CHAPITRE XVI
Le lieutenant de la Spatiale jungienne Charles Giolitti, affecté au service des douanes de MaGuire, prit le temps de vérifier deux fois ses données pendant que la navette d’inspection dérivait vers le libre négociant Coursier des étoiles. Sa première lecture du téléchargement l’avait intrigué – surtout quand il avait parcouru la liste des auxiliaires du vaisseau – et il tenait à s’assurer qu’il avait bien lu.
Les informations étaient inhabituellement complètes pour un nouvel arrivage, se persuada-t-il gaiement. Qu’un vaisseau battant pavillon étranger débarquât sans la moindre documentation n’avait rien d’inouï et c’était inéluctablement pénible : chaque centimètre carré devait alors être passé au peigne fin, chaque membre de l’équipage scrupuleusement ausculté et, avant d’en laisser descendre un seul à terre, il fallait impérativement établir sa bonne foi. Les tensions tendaient à monter durant tout le processus, mais, en quatre siècles, l’Association Jung avait appris à surveiller ses visiteurs de près. En l’occurrence, néanmoins, Giolitti détenait une attestation impériale complète du secteur de Melville, ce qui devrait réduire les emmerdes au minimum.
Il parcourut rapidement les données techniques et frétilla des sourcils en remarquant, au passage, le régime de la propulsion Fasset du Coursier des étoiles : aussi rapide que celui de la plupart des croiseurs – ce qui, ajouté à sa capacité de chargement limitée, songea-t-il ironiquement, constituait un indice aveuglant sur sa véritable nature. Non point, d’ailleurs, que l’Association Jung se méfiât des contrebandiers… tant qu’ils n’entreprenaient rien à l’intérieur de l’Association.
Hum. Cinq membres d’équipage seulement. Pas grand monde, même pour un navire marchand. Ce qui signifiait probablement un support informatique passablement impressionnant. Son capitaine se nommait Théodosia Mainwaring… jeune pour son grade d’après sa bio, mais consacrant beaucoup de temps à son journal de bord. Les autres avaient l’air tout aussi qualifiés. Une assez bonne équipe pour un marchand, en fait. Bien sûr, les libre-échangistes tendaient à attirer les déclassés talentueux – les asociaux assez doués pour écrire eux-mêmes leur destin – loin de l’armée et des grandes lignes de navigation.
Pas de manifeste d’import. Giolitti grogna, se rappelant les lacunes « diplomatiques » des dernières entrées dans la base de données de Melville. Ainsi, le capitaine Mainwaring s’était brûlé les doigts ? Ça n’avait pas dû être bien grave – il lui restait un vaisseau –, mais elle devait convoiter avidement une cargaison.
Un signal carillonna et le lieutenant jeta un coup d’œil à son écran : sa navette venait d’entreprendre la manœuvre de jonction avec la seule soute libre du Coursier. Une navette de fret en assez piteux état occupait l’une des deux autres… pas si vétuste que ça, au demeurant, mais ayant longuement servi dans de dures conditions, visiblement, pour avoir collectionné tant de bosses et d’éraflures. Pourtant ce ne fut pas elle qui retint son attention.
Une autre se dressait dans la soute numéro I – un vaisseau au nez fuselé, d’aspect dangereux même au repos. Giolitti connaissait ses spécifications essentielles, mais il n’en avait jamais vu et ne s’attendait pas tout à fait à cette taille. Ni à ces couleurs.
Il tiqua en prenant conscience du noir et du rouge flamboyant de la coque. Un artiste anonyme avait peint des yeux blancs écarquillés de part et d’autre de sa proue effilée, et des gueules voraces aux crocs en dents de scie encadraient, béantes, ses tuyères et ses bouches à feu, tandis que d’horribles panaches de flammes s’entrelaçaient sur les caissons du moteur. Il n’avait aucune idée de la façon dont Mainwaring s’était débrouillée pour mettre la main dessus, mais elle avait dû procéder dans une quasi-légalité, puisque les impériaux lui avaient permis de le garder quand ils lui avaient conseillé d’aller explorer de nouvelles frontières. Toujours était-il que l’impact visuel était… radical.
Il sourit quand les bras d’appontage se verrouillèrent. Le Bengale semblait déplacé sur son terne vaisseau mère utilitaire, mais les libres négociants tendent à se retrouver souvent loin de tout et réduits à leurs seules ressources, et il soupçonnait que des indigènes mal intentionnés y regarderaient à deux fois avant de s’en prendre à une navette de fret tant que cet engin planerait au-dessus, vigilant. Ce qui était sans nul doute le but de la manip’.
