CHAPITRE VIII

 

Le silence qui suivit fut assourdissant, comme si les participants de cette réunion avaient été subitement frappés d’aphasie. Pourtant, leur métier à tous était de prévoir l’imprévisible et d’y faire face. Sir George Cornwell retrouva, le premier, la parole.

— Mark, dit-il, vous parlez sérieusement ?

Question idiote. Mark Lansdale était tout sauf un plaisantin. Il était chargé depuis des années de la lutte contre la prolifération nucléaire militaire. Doux, effacé, peu prolixe, c’était un scientifique de haut niveau qui passait ses journées à dévorer tout ce qui paraissait sur le sujet. Il se contenta de sourire dans sa barbe et d’expliquer :

— Sir, ce que j’ai vu sur cette cassette ressemble à ce que les Sud-Africains avaient bricolé, à partir du modèle de la toute première bombe atomique, celle d’Hiroshima. Celle-ci, surnommée par les Américains « Little Boy », était extrêmement simple : un cylindre d’uranium enrichi 235 s’emboîtait dans un second cylindre creux, également en uranium 235. Le poids total de ces deux cylindres doit dépasser de 20 % la masse critique, afin de déclencher une explosion nucléaire. Le rapprochement des deux parties de l’engin est provoqué par la déflagration d’un explosif classique assez puissant pour projeter la première partie à l’intérieur de la seconde. Sa course est arrêtée par une plaque d’acier où se trouvent incorporés quelques éléments de polonium 210 et de béryllium. Ceux-ci, sous le choc, dégagent des neutrons qui vont « amorcer » instantanément l’explosion nucléaire. Tout ce mécanisme a été abondamment décrit dans le Projet Manhattan et appartient au domaine public. Les Sud-Africains avaient miniaturisé l’ensemble afin de pouvoir le transporter sous un Mirage IV. Ce concept a été décrit depuis une quinzaine d’années dans des livres comme ceux de Hansen, puis repris par plusieurs sites Internet anglo-saxons. Les dimensionnements essentiels y sont fournis ainsi que de nombreux détails, mais seul un homme de l’art est susceptible de déceler certaines incohérences qui y figurent et de fournir les détails essentiels qui permettent d’aboutir à une explosion nucléaire. Sa présence dans ce projet criminel constitue le paradigme indispensable, car il est à même de fournir et de contrôler les éléments indispensables pour un fonctionnement correct.

— Donc, conclut Sir George Cornwell, abasourdi, ce film montre vraiment un engin nucléaire artisanal, à même de fonctionner ?

— Il faut que l’ensemble soit enfermé dans un container de métal pour comprimer pendant un temps très court l’explosion, mais ce n’est qu’une sorte de coque facilement assemblée, un berceau si vous voulez. Il m’a semblé reconnaître sur ce film les morceaux d’un tel assemblage.

— Et ces neutrons, ils se créent obligatoirement ?

— Bien sûr ! Même s’il n’y en a qu’un, cela suffit, car il se multiplie rapidement.

— Qu’appelez-vous « rapidement » ?

— Une microseconde environ, précisa Mark Lansdale. Nouveau silence. Le patron du MI6 n’arrivait pas à imaginer ce qu’on lui décrivait.

— Vous voulez dire, insista-t-il, qu’avec quelques kilos d’uranium 235, un peu d’explosif et une coque de métal, on peut fabriquer une bombe atomique qui marche ?

— À tous les coups, sir, confirma le spécialiste en nucléaire. Il s’agit d’une réaction automatique très simple.

Je dirai que l’ensemble pèse moins d’une tonne. Bien sûr, la puissance de cette bombe n’est pas colossale…

— C’est-à-dire ?

Mark Lansdale caressa sa barbe blonde.

— Disons que dans un rayon de deux cents mètres, tout est vaporisé par la chaleur. Dans un rayon de mille mètres, la chaleur est telle que les vêtements s’enflamment spontanément. Jusqu’à mille deux cents mètres, les victimes meurent des suites des radiations et tout est ravagé par le feu. Jusqu’à mille cinq cents mètres, la dose d’irradiation sera mortelle pour environ la moitié des gens exposés. Les particules retombent dans un rayon de trois mille mètres, mais cela dépend du vent.

