts et les mâchoires serrées.

Nous la contemplâmes en silence pendant quelques instants.

Kenny fut le premier à retrouver l’usage de la parole.

— Elle m’a l’air bien morte, dit-il. Referme le tiroir.

Un son de rien du tout se fit entendre. Un son sifflant. On tendit l’oreille. Je vis l’œil de ma grand-mère cligner imperceptiblement. Encore ce son sifflant. Plus fort cette fois. Mamie inspirant entre ses dentiers !

— Hmmm, fit Kenny. Elle est peut-être pas encore tout à fait morte.

— Tu aurais dû baisser le thermostat, fit remarquer Spiro. Cette poupée n’aurait pas tenu plus de dix minutes à zéro degré.

Ma grand-mère remua faiblement sur son plateau.

— Qu’est-ce qu’elle fait ? demanda Spiro.

— Elle essaie de s’asseoir, dit Kenny. Mais elle est trop vieille. Tes vieux os t’obéissent plus, hein, mémé ?

— Vieux, murmura-t-elle. Attends de voir ce que tu vas voir.

— Referme ce tiroir, dit Kenny à Spiro. Et mets la vieille à congeler.

Spiro donna une poussée sur le plateau, mais ma grand-mère, du pied, l’empêcha de coulisser. Elle avait les jambes repliées et se débattait comme un beau diable.

Spiro marmonna dans sa barbe et poussa violemment le plateau qui glissa, mais il manquait toujours quelques centimètres pour qu’il puisse refermer la porte.

— Quelque chose coince, dit-il. Je ne peux pas aller plus loin.

— Rouvre, fit Kenny. Qu’on voie ce qui cloche.

Spiro retira le plateau vers lui.

Apparut le menton de mamie Mazur, son nez, ses yeux… et ses bras qu’elle avait tendus au-dessus de sa tête.

— Tu cherches les ennuis, mémé ? fit Kenny. Tu t’amuses à coincer le tiroir ?

Ma grand-mère ne répondit pas, mais je voyais qu’elle grinçait des dentiers.

— Allonge les bras sur le côté, lui ordonna Kenny. Et me cherche pas, parce que tu pourrais bien me trouver !

Ma grand-mère gigota pour décoincer ses bras. Finalement, elle libéra sa main bandée, et l’autre suivit, tenant le .45. Elle rabattit son bras tendu et fit feu.

On se coucha tous à terre et elle tira un autre coup.

Puis, ce fut le silence. Personne ne bougea sauf ma grand-mère. Elle prit appui sur un coude, se redressa et il lui fallut un petit moment pour s’asseoir.

— Je sais ce que vous vous demandez, dit-elle, rompant le silence. Est-ce qu’elle a d’autres balles dans son barillet ? Eh bien, dans toute cette confusion, et d’être enfermée dans ce frigo, j’en avais oublié ce que j’avais sur moi. Mais étant donné qu’il s’agit d’un .45 magnum, à savoir le revolver le plus puissant du monde, et qu’il peut vous arracher la tête, vous n’avez plus qu’une question à vous poser : est-ce que c’est mon jour de chance, aujourd’hui ? Hein, qu’en dites-vous, minables ?

— Bordel, chuchota Spiro, voilà qu’elle se prend pour Clint Eastwood maintenant.

Bang ! mamie tira et dégomma une ampoule.

— Mince, fit-elle, y a vraiment un problème avec ce viseur.

Kenny crapahuta jusqu’aux caisses pour prendre un revolver. Spiro remonta l’escalier quatre à quatre. Quant à moi, je m’avançai en rampant vers mamie Mazur.

Bang ! Autre coup de feu. La balle manqua Kenny mais se ficha dans l’une des caisses. Il y eut une explosion et un feu d’artifice embrasa la cave jusqu’au plafond.

Je bondis sur mes pieds et aidai ma grand-mère à descendre du plateau.

