CHAPITRE XXV

« Alors, capitaine, vous avez une livraison pour moi, si je comprends bien ? »

Alicia jeta un regard aigu au « je » en question. Elle se tenait au pied de la rampe de la navette tandis que les turbines d’autres navettes rugissaient dans son dos, et le type qui lui faisait face était vêtu de façon presque débraillée. Elle ne s’était nullement attendue à voir Quintana se pointer en personne à son atterrissage, pas plus d’ailleurs qu’à un accoutrement aussi négligé, mais elle eut la confirmation de son identité au second coup d’œil. Il correspondait en tout point à l’image holographique que lui avait montrée Fuchien.

« Effectivement… du moins si vous pouvez me présenter des documents prouvant que vous êtes bien qui je crois », répondit-elle calmement.

L’homme lui décocha un petit sourire, tout en lui tendant un microprocesseur.

Elle l’inséra dans le lecteur et le compara à l’original de Fuchien en épiant son interlocuteur du coin de l’œil. Elle ne releva même pas les yeux quand quatre gardes du corps lourdement armés se détachèrent de la foule pour venir le rejoindre et se contenta de dégrafer son étui de sa main libre. Il la vit faire, mais son regard n’étincela qu’une seconde puis il croisa les bras sur la poitrine dans une attitude toute pacifique.

Le lecteur d’Alicia émit un gazouillis pendant qu’elle achevait son examen et elle éjecta la puce en hochant la tête.

— Tout concorde, lieutenant-colonel, reconnut-elle en lui faisant face. Navrée de m’être montrée un peu méfiante.

— J’aime bien que les gens soient méfiants… surtout quand c’est pour protéger mes intérêts », répondit Quintana en lui tendant la main.

Elle la serra et la sensation de chaleur accoutumée la submergea. Le négociant continuait de parler pour lui souhaiter la bienvenue sur Wyvern, mais Alicia n’« entendait » vraiment que le chant de triomphe jubilatoire, exultant, de la Furie.

 

Le cargo quarn Aharjhka filait vers Wyvern à une vélocité que maints croiseurs de combat lui auraient sans doute enviée. En dépit de sa taille et de son tonnage, l’Aharjhka était svelte, élancé et très, très rapide, car les grands cartels commerciaux de Quarn se livraient une concurrence acharnée, avec une ferveur que les autres espèces n’accordaient qu’à leurs vaisseaux de guerre.

L’écoutille de la passerelle s’ouvrit et l’être en qui un homme aurait sans doute vu le capitaine de l’Aharjhka releva les yeux pour regarder un passager la franchir.

— Soyez le bienvenu, inspecteur. Nos instruments ont détecté le vaisseau que vous nous avez décrit. » La voix bien modulée du Quarn était profonde et vibrante, pour une raison tenant largement à la densité de l’atmosphère, car la gravité à bord des vaisseaux quarn était plus de deux fois supérieure à celle qui régnait sur la plupart des vaisseaux humains. Mais son terrien standard était presque totalement dépourvu d’accent, et Ferhat Ben Belkacem dissimula un sourire qu’il était incapable de réprimer, car cette élocution parfaite, de la part du croisement à symétrie radiale d’une étoile de mer velue de deux mètres d’envergure avec la conception qu’aurait pu se faire d’une araignée un impressionniste loufoque ne laissait pas de l’amuser par son incongruité.

Sur un geste du capitaine, il traversa la salle vers un écran. Celui qui l’avait reconfiguré pour des yeux humains n’avait pas réglé tout à fait convenablement la balance des couleurs, mais on ne pouvait se méprendre sur le vaisseau qui orbitait autour de Wyvern. Le Coursier des étoiles avait effectué une traversée remarquablement rapide – dépassant de fait l’Aharjhka sur sa lancée –, mais il s’y était attendu.