Un silence de mort accueillit son exposé. Tous ceux qui se trouvaient là avaient, en principe, les nerfs solides. Mais, depuis la fin de la guerre froide, le péril nucléaire était passé au second plan des préoccupations. D’abord, il n’y avait plus d’affrontement entre les deux puissances nucléaires, ensuite, contrairement aux craintes, le pays qui possédait le plus de têtes nucléaires et de matériel fissile, la Russie, avait veillé dessus. Depuis 1990, il n’y avait jamais eu un seul cas de contrebande de matériel nucléaire militaire, sauf pour quelques grammes, généralement des quantités destinées à l’étalonnage des appareils. Certes, c’était dangereux pour ceux qui les approchaient, mais sans plus.

Vers 1995, on avait beaucoup parlé du « mercure rouge », une mystérieuse matière devant paraît-il permettre de fabriquer des armes nucléaires, qui n’était, en réalité, qu’une poudre inoffensive. Quelques escrocs avaient gagné beaucoup d’argent avec des politiciens arabes crédules, avant que la mèche soit éventée.

Depuis, les problèmes de prolifération restaient, certes, à l’ordre du jour, mais il s’agissait de pays comme la Libye, la Corée du Nord ou l’Iran, qui cherchaient à se doter de l’arme nucléaire. Comme, avant eux, avaient procédé la Chine, l’Inde et le Pakistan. Sans parler d’Israël, la seule puissance nucléaire du Moyen-Orient, grâce à l’aide de l’Afrique du Sud et au soutien tacite des États-Unis. Cependant, une arme nucléaire, même aux mains d’un pays comme la Corée du Nord, ne faisait pas trop peur. À partir du moment où l’auteur éventuel d’un bombardement nucléaire était identifié, il pouvait être l’objet de représailles quasi instantanées. Ce qui décourageait évidemment les vocations…

À ce jour, le terrorisme nucléaire, en dépit des prévisions catastrophistes, n’avait jamais pris forme. Sauf une fois, lorsqu’un membre d’Al-Qaida avait réussi, à partir du Canada, à faire entrer aux États-Unis une mine nucléaire soviétique vendue à des Tchétchènes par un officier russe. Heureusement, l’engin avait pu être intercepté à temps[29]. Les pays qui possédaient cette arme d’abord voulaient la garder pour eux, ensuite savaient qu’on pourrait remonter aux coupables… Spontanément, les Américains et les Russes avaient démantelé des armes nucléaires miniaturisées – mines ou « valises » – pouvant tomber entre de mauvaises mains.

Certes, on savait qu’Al-Qaida avait les plus mauvaises intentions à l’égard de l’Occident, mais l’organisation n’avait pas les moyens d’assouvir sa haine. Ce film semblait prouver qu’Oussama Bin Laden avait enfin trouvé ce qu’il cherchait… Les membres du MI6 étaient assommés par ce qu’ils venaient de découvrir.

Comme un disque usé, Sir George Cornwell reprit :

— Mark, d’après vous, il s’agit bien d’un engin nucléaire en cours de montage ?

— Tout à fait, sir.

— Well, je comprends parfaitement le système. Mais comment ces gens ont-ils pu se procurer le combustible nucléaire indispensable à la fabrication de cette bombe ? Je suppose que cela ne s’achète pas dans une épicerie ?

Son trait d’humour tomba complètement à plat. Personne n’avait envie de rire. Mark Lansdale prit son ton professoral.

— Sir, avoua-t-il, je ne peux pas dire comment ils se le sont procuré. Par contre, nous savons que le Pakistan possède environ 2 600 kilos d’uranium 235 enrichi et qu’il continue à en fabriquer par le procédé de la centrifugation. C’est donc une source possible.

— Mais ce matériel doit être sévèrement gardé ? objecta le patron du MI6.

— Sûrement, reconnut le savant, sans se compromettre, mais je ne peux me prononcer sur ce point. Il faudrait s’adresser à des spécialistes militaires.

— Comment se présente cet uranium enrichi ?

— Généralement, il est conservé sous forme de lingots de quelques kilos.

— Ils sont radioactifs ?

— Très faiblement, un compteur Geiger ne peut les détecter s’ils sont protégés par une gaine de plomb. À ce stade, ils sont totalement inertes.

— L’uranium est facile à travailler ?

— Il suffit de posséder un creuset chauffé au gaz qui puisse fournir une chaleur de 1 300° Sa température de fusion est d’environ 1 143°. Ensuite, on le met en forme comme n’importe quel métal…

Il avait vraiment réponse à tout. Sir George Cornwell insista :

— Quel est le volume d’une charge nucléaire nécessaire pour cet engin.

Mark Lansdale caressa de nouveau sa barbe. Au fond, il jubilait de se retrouver en vedette.