Une autre caisse explosa. Des balles crépitèrent sur le sol et tracèrent des pointillés sur le bois des caisses qui renfermaient les cercueils. J’ignorais ce qui explosait ainsi, mais je me disais que nous avions de la chance de ne pas être touchées par des échardes de bois. Des volutes de fumée s’élevaient des caisses en flammes, nous obstruant la lumière, nous piquant les yeux.

J’entraînai ma grand-mère vers la porte de derrière et la poussai dans la cour.

— Ça va ? lui criai-je.

— Il allait me tuer, dit-elle. Et toi aussi. Nous tuer toutes les deux.

— Oui.

— Les gens ne respectent plus la vie humaine, c’est terrible !

— Oui.

Ma grand-mère se retourna vers la cave.

— Heureusement que tout le monde n’est pas comme ce Kenny. Il y a encore des gens normaux.

— Comme nous ?

— Oui, je suppose. Mais je pensais plutôt à l’inspecteur Harry.

— Bravo pour ton laïus.

— J’avais toujours rêvé de dire un truc comme ça. Je suppose que tout vient à point à qui sait attendre…

— Tu peux aller dans le bâtiment d’en face dire à Morelli que je suis là ?

Ma grand-mère s’éloigna vers la rue.

— S’il est là, je mettrai la main dessus ! dit-elle.

Kenny était à l’autre bout de la cave quand nous nous étions précipitées dehors. Soit il était remonté au rez-de-chaussée, soit il était toujours en bas en train de ramper vers la porte de derrière. Je penchais plutôt pour la deuxième solution. Il y avait trop de monde au rez-de-chaussée.

Je me trouvais à cinq ou six mètres de la porte, et je ne savais pas trop quoi faire si Kenny surgissait. Je n’avais ni revolver ni bombe lacrymogène. Pas même ma torche électrique. Je ferais peut-être mieux de filer dare-dare et d’oublier Kenny. L’argent, ce n’est pas tout dans la vie, me dis-je.

Qu’est-ce que je racontais ? Il n’était pas question d’argent. Il était question de ma grand-mère.

Il y eut une nouvelle explosion, plus faible que les précédentes, et des flammes jaillirent des fenêtres de la cuisine. Des gens criaient dans la rue et j’entendis des sirènes qui approchaient. De la fumée se déversait par la porte de la cave et s’enroulait autour d’une silhouette humaine. Une créature de l’enfer cernée par le feu. Kenny.

Il se plia en avant, en proie à une quinte de toux, puis inspira profondément, bras ballants. Apparemment, il n’avait pas réussi à prendre une arme. Bonne nouvelle. Je le vis regarder à droite et à gauche, puis marcher droit sur moi. J’avais l’impression que mon cœur allait bondir hors de ma poitrine, puis je me rendis compte que Kenny ne m’avait pas encore vue. Je me dressai, perdue dans l’ombre, sur sa voie de sortie. Il comptait contourner les garages et disparaître dans les ruelles du Bourg.

Il avançait à pas de loup, inaudible dans le rugissement des flammes. Ce ne fut qu’arrivé à un mètre cinquante de moi qu’il me vit. Il se figea sur place, surpris, et on se mesura du regard.

Tout d’abord, je crus qu’il allait prendre ses jambes à son cou, mais il se rua sur moi en poussant un juron, et on roula tous deux dans la poussière en se donnant des coups de pied et de poing. Je lui flanquai un bon coup de genou et lui enfonçai mon pouce dans l’œil.

Kenny s’écarta de moi en hurlant de douleur et commença à se relever. Je l’attrapai par un pied et le fis retomber à genoux. On roula de nouveau par terre. Et de nous rebalancer des coups de pied, de poing et des insultes.

Il était plus grand et plus fort que moi, et plus fou sans doute. Quoique j’en connaisse qui ne seraient pas forcément d’accord sur ce dernier point. J’étais mue par la colère. Kenny tentait le tout pour le tout, mais j’étais complètement enragée.