« C’est ce que je peux constater, monsieur », répondit-il par le truchement du haut-parleur externe de son casque, et, en entendant cette marque de respect, le Quarn vira à la délicate nuance rosée qui lui servait de gloussement.

Ben Belkacem sourit et le teint rose du Quarn s’assombrit encore. Les Quarn n’ont qu’un seul sexe, chacun étant un hermaphrodite pleinement fonctionnel, et les conventions du langage humain liées à la différenciation des genres titillaient leur sens de l’absurde. Mais au moins s’agissait-il d’un amusement partagé et empreint de tolérance. Si différentes qu’elles fussent, les deux espèces comprenaient l’humour biologique, et les humains leur retournaient la politesse de leur mieux. Il n’en était pas de même des prudes Rishatha. Si les Quarn trouvaient amusantes les mœurs sexuelles des hommes, celles des Rish leur semblaient désopilantes et les matriarches ne trouvaient pas ça drôle. Pire (du point de vue des Rishatha), le souple appareil vocal des Quarn leur permettait de s’approprier tant les langues humaines que rishathanes et ils trouvaient hilarant d’entrer dans un bâtiment de transit fréquenté par les trois espèces, de s’assurer de la présence de Lézards et de demander à l’un de leurs congénères en un haut rish parfaitement maîtrisé : « Tu connais celle sur les deux matriarches ? »

Ben Belkacem avait assisté en personne à l’une de ces blagues, qui s’était soldée par une rixe des plus animée et un incident diplomatique encore plus tumultueux… bien que les Rishatha n’eussent guère été avides de pousser trop loin le bouchon. Rien d’inférieur à un marteau de six kilos n’aurait pu blesser un Quarn dans un corps à corps, et même une matriarche en pleine maturité faisait pâle figure contre une masse de muscles et de tendons de deux cents kilos, originaire d’une planète où la pesanteur atteignait 2,4 g, que le détenteur de ces deux cents kilos fût ou non belliqueux. Sur le plan diplomatique, Empire terrien et Hégémonie quarn étaient de solides alliés, ce que la Sphère rishathane trouvait pour le moins difficile à avaler, mais à quoi elle ne pouvait pas grand-chose. Ce n’était pas faute d’essayer, au demeurant, mais le corps diplomatique rish lui-même (qui, pourtant passablement retors, avait réussi une fois à jeter la Ligue terrienne à la gorge de la Fédération) avait fini par renoncer, écœuré. Que pouvait bien faire contre ça un malheureux chauviniste raciste ? Si étrange que chaque espèce trouvât l’apparence de l’autre, Quarn et humanité s’appréciaient énormément. À première vue, ils formaient un couple bien improbable. Au moins les Rish étaient-ils bipèdes ; pourtant Rish et humains avaient les plus grandes peines du monde à se supporter, si bien qu’on aurait raisonnablement pu s’attendre à ce qu’une tension encore plus grande régnât entre l’humanité et des Quarn si totalement différents.

Mais ça ne fonctionnait pas ainsi et Ben Belkacem soupçonnait cette énorme différence d’en être précisément la raison principale. Les planètes à forte gravité des Quarn généraient des pressions atmosphériques mortelles pour les humains, ce qui impliquait qu’ils ne pouvaient convoiter les mêmes territoires ; ce n’était pas vrai pour Rish et humains. La sexualité des Quarn et celle des humains divergeaient tellement qu’il ne pouvait subsister aucune congruence entre elles ; les Rishatha, en revanche, étaient bisexués et les matriarches reprochaient au concept humain de parité sexuelle la récente « arrogance » de certains de leurs mâles. Il existait trop de motifs de conflit entre Rish et humains, tandis que Quarn et humains n’avaient aucune raison de se heurter physiquement alors qu’ils étaient remarquablement compatibles dans les autres domaines.

