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L’appareil atterrit sur un terrain privé à Chevy Chase, dans le Maryland, où une voiture sans chauffeur attendait Pendergast. Il était tout juste 9 heures lorsque l’auto pénétra dans le district de Columbia. Le froid vif de cette journée de janvier était tempéré par le soleil pâle qui filtrait à travers les arbres habillés de givre. Quelques minutes plus tard, Pendergast longeait les superbes propriétés d’Oregon Avenue, au cœur de l’un des faubourgs les plus chic de Washington. Il ralentit en passant devant la maison de Michael Decker, un bâtiment en brique de style géorgien d’apparence paisible. Aucune voiture ne stationnait devant l’entrée, mais cela ne signifiait rien en soi, Decker disposant à volonté d’une voiture avec chauffeur.
Pendergast traversa une intersection et se gara un peu plus loin le long du trottoir-. Il sortit son téléphone .portable et tenta à nouveau de joindre Decker, sans résultat,
La masse sombre de Rock Creek Park s’élevait derrière les maisons. Pendergast descendit de l’auto avec son attaché-case et s’enfonça à travers bois, persuadé que Diogène l’observait et qu’il l’aurait reconnu malgré son déguisement. Dans des circonstances analogues, lui-même n’aurait eu aucun mai à identifier son frère.
Contre toute attente, le parc était désert et seul le murmure des eaux de la Rock Creek comblait le silence.
Il longea d’un pas rapide le petit bois, traversa en courant l’allée et le jardin d’une propriété anonyme et se retrouva derrière la maison de Decker dont il franchit la haie, La cour, parfaitement ordonnée, s’étendait jusqu’à l’orée du parc. Dissimulé par un épais buisson, Pendergast regarda à l’intérieur de la maison, mais les fenêtres étaient fermées, les rideaux tirés. Après un dernier coup d’œil en direction des résidences voisines, il s’enhardit jusqu’à l’entrée de service, déposa son attaché-case sur le petit perron et enfila une paire de gants en caoutchouc.
Il s’arrêta une dernière fois, tous les sens à l’affût, puis il coula un regard à travers une petite fenêtre, toujours sans frapper.
Il découvrit une cuisine moderne immaculée dont l’austérité trahissait le célibataire endurci. Un journal plié en deux était posé sur le plan de travail près du téléphone et une veste reposait sur le dossier d’une chaise. Une porte fermée, probablement celle de l’escalier de la cave, faisait face à un couloir sombre menant au salon.
À peine visible dans la pénombre, une silhouette était allongée sur le sol. Elle bougeait encore faiblement.
En un instant, Pendergast gagna l’entrée de service dont il voulut crocheter la serrure avant de s’apercevoir qu’elle était fracturée. La poignée tourna sans peine dans sa main et un câble sectionné lui indiqua que le système d’alarme avait été neutralisé. Le fil du téléphone avait subi le même sort. Il se glissa dans la maison, se précipita vers la forme allongée et s’agenouilla sur le plancher.
Ce qu’il avait pris pour un corps humain était celui d’un chien Weimaraner, les yeux vitreux, dont les pattes arrière se convulsaient à un rythme irrégulier. Il tâta rapidement l’animal et constata que la colonne vertébrale avait été brisée en deux endroits.
Pendergast se releva et sortit de sa poche un Wilson Combat TSGC de calibre 45. Il commença par fouiller sans bruit le rez-de-chaussée en prenant la précaution de se protéger derrière chaque encoignure, l’arme tendue, le regard aux aguets. Il traversa successivement le salon, la salle à manger, le hall d’entrée et une salle de bain sans rien découvrir de suspect.
Il prit alors l’escalier et se retrouva sur le palier du premier étage qu’il explora prudemment avant de s’aventurer plus loin. Le couloir s’ouvrait des deux côtés sur des pièces dont les portes laissaient passer des puits de lumière, dans lesquels dansaient paresseusement des particules de poussière.
L’arme au poing, il pénétra dans la première pièce, une chambre qui donnait sur l’arrière de la maison. Les lits étaient faits avec une précision toute militaire, les couvre-lits tendus au-dessus des couettes et des oreillers. De l’autre côté de la vitre, on apercevait les ombres dépouillées des arbres de Rock Creek Park.