Je ne voulais pas seulement l’empêcher de fuir… je voulais lui faire mal. Pas facile à admettre. Je ne m’étais jamais considérée comme quelqu’un de foncièrement mauvais et de rancunier, mais c’était ainsi.

Je serrai le poing et lui balançai un revers, portant un coup qui me fit vibrer le bras jusqu’à l’épaule. Il y eut un craquement, Kenny haleta, puis je le vis battre l’air de ses bras.

Je l’attrapai par le pan de sa chemise et appelai à l’aide.

Ses mains se serrèrent autour de mon cou et je sentis son souffle tiède sur mon visage.

— Crève, dit-il d’une voix pâteuse.

Peut-être, mais il mordrait la poussière avec moi. Je me cramponnais à sa chemise avec une poigne de fer. Sa seule façon de m’échapper serait qu’il se mette torse-poil. Je ne lâcherais pas sa liquette, même étranglée.

J’étais si concentrée là-dessus qu’il me fallut quelques secondes pour me rendre compte que nous étions trois.

— Putain, me criait Morelli à l’oreille. Mais lâche-le donc !

— Il va s’échapper !

— Mais non. Je le tiens.

Derrière Morelli, je vis Ranger et Roche au coin de la maison, flanqués de deux policiers en uniforme.

— Qu’elle me lâche ! hurlait Kenny. Bon Dieu, ces salopes de Plum sont de vraies tigresses !

J’entendis un autre craquement dans l’obscurité, et je soupçonnai fort Morelli d’avoir accidentellement cassé quelque chose appartenant à Kenny. Son nez, par exemple.

15

 

J’avais enveloppé la cage de Rex dans une grosse couverture bleue pour qu’il n’attrape pas froid pendant le transport. Je le soulevai du siège avant de la Buick et refermai la portière d’un coup de fesses.

Comme c’était bien de rentrer chez soi. Et comme c’était bien de se sentir en sécurité. Kenny était sous les verrous sans possibilité de remise en liberté sous caution, et j’espérais qu’il y resterait un bon moment. Toute sa vie, avec de la chance.

Rex et moi prîmes l’ascenseur. Les portes s’ouvrirent au deuxième étage et je sortis sur le palier, le cœur léger. J’aimais mon couloir, j’aimais Mr. Wolesky, j’aimais Mrs. Bestler. Il était neuf heures du matin et j’allais prendre une douche dans MA salle de bains. J’aimais tant ma salle de bains.

Je coinçai la cage de Rex contre ma hanche pour ouvrir ma porte. Plus tard, dans la journée, je passerais à l’agence pour toucher ma prime. Puis j’irais faire quelques emplettes. Peut-être que je m’achèterais un nouveau frigo…

Je posai Rex sur la table du salon et ouvris les doubles rideaux. J’aimais mes doubles rideaux. Je restai immobile un moment, admirant la vue sur le parking, me disant que mon parking aussi, je l’aimais.

— Chez moi, dis-je.

Au calme. Au chaud. À l’abri.

On frappa à la porte.

J’allai zieuter par le judas. C’était Morelli.

— J’ai pensé que ça t’intéresserait de connaître le fin mot de l’histoire, dit-il.

Je lui ouvris et m’effaçai.

— Kenny a parlé ?

Morelli entra, l’air décontracté mais l’œil aux aguets. Il n’oubliait jamais qu’il était flic, celui-là.

— Suffisamment pour qu’on recompose le puzzle, dit-il. Il se trouve qu’ils étaient trois comploteurs, comme on le pensait. Kenny, Moogey et Spiro. Et chacun avait une clef du hangar de stockage.

— Un pour tous, tous pour un.

— Ou plutôt chacun pour soi. C’était Kenny le cerveau. C’est lui qui a programmé le vol et qui avait un acheteur à l’étranger pour les munitions volées.