Le collier d’arrimage du tube du personnel se mit en place et Giolitti s’empara de son calepin, fit un signe de tête à son pilote et ouvrit l’écoutille.
Alicia regarda le jeune officier des Douanes lourdement bâti s’engouffrer dans le sas du Mégère en priant pour que ça marche. Ça lui avait paru relativement simple quand elle y avait réfléchi, mais c’était sur le moment.
< Oh, du calme, petite ! la tança la Furie. Nous avons déjà accompli le plus dur !
— Ouais, Alley, ajouta Mégère, soutenant bien inhabituellement Tisiphone. Il est seul et Tisiphone va lui tailler un short.
— Expression quelque peu disgracieuse, mais exacte.
— Pourriez-vous vous tenir un peu tranquilles toutes les deux, qu’on en finisse ! > suggéra Alicia fort à propos, tout en avançant d’un pas pour serrer la main de l’inspecteur.
Giolitti parut un peu surpris de trouver le capitaine à l’attendre, mais il lui accorda le grand prix en matière d’élégance. Ce strict uniforme bleu nuit et ce boléro brocardé d’argent seyaient à la perfection à cette grande fille aux cheveux couleur de sable.
« Lieutenant Giolitti, du service des Douanes de MaGuire, se présenta-t-il à la jeune femme souriante.
— Capitaine Théodosia Mainwaring. »
Jolie voix… basse et veloutée. Il se surprit à lui rendre son sourire et se demanda vaguement pourquoi il se sentait soudain si allègre.
« Bienvenue sur MaGuire, capitaine.
— Merci. » Elle relâcha sa main et il sortit son calepin.
Les formulaires médicaux des membres de votre équipage sont-ils à jour et disponibles, capitaine ?
— Les voici. » Elle lui tendit un portfolio de processeurs et Giolitti les inséra dans son calepin, pressa quelques touches d’une main experte et en scruta l’écran. Tout semblait en ordre. Il aurait sans doute dû insister pour voir les autres tout de suite, songea-t-il, mais il en aurait tout le temps avant de repartir.
« Prête pour l’inspection, capitaine ? »
Mainwaring hocha la tête :
— Suivez-moi. » Elle le fit entrer dans l’ascenseur.
Le regard quelque peu désorienté de l’officier des Douanes rassura grandement Alicia, mais elle prit soin de presser elle-même les touches de l’ascenseur. Tisiphone gloussa en son for intérieur, prenant plaisir à imposer ses caprices à leur visiteur, mais Alicia savait que moins la Furie aurait à effacer d’impressions, mieux ça vaudrait ; à quoi bon, donc, laisser Mégère piloter l’ascenseur sans qu’on lui en ait donné l’ordre ?
Elle conduisit le lieutenant Giolitti jusqu’à ses quartiers et le regarda procéder à leur inspection. Il connaissait manifestement les meilleures cachettes pour la contrebande mais agissait de manière machinale. Il poursuivait gaiement la conversation, d’une voix parfaitement normale en apparence, mais c’était précisément cette normalité qui contrastait avec l’automatisme de sa perquisition.
Il acheva ses recherches en souriant et elle inspira profondément puis le raccompagna dans la coursive. Elle fit halte une seconde, constata que le regard de l’autre se faisait de plus en plus flou, tourna les talons et le ramena dans sa cabine.
« Les quartiers de mon ingénieur », déclara-t-elle. Il hocha la tête et se remit à l’œuvre… oublieux d’avoir déjà fouillé la même cabine.
Alicia n’en croyait pas ses yeux. Elle s’y était sans doute attendu, mais en être témoin avait quelque chose d’aussi terrifiant qu’irréel. Et elle sentait que Mégère réagissait de façon identique. Tisiphone, d’un autre côté, semblait trouver la scène parfaitement normale, même si, de toute évidence, elle devait bander toute sa volonté pour réussir à leurrer le lieutenant.
Giolitti termina son deuxième examen et se tourna vers elle :
« À qui le tour ? s’enquit-il jovialement.
— Mon astrogateur », répondit Alicia en le reconduisant dans la coursive.