Un bruit indéfinissable rompit le silence.
Pendergast s’immobilisa. Son ouïe aiguisée ne pouvait pas l’avoir trompé : il s’agissait d’un soupir.
Il sortit précipitamment de la chambre et s’arrêta au seuil de la pièce située de l’autre côté du couloir, veillant à rester plaqué contre le mur. De son poste d’observation il aperçut des rayonnages et un bureau. Un autre bruit se fit entendre, tout proche.
Le pistolet en avant, il pivota sur lui-même à la vitesse de l’éclair et pénétra dans la pièce.
Mike Decker était assis dans un fauteuil en cuir face à sa table de travail. Il avait gardé de son passage à l’armée une certaine raideur, mais son passé militaire n’avait rien à voir avec sa rigidité actuelle, due à la longue baïonnette qui le clouait à son siège de la bouche jusqu’au cou. La pointe de métal, dégoutante de sang, ressortait de l’autre côté du dossier et une mare écarlate s’étalait sur la moquette aux pieds du fauteuil.
Un faible soupir monta de la gorge transpercée de Decker avant de s’éteindre dans un gargouillis sinistre. Le supplicié, sa chemise blanche uniformément rougie, fixait Pendergast de son regard inanimé. Une rivière de sang s’écoulait lentement sur le plateau du bureau avant de s’écraser pat terre.
Pendergast regardait la scène, horrifié. Reprenant rapidement ses esprits, il retira un gant, se pencha et toucha du revers de la main le front de Decker, veillant à ne pas approcher la mare de sang. La peau du malheureux était encore tiède et élastique.
Pendergast se recula brusquement. À l’exception du goutte-à-goutte, tout était silencieux autour de lui. Les poumons se vidaient peu à peu de l’air qu’ils contenaient, mais Decker était mort depuis moins de cinq minutes. Peut-être même trois.
Pendergast eut une hésitation. L’heure exacte de la mort n’avait que peu d’importance, mais il ne faisait guère de doute que Diogène avait attendu son arrivée avant de tuer Decker.
En clair, cela signifiait que son frère était peut-être encore là.
Au loin, le hurlement de plusieurs silènes de police perça le silence.
Pendergast fit une dernière fois le tour de la pièce des yeux, à l’affût du moindre indice, Son regard se posa sur les mains de Decker et il sursauta : l’une était ouverte, l’autre serrée autour d’un objet invisible.
Sans s’inquiéter des sirènes de police, Pendergast tira de sa poche un stylo en or à l’aide duquel il déplia les doigts du mon, découvrant trois mèches de cheveux d’un blond cendré.
A l’aide d’une loupe d’horloger puisée dans l’une de ses poches, il se baissa afin d’observer les touffes de cheveux. Puis il se redressa, remit sa loupe en poche et sortit une pince à épiler avec laquelle il préleva soigneusement les cheveux collés à la main du mort.
Les sirènes étaient routes proches à présent,
Diogène avait dû s’éclipser, une fois sa mise en scène parachevée. Le film des événements n’était pas difficile à reconstituer : après s’être introduit dans la maison, il avait immobilisé Decker à l’aide d’un sédatif quelconque, attendant l’arrivée de Pendergast, avant de tuer sa victime. Selon toute probabilité, Diogène avait volontairement neutralisé l’’alarme en repartant.
La victime était un haut responsable du FBI et Diogène pouvait être assuré que la maison serait passée au peigne fin dès l’arrivée de la police. Il n’aurait donc pas pris le risque de s’éterniser sur place, et Pendergast se décida à l’imiter.
Des crissements de pneus et une cacophonie de sirènes retentissaient déjà sur Oregon Avenue. Pendergast lança un dernier coup d’œil au cadavre de son ami, s’essuya un œil d’un geste brusque et se précipita dans les escaliers.
Au passage, il remarqua que la porte d’entrée était grande ouverte et que le tableau de sécurité clignotait comme un arbre de Noël, D’un bond, il sauta par-dessus la forme inerte du chien, sortit par l’entrée de service, saisit son attaché-case au vol, traversa la cour au pas de course et s’évanouit à l’intérieur de Rock Creek Park, en prenant soin de se débarrasser des mèches de cheveux dans un tas de feuilles mortes.