— Environ trois bouteilles de bordeaux pour le cœur de l’engin, sir. L’uranium est un métal très lourd : 18,5 de poids spécifique.

— Trois bouteilles de bordeaux…, répéta Sir George Cornwell.

Dans l’esprit des gens, la force nucléaire, c’était quelque chose d’énorme, de compliqué. Pas trois bouteilles de bordeaux. Enhardi, Mark Lansdale précisa :

— J’avais discuté avec les Sud-Afs, il y a quelques années, de la technologie de ces engins. Leur fabrication est très simple : il suffit de mouler l’uranium, et on peut l’utiliser presque brut de fonderie, après un seul passage de polissage pour éliminer les aspérités qui pourraient empêcher le rapprochement… Le confinement n’est là que pour retenir la chaleur quelques microsecondes.

— Et que peut-on faire d’un engin comme cela ? demanda John Gilmore.

De nouveau, le scientifique répondit de sa voix calme :

— Il est peu probable qu’on puisse l’utiliser avec un lanceur classique, style missile, car il s’agit alors d’une technologie beaucoup plus compliquée. Mais on peut le transporter en camion, en bateau, en avion même, jusqu’à l’endroit où on désire le faire exploser. Comme cette masse d’uranium 235 est indétectable, sauf par des moyens très sophistiqués, le risque est faible. Le volume – il tient sur une palette de sept pieds de long sur deux de haut – le rend particulièrement facile à manier. Il suffit de le déposer quelque part et de provoquer ensuite l’explosion à distance, en déclenchant la charge d’explosif prévue à cet effet. Cela peut se faire de n’importe quel endroit du monde, à partir d’un téléphone portable, ou même d’un téléphone satellite. Des policiers albanais ont découvert récemment à Tirana, dans une cache d’Al-Qaida, le schéma d’un tel système de mise à feu. Les terroristes de l’IRA ou de l’ETA l’utilisent fréquemment.

John Gilmore était tordu de fureur. Si son agent ne s’était pas fait prendre, il aurait pu obtenir de précieuses informations sur l’origine de cette caméra.

Sir George Cornwell, après un moment de réflexion, reprit l’initiative, se raccrochant à tout.

— Est-il possible que ce que nous avons vu sur ce film soit une maquette, une façon à faire rêver le chef d’Al-Qaida ?

Mark Lansdale se permit de sourire.

— Sir, je ne pense pas qu’on déplace Oussama Bin Laden pour une simple maquette… Je crois plutôt qu’on lui a offert de voir cet engin avant qu’il ne soit acheminé ailleurs.

Sir George Cornwell médita quelques instants et se dit qu’il était enfantin de se dissimuler la vérité.

— Well, admit-il, supposons qu’il s’agisse vraiment d’un engin nucléaire. D’où peut venir le combustible et de quel combustible s’agit-il ?

Il s’était tourné à nouveau vers Mark Lansdale, qui répondit aussitôt comme un ordinateur bien programmé.

— Sir, je crois qu’il faut éliminer le plutonium. D’abord, le Pakistan en possède en très petite quantité et, depuis la fin de la guerre froide, il n’y a jamais eu un cas avéré de vol de plutonium dans les installations russes. Ou alors pour des quantités infinitésimales… On a dit que le KGB avait fait préparer des valises nucléaires destinées à des actions clandestines en cas de guerre… C’est feu le général russe Lebed qui les avait mentionnées. Nos amis de la CIA ont eu confirmation de ce fait. Ces valises ont bien existé, mais elles présentaient plusieurs défauts. D’abord, leur puissance très réduite, de l’ordre de cent tonnes à une kilotonne. Ensuite, leur mise en œuvre impliquait l’utilisation de plusieurs codes successifs. Bien sûr, en les démantelant, des terroristes auraient pu obtenir de la matière fissile, mais pas assez pour fabriquer un engin sérieux.

— Et les têtes nucléaires du Kazakhstan ? interrogea Sir George Cornwell.

— En 1993, reconnut Mark Lansdale, la rumeur a couru que, lors du démantèlement de leurs installations nucléaires dans les républiques musulmanes périphériques de l’URSS, deux têtes de missiles intercontinentaux avaient disparu au Kazakhstan. Personne n’en a plus jamais entendu parler. J’en ai discuté avec mes collègues russes, ils sont persuadés qu’il s’agit d’une erreur administrative. Ou à la rigueur, si ces têtes ont vraiment été volées, elles ont été revendues à des trafiquants qui auraient pu les céder à l’Iran.