Les hommes étaient plus belliqueux que les Quarn, qui réservaient leur férocité innée à des activités plus essentielles (telles que le commerce), mais les deux espèces étaient bien moins militarisées que le matriarcat rish. Elles s’entendaient bien ensemble et, si les Quarn trouvaient parfois les humains un poil plus combatifs que ne l’exigeait leur santé, ils restaient conscients des intérêts communs qui les liguaient contre les Rish. En outre, les humains supportaient la plaisanterie.

« Nous entrerons en orbite dans deux heures, annonça le capitaine de l’Aharjhka. Mon vaisseau peut-il vous être utile dans cette affaire ?

— Non, monsieur. Permettez-moi simplement de descendre au sol à bord de votre navette sans qu’on me remarque et vous m’aurez comblé.

— Pas de problème, si vous êtes certain de n’avoir pas d’autres exigences.

— Aucune, monsieur, et je vous remercie, tant en mon nom qu’en celui de l’Empire.

— Inutile. » Le capitaine fit frétiller le bout d’un de ses tentacules en signe de dénégation. « L’Hégémonie comprend bien qu’il existe des criminels comme ces thugarz, inspecteur, et, si mon équipage peut vous être de quelque utilité, je vous rappelle que l’Aharjhka possède une armurerie bien fournie. »

La teinte rose du Quarn vira au mauve. Les Araignées regardaient sans doute la guerre comme une manière tout à la fois bruyante et inefficace de régler les différends, mais, quand la seule solution était la violence, elles y recouraient avec ce même pragmatisme qu’elles accordaient à des affaires plus sérieuses, comme la rentabilité. « Aussi impitoyable qu’un Quarn » était considéré comme un grand compliment dans le milieu des négociants humains, mais il recouvrait un autre sens, plus sinistre et bien réel : les Quarn n’aimaient pas les pirates, encore moins que les humains. Pour eux, ce n’étaient pas seulement des criminels et des meurtriers, mais des criminels et des meurtriers qui faisaient du tort aux affaires.

« J’apprécie votre sollicitude, capitaine, mais, si je ne me trompe pas, toute la puissance de feu dont j’ai besoin se trouve déjà sur place. Ne me reste plus qu’à la mobiliser.

— Vraiment ? » Le Quarn ne bougea pas de sa couchette de pilotage dont l’aspect évoquait celui d’un champignon, mais deux bouquets d’organes de la vision pivotèrent pour fixer Ben Belkacem. « Vous êtes un homme étrange, inspecteur, mais j’ai tendance à croire que vous parlez sérieusement.

— C’est le cas.

— Il serait discourtois de ma part de vous traiter de fou, mais n’oubliez pas, je vous prie, que cette planète est Wyvern.

— Je n’y manquerai pas, je vous assure.

— Bonne chance dans vos affaires, en ce cas, inspecteur. Je vous ferai prévenir trente minutes avant le départ de la navette.

— Merci, monsieur », répondit Ben Belkacem avant de regagner la cabine minuscule, réaménagée pour les besoins humains, qu’il occupait dans les entrailles de l’Aharjhka, en progressant rapidement mais prudemment dans le champ de gravité interne du vaisseau.

Il redressa les épaules avec gratitude en franchissant la cloison qui séparait du reste du vaisseau ses quartiers soumis à une pesanteur d’un seul g. Retrouver son poids normal était déjà en soi un immense soulagement, et pouvoir enfin retirer son casque pour se gratter le nez encore plus gratifiant. Ben Belkacem poussa un soupir de reconnaissance puis s’agenouilla pour tirer un petit coffre de sous sa couchette et entreprendre de vérifier son contenu aussi varié que mortel avec une aisance chevronnée, tout en se repassant mentalement sa conversation avec le capitaine.