Giolitti inscrivit sa dernière entrée en regrettant que toutes ses inspections ne prissent pas une aussi plaisante tournure. Le capitaine Mainwaring tenait un vaisseau immaculé. Même sa soute de chargement était impeccable, et le Coursier des étoiles était sans doute l’un des très rares bâtiments de libre négoce dont l’équipage n’avait rien laissé traîner d’illégal – ou, à tout le moins, de non réglementaire – à portée de son regard. Ce qui en faisait de bien improbables citoyens respectueux des lois, ou alors des contrebandiers diaboliquement rusés en matière de dissimulation de leurs planques. Compte tenu de ses premières impressions de l’équipage de Mainwaring, Giolitti penchait plutôt pour la seconde hypothèse et leur en attribuait encore plus de talent.
C’était bizarre, néanmoins. Leurs compétences l’avaient certes impressionné, mais eux ne s’étaient pas vraiment imposés à lui comme à l’accoutumée. Sans doute parce qu’il se concentrait si intensément sur leur capitaine, songea-t-il non sans quelque remords, en la reluquant du coin de l’œil tandis qu’elle l’escortait jusqu’au sas du personnel. Bien peu habituel de la part du commandant d’un vaisseau que de perdre son temps précieux à guider personnellement un officier des Douanes dans ses recherches. Les meilleurs semblaient rabaisser les inspecteurs à un niveau encore inférieur à celui d’un Rish, d’un intrus – et, pire encore, d’un intrus officiel – sur leur pré carré. Giolitti ne le leur reprochait pas, mais rencontrer un de ces rares individus bien disposés lui était d’un immense soulagement.
Et, tout bien réfléchi, que le reste de son équipage parût en comparaison quelque peu effacé n’était guère étonnant. Jamais il n’avait rencontré magnétisme personnel aussi puissant que celui qu’irradiait Théodosia Mainwaring. C’était une femme renversante, aimable et parfaitement décontractée, bien qu’elle lui fît l’impression de pouvoir se montrer terriblement dangereuse si l’envie l’en prenait. Évidemment, on ne pouvait pas s’attendre à voir une timide violette choisir si jeune la carrière de libre négociant, mais c’était bien plus profond, en fait. Il se souvenait encore de la mesquinerie de l’officier, blanchi sous le harnais, qui supervisait l’entraînement au corps à corps des « jeunes gens » de l’école des Douanes. Il se déplaçait exactement comme Mainwaring et pouvait, d’une seconde à l’autre, se transformer en mort ambulante.
Le lieutenant chassa cette pensée et éjecta le processeur d’accréditation de son calepin. Il le tendit au capitaine puis lui offrit sa main.
« Ce fut un plaisir, capitaine Mainwaring. J’aimerais que tous les vaisseaux que je visite soient aussi soignés que le vôtre. Je vous souhaite bonne chance dans vos activités.
— Merci, lieutenant. » Mainwaring lui serra fermement la main et, l’espace d’une seconde, il lui sembla sentir contre sa paume une excroissance dure et anguleuse, mais la sensation se dissipa aussitôt. Un instant plus tard, il en avait perdu tout souvenir. « J’espère que nos chemins se croiseront de nouveau, poursuivit le capitaine.
— Il se peut. » Giolitti lâcha sa main et recula d’un pas puis brandit un index péremptoire : « Et n’oubliez pas. Tous ceux de votre équipage qui descendront à terre seront individuellement soumis à des examens médicaux par scanneur pour confirmer leur accréditation.
— Ne vous inquiétez pas, lieutenant. » Le sourire légèrement amusé de Mainwaring le fit se sentir encore plus jeune. « Je ne pense pas que nous nous attarderons assez longtemps pour jouir d’un quartier libre – de fait, la plupart de mes gars seront bien trop occupés à faire passer des tests de maintenance à notre propulseur Fasset avant le décollage – mais nous contacterons vos toubibs si besoin.
— Merci, capitaine. » Giolitti lui adressa un petit salut guindé. « En ce cas, permettez-moi de vous souhaiter officiellement la bienvenue sur MaGuire, ainsi qu’un bon voyage. »
Mainwaring lui rendit son salut et le lieutenant regagna sa navette. Deux autres inspections l’attendaient avant la fin de son quart et il espérait, non sans une certaine mélancolie, que toutes se passeraient aussi bien.
Alicia s’affala contre la cloison et se remplit les poumons d’une longue goulée d’air. Dieu du ciel ! Elle savait Tisiphone douée, mais la performance de la Furie avait dépassé ses plus extravagantes espérances.