— Pourquoi l’Iran ?

— Pour les démonter, sir, et inspecter leur technologie. L’Iran est en train de développer des vecteurs… Mais là encore, je ne vois pas l’utilité de récupérer le combustible. Sûrement du plutonium.

— Donc, cet uranium 235 viendrait bien du Pakistan, conclut Sir George Cornwell.

Prudent, Mark Lansdale précisa aussitôt :

— Disons que c’est l’hypothèse la plus plausible. John Gilmore enchaîna :

— Sir, une des personnes filmées sur ce document, Sultan Hafiz Mahmood, a participé au programme nucléaire militaire pakistanais. C’est la piste à explorer…

Encore une litote.

Le patron du MI6 lança à la cantonade :

— Rien ne doit filtrer de cette réunion, même à l’intérieur du service. Mike et John, rendez-vous dans une heure à mon bureau, afin de décider des mesures immédiates à prendre. Je vais alerter immédiatement les Cousins[30]. Il faut réagir très vite ; John, bravo pour la qualité de vos informations.

 

*

*   *

 

Sultan Hafiz Mahmood faisait son jogging le long de Siachin Road, face aux Margalla Hills, à l’extrême nord d’Islamabad, la zone la plus résidentielle de la ville, un triangle de villas cossues entre Kopyaban-e-Iqbal et Siachin. Il s’imposait tous les matins d’aller jusqu’à la grande mosquée Sha Faisal et de revenir.

Derrière, trottaient deux membres de l’ISI, ses gardes du corps qui ne le quittaient plus d’une semelle. Même le soir, lorsqu’il recevait ou quand il allait rendre visite à l’une de ses maîtresses en ville, ils étaient là, presque invisibles mais efficaces.

Tout en courant, il ruminait de sombres pensées. La veille au soir, il avait reçu la visite d’un Pachtoun membre d’Al-Qaida, vivant à Peshawar, qui lui avait servi plusieurs fois de guide pour aller retrouver le Cheikh. Un certain Sayed. Ce dernier lui avait appris une très mauvaise nouvelle : à la suite d’un enchaînement d’événements récents, qu’il lui avait détaillés, le caméscope que Sultan Hafiz Mahmood avait offert à Oussama Bin Laden se trouvait entre les mains de la police britannique.

Tout en courant, Sultan Hafiz Mahmood essayait de se rappeler ce qu’il pouvait y avoir sur cette cassette. Et cela le glaçait car il se souvenait parfaitement de Noor en train de filmer la visite du Cheikh à l’atelier d’assemblage de l’engin nucléaire artisanal qu’il avait conçu.

Désormais, le plan « Aurore Noire » était en danger. Tant qu’il ne saurait pas avec certitude ce que les Britanniques avaient découvert, il ne vivrait plus. Et si le gouvernement pakistanais apprenait l’existence de cette cassette, ce serait dramatique.

Le Pakistanais était tellement absorbé dans ses pensées qu’il ne vit pas un gros caillou et trébucha, tombant, les mains en avant. Ses anges gardiens le rattrapèrent presque avant qu’il ait touché le sol…

Il repartit, essayant de se laver le cerveau en se disant que le soir même, il avait rendez-vous avec une magnifique Éthiopienne, travaillant à l’ambassade de son pays, une « gazelle » d’une beauté inouïe, à la peau café au lait qu’on avait envie de lécher. L’évocation de cette superbe proie le ramena à Aisha Mokhtar. Elle se trouvait en Grande-Bretagne, et si la police britannique découvrait qu’elle avait acheté le caméscope à Dubaï, elle risquait de sérieux problèmes. Il fallait donc qu’elle revienne de Londres coûte que coûte, pour se mettre à l’abri au Pakistan. Seulement, il ne pouvait que l’implorer au téléphone, sans préciser la vraie raison de sa demande, et elle penserait qu’il voulait simplement profiter d’elle sexuellement. S’il utilisait le représentant de l’ISI à Londres pour l’avertir, cela supposait de révéler la vérité à l’Agence pakistanaise : le remède était pire que le mal.

Il ralentit. Les quatre immenses minarets de la mosquée Sha Faisal étaient en vue. Il décida d’aller y prier quelques instants. L’aide d’Allah ne lui serait pas inutile dans le proche avenir.