Il pouvait assurément comprendre l’inquiétude du Quarn, mais le capitaine ne se rendait pas compte de la chance dont avait bénéficié Ben Belkacem. La présence de l’Aharjhka à Dewent et son atterrissage programmé sur Wyvern avait pour ainsi dire comblé une lacune béante, et l’inspecteur avait la ferme intention de profiter pleinement de cette embellie. Peu de gens étaient réellement conscients de l’étroite collaboration des Judicars de l’Hégémonie et du ministère impérial de la Justice, et plus rares encore ceux qui avaient eu vent de l’arrangement autorisant les agents de l’autorité d’un de ces deux empires à voyager gratuitement à bord des vaisseaux de l’autre. De sorte que nul ne s’attendrait à ce qu’un humain – pas même un inspecteur du Renseignement – débarquât de l’Aharjhka. Ce vaisseau ne figurait pas sur la liste des transports aménagés pour plusieurs espèces, et seul un misanthrope invétéré ou un agent intelligent aux ressources infinies aurait songé à réserver une place à bord d’un vaisseau dont l’environnement ferait virtuellement de lui, et pour toute la durée du voyage, un reclus dans sa cabine.

Évidemment, Ferhat Ben Belkacem était un agent intelligent aux ressources infinies – il en avait la conviction puisque c’était inscrit noir sur blanc dans son dossier du ministère de la Justice –, mais, malgré tout, il avait bien failli anéantir sa couverture quand il avait reconnu Alicia DeVries sur Dewent. Les Renseignements du ministère de la Justice et l’O avaient payé de trois vies et de sept mois de travail la certitude fermement établie qu’un des (nombreux) associés d’Edward Jacoby était en cheville avec le receleur des pirates basé sur Wyvern, mais ils n’avaient toujours pas réussi à l’identifier. Pourtant, DeVries avait piqué droit sur Fuchien, comme si elle disposait d’une carte au trésor, et elle s’était forgé une couverture bien supérieure à celle que les Opérations auraient pu lui fournir.

Ben Belkacem avait personnellement revérifié la documentation sur le Coursier des étoiles, son capitaine et son équipage, et il croyait n’avoir encore jamais vu une fable si subtilement détaillée (et entièrement fictive). Ça n’aurait sans doute pas dû l’étonner, compte tenu de l’aisance avec laquelle DeVries avait trompé la sécurité de l’hôpital sur Soissons puis s’était introduite sur le terrain de Jefferson pour dérober un des précieux synth alpha de la Flotte impériale. Si elle était capable de donner à cet exploit-ci l’apparence de la facilité, pourquoi pas à celui-là ?

Parce qu’elle était un commando de choc et non un agent bien entraîné… voilà pourquoi. Comment avait-elle déniché d’aussi remarquables faux papiers ? Où avait-elle recruté son équipage ? Dans la même mesure, comment pouvait-elle les entasser tous à bord de ce qui ne pouvait qu’être le synth alpha volé ? Quelle que fût l’apparence qu’il offrait, il ne pouvait s’agir que de lui, mais comment, au nom de tout ce qui était sacré, avait-elle réussi à passer sans encombre les douanes d’une planète comme MaGuire ? Ben Belkacem n’avait jamais personnellement croisé le fer avec les douanes jungiennes, mais il les connaissait de réputation. Il n’arrivait pas à concevoir comment elles avaient pu inspecter le « Coursier des étoiles » sans remarquer, à tout le moins, que ce « cargo » était armé, comme on dit, jusqu’aux dents.

À croire, songea-t-il amèrement tout en vérifiant l’indicateur de charge d’un déconnecteur synaptique, que ce bon capitaine n’avait rien perdu de son penchant à réaliser l’impossible. Et, ainsi qu’il l’avait déclaré une fois au colonel Mcllheny, il n’avait pas accumulé ses états de service en comptant sur sa seule bonne fortune. Quoi qu’elle eût en tête et quelle que fût la manière dont elle s’y prenait pour arriver à ses fins, elle n’avait pas seulement réussi à découvrir le maillon qu’il cherchait, mais elle s’était encore débrouillée pour y parvenir en infiltrant la filière. Dans ces conditions, il se satisfaisait pleinement de balancer par l’écoutille des semaines de travail acharné pour marcher sur ses brisées.