Elle doutait fort qu’elles pussent croiser un jour un inspecteur plus futé et scrupuleux que le jeune lieutenant Giolitti, mais, si cela devait se produire, elle avait désormais la certitude qu’elles pourraient le vamper de la même façon. Le regarder « perquisitionner » ses quartiers à cinq reprises avait sans doute été passablement éprouvant, mais, comparé à son passage, sans même un battement de cils, devant les tubes d’amenée du principal magasin de missiles, c’était de la petite bière. Son « inspection » de la passerelle semblait également l’avoir pleinement satisfait, encore que seul un idiot – ou un individu sous l’emprise de Tisiphone – aurait pu fixer ces cloisons grises et le casque de connexion synth alpha sans comprendre ce qu’il avait sous les yeux.
< Évidemment qu’il n’a rien compris, fit remarquer Tisiphone. Tu as entièrement raison à propos de son intelligence – un jeune homme très brillant, en vérité – mais il est plus facile d’user de suggestion sur les gens intelligents, car ils ont assez d’imagination pour ajouter des détails sans qu’on ait besoin de beaucoup les forcer. En outre, ajouta-t-elle aimablement, Mégère et toi avez été bien avisées de forger aux “membres de notre équipage” des personnalités aussi détaillées. Ce qui m’a permis de les projeter avec davantage d’épaisseur.
— Ouais. » Alicia inspira une autre lampée d’air et se redressa. « Malgré tout, tu donnais l’impression de te concentrer intensément. Tu as déjà manipulé plus d’une personne à la fois ?
— Je crois, oui. La difficulté ne réside pas dans le nombre d’esprits à contrôler, petite, mais dans les détails de l’illusion que je leur procure. Bien entendu, si jamais nous devions leurrer plusieurs individus en même temps, il serait sage d’y inclure un manque d’inclination à réfléchir ultérieurement à leur inspection, de peur qu’ils ne découvrent trop d’incohérences dans leurs souvenirs.
— Tu as sans doute raison, fit remarquer Mégère. Mais, sauf s’il y a un hiatus dans la documentation, les équipes d’un seul membre semblent la norme par ici.
— Je sais. » Alicia remonta dans l’ascenseur et appuya sur le bouton de la passerelle. « Avons-nous l’autorisation d’aborder et avons-nous réglé les honoraires pour les services, Mégère ?
— Bien sûr. Tis a superbement trafiqué les livres de comptes quand elle leur a largué notre journal de bord, et madame Tanner s’est chargée des registres pendant que le capitaine Mainwaring promenait le lieutenant Giolitti. Nous avons couvert nos salaires avec son transfert de crédits bidon ; le solde est de quatre-vingt mille crédits.
— Et le personnel de service ?
— Sans problème. Le lieutenant Chishohn s’en est occupé et ils attendent que notre navette vienne chercher les denrées. Nous devrons balancer le plus gros dans le vide puisque j’ai passé une commande pour un équipage de cinq personnes afin que ça corresponde, mais notre téléchargement de Melville indique que nous avons procédé à une révision complète voilà six mois et je n’ai donc pas eu à feindre d’autres exigences en matière de services.
— Tu es un chou », déclara Alicia avec tendresse.
La vraisemblance à laquelle pouvait parvenir Mégère en matière de voix et d’images informatiques l’avait stupéfiée. Et c’était heureux, car elles devaient absolument convaincre tous ceux qui se montraient trop curieux – non, biffez cette dernière phrase – interdire toute curiosité, ce qui signifiait qu’elles devaient pouvoir présenter d’autres individus de l’équipage que le capitaine Mainwaring, sous une apparence ou une autre. L’aptitude de Mégère à tenir une conversation par com – voire plusieurs en même temps – était donc d’une valeur inestimable.
< Merci. Vous avez fait du bon boulot, Tis et toi.
— Nous n’aurions pas pu accomplir grand-chose sans toi. C’est la combinaison de nos talents qui fait de nous une équipe formidable.
— Tu as raison, ma fille, convint Alicia. Mais personne n’a froncé les sourcils en voyant vos visages, si je comprends bien ?
— Pas même d’un millimètre. Tu veux voir mes derniers essais ? J’ai finalement réussi à donner ce zozotement appuyé au “lieutenant Chisholm”, tu sais ?
— Bien sûr. » L’ascenseur s’arrêta sans à-coup et Alicia posa le pied sur la passerelle. « Roule !
— Regarde le moniteur 2. >
L’écran plat clignota une seconde puis se ralluma en affichant le visage d’un garçon mince aux cheveux auburn et aux lourdes paupières.