— Je me suis entretenu avec le Premier ministre, annonça Sir George Cornwell. La situation est extrêmement délicate. Si nous projetons cette vidéo à nos homologues pakistanais, ils vont identifier Sultan Hafiz Mahmood. Leur premier réflexe sera donc de le faire disparaître, en le mettant à l’abri ou en le liquidant. Or, il est le seul à pouvoir en dire plus sur cette affaire. Nous avons donc décidé, pour l’instant, de ne rien dire aux Pakistanais.

— Et de faire quoi ? interrogea John Gilmore. Le patron du MI6 n’hésita pas :

— Il faut monter d’urgence une opération clandestine pour récupérer Sultan Hafiz Mahmood et l’exfiltrer du Pakistan.

John Gilmore accueillit cette déclaration avec un silence inquiet. Les Israéliens avaient déjà procédé à ce genre d’opération, toujours extrêmement délicate et dangereuse, surtout dans un pays aussi surveillé que le Pakistan… En plus, sortir du pays n’était pas facile car toutes les frontières avec l’Inde étaient férocement surveillées. Il restait le Sud, par Karachi, mais c’était très éloigné d’Islamabad. Donc, la seule voie d’exfiltration était l’Afghanistan. Où les Américains avaient une logistique importante.

— Comment comptez-vous procéder, sir ? demanda John Gilmore.

— J’ai demandé à Richard Spicer de venir me voir d’urgence, annonça le chef du MI6. Nous lui projetterons le film, sans lui donner de copie. Je ne veux courir aucun risque de fuite. Les Cousins sont en première ligne si cette bombe est une réalité. N’oublions pas le 11 septembre. Elle est très vraisemblablement destinée à l’Amérique. Or, nous ignorons aujourd’hui elle se trouve…

— Et également pour quand elle est programmée, souligna John Gilmore.

— Mark Lansdale nous a expliqué qu’elle peut l’être instantanément, lorsqu’elle est en place, corrigea le chef du MI6. C’est extrêmement inquiétant. Les Cousins pourront nous fournir des moyens matériels pour une exfiltration. Ils ont des hélicoptères et travaillent avec l’armée pakistanaise. Seulement, il y a un hic, un gros hic.

— Lequel, sir ?

— Je les connais. Ils voudront en parler à leur « ami » Musharraf, celui qu’ils embrassent sur la bouche. Pour obtenir une solution politique. Et Musharraf va s’empresser de détruire toutes les preuves. Je connais les Pakistanais. Si cette histoire est une réalité, ils vont la nier, la tête sur le billot, jusqu’à ce que cette foutue bombe explose.

— Vous pensez que le gouvernement pakistanais est dans le coup ?

Sir George Cornwell secoua la tête.

— Honnêtement, non. Ils sont trop prudents et, même s’il y a des islamistes dans l’ISI et si la société pakistanaise est extrêmement conservatrice, je ne vois pas Musharraf jouer à ce petit jeu. Il a trop besoin des États-Unis. Mais il ne sait pas forcément tout ce qui se passe chez lui. N’oubliez pas que les deux tentatives d’assassinat menées contre lui ont été commises par des gens liées à l’armée…

Un ange passa, les ailes peintes aux couleurs pakistanaises.

— Sir, suggéra John Gilmore, je pourrais aller rendre visite à Hamid Gui, nous sommes demeurés en bons termes et il connaît beaucoup de monde chez les islamistes radicaux.

Évidemment ! L’ancien patron de l’ISI en était un lui-même et avait truffé son service d’islamistes purs et durs, qui avaient pris maintenant du galon.

— Inutile, remercia Sir George Cornwell. Si cette opération est lancée, c’est déjà trop tard. Je vais demander aux Cousins de surveiller la zone tribale avec leurs drones et leurs U-2. C’est peut-être un coup d’épée dans l’eau, mais c’est mieux que rien. Pour moi, l’opération est déjà en cours et l’engin a quitté le lieu d’assemblage. Il faut désormais le retrouver avant qu’il ne soit trop tard… Le seul capable de nous donner des informations, c’est ce Sultan Hafiz Mahmood. Donc, nous devons le récupérer.

Aisha Mokhtar se préparait à aller déjeuner au Savoy avec un jeune lord prodigieusement ennuyeux et incroyablement riche, qui dissimulait sous un bégaiement de naissance un goût sexuel très vif pour les personnes de couleur, lorsque son portable sonna.