— D’où les coups de fil au Mexique et au Salvador.

— Exactement. Il avait aussi touché une grosse avance.

— Qu’il a claquée tout de suite.

— Oui. Là-dessus, il est allé au hangar pour préparer la livraison, et tu sais quoi ?

— Plus de marchandises.

— Re-oui, fit Morelli. Pourquoi tu es en blouson ?

— Parce que je viens d’arriver. Je m’apprêtais à prendre une douche.

— Mmmm, soupira Morelli.

— Il n’y a pas de mmmm qui tienne. Parle-moi plutôt de Sandeman. Qu’est-ce qu’il vient faire dans cette galère ?

— Il a surpris une conversation entre Moogey et Spiro qui a éveillé sa curiosité. Alors, il a eu recours à l’un des nombreux talents qu’il a acquis au cours de sa carrière de petit criminel : il a piqué la clef du hangar au trousseau de Moogey et, par élimination, a trouvé celui auquel elle correspondait.

— Qui a tué Moogey ?

— Sandeman. Il a pété les plombs. Il a cru que Moogey savait au sujet de la camionnette de déménagement qu’il avait louée.

— Et Sandeman a gentiment raconté tout ça à Kenny ?

— Kenny peut être très persuasif quand il veut.

Je n’en doutais pas une seconde.

— Pour en revenir à ta douche…

Je tendis le bras, désignant la porte.

— Dehors, dis-je.

— Tu ne veux pas savoir pour Spiro ?

— Savoir quoi ?

— On ne l’a toujours pas retrouvé.

— Vous n’avez pas creusé au bon endroit.

Morelli tressaillit.

— Humour mortuaire, précisai-je.

— Autre chose. Kenny nous a donné une version très intéressante sur la façon dont l’incendie s’est déclaré.

— Mensonges. Rien que des mensonges !

— Tu te serais épargné bien des terreurs si tu avais laissé mon micro dans ton sac.

Je fronçai les sourcils et croisai les bras.

— Mieux vaut éviter ce sujet.

— Tu m’as laissé cul nu au beau milieu de la rue !

— Je t’ai donné ton revolver, non ?

Morelli eut un sourire gourmand.

— Tu vas me donner plus que ça, trésor.

— Laisse tomber.

— Sûrement pas. Tu me dois bien ça.

— Je ne te dois rien du tout ! C’est toi qui me dois une fière chandelle ! Je te signale que j’ai arrêté ton cousin.

— Et ce faisant, tu as foutu le feu au Salon Funéraire Stiva et détruit pour des milliers de dollars de biens de l’État.

— Si tu commences à chercher des poils aux œufs…

— Des « poils aux œufs » ? Trésor, tu es la plus mauvaise chasseuse de primes depuis les débuts de l’humanité.

— Bon, ça suffit. J’ai mieux à faire que d’écouter tes insultes.

Je le poussai hors de chez moi, claquai la porte et tournai le verrou. Je collai mon nez au battant de la porte et mon œil au judas. Morelli me regardait, hilare.

— C’est la guerre ! lui criai-je à travers la porte.

— Ça tombe bien, dit-il. Je tire de bons coups.

Fin du tome 2



[1] Knights of Columbus : association catholique fondée aux USA en 1882 réunissant des laïcs dans un but philanthropique. (N.d.T.)

[2] Sandman signifiant « marchand de sable ». (N.d.T.)

[3] Stun gun : boîtier électrique à effet paralysant long d’une quinzaine de centimètres et qui comprend deux électrodes provoquant une décharge de 50 000 volts. (N.d.T.)

[4] DMV : Department of Motor Vehicles.

[5] A & P. : « The Atlantic & Pacific Tea Compagny », la plus grosse firme d’épicerie à succursales multiples des États-Unis. (N.d.T.)

[6] Taser : marque de boîtier paralysant ; le fin du fin en la matière. (N.d.T.)

[7] Orchid Street : rue des Orchidées.