Et, se convainquit-il en bouclant son ceinturon avant de glisser l’arme dans son étui, même un commando de choc peut avoir besoin d’un petit coup de pouce, si invraisemblables que soient ses capacités… et qu’il le sache ou non.

 

 

Alicia apposa ses empreintes rétiniennes sur le dernier document et regarda le secrétaire d’Oscar Quintana emporter la paperasse hors du luxueux bureau. Le négociant repoussa sa chaise en arrière, se leva et se tourna vers le bar bien fourni dressé derrière son bureau.

« Une transaction aussi enlevée que satisfaisante, capitaine Mainwaring. À présent qu’elle est conclue, citez-moi votre poison préféré.

— Aucune préférence du moment que ça glisse bien », répondit Alicia en parcourant nonchalamment le bureau du regard. < Je ne vois aucun enregistreur en évidence, pensa-t-elle pour Tisiphone. Et toi ?

— Il n’y en a pas. Quintana se moque éperdument d’être espionné dans son repaire… J’en aurai déjà appris autant à son sujet.

— Tu crois qu’on a le temps ?

— Je ne sais pas, mais, qu’elle suffise ou non, ce sera peut-être notre seule occasion.

— Alors allons-y >, déclara Alicia. Elle se leva de sa chaise et rejoignit Quintana, lequel releva les yeux de la liqueur d’un vert limpide qu’il était en train de verser dans de petits verres puis recapsula la bouteille en souriant.

« Je pense que vous apprécierez ceci, capitaine. C’est un produit local concocté par mes propres distilleries et… »

Alicia lui effleura la main et il s’interrompit tout net. Il se pétrifia, bouche bée, l’œil vitreux, et elle cligna quelques secondes des paupières, en proie elle-même à la désorientation tandis qu’un flot de données se déversait dans son cerveau. Leur brève poignée de main de tout à l’heure avait suffi à lui confirmer qu’il s’agissait bien de son gibier, mais pas à lui permettre d’examiner par le menu les informations que détenait Quintana. Elle n’avait pas osé le sonder si profondément sur le coup, de peur qu’un des gardes du corps ne réagisse précipitamment en remarquant la fixité du regard de son patron.

Le risque subsistait, mais Alicia était trop absorbée par ce torrent de données pour s’inquiéter qu’on ouvrît la porte et qu’on les prît sur le fait. Si ça devait se produire, eh bien… tant pis. D’ici là…

Images et souvenirs fulguraient à mesure que Tisiphone les pompait dans l’esprit de Quintana. Rencontres avec un certain Alexsov. Solde de ses comptes grimpant comme par enchantement à mesure que le butin des mondes pillés passait par ses mains. Contacts et commandes d’achats. Clients et distributeurs d’autres mondes dissidents, voire de planètes impériales. Toutes ces infos la traversaient avant d’être stockées de manière indélébile et conservées pour un examen ultérieur ; et elle revoyait sans arrêt le mystérieux Alexsov. Lui, un dénommé d’Amcourt qui établissait et coordonnait la liste des achats des pirates, et une femme du nom de Shu, que redoutait terriblement le puissant et aristocratique négociant, bien qu’il s’efforçât de se le cacher. Pourtant, tous deux prenaient indiscutablement leurs ordres d’Alexsov. Nul doute ne subsistait à cet égard dans l’esprit de Quintana – ni d’ailleurs dans celui d’Alicia : Alexsov était bel et bien un des officiers supérieurs des pirates et elle aurait volontiers hurlé de dépit en prenant conscience du peu de renseignements que Quintana détenait sur lui.

Mais au moins savait-elle maintenant à quoi il ressemblait et…

Ses yeux verts scintillèrent quand les derniers détails évasifs se mirent en place : Alexsov devait bientôt revenir… et Quintana recherchait constamment des transporteurs fiables.