La jeune femme n’avait pas encore décidé de la suite à donner à ce déjeuner, mais la perspective de monter se faire sauter dans une chambre du Savoy comme une vulgaire call-girl l’excitait plutôt. Ce serait un petit intermède amusant en attendant d’aller rejoindre son nouvel amant de cœur au fond de l’Autriche, pays dont elle ignorait la localisation en Europe, jusqu’à sa rencontre de la semaine précédente… Elle s’était précipitée sur le Gotha et avait été impressionnée par les titres de l’homme qui l’avait si élégamment sodomisée lors de leur première rencontre. Avec une maestria qui prouvait son goût pour la chose. L’idée de subir le même traitement, attachée sur un lit à baldaquin dans un château qu’elle imaginait médiéval, lui chauffait le ventre…

— Allô ? fit-elle. Who is calling ?

— C’est moi.

La communication était de mauvaise qualité mais elle reconnut immédiatement la voix de Sultan Hafiz Mahmood, et s’étonna ; il l’appelait rarement sur son portable…

— Comment vas-tu ? demanda-t-elle, en mettant le plus de chaleur possible dans sa voix.

— Tu me manques beaucoup ! répondit le Pakistanais.

— Moi aussi, tu sais.

Avec les Jeux olympiques qui approchaient, il fallait s’entraîner pour la médaille d’or du mensonge. L’autre saisit la balle au bond.

— Il faudrait que tu viennes, je ne peux pas me déplacer en ce moment, expliqua Sultan Hafiz Mahmood. J’ai quelque chose de très important à te dire. Tu pourrais rester une semaine et repartir. Cela me ferait tellement plaisir…

La voix parvenait brouillée, avec de l’écho, des parasites, mais Aisha Mokhtar sentit une tension inhabituelle chez son amant. Ce n’était pas seulement l’envie sexuelle qui le motivait. Il y avait autre chose, mais elle ne voyait pas quoi… Impossible d’en dire plus au téléphone…

— Ce n’est pas très facile, objecta-t-elle. J’ai beaucoup d’engagements ces jours-ci, mais je pense qu’en juillet je pourrai faire un saut pour voir ta nouvelle maison.

— En juillet, cela risque d’être très tard, répliqua Sultan Hafiz Mahmood. Tu sais…

La communication fut brusquement interrompue : le faisceau avait sauté du satellite… Aisha Mokhtar attendit quelques instants, regarda le petit tas d’or et d’émeraudes qui lui servait de montre, une Breitling Callistino offerte par un de ses gentlemen-farmers, et coupa son portable. La perspective d’une aventure au Savoy était nettement plus agréable qu’un voyage au Pakistan, où il faisait déjà 45 °C à l’ombre. Quant à la nouvelle maison de son amant, elle s’en moquait éperdument, n’ayant pas l’intention d’y vivre.

Chaury l’attendait, debout à côté de la Bentley, et lui ouvrit la portière. L’odeur du cuir était toujours aussi grisante, effaçant celle du tas d’ordures qui jouxtait jadis sa masure, au cours de son enfance pauvre en Inde. Tandis que la voiture quittait Belgrave Mews North, elle souleva légèrement la jupe de son tailleur et remonta son bas retenu par un porte-jarretelles mauve. Elle avait décidé de donner le choc de sa vie à son jeune lord, qui n’avait probablement vu de porte-jarretelles que dans les films X regardés en cachette dans sa chambre d’ado. Il en banderait encore mieux, et peut-être oserait-il la sodomiser…

On peut toujours rêver.

 

*

*   *

 

— Où êtes-vous ? demanda Richard Spicer.

Il venait de composer le numéro du portable de Malko, n’ayant pu le joindre au château de Liezen. Ce dernier fut étonné : jamais les gens de la CIA ne l’appelaient sur son portable.

— Sur la route, fit-il, quelque part en Autriche.

Il était d’excellente humeur et, tout en conduisant, caressait Alexandra, dont la jupe de cuir était relevée sur ses longues cuisses.

— Où, en Autriche ? insista l’Américain.

— Je me dirige vers la haute Autriche, précisa Malko, où je vais passer quelques jours dans le château d’un de mes amis. Vous êtes d’ailleurs cordialement invité. Il y aura de très jolies femmes, sans parler d’Alexandra que vous connaissez…

— Je pense que vous allez être obligé de changer vos plans, annonça froidement le chef de station de la CIA à Londres. J’ai besoin de vous d’urgence.

— C’est ennuyeux, fit Malko.

— Ce n’est pas ennuyeux, c’est grave, trancha l’Américain. Faites demi-tour et sautez dans le premier avion. Je vous attends ce soir au plus tard. Vous avez une chambre réservée au Lanesborough.

Aurore noire
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