« De quoi z’ai l’air, capitaine ? » demanda l’image ; Alicia sourit.
« Peut-être ce zézaiement est-il un peu trop appuyé, Mégère.
— Fazile à dire pour toi, répliqua le “lieutenant Chisholm”. On ne t’a pas zambré toute ta vie durant zur ze défaut. Crois-moi, za peut parfois devenir franzement pénible.
— Tu le postules ou tu le postillonnes ? » gloussa Alicia ; l’image leva la main sur l’écran et lui fit un signe grossier.
« Oh, c’était parfait, Mégère ! Évidemment, compte tenu de son zozotement, ce pauvre Chisholm ne sera pas chargé de la com, j’imagine ?
— Non. » Un soprano s’était substitué au baryton de Chisholm et son image avait été remplacée par celle d’une femme au visage carré et aux cheveux argentés, en qui Alicia reconnut Ruth Tanner, sa commissaire de bord : « Ce pauvre Andy déteste parler à des inconnus. C’est pour cette raison que je suis la plupart du temps de faction à la com quand vous n’êtes pas à bord, capitaine.
— C’est ce que je vois. » Alicia s’appuya de la hanche à une console sans cesser de sourire. L’IA s’était surpassée. Personne n’aurait pu soupçonner, en conversant avec les guignols de Mégère, qu’il n’y avait qu’un seul être humain à bord du Coursier. Si l’on y ajoutait la capacité de l’IA à manœuvrer les deux navettes grâce à ses liens télémétriques, l’équipage du capitaine Mainwaring brillerait par son indéniable présence… à tel point que nul ne se rendrait compte qu’il n’avait pas une fois posé les yeux sur un seul de ses membres.
« Très bien, je crois qu’on est parées. Mais, si ça ne vous fait rien à toutes les deux, je m’accorderais bien une bonne nuit de sommeil avant de me mettre en quête d’une cargaison.
— D’accord. > Mégère ayant rétabli le contact direct avec Alicia, l’écran s’éteignit et la jeune femme entreprit de regagner ses quartiers en se débarrassant au passage de son boléro trop serré. Elle balança le vêtement à l’un des bras télécommandés de Mégère, qui le rangea bien proprement dans un placard.
< Euh, dis-moi, Alley… reprit Mégère pendant qu’elle se déshabillait, tu n’as sans doute pas eu le temps de parcourir toutes les données du téléchargement transmis par le capitaine du port de MaGuire, n’est-ce pas ?
— Tu le sais très bien. » Alicia s’interrompit alors qu’elle avait à moitié ôté son chemisier. « Pourquoi ?
— Eh bien, je ne voulais pas t’inquiéter avec ça pendant que Giolitti était à bord et je ne tiens pas non plus à t’inspirer des cauchemars, mais nous y sommes notifiées.
— Qui ça, “nous” ?
— Je parle du “nous” qui m’a arrachée à l’orbite de Soissons. Plus spécifiquement du capitaine Alicia DeVries et du vaisseau stellaire synth alpha dont la coque porte le numéro 7-9-1-1-4.
— Vraiment ? Qu’est-ce que ces données ont à dire sur nous ? s’enquit Tisiphone avec curiosité.
— C’est assez moche.
— Autrement dit ? demanda Alicia d’une voix sèche. Ils savent où nous allons, quelque chose comme ça ?
— Non, c’est moins grave que ça. Mais une entrée te concerne en totalité, Alicia… Elle déclare que tu t’es échappée de ta détention en service psychiatrique et que tu es regardée comme extrêmement dangereuse… plus quelques autres sornettes me concernant. Dont une description assez brève mais très précise de mes capacités offensives et défensives, encore qu’ils conservent un tas de détails sous le boisseau et ne pipent pas mot de mes autres talents. Non, ce qui me perturbe, ce serait plutôt le dernier petit ajout.
— Quel dernier petit ajout ?
— Celui qui dit que la Flotte offre une récompense d’un million de crédits pour toute information permettant notre localisation et notre interception >, répondit Mégère. Alicia ravala sa salive, mais l’IA n’avait pas encore terminé. < Et le dernier paragraphe précise que la Spatiale jungienne a adopté, pour les unités de sa propre flotte, les directives émises par le gouverneur général Treadwell. > Alicia s’assit avec fracas sur le lit pendant que Mégère achevait son rapport.
< C’est un ordre de tirer à vue, Alley. Ils ne parlent même pas d’essayer de nous ramener en un seul morceau. >