Son sourire vorace fit écho au feulement de chasseresse de la Furie, et elle sentit Tisiphone sonder encore plus profond l’esprit de sa proie, non plus pour y puiser des pensées mais pour en implanter. Quelques brèves secondes y suffirent, puis les yeux de Quintana accommodèrent brusquement et il poursuivit sa phrase d’une voix sereine et nonchalante, parfaitement inconscient de cette interruption.

« …je la recommande toujours chaleureusement. »

Il lui tendit un verre et elle but une gorgée de liqueur puis lui décocha un sourire en feignant de l’apprécier. La saveur en était à la fois sucrée et âpre, presque astringente, et elle dévala sa gorge comme un suave feu liquide.

« Je comprends maintenant pourquoi vous en dites tant de bien », déclara-t-elle. L’autre hocha la tête puis désigna des fauteuils dressés autour d’une table basse en somptueux bois indigènes. Elle se laissa tomber dans un siège et il s’assit en face d’elle en plongeant pensivement le regard dans son verre.

« Lewis me dit qu’on vous attend sur Cathcart, capitaine Mainwaring ?

— En effet », confirma Alicia. Quintana se rembrunit.

« Dommage. Il se pourrait que j’aie une mission juteuse à vous confier sur place si vous daigniez la prendre en considération.

— De quel ordre ?

— Peu ou prou du même ordre que la cargaison que vous venez de décharger, mais assortie d’une marge bénéficiaire nettement plus élevée.

— Oh ? » Alicia arqua un sourcil songeur. « Dans quelle mesure… ?

— Du double au minimum », répondit Quintana.

Alicia haussa l’autre sourcil. « Sans doute peut-on qualifier cela de “nettement plus élevé”, murmura-t-elle. Néanmoins, je tiens déjà Cathcart, colonel, et…

— Oscar, je vous en prie », l’interrompit-il, et elle cligna des yeux, sincèrement surprise. À ce qu’elle avait pu lire dans l’esprit de Quintana, il n’encourageait pas la familiarité avec ses employés. D’un autre côté…

D’un autre côté, petite, tu es une très belle femme et c’est un connaisseur en la matière, chuchota sèchement une voix dans son esprit. Et, non, ajouta-t-elle encore plus sèchement, je ne lui ai pas soufflé cette idée.

— Oscar, donc, poursuivit Alicia à voix haute. Comme je viens de vous le dire, je sais qu’une cargaison m’attend sur Cathcart et la capitainerie du port risque de m’infliger une pénalité pour dédit si je ne viens pas la saisir en temps voulu.

— Exact. » Quintana médita un instant puis haussa les épaules. « Je ne peux pas me porter garant pour la mission à laquelle je pense, Théodosia… puis-je vous appeler Théodosia ? » Alicia hocha la tête. « Merci. Je ne peux pas le faire car d’autres mandataires sont partie prenante, mais je crois que le Coursier et vous conviendriez parfaitement pour la remplir. J’ai la conviction que mes confrères seront de mon avis et, même si tel n’était pas le cas, j’aurais d’autres livraisons à confier à un capitaine discret et digne de confiance, et j’ai donc une proposition à vous faire. J’attends la visite d’un collègue plus important dans un proche avenir. Transmettez à Cathcart, par com interstellaire, vos profonds regrets quant à la rupture de ce contrat et je m’engage à vous le présenter dès son arrivée. S’il prend mes conseils en considération, vous gagnerez assez pour rembourser votre dédit et encaisser malgré tout un bénéfice bien plus considérable que celui rapporté par votre dernière cargaison. S’il préfère prendre d’autres dispositions, je vous garantis d’autres missions d’un rapport au moins équivalent. »

Alicia s’autorisa à peser soigneusement le pour et le contre puis haussa les épaules.

— Le moyen de refuser une telle proposition ? J’accepte, bien évidemment », répondit-elle… en souriant.

La voie des furies
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