Etes-vous
un papyromane, un rapporteur, un attrape-malices, un insinuateur de
cadavres, un frétille-au-malheur, un faux parleur, une obsédée du
blanc, une cavalombreuse, une sultanotrope, une autobienfaitrice,
une preneuse de gants, un rien-à-faire, un astrolimpide ?
Personne n’est parfait ! À vous de choisir ! Impossible
de ne pas trouver sa pointure, sa manie singulière, ses mœurs
cachées, ses tics dérisoires parmi les cinquante étourdissants
portraits dressés par Elias Canetti dans LeTémoin auriculaire. Lui, l’Européen à part entière, le
brillant polyglotte, se fait pour une fois psychologue, mais un
« psy » inclassable, irréductible, insolent et moqueur
qui irait à l’encontre des modes, en marge des nations et des
cultures. Ne serait-ce pas lui qui se cacherait sous le portrait de
« l’attrape-malices » ou encore du « témoin
auriculaire », qui donne justement le titre à ce recueil qu’il
a publié à Munich en 1974 et en France en 1985 ? N’est-il pas
cet homme aux oreilles attentives et secrètes, si fines, si
subtiles, si déliées que rien ne leur échappe ? Elles
perçoivent les mots, les paroles, les langages qui visent à
maîtriser et à dominer le monde. Qui sont les personnages du Témoin
auriculaire, prisonniers de leur aveuglement, sinon des
paranoïaques, des aliénés de la parole, de l’ouïe, du comportement.
À les suivre de plus près, on joue là un jeu dangereux qui aurait
ravi Borges. Car il est aisé de se laisser couler avec eux dans la
plus délicieuse incohérence. Face à la platitude du quotidien, on
peut préférer l’arabesque des délires plus séduisante parfois que
la normalité trop raisonnable. Canetti qui va jusqu’au bout de ses
fantasmes ou de ceux de ses héros, ne craint pas d’exagérer les
traits, d’inventer, de fabuler jusqu’au vertige. Ce manipulateur de
génie, ce fabriquant de marionnettes miraculeuses, nous fait perdre
les bornes de notre bon sens. Adieu les repères les plus
solides ! Et tant mieux ! Car l’esprit a besoin de se
nourrir de fables. La déraison est parfois un remède. Et nous voici
livrés à ces cinquante silhouettes surréalistes dans le monde du
non-sens, de la satire, de l’humour noir. Il y a celui qui
s’effraie de mourir de soif, celle qui se languit de la disparition
des harems, celui à qui il est impossible de ne pas colporter des
choses blessantes, celui qui tire les héros par leur culotte, celle
qui n’a jamais vécu, celle qui ne se réveille jamais dans le même
lit… Tous se déplacent sur leur échiquier, petits-enfants de Swift,
de Lewis Carroll, de Vialatte. Ce sont LesCaractères de La Bruyère revus par Alfred
Jarry !
Etes-vous un papyromane, un rapporteur, un attrape-malices, un insinuateur de cadavres, un frétille-au-malheur, un faux parleur, une obsédée du blanc, une cavalombreuse, une sultanotrope, une autobienfaitrice, une preneuse de gants, un rien-à-faire, un astrolimpide ? Personne n’est parfait ! À vous de choisir ! Impossible de ne pas trouver sa pointure, sa manie singulière, ses mœurs cachées, ses tics dérisoires parmi les cinquante étourdissants portraits dressés par Elias Canetti dans Le Témoin auriculaire. Lui, l’Européen à part entière, le brillant polyglotte, se fait pour une fois psychologue, mais un « psy » inclassable, irréductible, insolent et moqueur qui irait à l’encontre des modes, en marge des nations et des cultures. Ne serait-ce pas lui qui se cacherait sous le portrait de « l’attrape-malices » ou encore du « témoin auriculaire », qui donne justement le titre à ce recueil qu’il a publié à Munich en 1974 et en France en 1985 ? N’est-il pas cet homme aux oreilles attentives et secrètes, si fines, si subtiles, si déliées que rien ne leur échappe ? Elles perçoivent les mots, les paroles, les langages qui visent à maîtriser et à dominer le monde. Qui sont les personnages du Témoin auriculaire, prisonniers de leur aveuglement, sinon des paranoïaques, des aliénés de la parole, de l’ouïe, du comportement. À les suivre de plus près, on joue là un jeu dangereux qui aurait ravi Borges. Car il est aisé de se laisser couler avec eux dans la plus délicieuse incohérence. Face à la platitude du quotidien, on peut préférer l’arabesque des délires plus séduisante parfois que la normalité trop raisonnable. Canetti qui va jusqu’au bout de ses fantasmes ou de ceux de ses héros, ne craint pas d’exagérer les traits, d’inventer, de fabuler jusqu’au vertige. Ce manipulateur de génie, ce fabriquant de marionnettes miraculeuses, nous fait perdre les bornes de notre bon sens. Adieu les repères les plus solides ! Et tant mieux ! Car l’esprit a besoin de se nourrir de fables. La déraison est parfois un remède. Et nous voici livrés à ces cinquante silhouettes surréalistes dans le monde du non-sens, de la satire, de l’humour noir. Il y a celui qui s’effraie de mourir de soif, celle qui se languit de la disparition des harems, celui à qui il est impossible de ne pas colporter des choses blessantes, celui qui tire les héros par leur culotte, celle qui n’a jamais vécu, celle qui ne se réveille jamais dans le même lit… Tous se déplacent sur leur échiquier, petits-enfants de Swift, de Lewis Carroll, de Vialatte. Ce sont Les Caractères de La Bruyère revus par Alfred Jarry !